Une conversation avec BRIQUE ARGENT

Dernier lauréat des INOUïS du Printemps de Bourges, BRIQUE ARGENT développe un univers intense, au carrefour du théâtre et de la danse contemporaine. Alors qu’il dévoile aujourd’hui Toucher Le Fond, premier extrait de son EP à venir, on vous partage notre rencontre avec l’artiste lors de son passage au MaMa Music & Convention. L’occasion de partager avec lui sur son projet, son évolution récente, l’importance du live et son futur proche.

BRIQUE ARGENT par Cédric Oberlin

La Face B : Salut Brique, comment ça va ?

BRIQUE ARGENT : Très heureux et très fatigué en même temps. Quand je vois dans le futur, je suis encore plus fatigué d’avance parce que là il y a le MaMa, j’ai 4 jours de tournage et ensuite j’enchaîne avec la tournée des INOUïS. Donc ces prochaines semaines vont être très intenses. Mais yes. On aime ça l’intensité.

LFB : Tu as eu le prix aux INOUïS. Tu as eu le FAIR, le MaMa. Ça fait énormément d’étapes. Tu as coché pas mal de cases j’ai l’impression. Je me demandais quel recul tu prenais par rapport à tout ça ?

BRIQUE ARGENT: Il y a de la joie. Je suis heureux que les choses se passent bien mais c’est vrai que je n’avais pas prévu d’être identifié dans le milieu pro aussi vite. Du coup, je suis un peu : aaaaah. J’ai l’impression que mon nom a déjà un peu fait le tour mais que je n’ai pas eu le temps de faire mes bails quoi. Ça va assez vite mais je n’ai pas encore un public de fou parce que je commence. Du coup, c’est délicat mais en même temps, c’est trop cool parce qu’il m’est arrivé plein de choses depuis. Donc en vrai, c’est quand même beaucoup de positif. Je me sens hyper privilégié.

LFB : Ce prix aux INOUïS, tu l’as vécu comment ? Que ce soit toi ou Demain rapides qui a eu le prix du jury, j’ai l’impression que ça récompensait des projets avec une radicalité assez prononcée, qui ne sont pas forcément des projets qui gagnent des prix. Est-ce que tu as été surpris ou tu avais assez confiance en toi ?

BRIQUE ARGENT: En vrai, j’ai quand même confiance un petit peu en mon live parce que c’est un endroit où je me sens bien, la scène. C’est le truc que je préfère faire, créer un show. Mais c’est vrai que toute la semaine, on a vu des belles choses… Tous les artistes des INOUïS, on s’est tous pris une dizaine de claques premier degré dans les concerts. Du coup, tu ne peux pas imaginer. Mais c’est vrai que quand ils ont annoncé le truc, j’étais là, mais qu’est-ce qu’il se passe tu vois ? Après, on m’a dit qu’il y avait eu plutôt une unanimité au sein du jury. Du coup, ça m’a fait trop plaisir qu’ils aient compris, apprécié et qu’ils aient capté la démarche. Ils auraient pu se dire que c’est juste un truc bizarre, que je ne fais que crier et courir de partout mais du coup, ils ont capté la démarche et ça fait super plaisir. Donc ouais, hyper honoré et encore une fois, hyper privilégié parce que quand je repense à tous les artistes des INOUïS, que des frappes.

LFB : Comme tu disais, tu parles du live, il y a aussi une validation par ça. Pour t’avoir vu en live, Il y a une vraie proposition. Il y a un truc très brutal et très sauvage dans le live, presque violent dans les lumières que tu utilises. Il y a vraiment une validation, en dehors du studio, d’un projet qui peut vivre par le live.

BRIQUE ARGENT: Ouais, c’est peut-être ça qui a donné envie. Mais tant mieux. Moi, c’est un peu ma démarche de me développer vers le live. Là, l’idée c’est de tourner comme un groupe de rock et de faire plein de dates, charbonner. Après, les streams, ça prendra le temps que ça prendra. L’idée, c’est de fidéliser un peu les gens, qu’iels captent le projet en live, qu’iels l’écoutent ensuite peut-être à la maison dans les oreilles et qu’iels arrivent à trouver un lien entre les deux.

LFB : La stratégie de sortir ta musique par single tous les 2-3 mois, c’est une chose à laquelle tu as réfléchi ? De sortir des pièces, comme ça, ça fait une sorte de puzzle où tu montres différentes facettes pour te permettre d’évoluer plus tranquillement, plutôt que de filer un bloc de morceaux.

BRIQUE ARGENT : C’est ça. Moi, au début, quand j’ai composé tous ces morceaux, c’était un disque. J’ai rencontré mon manager à l’époque et il m’a dit : frérot, personne ne te connaît, tu vas balancer un disque alors qu’il y a plein de morceaux trop chouettes. Il m’a dit de faire les choses petit à petit, de les sortir par single et ensuite, on verra. Du coup, il y a un disque qui sortira bientôt avec que des nouveaux morceaux. Tous ces singles ont une vie. Ils ont chacun leur identité. L’idée, c’était que les gens captent qu’il y autant du piano/voix que de la musique un peu plus énervée, des morceaux un peu plus pop. J’aime faire plein de choses.

LFB : Si je te dis que pour moi, ta musique c’est une musique de frictions. Est-ce que c’est un mot qui pourrait te convenir ?

BRIQUE ARGENT : Donne-moi ta définition de la friction.

LFB : Pour moi, dans ta musique, il y a énormément de choses qui sont opposées. Il y a de la douceur mais en même temps, il y a de la violence sur le même morceau. Il y a aussi un rapport entre l’organique et l’électronique. Il y a vraiment des choses qui se confrontent pour créer quelque chose à travers ta musique.

BRIQUE ARGENT: C’est vrai que j’adore ça. Je dis souvent que j’aime bien être dans le très chaud, puis dans le très très froid. Monter très très haut puis descendre très profond dans les abysses. J’aime bien la grosse techno, puis que tout s’arrête. Puis le vide. J’aime bien les montagnes russes. Et effectivement, j’aime bien quand ça se confronte. Mais la friction, ouais c’est ça.

LFB : La confrontation crée l’explosion alors que la friction permet de faire jaillir quelque chose.

BRIQUE ARGENT : Ouais, c’est vrai. C’est très beau comme tu le dis. En vrai, c’est la démarche. J’aime bien ça.

LFB : Pour moi, cette idée apparaît aussi dans tes textes. Je trouve qu’il y a un truc à la fois très brut, très brutal dans le réel et des choses beaucoup plus oniriques.

BRIQUE ARGENT: Ouais. Moi, je vis un peu à travers les fantasmes. Même dans la vie, je suis tout le temps en train de fantasmer des choses et je suis dans les nuages. Mais je parle aussi de choses très brutes de la vie. Parfois de sentiment, de déception et en même temps, je suis là avec mes monstres, mes voitures tuning, mon bling-bling, mes sirènes et je suis là à me balader autour de ça.

LFB : Il y a de la décompression en fait. C’est comme si quelqu’un qui plongeait très bas dans les abysses et quand il remonte, il ne sait plus exactement où il est.

BRIQUE ARGENT: Voilà. Il y a exactement cette image-là. Pendant le concert, il y a une intro, je commence, je suis dans le trash, le meeting et d’un coup, je tente de respirer comme je peux comme si sur la scène, il y avait de l’eau qui commençait à prendre l’espace et j’essaie de m’en sortir comme je peux. La noyade.

LFB : Il y a malgré tout un rapport au réel puisque j’ai l’impression que dans certains de tes morceaux, tu te confrontes beaucoup à des souvenirs pour te permettre d’avancer vers autre chose en fait.

BRIQUE ARGENT: Oui, Brique Argent, c’est vraiment le fantasme que j’avais quand j’étais adolescent. Quand j’avais 11-12 ans, j’étais passionné par le tuning, le bling-bling. Je rêvais d’une chose, c’était d’avoir ma voiture tuning, ailerons, néons, bas de caisse, mais j’ai pris un autre chemin. Du coup, quand j’ai commencé à faire de la musique, je me suis dit que Brique Argent, c’était ce mec-là, celui que j’avais fantasmé quand j’avais 13 piges. Je veux qu’il existe d’une certaine manière.

LFB : C’est ton alter-ego enfantin que tu essaies de faire revivre.

BRIQUE ARGENT: C’est ça. J’aurais aimé être cette personne-là dans la vraie vie. J’ai créé ce personnage qui me ressemble beaucoup quand même. Juste, il n’y a pas ma voiture tuning garée derrière et je n’ai pas le cou rempli d’or.

LFB : Ce rapport à l’adolescence, c’est quelque chose qui est important pour toi ? Ce rapport à la mélancolie aussi, c’est un truc que tu utilises ?

BRIQUE ARGENT : Oui, il y a de la mélancolie mais ce n’est pas de la mélancolie triste. Moi, je suis heureux de cette période. C’est une période où j’étais trop frais, j’avais l’impression de vivre aux États-Unis alors que j’étais dans ma campagne entouré de vaches.

LFB : J’ai l’impression qu’il y a aussi cette idée de vouloir s’en éloigner aussi un peu ?

BRIQUE ARGENT: Ouais, je parle de mélancolie mais il y a aussi des grosses déceptions. Il y a une chanson où je dis que j’ai perdu deux frères, c’est deux amis qui étaient très, très proches et dont j’ai dû me séparer parce que la vie est faite ainsi. Du coup, là, c’est de la déception. Je suis triste d’avoir perdu ces gens-là, même s’il fallait que je m’en débarrasse. Il y a la mélancolie de l’enfance. Il y a la mélancolie de la vie, des petits retours en arrière où je me dis que c’était bien, sauf que non, ce n’était pas bien du tout.

LFB : Au milieu de tout ça, il y a le piano et la manière dont tu l’utilises qui je trouve, est toujours une espèce de rappel lumineux, même dans les morceaux les plus sombres. Il y a toujours ta manière de composer au piano qui fait que ça ramène une certaine échappée, un truc plus solaire à certains instants.

BRIQUE ARGENT: Ouais, le piano, c’est vraiment le noyau de mes morceaux. Je commence vraiment souvent au piano. C’est un truc que j’adore. Je suis passionné par des mecs comme Nils Frahm. En termes de piano, c’est un peu mon inspiration. La répétition, les choses qui tournent. Donc le piano est dans beaucoup de morceaux. Parfois, on commence au piano, puis on les remplace par des synthés pour faire des choses un peu plus fortes et un peu moins mélancoliques peut-être. Mais ouais, le piano est très présent.

LFB : J’ai remarqué que sur toutes les photos de presse, tu fermes les yeux. J’ai l’impression qu’il y a cette idée de rêve et d’évasion qui revient aussi beaucoup dans l’utilisation des photos de presse.

BRIQUE ARGENT : Ouais, c’est vrai que je suis tout le temps comme ça mais parce que j’aime trop la nuit en fait. La nuit, c’est aussi les moments où on se met sous la couette et où on fantasme. J’aime trop l’idée de la couverture sur la tête et de se mettre à respirer vite et de s’imaginer ce que l’on veut. J’aime la nuit. J’aime bien être là, que personne ne me voit. L’idée de fermer les yeux, je ne sais pas, l’impression que personne ne nous voit sauf qu’on nous voit quand même. Tu vois l’image.

LFB : Oui mais justement, ça crée tout un imaginaire qui colle bien en plus au projet et à ce que tu essaies de véhiculer en fait.

BRIQUE ARGENT: C’est un truc qui s’est fait naturellement.

LFB : Je me demandais en quoi le lieu où tu as grandi a pu influencer ta musique et ce qu’il avait pu y apporter ?

BRIQUE ARGENT: Moi, je ne suis pas vraiment un gars de région. Ça a forcément eu une répercussion. J’ai grandi à quelques pas de Saint-Étienne, à la campagne. Puis après, je suis venu à Sainté. Mais, je peux me barrer ailleurs et ça sera mon nouveau chez-moi. Je suis peut-être moins attaché à ma ville que Raph et Théo de Terrenoire, ou même que Marc et Francis (Fils Cara ndlr), mais Saint-Étienne, c’est un endroit d’élévation. On se donne énormément de forces. Ce sont vraiment des amis proches, que j’aime beaucoup et avec qui je travaille. On s’élève énormément parce qu’on a tous un parcours différent. On est tous à un stade différent de notre chemin on va dire. Et il y a la ville aussi qui m’a beaucoup, beaucoup aidé au début avec Le Fil qui est la SMAC de Saint-Étienne. Il y a David qui vient de Saint-Étienne, mon manager. Cécile qui fait mes lumières. On est tous des gens de Saint-Étienne. Mais après, est-ce que le lieu et l’endroit où j’ai grandi a un impact sur ma direction artistique ou sur ce que je raconte ? En vrai, je n’ai pas de recul, je ne sais pas du tout. En tout cas, dans ma construction, ça a forcément une place très importante, et dans mon cœur.

LFB : Moi je suis du nord. Pour moi ce sont des régions post-industrielles de charbon, où tu te fais chier et où tu cherches à t’évader.

BRIQUE ARGENT : Ouais, bien sûr, c’est vrai. Mais moi, je n’ai pas grandi à Saint-Étienne même. J’étais à la campagne donc j’ai peut-être un peu moins vécu ce truc. Mais oui, effectivement. Même Saint-Étienne encore aujourd’hui, c’est quand même une ville populaire. Ce n’est pas bien de dire ça mais j’allais dire que c’est comme un grand village. Saint-Étienne, il y a aussi ça. Tu vas à un bar, tu sais que tu vas croiser des amis. Même en y allant, de chez toi jusqu’au bar, tu sais qui tu vas potentiellement les croiser. C’est un truc assez fort. C’est souvent dans les lieux les plus ruraux qu’on retrouve ce genre d’ambiance. Donc ouais, Saint-Étienne, dans le cœur.

LFB : On parlait du live tout à l’heure. Tu disais que l’idée est vraiment de tourner comme un groupe de rock. Justement, cette importance-là du live et le fait de le traiter correctement, ce qui n’est pas forcément le cas pour tous les artistes, de vraiment faire une extension de ta musique et de l’appréhender différemment, c’est quelque chose à laquelle tu avais pensé dès le départ ? Quelle importance tu donnes au live ? Parce que tu n’es pas tout seul en plus sur scène.

BRIQUE ARGENT: Ouais, on est deux. Le live, c’est venu assez naturellement. L’idée dans la musique qui me plaît, c’est vraiment de surprendre. J’aime bien qu’il se passe des choses dans le ventre chez les gens. J’aime bien parfois même les mettre un peu mal à l’aise, ou dans l’incompréhension. J’aime les moments de lumière et que tout s’arrête. Du coup, ouais, j’ai vraiment pris un plaisir monstre à créer ce live. Je le fabrique aussi avec Cécile à la lumière qui est hyper importante, qui m’aide aussi sur la scénographie. On a beaucoup de tableaux. Il y a des scotchs de partout sur scène pour que je sois positionné à des moments précis, pour que la lumière se fusionne à moi. C’est toute une grosse construction et j’adore faire ça. J’adore la performance. J’adore le fait qu’on m’offre une scène et que je peux faire ce que je veux. J’adore ça. Et avec Maxence du coup, qui m’accompagne sur scène (et au studio, c’est mon gars sûr), lui il gère vraiment le son, fait un joli truc très précis. J’aime que tout soit très précis sur scène. J’ai très peu de moments où j’ai la place d’improviser. C’est un live où je ne m’adresse pas trop au public. Je reste beaucoup en introspection, dans ma bulle. Tout est très, très timé et j’aime ça.

LFB : Je t’ai vu à la Maroquinerie. A certains moments, j’étais mal à l’aise parce que j’étais tellement focus sur les lumières et la mise en scène que limite, j’en oubliais de respirer. Il y a vraiment ce truc d’être entraîné dans ce que tu proposes. J’ai l’impression que c’est vraiment ce que tu cherches à faire, que les gens limite, quand les lumières se rallument, se demandent où ils sont.

BRIQUE ARGENT: Ouais, c’est ça. Moi, je ne vais pas forcément attendre que les gens dansent ou chantent. Je ne vais pas me dire que les gens ont kiffé parce qu’ils ont dansé de fou. C’est pour ça que j’adore jouer devant des concerts où les gens sont assis parce qu’en fait, quand tu es assis, tu es un peu bloqué et tu te prends les trucs deux fois plus fort. Des fois, j’arrive, je regarde les gens et je crie. Tu te prends un peu l’émotion sans pouvoir trop bouger. J’aime bien ça. Comme au théâtre. Mes concerts je les imagine comme une pièce d’opéra, de théâtre où les musiques ne s’arrêtent pas vraiment. Il n’y a pas trop de moments d’applaudissements. J’aime bien ça. J’aime l’idée que les gens oublient de respirer et vivent un peu une histoire, un voyage sous l’eau, 45min pour tenter de remonter à la surface.

LFB : Et au final, 45 minutes de concert, c’est vraiment 45 minutes de concert.

BRIQUE ARGENT: Ouais, ça trace, rien ne s’arrête.

LFB : C’est vrai que quand on écoute ta musique en studio, il y a moins cette idée de violence qui peut justement apparaître et surprendre comme sur le live.

BRIQUE ARGENT: Ouais, c’est un truc qu’on retrouvera un peu plus. Là, je sors un disque en février 2024. C’est un premier EP de 9 titres.

Dedans, tout est relié, il y a des transitions qui font 40 secondes, je l’ai construit vraiment comme une histoire et j’espère que les gens l’écouteront du début à la fin parce qu’il y a vraiment un début, un milieu et une fin. Trop hâte que ça sorte. Du coup, j’espère que les gens se retrouveront plus en écoutant le disque, où il y a aussi beaucoup de violence, des trucs qui s’arrêtent, plus que maintenant où c’est vrai que les gens sont un peu déboussolés quand ils écoutent sur Spotify. Ce n’est pas la même énergie. Il y a des chansons beaucoup plus pop alors que cette facette un peu plus pop et lumineuse est peut-être un peu moins présente dans le concert.

LFB : C’est un peu le premier acte de BRIQUE ARGENT ce premier EP.

BRIQUE ARGENT: C’est le développement de Brique Argent dans ses fantasmes, dans les abysses et jusqu’à sa chute. Je vous laisse avec ça (rires).

Crédit Photos : Cédric Oberlin