La musique de Juniore a toujours été pour nous comme un bonbon. Vous savez le genre qui est doux au départ et qui révèle au fur et à mesure toute son acidité. Trois ans après Ouh là là, le trio revient avec 1,2,3, un album qui continue de tracer le sillon d’une musique à la fois légère et sérieuse, qui cache derrière une naïveté de façade des trésors de sérieux qui nous enchantent. Alors on a mis notre casque, on a posé nos mains sur le mur et on est prêté au jeu. 1,2,3… Juniore !
Il faut le dire dès le départ, il faut poser la chose pour ne plus en parler, pour ne plus y penser : non, Juniore n’est pas un groupe nostalgique. Non Juniore ne joue pas le jeu d’un retour en arrière. Juniore est un groupe moderne, de son époque, c’était déjà le cas avec Ouh là là et le sentiment est encore plus fort à l’écoute de 1,2,3. Le son du trio est trempé dans la modernité, la production est limpide, répondant aux canons de l’époque et proposant un son ample, massif et lisible. Pas de grain, pas d’envie d’aller chercher une vieille machine pour « sonner comme à l’époque« , Samy Osta , héros discret de la pop française et membre mystérieux du groupe, a façonné un album qui claque et qui vibre en cette époque troublée. Et si Juniore fait du Yéyé, ce n’est pas tant pour se rappeler une époque révolue, mais plus pour explorer un genre musical qui correspond à ses envies, à ses thèmes et à sa culture. De l’anti-nostalgie donc mais un besoin de dire des choses à sa manière et avec ses envies … Et des choses, 1,2,3 en à beaucoup en dire.
A l’image de sa pochette, la musique qui compose 1,2,3 joue d’un tas de contrastes. Si on la regarde de loin, on peut voir l’apparente simplicité des paroles, ses sons joyeux et entêtants, ses morceaux travaillés à l’extrême comme des petits bijoux pop qui sonnent incroyablement bien. On peut clairement se contenter de cette surface, de cette observation superficielle somme toute déjà assez réjouissante, mais si l’on s’avance, si l’on fait le focus et on voit les choses apparaitre, le flou autour de l’image disparait et les détails éclatent au grand jour et on découvre alors un album qui a un point de vue très clair sur l’amour, la vie et le monde qui l’entoure. C’est là toute la beauté de Juniore et c’est pour ça que le yéyé lui va si bien : utiliser la naïveté pour faire passer des messages limpides, lucides et parfois cyniques, et transformer une musique simple mais jamais simpliste en petite bombe a retardement qui pourra parfois mettre plusieurs jours à exploser dans nos tête.
On peut prendre pour exemple parfait Bizarre. Il y a d’abord ce petit sifflement qu’on reprend instantanément, cette basse incroyable (un élément qui revient à plusieurs reprises sur l’album), cette batterie qui résonne et cette phrase qui tourne comme un mantra pop qui s’accroche à nos tympans au dessus du sifflement. Ça semble facile, et puis on s’attarde aux détails, à ce son de synthé qui en devient presque cauchemardesque, à cette voix d’homme qui apparait en arrière plan et qui rigole, qui se dévoile comme dans un cauchemar. Et l’on finit par comprendre le piège de Bizarre, on sent cette étrangeté nous envahir et on réalise que le titre parle (en tout cas dans notre esprit) d’une sorte d’aliénation mentale, d’enfermement sur soi et de détresse. Et c’est toute la beauté de titres comme Bizarre, mais aussi Ah bah d’accord , Grave ou Que La nuit : des sensations qui laissent ensuite apparaitre une quête de sens.
En face, il y a d’autres morceaux, ceux qui racontent des histoires, des instantanés, plus directs, plus francs du collier ou le titre veut tout dire comme Tu mens, véritable pépite ou la nonchalance de la voix se fracasse sur un rythme fou. Drôle d’histoire titre nostalgique et nocturne qui nous conte les amours qui se terminent dans une ambiance de fin du monde, ou encore Adolescent qui termine l’album dans un clair-obscur pour nous parler du temps qui passe et des années qui ne reviendront plus. Et au milieu de tout ça, il y a Walili, sorte de pose instrumentale épique qui monte en tension avant d’exploser, délire cinématographique qui nous enchante complètement et qui joue un rôle de petite respiration en milieu d’album.
Album en clair-obscur, sorte de fuite en avant mais sans résignation, ni peur du lendemain, 1,2,3 de Juniore est un album qui fait du bien. Le genre d’album que l’on écoute du début à la fin, qui suspend le temps qui nous entoure pour que l’on se concentre pleinement sur la musique qui se diffuse. C’est une nouvelle fois un véritable travail d’orfèvrerie pop, un bijou poli et délicat qui dévoilera toute ses aspérités à ceux qui seront s’y attarder. Un album entêtant, moderne dans sa production mais intemporel dans ses thèmes et son exigence. Ce qui prouve que Juniore est un groupe majeur d’une scène pop française qui ne cesse de nous surprendre et de nous faire tomber amoureux jour après jour. Allez on reprend le jeu, on se prépare à courir : 1,2,3 … Juniore !