925, le premier album de Sorry est sorti il y a peu. Et après des mois d’attente les deux cool kids du nord de Londres sont là où on les attendait. L’opus est une pépite rock aux expérimentations électro et jazz avec une noirceur et des allures grunge tant soniques que visuelles. Si leurs attitudes de rockstars blasées avant l’heure peuvent générer de la frustration chez beaucoup (le NME les surnomme « snotty brats » « morveux au nez qui coule »), leur musique, elle, est originale et imprévisible et on en redemande.
Asha Lorenz et Louis O’Bryen ont formé Sorry dans leurs teens (le groupe s’est d’abord appelé Fish) et ont multiplié les concerts dans la capitale britannique ces dernières années, d’abord dans le nord dont ils sont originaires puis dans le sud de Londres où ils ont été associés un temps à la scène du Windmill à Brixton, haut lieu post punk underground où la plupart des jeunes groupes de la scène londonienne font leurs armes avant de décoller (Black Midi, Goat Girl). Au cours de ces années formatives, le groupe sort des morceaux auto-produits compilés en mix-tapes lo-fi Home Demo/ns vol. I&II accompagnés de vidéos homemade réalisées par Asha et son acolyte Flo Webb (qui deviendront Flasha.prod et qui continuent à réaliser à ce jour la plupart des vidéos de Sorry) et amassent en plus d’expérience, une fan base grandissante. Des deux membres originaux, le groupe s’agrandit à 5 et signe chez Domino Records et 925 s’ensuit.
925 (le titre vient du pourcentage d’argent pur dans la composition du « Sterling silver » : 92,5%) enchaine les titres accrocheurs et raconte des histoires de luxure, d’amour ou de mépris, (ou les trois) des deux millenials urbains et de leur entourage.
L’album commence sur Right Round the Clock, où les voix blasées d’Asha et Louis nous projettent dans un rêve rock n’ roll emprunt à la solitude et l’irréalité et où le vide sentimental règne. Le morceau alterne jazz noir avec saxophone et keyboard dramatiques et des parties bruitages diy électro aussi inattendues que captivantes. Starstruck, le quatrième morceau de l’album et un de leurs titres les plus connus, suit la voix au phrasé rapide d’Asha sur des riffs secs qui se tournent en glitch électro avant de s’élever en un pont angélique aux multiples possibilités : « I am just your muse, nothing more, nothing more, than a four letter word » (« Je suis juste ta muse, rien de plus, rien de plus, qu’un mot à quatre lettres ») or les mots à quatre lettres sont multiples et enflamment notre imagination (en plus de « muse », « love » et « fuck » viennent en tête) les pistes infinies sont brouillées. Le morceau exprime le fait d’être impressionné par quelqu’un que l’on admire. Entre flirt et tensions sexuelles, les paroles y sont à la fois drôles et abrasives : « I’m the rotten apple of your eyes » (« Je suis la prunelle pourrie de tes yeux »). L’ironie et la dérision sont accentuées par des « urgh » de mépris (?) qui ponctuent ce morceau ambivalent.
Rosie, mélange plein de styles différents avec multiples instruments dont saxo et piano et montre une fois encore leur totale liberté sonique. Bercé par la voix douce d’Asha, le morceau pourrait être une balade romantique, si les paroles n’étaient pas accusatrices et sournoises « This is your fault Rosie » (« C’est de ta faute Rosie ») et passe de « I love you Rosie » à « Fuck you Rosie » pour un morceau aussi doux que déconcertant.
As The Sun Sets est peut-être la chanson la plus touchante de l’album. Parlant de la rencontre inopinée de la narratrice avec un ex et sa nouvelle copine, les paroles y semblent cette fois profondes et sincères : « And I guess that I’m glad, That you’re both in my past, But that thought doesn’t last, And I cry crystallised tears » (« Et j’avoue que je suis contente, que vous fassiez tous les deux partis de mon passé, Mais la pensée ne dure pas, et je pleure des larmes crystalisées ») montrant qu’après tout, Sorry n’est peut-être pas que le groupe apathique dont ils se donnent l’air. L’humeur comme la musique sont changeantes. On y trouve aussi des paroles de Louis Armstrong qui sont reprises mots pour mots pour signifier exactement son contraire : « Then I think to myself, What a wonderful world » (« Et puis je me dis, Quel monde magnifique ») et à l’instar du musicien américain qui chante des paroles optimistes avec authenticité, Asha s’en sert pour exprimer du dépit et continue avec « What a hell of a day » (« Quelle journée de l’enfer »). Sorry prend un malin plaisir à copier des pans de standards du rock les twistant à leur sauce sarcastique. Des paroles et la mélodie de Mad World des Tears for Fears sont reproduites presque à l’identique et ironisées dans Right Round the Clock : « I’m feeling kind of crazy, I’m feeling kind of mad, The dreams in which we’re famous are the best I ever had” (« Je me sens folle, Je me sens furieuse, Les rêves dans lesquels nous sommes célèbres sont les meilleurs ») imitant le tube 80’s et raillant les paroles originales de fin du monde, pour aborder leur thème de prédilection qu’est la célébrité rock n’ roll (présent un peu partout dans l’album avec les titres Rock n’ Roll Star, Starstruck, Right Around the Clock…). Si le statut de rockstar semble être le rêve de ces deux kids de Camden, ils nient pourtant cette fascination (voir notre interview). Mais les deux agissent déjà comme tels et sont complètement « over it ».
Sorry est adepte des sous-entendus, non-dits renversés et autres pirouettes et si les choses semblent d’une couleur, leur musique est changeante et les paroles fuyantes se transforment et se contredisent et restent insaisissables. Le groupe est sauvage et juste quand on croit les capter ils virent de bord et nous surprennent encore. Une chose est sûre c’est que leurs morceaux dark versatiles nous fascinent. 925 est sorti il y a peu et nous sommes déjà accro. Comme une drogue on en veut « encore et encore et encore, pas trop, mais juste assez » (pour reprendre les paroles de More, 11ème morceau de l’album).
Ils joueront le 2 décembre à Heaven à Londres et à Paris à la Boule Noire le 3 décembre.