2024- Les coups de coeur de La Face B – Acte II

Le rendez vous devient un classique; comme chaque année la rédaction de La Face B a aiguisé ses plus belles plumes pour vous offrir ses albums coups de coeur du cru 2024. Sans plus attendre, notre second acte du top 2024.

MRCY – Volume 1 (Caroline)

C’est toujours extrêmement difficile de choisir, et donc de renoncer à tant d’artistes qui nous ont ému et fait vibrer, chacun à leur manière. L’année 2024 nous a encore offert son lot de belles sorties. J’ai pleuré avec la poésie à fleur de peau du folkeux breton Elliott Armen dans Disturbance, vu la vie en bleu (ou en jaune) avec le second opus A l’évidence de Clou, groové avec les talentueux Malted Milk et leur 1975, sauté dans tous les sens avec Fatdog et leur premier Woof… Un choix beaucoup trop difficile, mais puisque c’est l’exercice, alors je vous parlerai de MRCY et de son Volume 1.

Découvert au printemps lors de leur premier concert en France (à Paris en première partie des Black Pumas), le duo soul MRCY quasi inconnu du public a pourtant réussi à instantanément embarquer tout le monde. Une alchimie rare. Leur recette : une combinaison de la chaleur intemporelle de Marvin Gaye avec la sensibilité moderne de Khruangbin, Anderson .Paak et Sault.

MRCY nous vient d’Angleterre, né de la rencontre entre le producteur Barney Lister et le chanteur Kojo Degraft-Johnson. Barney, batteur de formation, a trouvé sa vocation artistique grâce à la culture melting-pot des sound systems. Kojo, lui, a été bercé au son des légendes soul comme Aretha Franklin et Sam Cooke. Il s’est aussi nourri du chant choral de l’église catholique de son père, et du gospel ghanéen de sa mère.

L’union des deux artistes aux parcours et aux profils différents, dans la lignée d’autres duos atypiques comme Gnarls Barkley,nous offre une signature soul singulière mêlant la voix chaude, enveloppante et sensible de Kojo Degraft-Johnson à l’élégante créativité de Barney Lister.

Au travers des 8 titres de leur premier opus Volume 1, MRCY explore différentes ambiances et sonorités, et nous montre ainsi toute l’étendue de leur talent. L’élégance efficace de RLM et Loreleï, dans la tradition de Marvin Gaye version 2024 ; le punch de Days like this ; le chill planant de California ; les influences brésiliennes dans Flowers in mourning ; le côté plus pop sur Powerless façon Seal ; le gospel jazzy de Seven candles.

Le duo MRCY a tout des grands, comme si leur musique avait toujours fait partie de nos classiques. On leur souhaite une réussite à la hauteur de leur talent, pour continuer à nous régaler avec d’autres concerts et de prochains Volumes. 

Dude Low – Saint Hélier (Paul)

L’album Saint Hélier, pour nous, ça a commencé par l’apprentissage d’un nouveau mot. Parce qu’en regardant sa tracklist en octobre, on y avait aperçu le vocable hollandais Niksen. Que voulait-il dire ? Avant de s’y intéresser, on n’en avait pas la moindre idée. Aussi étions nous naturellement méfiants.

La dernière fois que l’on avait écouté un morceau avec un titre que l’on ne comprenait pas, c’était une forme de jazz qui ressemblait à s’y méprendre à une machine à cambrer les bananes. Comment dès lors, ne pas craindre la prise de tête à toutes les occasions ? Heureusement, il n’en était rien.

Parce que ce qu’on a entendu dans ce deuxième album du rennais Dude low, c’est de l’indie rock en français, et plutôt très élégant avec ça. Un album mû par une présence qui nous entraîne vers les délices de l’oisiveté. Parce que le Niksen, c’est un art de vivre qui consiste à ne rien faire. Le vide. Nada. L’oisiveté heureuse. Et qu’au cours du titre en question – à lui seul un de nos favoris de 2024-, on assiste à un éloge de ceux qui le pratiquent. Au sein des guitares et des synthétiseurs, la voix de Lucas Benmahammed (aka Dude Low) chante la gloire de ces « mauvais élèves/qui vivent sans dieu ni maître/dans leurs jardins secrets ». Peut-être est-ce un fantasme, pas si éloigné du Paterson de Jim Jarmusch (souvenez-vous, Adam Driver en chauffeur de bus, poète incognito entre deux arrêts).

L’artiste qui peut créer pour lui seul au rythme de ses envies, dans un anonymat volontaire aux antipodes d’une productivité et personnalisation de l’art très contemporaine. Bienvenue au jardin des oubliés conclut-il en fin de refrain. Fantasme ou non, on veut bien souscrire au songe proposé. De la même manière que sur le reste de l’album, on veut bien souscrire à cette rencontre curieuse entre un humour ironique et une musique quasi estivale.

C’est un équilibre difficile à trouver que celui de la légèreté et de la pesanteur. Dude Low fait définitivement partie de ceux qui y parviennent. Espace ténu, où l’on loge au cours de dix titres sur une corde qui sait réunir Los Angeles et Rennes dans le même regard. La mer et le béton ; les guitares façon Mac de Marco et cette voix parfois nonchalante mais souvent plus insaisissable qu’on ne croit. On se réjouit tout du long que le rennais ait opté pour le passage au français, après un premier (très beau nonobstant) album anglophone.

Et on a hâte de savoir ce que l’avenir lui réserve. Au fond, et c’est tout le paradoxe, on ne sait désormais plus trop si l’on souhaite l’anonymat heureux à Dude Low. Parce qu’on croit qu’avant tout, on souhaite apprendre à le connaître.

Nieve Ella – Watch It Ache And Bleed (Maureen)

Pour être honnête, j’ai écouté très peu des innombrables albums sortis cette année. Pour ne pas me retrouver complètement perdue dans le flux incessant de sorties hebdomadaires, et presque quotidiennes, j’ai minutieusement choisi de n’écouter que quelques rares projets qui ont su susciter mon intérêt.

Parmi eux, j’ai été ravie de découvrir le dernier EP de Nieve Ella, Watch It Ache and Bleed, sorti en octobre dernier. Ce n’était pas la première fois que j’écoutais ses titres, mais j’avais moins accroché avec ses deux premiers projets, sortis en 2023, que je trouvais assez fades et sans réelle identité artistique. D’où mon affection toute particulière pour ce nouvel EP, au sein duquel Nieve semble s’être complètement trouvée. Une petite demi-heure d’écoute sans prise de tête, durant laquelle j’ai passé un excellent moment. Un si bon moment d’ailleurs que je ne cesse de le relancer depuis sa sortie.  

En apparence, Nieve Ella a tout pour devenir la prochaine popgirl du moment : une esthétique minutieusement réfléchie, des chansons d’amours relatable au possible, et surtout déjà une communauté de fans très engagée. Mais dès qu’on creuse un peu plus, ce que ce projet nous permet d’ailleurs de faire, on lui découvre un potentiel tout autre : celui de devenir une vraie rockstar. Accompagnée de puissantes basses — et occasionnellement de batteries, on lui découvre une intensité jusqu’alors inattendue. Que ce soit par la puissance de sa voix ou l’honnêteté crue de ses paroles, Watch It Ache And Bleed marque un vrai revirement de style pour Nieve.

Dès le premier titre, Anything, petit bijou rock où elle déclame son amour déraisonnable pour son partenaire, on est directement plongés dans l’atmosphère d’une romcom classique des années 2000. Alors qu’on pense avoir cerné le personnage, le reste du projet vient nous en boucher un coin de par sa diversité. Entre Ganni Top, véritable hymne à la confiance en soi, The Things We Say, qui évoque les dynamiques parfois complexes des amitiés, ou encore Sugarcoated où elle partage les désillusions de sa vie d’artiste, Nieve s’éloigne de sa zone de confort et propose une large palette de thèmes, où chacun peut y trouver son compte. Pour autant, on retrouve toujours quelques classiques ballades romantiques, comme l’excellent Sweet Nothings, que j’ai particulièrement appréciée : sans grande prise de risque, mais très réussie pour autant. C’est d’ailleurs le vrai point fort du projet : tout est extrêmement maîtrisé, de la production au mix de sa voix. C’est pour cette raison que, malgré son apparente simplicité, Watch It Ache And Bleed mérite amplement sa place parmi mes projets préférés de l’année. 

Une chose est sûre, c’est que vous n’avez pas fini d’entendre parler de Nieve Ella. Alors faites moi le plaisir de prendre une petite trentaine de minutes pour la découvrir: vous ne le regretterez pas!

Tyler, The Creator – CHROMAKOPIA (Léo)

Depuis plusieurs années, Tyler, The Creator s’est imposé comme une figure incontournable du paysage musical international. Unique en son genre, il nous surprend encore avec son dernier album, où il offre une expérience sonore exigeante et réfléchie.

Pour la première fois, cet opus se distingue par une approche moins intuitive. C’est un album qui se savoure avec le temps, se mûrit et invite à une écoute attentive pour en saisir toute la richesse. L’artiste californien continue de renouveler sa formule et sa palette musicale, oscillant entre audace et maîtrise. Depuis plus de dix ans, il captive son public en prenant des risques calculés, explorant de nouvelles directions pour satisfaire sa curiosité et la nôtre.

Dans CHROMAKOPIA, Tyler se montre plus subtil dans son originalité. Il ne force pas le changement mais célèbre l’évolution, illustrant comment rester fidèle à soi-même tout en façonnant sa vision du monde à mesure que la vie avance. Il met à l’épreuve notre écoute, nous poussant à apprécier pleinement son art dans toute sa complexité.

Ce disque s’impose comme l’une des œuvres les plus captivantes de l’année, non seulement dans le hip-hop, mais aussi dans la musique mainstream, qui a besoin de créations de cette qualité.

Green Montana – Saudade (Pierre)

Depuis 2020 et son EP, Alaska, le belge Green Montana semble planer sur le large spectre du rap francophone actuel. Livrant une trap minimaliste agrémentée d’un phrasé vaporeux, il réussit à élever progressivement son art au fil de ses projets. Autour de ces derniers vient se greffer une esthétique nébuleuse qui appuie encore un peu plus la douce froideur dans laquelle il évolue. 

Saudade, son dernier album, sorti en avril de cette année, s’inscrit à merveille dans ce continuum. Effectivement, dès son introduction, phileas fogg, on imagine aisément le rappeur prendre de la hauteur, tout comme l’héros imaginé par Jules Verne dans son Tour du monde en quatre-vingts jours. Une distance qui va lui permettre, à la fois, de souffler un vent frais sur le rap francophone, de par des productions léchées, oscillant entre des nappes spatiales et des rythmiques trap nonchalantes se couplant à merveille avec le flow étouffé de son interprète.

Cette faculté à brouiller ses émotions en les chuchotant à demi-mots fait écho à sa prise de hauteur et au recul sur lui-même que cela semble provoquer chez lui. Green Montana, malgré une réussite probante, reste chargé d’un spleen qui lui colle à la peau. Faisant de son rapport à l’argent un thème central de cet album, il ne s’en sert pas simplement pour alimenter un égo-trip démonstratif mais, au contraire, il permet de plonger dans la psyché de son auteur pour faire l’écho de certaines de ses failles : drogues, confiance en ceux qui l’entourent et le vice à porté de liasses. 

Dans cette nébuleuse froide, quelques morceaux viennent illuminer le nuage embrumé dans lequel Green navigue. A l’instar d’oseille mon amour mélant nappes 80’s et rythmiques jersey pour un rendu qui pourrait se rapprocher d’une tentative pop. Un pari qui divise mais qui à le mérite de montrer une continuelle envie d’élever sa musique et son propos sans, non plus, le dénaturer. 

Le tout offre un album complet, qui s’inscrit dans une suite de projet remarquable tant ils font corps entre eux. En prenant de la hauteur, Green Montana inscrit définitivement sa patte artistique et sublime ses failles avec une musique hypnotique qui regorge d’un charme mystique difficile à verbaliser tant il livre une musique sensitive et addictive. 

Adrianne Lenker – Bright future (Eloïse)

Depuis l’album Songs and Instrumentals qui, sorti fin 2020, avait illuminé de ses douces mélodies mon deuxième confinement, j’attendais fermement le retour solo d’Adrianne Lenker. Il faut dire qu’elle tient une place toute particulière dans le paysage Folk-Rock actuel. Héritière des grands poètes et poétesses Folk que sont Joni Mitchell, Nick Drake ou Leonard Cohen, elle peut envoûter une salle de sa voix cristalline et finir genoux aux sols dans un solo de guitare électrique enflammé avec son groupe Big Thief

Mes attentes étaient donc élevées à la sortie de Bright Future, et force est de constater qu’elles étaient justifiées. Avec la poésie qui la caractérise, Adrianne Lenker évoque la beauté qui réside non seulement dans l’amour heureux, mais aussi dans celui qui s’éteint, ou qui revient nous hanter des années plus tard. Grâce à la finesse de son écriture, rien n’est jamais figé ou absolu. La subtilité des émotions qu’elle décrit permet à chaque morceau de sonner juste, vrai.

Ce qui fait aussi la force de l’album, ce sont les arrangements, à la fois plus fournis et diversifiés que sur ses précédents, mais tout aussi intimistes – chaque morceau donnant l’impression d’avoir été enregistré en une seule prise. Lenker s’est entourée de musiciens de talent pour cet album, notamment Nick Hakim, dont le timbre chaud sublime la voix claire, à la fragilité assumée de l’artiste.

L’album entier mérite plusieurs écoutes pour s’imprégner de toutes les belles choses qu’il renferme derrière son aspect épuré. Ceci étant dit, s’il ne fallait retenir que trois morceaux, ceux-ci seraient selon moi : Free Treasure – le genre de chanson d’amour qui nous fait dire à propos de notre propre histoire : « je ne l’aurais pas mieux dit », Evol – dont les palindromes en série évoquent la difficulté à trouver du sens, et Donut Seam – qui fait le parallèle entre la fin imminente d’une relation amoureuse et le changement climatique.