Rencontre avec Lisa Ducasse

On aime beaucoup Lisa Ducasse sur La Face B, on l’avait même invitée à se produire sur la scène du Motel. On suit donc ses aventures depuis un petit moment et on a profité d’un jour ensoleillé aux Francofolies de La Rochelle pour s’offrir une conversation avec la musicienne. L’occasion de parler de poésie, de live, d’évolution et de sa manière d’écrire.

Lisa Ducasse portrait

La Face B : Hello Lisa, comment ça va ?

Lisa Ducasse : Ça va très bien. Je suis vraiment heureuse d’être là parce que j’ai vraiment l’impression que c’est un peu le point d’aboutissement de toute la première partie de l’année. J’aime bien les rendez-vous un peu comme ça, où on retrouve plein de gens et ça permet de voir des nouvelles choses. Non, ça va très, très bien.

LFB : Je me souviens de notre rencontre au Motel. Je me demandais comment tu avais digéré cette « évolution » qui a quand même été très rapide ?

Lisa Ducasse : Je pense qu’elle est passée par plusieurs choses. Il y a eu l’évolution scénique, qui a été aidée par des dispositifs comme le Chantier, etc. Mais j’ai eu la chance d’être accompagnée par des salles aussi, par FGO Barbara, et une salle à Argenteuil qui s’appelle la Cave. C’était plein d’occasions de pratiquer la scène. C’est ce qui me manquait au départ je pense. Moi, j’écris et je compose un peu dans mon coin et au début, c’était complètement inimaginable de m’accompagner toute seule sur scène et puis, c’est venu.

C’était une envie mais c’était aussi un peu de stress au début sur les premiers concerts. Du coup, je pensais vraiment tout le temps à la technique. Et en fait, après, ça passe par énormément de pratique et ce sont des lieux qui m’ont permis de développer cette pratique-là et de m’encadrer sur des points hyper spécifiques. Donc l’évolution s’est beaucoup faite par là, parce que je pense que c’est la scène et les scènes que j’ai pu faire depuis qui m’ont permis de prendre confiance, et de développer aussi la proposition musicale à côté. Ce qu’on est en train de faire en studio, etc.

Tout est passé par la scène, par l’accompagnement scénique. Et après, sur l’évolution structurelle du projet, je pense que c’était des choses… J’ai rencontré une grosse partie de mon équipe à La Réunion l’année dernière sur un festival pro qui s’appelle le IOMMa. C’est là que j’ai rencontré ma manageuse, mon éditeur… C’est marrant parce que je me baladais dans ce festival en disant à tout le monde que j’avais l’impression d’arriver au bout de ce que je pouvais faire toute seule en termes de comment porter le projet, etc. Et donc c’était le bon moment. Donc, c’est une évolution que j’ai vécue assez sereinement, parce que j’ai eu la chance de tomber sur de très bonnes personnes tout de suite et qui amènent, qui guident tout ça.

LFB : Tu as fait Variations, Le FAIR le Chantier des Francos. Qu’est-ce que tu retiens de ta participation à tout ça ? Parce que finalement, tout est arrivé un petit peu en même temps.

Lisa Ducasse : Ouais et en même temps, c’était très complémentaire parce que le Chantier, c’était vraiment la scène et la pratique en version accélérée, intense, sur une semaine, mais que j’ai trouvé génial parce que je trouvais que parfois, ce qu’il manque dans les dispositifs, c’est qu’on a des ateliers, des choses comme cela, et on apprend plein de choses mais la date qu’on a après, elle est dans trois semaines, et il n’y a pas l’opportunité de mettre en pratique tout de suite et de voir tout de suite ce qui fonctionne ou pas, et que le corps commence à s’habituer à ces choses-là.

Le Chantier, ça permet ça parce qu’on est vraiment une semaine en immersion. On a des ateliers le matin et on est sur scène l’après-midi. Donc ça, c’était vraiment génial pour ça.

Variations, c’était plus étalé. J’ai beaucoup bossé avec l’une des intervenantes qui s’appelle Virginia Galván sur la prise de confiance scénique, parce que ça passe vraiment par le contact avec la personne qu’on a en face. Et avec Virginia, on a eu une très bonne relation tout de suite et ça m’a beaucoup aidée. Il n’y a pas que le côté accompagnement scénique mais plus : le côté structuration et penser le parcours, et à ce que c’est de construire sur le long terme. C’est quelque chose que j’essaie d’avoir en tête un peu tout le temps aussi. J’ai envie de faire de la musique longtemps, et ça passe par faire les bonnes choses au bon moment au tout début.

LFB : Quand on pense à ta musique et quand on t’a déjà vue en concert, le voyage fait énormément partie du chemin que tu traces. Quand j’écoute ta musique et quand je te vois sur scène, il y a un peu une idée de décalage horaire. Tu es dans une sorte de musique où tu ne sais pas vraiment où t’es et si t’es pas dans une sorte de moment ouateux avec la réalité et le rêve qui se mélangent un peu.

Lisa Ducasse : Ça me plaît beaucoup que tu dises cela. Je pense que c’est ce que j’essaie de créer un peu. En fait, déjà, il y avait le parti pris d’avoir un truc un peu hybride avec le texte, avec la présence du texte et la présence d’un récit. Même si je ne voulais pas que ce soit didactique. Je ne voulais pas dire : je vais vous raconter un voyage, j’ai été là, ensemble on va aller là. Ce n’était pas ça l’idée, mais plutôt d’évoquer des choses et que chacun puisse presque repartir avec une expérience différente. Dans mes textes, c’est un peu ça aussi. Il y a des textes qui sont extrêmement flous et où ça arrive qu’il y ait des gens qui me disent qu’ils ont bien aimé, mais qu’ils n’ont pas tout compris. Et en fait, pour moi, il n’y a pas de « mais » entre les deux. J’ai bien aimé et je n’ai pas tout compris. C’est ok, et le but, ce n’est vraiment pas ça. C’est dans ce que ça évoque, dans ce que des associations de mots peuvent évoquer, et que ça soit différent pour chacun.

LFB : Il y a aussi cette idée de zone floue entre la narratrice et l’actrice de l’histoire. Il y a vraiment ce côté où à la fois, tu observes et tu vis.

Lisa Ducasse : Je pense que sur un morceau comme Qui sont par exemple, c’est assez présent parce qu’il est à la troisième personne et il y a vraiment un truc. Il y a un il et un elle et on ne sait pas qui c’est. C’est un morceau qui est un peu mystérieux pour moi, parce que c’est un des seuls que j’ai écrit sans savoir où j’allais. Normalement, je sais ce que je raconte. Je sais l’histoire que j’ai envie de raconter en tout cas. D’habitude, je vais avoir le texte et la mélodie et je vais aller chercher le clavier après. Qui sont, c’est l’inverse, et il y a très peu de morceaux que j’ai écrit comme cela finalement. C’était d’abord le piano, les accords, et le texte est venu se poser sur les accords. C’était vraiment ce que ces accords-là racontaient. Je n’ai pas du tout l’habitude de procéder comme ça. Donc pour le coup, c’est un morceau qui est un peu plus mystérieux que les autres pour moi. J’aime bien ce que tu dis par rapport au récit et à l’écriture, d’avoir un poste de narration des fois et que ça puisse se mélanger effectivement.

Lisa Ducasse portrait
Lisa Ducasse portrait

LFB : Tu parles beaucoup du texte. Tu viens de la poésie à la base. J’ai l’impression que le texte est un peu ton poumon. Des fois, je trouve que la production derrière est importante, mais qu’elle est plus discrète que le texte et c’est vraiment le texte qui fait respirer la chanson.

Lisa Ducasse : Oui, ça a été un peu une volonté dès le départ. C’est vrai que c’est là où j’ai mes repères. Je suis arrivé à la musique par des collaborations sur du texte. Sur du spoken word, où le texte est au centre et où la musique a une place d’accompagnement en fait. C’est vrai que plus le temps passe et plus je me sens musicienne aussi, donc plus je me permets d’aller explorer des choses du côté de la musique. Je pense qu’elle prend un peu plus de place en ce moment qu’avant mais le texte reste toujours le noyau. J’aime bien l’image du noyau.

LFB : Comment on transforme un poème en chanson ? Quelles sont les contraintes pour toi et les facilités ? Parce qu’un poème, ce n’est pas une chanson. Une chanson peut être poétique mais n’est jamais un poème en fait.

Lisa Ducasse : C’est drôle parce que depuis le début, je dis que je fais de la chanson et récemment, dans plusieurs sujets, on m’a présenté comme faisant de la poésie chantée. En fait, je pense que c’est peut-être plus juste et je ne sais pas si je sais écrire des chansons, chansons. Dans les morceaux qui vont faire partie de l’album, on s’est dit avec la réalisatrice avec qui je travaille, Bénédicte Schmitt… qui est super et d’ailleurs, j’ai très envie de parler d’elle. Elle m’encourage énormément sur le côté musique, à explorer, chercher et tester des choses, à faire en studio dès que je peux faire. Même si c’est juste faire une percu en jetant un truc qui fait un bruit sur un autre truc qui fait un bruit. En fait, juste le faire soi, ça donne une autre relation à l’objet qu’on est en train de créer.

Petite parenthèse sur Bénédicte. Il y a beaucoup de morceaux où on ne parle pas entre nous de couplet ou de refrains mais on parle de A et B. Il y a plein de morceaux à la structure un peu hybride, où soit il n’y a pas de refrain, soit on commence par une espèce de refrain. Je pense que j’écris… Dans ma tête, ça reste des textes, plus qu’une entité chanson. Et la mise en musique… Souvent, j’ai les mélodies en même temps donc c’est quand même présent dès le départ, quand je me dis que j’écris pour la musique. C’est présent, mais le fait aussi d’aller chercher les accords après, je pense que ça contribue à ce que le texte reste au centre.

LFB : Tu le dis mais l’évolution est naturelle aussi. Il y a aussi le fait qu’au niveau de ta voix, tu pars de plus en plus vers des choses chantées. Du coup, les mots prennent aussi une dimension différente avec cela.

Lisa Ducasse : Ouais. Après, c’est pareil. C’est la question de développer une pratique aussi en tant que chanteuse, en tant que musicienne. Et ça, pareil sur le Chantier, c’est quelque chose que j’ai pas mal bossé avec Will Hildebrandt, qui était intervenant sur ma semaine. Sur le fait d’oser chanter et d’oser aller explorer d’autres trucs de la voix, d’autres zones. Comme c’est un texte, on n’est pas obligés de rester dans la fragilité ou dans le dénuement du texte. On peut aussi aller vers des choses beaucoup plus chantées et que ça ne dénature pas le propos.

Lisa Ducasse portrait
Lisa Ducasse portrait

LFB : Tu parlais du live. Je me demandais comment tu vivais le passage du live au studio.

Lisa Ducasse : Là, de façon hyper ludique et hyper sereine grâce à Bénédicte. On s’est embarquées sur une espèce de processus. Là, on a fait un morceau en juin. On enregistre tout l’album en septembre/octobre. On a fait un morceau en juin en se disant que c’était l’occasion… Elle avait pensé à des musiciens pour l’album et que ce soit à chaque fois des gens qui soient hyper créatifs, qui aient vraiment leur univers aussi. On a fait un jour avec chaque personne en studio. Ce qui est assez rare je pense.

On a donc fait trois jours de studio pour un morceau. Plus un jour avant de pré-prod’. Donc quatre jours sur un morceau avec quatre personnes différentes. C’était génial, parce que c’était vraiment déjà apprendre à se connaître humainement et se rencontrer artistiquement. Je te donne les noms : Il y a Nico Mantoux aux claviers/guitares, Raphaël Séguinier à la batterie et percus, que j’ai rencontré sur la tournée d’Arthur H, Eve Risser qui est une pianiste de jazz qui fait des pianos préparés. On a mis de la patafix dans un piano et j’adore ça. Je suis vraiment comme une enfant avec des trucs comme ça. Et Christelle Lassort, qui est violoniste et qui n’est pas sur le premier morceau, mais que j’ai rencontrée aussi.

Donc en fait, c’est complètement autre chose par rapport à la scène. Je n’ai pas l’angoisse d’être en train de fixer des choses parce que tout se fait tellement dans un esprit d’exploration que c’est comme une autre aventure et comme quelque chose de très mouvant finalement.

LFB : Il y a un truc qui est aussi très important dans ta musique, ce sont tes origines. Je me demandais comment elles influençaient ta musique parce que j’ai l’impression qu’il y a de l’ordre du rapport humain, de la bienveillance et de l’utilisation du temps qui viennent aussi de là où tu viens.

Lisa Ducasse : Ouais, c’est vrai. Ce sont des choses que je questionne un peu plus maintenant. En fait, quand je suis partie de Maurice, je suis vraiment partie pour partir et pareil, dans mon approche de la musique, il y avait un côté où j’étais beaucoup plus attirée par le truc de la chanson classique et des figures de la chanson et le fait de reproduire des choses un peu comme ça que d’aller puiser chez moi.

C’est quelque chose qui est venu plus progressivement avec le recul. Je pense qu’au début, on a besoin de partir de chez soi et d’un peu tout laisser derrière pour s’en émanciper et mieux y revenir, mieux le comprendre. Ces dernières années, quand je rentre à Maurice, je rencontre à chaque fois plein de musiciens là-bas, c’est tellement riche. J’ai l’impression de redécouvrir plein de choses à chaque fois. Donc oui, ça amène un truc d’ouverture aussi qu’on a vachement là-bas du fait qu’on soit une île et que ce soit tout petit. Tu fais assez vite le tour des gens qui sont là. Il y a un truc d’ouverture et d’appel de l’ailleurs qui est vachement présent. Quand on a fait La chanson des vieux amants, c’était hyper intéressant comme processus pour moi de ramener la langue, quelque chose qui m’est propre parce que c’est vraiment aussi ma langue maternelle.

Là-dessus, pareil, tu parlais de bienveillance, encore une fois les gens avec qui on travaille avec Bénédicte, on a travaillé avec Anne Paceo sur ce morceau-là, qui a vraiment ce truc d’ouverture sur l’ailleurs et qui est incroyable comme musicienne. Je pense que pour moi, le processus humain sur la fabrication des morceaux est tellement, tellement important.

LFB : Est-ce que tu as des coups de cœur récents que tu as envie de partager avec nous ?

Lisa Ducasse : Oui, alors je vais parler d’un truc hyper spécifique mais j’écoute beaucoup de musique hispanophone contemporaine. Il y a une chanteuse qui s’appelle Silvia Pérez Cruz, qui a un côté un peu classique mais qui en fait, fait plein de choses. Elle est assez prolifique. Elle vient de sortir un album il y a quelques mois où il y a vraiment l’idée d’une trame et d’un récit.

Ça parle de la vie et de la mort. Il y a morceau dessus qui s’appelle Em moro, qui veut dire je me meurs en catalan. Elle le chante avec un autre chanteur qui est Salvador Sobral, que j’écoute aussi. Il y a ce morceau-là, où tu sais que c’est une prise live sur l’album et tu entends l’un des deux qui pleure à la fin. Déjà, c’est un a capella, ils sont tous les deux, c’est fou de beauté et d’intensité. Et en l’écoutant, je pensais que c’était elle qui pleurait. Et là, ils ont sorti il y a quelques jours un enregistrement vidéo de cette session et en fait, c’est Salvador Sobral qui pleure. Il explique pourquoi et il dit qu’en chantant, il a eu l’impression de voir des flashs de sa vie, comme quelqu’un qui est en train de mourir, et qu’il a revu plein de moments où Silvia Pérez Cruz apparaissait une inspiration pour lui, plein de moments de sa vie qui étaient liés à sa voix à elle.

Des trucs hyper forts, comme la naissance de sa fille. En fait, il se retrouve face à un truc complètement submergé par l’émotion de ça. Tout ça est visible. Je trouve ça dingue. Ça dure cinq minutes et j’ai pleuré pendant cinq minutes parce que c’est juste fou de beauté, de bienveillance et de magie. C’est très long ce que je viens de dire et c’est vraiment sur un truc ,mais c’est un truc qui m’a complètement bouleversée récemment et que tout le monde devrait voir je pense.

Crédit Photo : Clara de Latour