Il s’est fait désirer ce premier album de Glauque. On suit les aventures des belges depuis 2019 et on a attendu longtemps ce premier long format. Le voilà qui débarque aujourd’hui avec un titre aussi percutant qu’eux : Les gens passent, le temps reste. Un manifeste sur soi et sur les autres qui se place dans le haut du panier des albums de cette rentrée.
Pour parler de ce premier album de Glauque, un petit retour en arrière s’impose. Retour en 2019, le groupe jouit d’un buzz mérité suite à des premiers titres percutants et des concerts qui mettent des uppercuts, l’avenir du groupe belge semble tout tracé.
Et puis, comme tout le monde, un impact inattendu et un stop. Le quatuor dévoile alors son premier EP éponyme en pleine pandémie. Une première sortie rapidement suivie trois mois plus tard d’un nouveau travail massif sobrement intitulé Réécriture.
Éternels insatisfaits, ils modifient un premier effort prêt depuis longtemps et qui ne semble plus répondre à leurs ambitions pour en faire un terrain de jeu bouillonnant, où la musique accélère et ralentit, où les mots s’effacent parfois et laissent place à des morceaux élastiques et vivants. Des variations qui donnent naissance aux premières graines de leur premier album Les gens passent, le temps reste. Car si le temps a pu les faire oublier par certains, il a permis au quatuor de se consolider autour d’une ambition commune, celle d’un album en forme de tout, où l’on plonge dans les considérations et les humeurs de garçons de leur époque. Une âme musicale qui se construit autant dans le concret des mots que dans l’expression par la musique.
Confrontation et cohésion : l’alchimie du fond et de la forme
C’est sans doute la plus grande force de Glauque et celle qui marque le plus lors des premières écoutes de les gens passent, le temps reste : un tout qui nous accueille.
C’est sans doute la recherche la plus importe qui a guidé ces quatres là, la destruction de l’égo, le besoin de proposer quelque chose de global, comme si chaque partie distincte ne pouvait s’épanouir et exister qu’une fois réunie avec les autres.
Alors comme dans toute bonne histoire, il y a des moments de cohésion et des instants ou la confrontation se fait plus forte entre le fond et la forme. La composition et les paroles cherchent ainsi une place pour exister ensemble mais aussi séparé.
Sur la première partie de l’album, il y a une symbiose parfaite après l’introduction angoissante de Plusieurs moi.
De Plan Large à Noir, la musique se fait l’écho des émotions des paroles et inversement. Une entité qui nous happe et nous entraîne dans différentes émotions. La fuite en avant de Plan Large, les intentions pop affichées et affirmées de Pas Le Choix et Noir, la schizophrénie d’Ego ou le minimalisme crêve coeur de Bleu.e. Un kaléidoscope émotionnel qui s’effrite à mesure que l’on passe de l’universel à l’intime, même si le groupe osera avec brio la gageure du piano-voix mélancolique sur le diptyque On oublie, on recommence / J’te promets rien.
Ainsi, il y a des grands moments d’explosion dans l’album, où la friture vibre dans la cohésion, comme si les pensées se disloquent pour laisser place au conflit et à une certaine colère.
La musique se rebelle et se libère que ce soit les éclairs sonores de Plan serré qui laissent placent au chaos parfait de Friable, l’accélération musicale de Rance qui force le flow à suivre malgré lui ou la libération instrumentale de Deuil.
Cette dichotomie a bien sûr un rôle et une nécessité, puisque les gens passent, le temps reste se joue en deux temps, sur une vision qui zoome progressivement de l’autre vers le soi le plus profond.
Plan Large et Plan Serré : écrire sur les autres et sur soi
Cette idée de multiplicité commence dès le premier titre au nom prophétique : Plusieurs moi. Dans son écriture, Louis se met à nu, ses fêlures, ses contradictions. Inconsciemment sans doute, cette manière de faire lui permet de transformer le “je” personnel en une idée plus globale, plus humaine.
Ainsi, l’idée de l’époque apparaît comme une constante forte dans Plan large. Ici, l’idée est de prendre de la hauteur et d’observer le monde dans ce qu’il a de pire par moment. Une époque qui se barre en couilles, remplie de contradictions, des idées de succès, de faux semblant qui revient quand même parfois à des notions plus personnelles et à cette notion d’artiste qui semble l’attirer autant qu’elle le rebute.
La perte est partout, elle se cache dans les silences, dans les respirations et dans les ombres. Tout ne semble être fait que d’impostures, des sourires qui cachent des couteaux et une sensation de non appartenance qui vole pourtant en éclats dans Pas le choix.
Comme pour se protéger, le “tu” prend la place par moment, comme si il fallait parler à son miroir pour finir par se convaincre soi-même. L’écriture se fait souple, vivante et presque positive par moment.
Un écran de fumée ? Sans doute puisque c’est l’Ego que Glauque décortique ensuite. Là aussi, il y a une forme d’acceptation, un combat à gagner face à cette chose qui nous pousse autant qu’il nous détruit. La répétition jusqu’à la nausée du mot ego permet ainsi au groupe de s’en dégouter, de montrer que, comme l’humain qui l’abrite, l’égo est multiple et existe de mille façons dans notre existence, qu’on l’accueille ou non. Le morceau vit, une nouvelle fois, en deux temps, de la colère à la résignation.
Bleu.e explore l’amour, la rupture et la désillusion sur des nappes monocordes qui laissent exister, à juste titre, le silence des mots qui ne viennent pas.
Et puis, le zoom commence progressivement à commencer avec Noir. Transition pop qui laisse le flow accélérer, raconte les histoires sans intérêts, le monde qui tourne et qui se répète encore et encore, soirée après soirée. Les mêmes évènements que l’on revit, où l’on plonge alors qu’on sait déjà dans quoi on va finir par se retrouver. Là encore, comme dans plan large, le statut personnel de Louis réapparaît, celui de l’artiste qui ne veut pas dire son nom.
Loi d’être totalement “noir”, le morceau permet aussi de faire le deuil et d’avancer, de remercier ceux qui ont permis au chemin de se créer, de composer un être correct même si rempli de névroses.
Plan serré, introduction à Friable, est un écho étrange et dissonant à Bleu.e mais lance la deuxième partie de l’album, celle où il est nécessaire de s’ausculter soi même.
Friable donc est une destruction de l’égo, un morceau qui fait tomber le masque, qui brise tout pour laisser la haine et la colère exploser pour mieux s’en débarrasser. Les gens partent mais que laissent-ils ? C’est toute la question qui habite cette seconde partie d’album.
On aurait pu penser, au vu de ce qui nous a été offert jusqu’à présent, que l’on continuerait à se noyer dans une certaine forme de noirceur. C’est pourtant l’inverse qui nous accueille avec On oublie et on recommence et J’te promets rien, qui nous plonge dans une nostalgie sourde, une acceptation de la perte pour mieux se reconstruire et une tristesse à la fois contaminante et réparatrice.
Rance vient comme une suite logique, une lettre perdue à un être qui n’existera pas. Le refus de la paternité et ses explications, le besoin d’être artiste qui revient une nouvelle fois en filigrane. Ce morceau aurait pu parfaitement terminer l’album, que ce soit dans son intensité qui nous frappe ou son thème qui semble conclure toute l’aventure de ce premier opus. Ici, tout le talent de Glauque s’exprime mais il y a un mais …
Car il fallait que Les gens passent, le temps reste se termine en apothéose. Celle-ci portera le nom évident de Deuil, œuvre phare d’une dizaine de minutes. Ici, c’est le projet qui vient vibrer comme un écho sur l’eau. Un premier et dernier album ? Peut-être, c’est qui semble hanter cette pièce ébouriffante, un moment radical qui semble fermer les portes qui ont été ouvertes tout au long de l’album.
Le deuil est fait : les gens passent, le temps reste.