Fermée depuis cinq ans, la salle de concerts en sous-sol du fief mythique du rock parisien La Mécanique Ondulatoire est désormais prête à rouvrir ses portes. La bonne nouvelle est tombée cet été, et l’annonce de sa nouvelle responsable de programmation avec : Michele Santoyo et son collectif Doxa Esta, connu dans les contrées est-parisiennes pour sa programmation interstitielle, expérimentale, perméable à l’hybridité des genres, qu’on a pu vivre avec enthousiasme pendant plusieurs années au Zorba à Belleville. Pour la réouverture imminente dès ce vendredi 13 octobre (c’est un jour de chance), Michele Santoyo a donc mis la barre très haute en prévoyant une série de concerts tous les soirs de la semaine, au moins jusqu’à novembre. Des concerts à la tonalité rock, forcément, la Méca charriant un héritage et son public de nostalgiques immuables. Mais pas seulement : entretien et tour d’horizon de ce marathon automnal, avec une sélection personnelle ne visant pas l’exhaustif. Un conseil : explorez et faites confiance à l’équipe. Après tout, la Méca Nique Tout !
La Face B : Peux-tu nous présenter ton parcours avec Doxa Esta ?
Michele Santoyo : J’ai fondé Doxa Esta d’abord en imaginant faire de la curation d’expositions et d’évènements, les deux mélangés. Je venais de finir mes études et à l’époque j’étais très intéressée par le journalisme comme outil d’analyse et outil critique. Je voyais l’occasion pour faire un transit entre des thématiques d’actualité à travers le regard d’artistes. D’où le nom de l’asso/orga : un peu une invitation à partager ou à interpréter un résultat, un sujet, un objet. Mais ce projet n’a jamais eu lieu parce que j’ai fait une pause d’un an après mes études où j’ai commencé à dédier du temps à ma musique (Belmont Witch et Rose Mercie). La première fois que je suis allée à la Pointe Lafayette, c’était pour jouer avec les filles et Oso el Roto. J’ai re-organisé quelques concerts à l’arrache, pour y jouer surtout ou aider des potes, et peu de temps après le bar m’a proposé de reprendre la programmation comme un boulot alimentaire. J’avais travaillé comme assistante d’un programmateur d’une salle de concerts à la ville de Mexico avant de venir en France donc j’ai sauté sur l’occasion et fait les choses à ma façon avec l’expérience que j’avais déjà, et aussi avec l’idée que mon taff parlerait de lui même plus tard (puisque j’en avais marre de me faire refuser des stages parce que « pas le bon parcours » gnagnagnagna), mais aussi parce que je prenais un grand plaisir à vivre cette expérience d’organisation de concerts. Quand les choses se font ou n’existent que si tu les fais. Et si les groupes cherchaient où jouer, pourquoi pas les faire jouer dans un lieu, vu qu’il y avait une sono et aucun problème avec les voisins ? Après la Pointe, j’ai repris la prog du Zorba. J’y ai passé un moment (2020-2022). Louann m’a rejointe en 2021 quand elle est revenue vivre à Paris après quelques années à Fitou. Pour la Mécanique Ondulatoire, après notre plus récente expérience à Belleville, on a envie de garder notre ligne artistique en dehors de toute restriction ou obligation et de pouvoir faire des soirées, de temps en temps, quand on en a envie. Là, on bosse chacune respectivement de façon plus formelle à la prog et à la comm. On verra bien comment cela évolue par la suite.
La Face B : Dans le territoire des salles de concerts parisiennes, la Mécanique Ondulatoire incarne une image rock très forte, avec un certain type de public, fidèle depuis des années. Où te places-tu par rapport à cet héritage ? Celui-ci influe-t-il tes choix de programmation ?
Michele Santoyo : Je fais à la fois partie de ce public, et je fais aussi partie de quelque chose qui n’a pas à se définir parce que c’est et ce sera toujours en construction. Donc si on parle en terme d’héritage, en vrai on fait partie de la même famille, et dans une famille il y a du mauvais comme du bon, comme des envies de faire partie mais aussi des envies de faire à sa sauce et son propre chemin. Puisqu’en fin de compte, on va tous partager l’assiette et passer un bon moment. C’est juste une histoire de goûts et d’équilibre, vraiment comme pour un repas en famille, soit celle que tu hérites ou celle que tu choisis. Je garde un œil sur cet héritage, et l’autre je l’accorde à l’effervescence des possibles. Mettre en lumières des labels, des collectifs, des artistes qui viennent de l’étranger et qui sont en tournée, des groupes qui débutent, etc.
La Face B : Peux-tu nous parler des travaux d’aménagement de la salle : qu’est-ce qui a changé ? Avec quelles contraintes as-tu dû composer ?
Michele Santoyo : La Mécanique Ondulatoire a été confrontée à un problème lié à la sécurité peu de temps après son ouverture. Dans les faits et un peu techniquement, il existe deux types d’établissement qui produisent des concerts : les cafés-concerts sont des bars qui accueillent des concerts mais dont l’activité principale reste le bar, et les salles de concerts dont la source de revenu principale est la billetterie. Ces deux types d’établissement ne sont pas soumis aux mêmes règles de sécurité, les salles de concerts ayant des normes beaucoup plus drastiques. In fine, c’est la Préfecture qui décide si un lieu est finalement un café-concert ou une salle de concert. Fin 2017, celle-ci a requalifié la Méca en salle de concerts. À ce moment-là, ce n’est pas un cas isolé et la majorité des cafés-concerts parisiens est requalifiée de la même façon. Le changement de catégorie a engendré la mise en place de nouvelles normes de sécurité, faute de quoi les établissements ne pouvaient plus accueillir de concerts. Plusieurs lieux parisiens n’ont pas survécu à ce changement. Devant la fermeture de tous ces lieux de vie, les politiques comme l’adjoint à la vie nocturne à la Mairie de Paris M. Frédéric Hocquard ont montré leur engagement, notamment financier, à ne pas voir les petits lieux, qui sont des défricheurs culturels, mettre la clef sous la porte. À la Méca, nous avions un problème d’issue de secours non conforme. Comme il s’agit d’une salle en sous-sol dans un immeuble datant du XVIIe siècle, les travaux se sont révélés pharaoniques, que ce soit en terme de coût ou de durée. Bref, après six années de galère, La Mécanique Ondulatoire va être prête à réaccueillir du public !
L’entrée se fait maintenant par le fond de la salle. Le bar est collé au mur de gauche au fond. Niveau contraintes, il y a eu du retard dans les travaux, d’où le besoin de décaler la réouverture de deux jours [Les deux premières dates officielles de réouverture ont finalement eu lieu respectivement à Petit Bain et au Klub, NDLR]. Il y a plein de choses qui vont se faire un peu en dernière minute mais tout sera fonctionnel et prêt pour vendredi 13 et la soirée Vaagues de Chaleur !
La Face B : Parmi tout ce marathon du mois d’octobre incroyablement riche, y a-t-il un type de public visé spécifiquement en fonction de chaque soirée ou envisages-tu un décloisonnement et un brassage complets des genres et des publics ?
Michele Santoyo : Je suis plus adepte de l’idée des publics au pluriel, et pas un type de public. Et le décloisonnement et brassage des genres ne peut être que riche, pour une ville comme celle-ci si cosmopolite et vibrante. Donc ce n’est même pas que je vise les deux, c’est tout simplement que cela existe déjà. Et en tant que programmatrice, mon taff parmi d’autres choses, c’est d’être un peu un filtre, de faire des choix, une sélection. Mais ceci est organique et je m’enrichis de mes entourages et de mes rencontres et expériences à travers ma perception et mon écoute. D’où l’idée de pas non plus trop définir puisque rien n’est définitif. La matière qui nous alimente tous et toutes c’est la musique et ce qui va autour. Les rencontres. Les moments qui sont éphémères, forts, qui nous marquent.
La Face B : Comment vois-tu l’avenir de la Méca ? À quoi peut-on s’attendre pour la suite ?
Michele Santoyo : Entre envisager et souhaiter, je préfère souhaiter puisque les imprévus il n’en manque jamais et il faut faire avec ! Il y a une très grande attente et donc une très belle énergie qui entoure le retour de La Mécanique Ondulatoire. La suite après cinq ans de fermeture n’est que positive, n’est que bénéfique pour ces personnes assoiffées de musiques. J’ai très hâte des mois à venir et de la suite : un lieu où le principal c’est la musique live, et comment celle-ci alimente nos soirées et nous permet de se faire plaisir à une échelle où la proximité prend son sens. Le fait d’entendre et de voir des concerts dans une salle où on se sent chez soi, puisque ces murs ont une histoire et des souvenirs, et pour celles et ceux qui vont la découvrir ce sera un espace où pouvoir danser et pogoter, avec plus de place que dans des caves plus petites.
La Face B : Enfin, quelles sont les soirées et/ou les artistes programmé.e.s prochainement dont la venue t’enthousiasme particulièrement ?
Michele Santoyo : J’ai hâte de toutes les soirées, c’est dur de choisir, mais sans ordre chronologique : la soirée avec Mohamed Lamouri et My Dog’s a Bear, où c’est justement un parti pris de mélanger les styles musicaux (post punk suivi de raï) pour finir en beauté avec un DJ set de Masika que j’ai eu le plaisir de rencontrer pour un atelier d’initiation au DJ set qu’on avait organisé avec Kleopatra Divine. Aussi, la venue de Sathönay de Lyon (j’ai récemment vu Nicolas qui mène le projet en live à Pantin lors d’une soirée Cool Birds) et Elastic Systems de Nantes, qui commencera par un set du guitariste Thiago Nassif, un collaborateur de Arto Lindsay (nous avons été mis en contact grâce au collectif Coax). Ou la soirée de fermeture de notre marathon avec Guadal Tejaz, Y.A.R et Sir Edward (découverts lors du Festival la Yaye l’année dernière). Ou une soirée pour danser et shaker tout le corps le 26 : Marla Wallace qui vit au Havre (découverte grâce au label Doggo Agostino), Maldita Vaina, DJ et producteur.ice de République Dominicaine (nous avons été mis en contact grâce à des amis qui l’ont rencontré.e au Mexique) et Jonas Alexander (que j’ai vu mixer avec Tsip au Zorba une fois avec un B2B pas prévu) : sueurs et sourires garantis. Ou voir enfin Dona Casque et Delacave le 31. Ramenez vos déguisements et vos maquillages !
Vendredi 13 octobre : Vaagues de Chaleur~~ présente Chopper, Secret Wife et Bruce Falkian
C’est à Vaagues de Chaleur~~, orga de concerts itinérante et francilienne depuis 2021, qu’il revient d’inaugurer la réouverture. Pour honorer comme il se doit ce vendredi 13, la promesse est grande : la pop gothique et maléfique du groupe danois Chopper, le rock turbulent des sales gosses de Bruce Falkian, l’eurodance sulfureux de Secret Wife. La nuit sera tout à la fois weird, glam et post-punk : l’occasion rêvée de troquer vos tongs estivales contre vos creepers de rentrée.
Pour les non-Parisien.ne.s, Chopper seront aussi en tournée à Nantes le 15 octobre, à Angers le 19, à Rennes le 20 et à Cherbourg le 21. N’étant pas venus en France depuis 2018, il serait fâcheux de rater leur show de pop stars faussement déchues.
Préventes très fortement conseillées par là.
Jeudi 19 octobre : Mohamed Lamouri & Charlie O., My Dog’s A Bear et Masika
Pour les utilisateur.ices de la ligne 2 du métro parisien, les synthés raï et mélancoliques de Mohamed Lamouri n’ont plus de secret. Cela n’empêche pas à leur magie d’opérer immanquablement depuis des années. Le 19 octobre sera donc l’occasion de l’entendre dans de meilleures conditions que dans un wagon en heure de pointe à Jaurès : revenant aux percussions, son premier instrument, il sera accompagné de Charlie O. au clavier.
Suivra un des meilleurs groupes actuels sortis des bois de Montreuil : My Dog’s A Bear et leur « post-punk de pleine lune ». On ne saurait mieux qualifier la musique de ces louves hurlantes, déjà aperçues une nuit passée à la Pointe Lafayette.
L’artiste et curatrice originaire de Madagascar Masika, dont la démarche place en son cœur les musiques et artistes Noir.e.s, clôturera la soirée par un DJ set entre afrobeats, pop et musiques malagasy.
Vendredi 20 octobre : Edgar Déception, Mont Loser et Coolschnock
Soirée à thématique lofi inclassable pour ce deuxième vendredi de concerts : on y trouvera pêle-mêle les clowns émotifs Edgar Déception, le fameux groupe de grunge américain originaire de l’État d’île-de-France Mont Loser, et les histoires chantées et imagées de Coolschnock.
Parmi elleux, les mystérieux.ses Mont Loser attirent particulièrement notre attention. Vu.e.s à la Pointe Lafayette avant les vacances, leur grunge lofi nous semble parfaitement convenir à l’automne, ambiance back to school et headbang bien véner. On vous laisse en découvrir un avant-goût avec ce live filmé dans un autre sous-sol moite, bien conforme aux normes du rock crade en vigueur à la Méca.
Dimanche 22 octobre : Guadal Tejaz, YAR et Sir Edward
Une soirée bien rock bien à l’ancienne comme qui dirait : c’est le genre de dimanche soir qui ravira les nostalgiques loyaux à l’ancienne Méca. Entre le post-punk fuzzé des Rennais Guadal Tejaz, l’énergie no wave du collectif YAR et la kraut pop du quintet Sir Edward, il y en aura assez pour se concocter un bon brunch dominical nocturne.
En toute objectivité, on a une petite préférence pour le plat de résistance incarné par YAR, dont la chanteuse-guitariste Tara Clamart aka VV Leather nous a récemment présenté son ADN de très bon goût. On va encore bien manger.
Préventes ici.
Jeudi 26 octobre : Jonas Alexander, Maldita Vania et Marla Wallace
Parmi toute cette sélection orientée rock en tous genres, c’est LA soirée qui détonne, avec un live seulement et deux DJ sets. Et pourtant, pour qui sait que le rap est le nouveau rock, que le voguing fut autant une culture underground que le punk, que la drum’n’bass exhale autant d’énergie et de sueur que son cousin hardcore, on aurait tort de la manquer.
Pour preuve, l’excellente Boiler Room de Jonas Alexander qui mêlent les genres électroniques aux racines noires américaines. Mais aussi les dancefloors rythmés avec soin par les musiques des diasporas afro-caribéennes de l’artiste Maldita Vania, et le live à la chaleur toute mielleuse et engagée de Marla fucking Wallace. Encore une fois, la cave sera moite.
Vendredi 27 octobre : Toybloïd, Bryan’s Magic Tears et Bracco
C’est la soirée zinzin et dynamitée qu’il nous faut pour commencer le week-end. On ne présente plus les Bryan’s Magic Tears, dont le shoegaze plein de décibels nous colle au plafond à chaque concert. Les machines à tubes garage punk de TOYBLOÏD promettent tout simplement de « faire bouger les teuch et les veuch ». Quant au duo Bracco, qui nous ont bien remué.e.s cet été au Binic Folks Blues Festival, on sait que leur énergie vicieuse nous fera danser jusqu’à la fin.
Mardi 31 octobre : Delacave, Dona Casque et Belmont Witch
Difficile enfin de choisir entre les trois artistes en charge de clôturer ce mois d’octobre à la Méca tant on les aime tous.tes, ensemble et séparément. Il faudra donc venir à l’heure pour n’en louper aucun.e.
Delacave, ce n’est rien de moins que le duo à l’origine de la Grande Triple Alliance Internationale de l’Est, mouvement artistique pluridisciplinaire né au début des années 2000 à Strasbourg et à Metz, faisceau d’initiatives musicales lunaires et mal lunées. Parallèlement, la pop noise de Dona Casque résonnera en parfaite symétrie avec leurs mélodies lugubres. Et puis il y aura Belmont Witch, le projet solo de la programmatrice Michele Santoyo, qui raconte dans une folk lofi et introspective autant d’images, de souvenirs, de contemplations en constante évolution.
Préventes à venir : toutes les infos sont à suivre sur l’événement Facebook.