« Mauvais joueur », c’est un uppercut, et on le prend fort. La gueule amochée sur l’ensemble de ses clips, entre une tournée des zéniths et la promotion de son EP, le rappeur de 22 ans The Doug délivre un hymne politique de l’intime en cinq titres aussi efficaces que désarmants.
Ça m’est venu pendant mon dernier séjour là-bas. De retour dans les terres industrieuses de mon enfance, qui peint tous les souvenirs en nuances de gris – l’urbanisme utilitaire, le béton du marché aux puces, la pierre volcanique de la cathédrale qui griffe le ciel bas… Sur les routes creusée de l’infinie rotation des pneus Michelin, la certitude que tout y contaminait le cœur d’une mélancolie topographique. Mais dans ce creuset auvergnat, ontologiquement taiseux, The Doug a su trouver les mots – à se passer des nôtres. « Ma génération » dès lors oubliera volontiers nos grilles de lecture. Rendez-vous dans 2’49.
Alors évidemment, on aurait pu disséquer. Livrer au lecteur de La Face B une interprétation clé en main – on sait faire, on a appris, à pointer le lien entre un titre catchy et l’ère post-Covid. À parler éco-anxiété et militantisme silencié, « taux de suicide » aussi, peut-être. Évoquer la frustration qui fait crever, et puis, l’absence de futur désirable. D’autres prendront à droite, tournant en dérision ces hypersensibles écorchés vifs : comment on faisait, avant ?
En réponse à ceux-là, une trame de fond sur laquelle il convient de revenir. À destination de qui ne voit dans la chanson à textes que l’expression d’une révolte vouée à passer, on opposera la confirmation d’un revirement. Parce qu’elle est bien-là, cette légitimité nouvelle. Celle qui dit, et l’intime et les failles, un bras d’honneur assumé à la psychophobie ordinaire et à la masculinité toxique – « J’ai la maladie d’la tête ou quoi ? ». Peut-être. Et ça ne fait rien.
Un autre titre, « HLM en papier », se décentre du soi pour traiter des structures. Une voix belle et travaillée pour dire essoufflement structurel des rêves ghettoisés.
« Des produits dans le corps / Pour changer de décors », comme un passage lu au dérobé du journal intime d’un mec de cité, qui couche sur le papier ce qu’il ne peut pas jeter dans ses flows. C’est qu’il vient du rap, The Doug, et si aujourd’hui il donne dans le mélodique assumé, les thèmes abordés, la diction et les prod’ rappellent bien cette filiation.
Pour conclure, une reprise.
Plus appuyés que dans l’originale, les accords, et une diction qui fait mine de s’en foutre – après tout, c’est juste « Une histoire de plage ». Alors il la pose là, sa conclusion. Une balade signée BB qui trouve dans cette incarnation une intensité nouvelle, lyrique sans trop en faire. Un pont entre des générations sur la brèche qui ne demandent qu’à s’entendre. Qu’elles prêtent l’oreille.