Lydia Képinski : « il y a la fonction du mot, mais aussi la rime et la beauté de la phrase »

À l’occasion de sa récente tournée européenne, nous avons retrouvé l’artiste québécoise Lydia Képinski à Paris juste avant son concert au FGO Barbara pour parler de son album Depuis. On a parlé avec elle d’intimité, d’évoluer vers une musique plus électronique, de libération sur scène et de l’importance du mot.

Lydia Képinski - Crédit : Conform
Crédit photo : Conform

La Face B: Comment ça va?

Lydia Képinski: Ça va très bien, merci! (rires) C’est très intime comme question! Il y a des gens qui disent non?

LFB: C’est arrivé! (rires)

Lydia Képinski: Ça part très bien! (rires)

LFB: C’est important de demander aux gens comment ils vont, je trouve!

Lydia Képinski: Absolument. Souvent, c’est plus une forme de politesse qu’une véritable question je dirais, mais ouais. Ça va très bien, c’est intense tout ça mais ça va bien. Je suis contente.  

LFB: Comment est-ce que tu vis cette tournée française? As-tu l’impression que ça donne une seconde existence à ton album qui est sorti il y a plus d’un an au Québec? 

Lydia Képinski: On a fait deux dates sur cinq. C’est quand même cool, les gens étaient au rendez-vous. C’est vraiment en train de se passer en ce moment donc j’ai de la difficulté à avoir le recul nécessaire pour te dire qu’est-ce qu’il se passe, j’ai peut-être un peu trop le nez dedans pour avoir une opinion (rires). J’essaie juste de le vivre! 

LFB: Les albums ont maintenant une durée de vie assez courte entre le temps de promotion, le temps de tournée… En le faisant ré-exister plus d’un an après, tu es peut-être beaucoup plus prête pour le présenter en France.

Lydia Képinski: Absolument! Quand on a sorti l’album, on était encore en train de déterminer comment est-ce qu’on allait le décliner dans le spectacle. Maintenant, je dirais que la proposition est vraiment plus claire pour nous. On n’est plus en train de la travailler, on l’a déjà fait. En ce qui concerne le spectacle, on est plus prêt.e.s que quand on a sorti l’album Depuis au Québec, c’est sûr. 

LFB: Tu es dans ta zone de confort sur scène?

Lydia Képinski: Absolument, ouais!


LFB: J’ai une question un peu bizarre! Tu te dévoiles beaucoup dans ta musique et dans les paroles, surtout sur cet album-là. J’ai l’impression que la musique parle pour toi plus que n’importe quoi. Je me demandais donc si l’exercice de l’interview n’était pas quelque chose d’un peu compliqué pour toi ?

Lydia Képinski: (Rires) ce n’est pas mon activité préférée! En fait, ce qui m’énerve, c’est que ça devient souvent un pitch de vente mélangé à des questions qui sont super intimes ou des thèmes que je n’aborderais pas nécessairement avec quelqu’un que je viens de rencontrer, tu vois. C’est comme, « Ah bonjour, je m’appelle Lydia, “question super personnelle”« . Dans l’ordre des choses, c’est un peu tôt pour moi. Je suis plus du genre à m’ouvrir au fil du temps, pis là c’est 100% de ma responsabilité et ma faute parce que je mets des choses personnelles dans mon art, mais disons que mon objectif premier c’est de communiquer avec des individus qui ne sont pas nécessairement des journalistes. C’est sûr que c’est compliqué. Mes textes pourraient être absolument vagues ou de la poésie absurde, mais vu que je me commets dans des choses précises, je me fais souvent poser des questions précises sur des choses précises. Pis des fois, c’est comme “j’en ai dit assez, je peux pas dire plus” (rires).

LFB: Je t’ai découvert avec le morceau que tu avais fait avec Dopamoon. Comme le morceau que tu as fait récemment avec Les Louanges, c’était quelque chose de plus léger. Donc quand j’ai découvert l’album, j’ai vraiment eu l’impression que si on veut creuser sur ta personne, il suffit d’écouter ta musique et de vraiment écouter. Ce ne sont pas des paroles qui sont jetées comme ça. Il y a vraiment une profondeur dans les paroles qui est importante.

Lydia Képinski: Merci, c’est gentil!

LFB: L’album commence avec un morceau où tu dis “Depuis que je sais, je suis invincible”. J’ai l’impression que c’est quelque chose qui guide la musique et ton album : la redécouverte permanente de soi-même qui permet d’avancer.

Lydia Képinski: Très intéressant! Ouais. C’est comme un moment d’illumination. Il n’y a absolument rien qui change dans l’environnement ou dans une existence, c’est juste un déclic. Comprendre un truc et se dire “depuis que je sais ce truc, ça me parait absolument différent mais clair et je me permets de vivre pis je me sens invincible, à l’abri, protégée”. As-tu un CD-livre? Je vais t’en donner un, je suis sûre que tu es mon public cible (rires)

LFB: Même l’album de remixes que tu as fait, c’est une étape particulière qui permet d’avancer vers la prochaine en fait. 

Lydia Képinski: Absolument. Pis dans les arrangements aussi, ça a beaucoup influencé le premier album : le fait que j’écrivais à la guitare rendait ça un peu plus rock. On a aussi fait un spectacle qui intégrait les remixes, pis là j’ai beaucoup plus plongé dans l’électronique.

LFB: J’ai lu que tu ne jouais plus du tout de guitare sur scène, que tu te concentrais sur le corps et sur l’échange avec les gens, c’est ça?

Lydia Képinski: Oui! Ça, ça a été un gros choc parce que j’ai commencé la musique avec une guitare tout le temps. Disons qu’entre moi et les gens, il y avait toujours cet objet qui me protégeait quand même. J’étais comme “je suis fière d’être musicienne”. Je pense que j’avais besoin d’intégrer le milieu en disant que j’étais compétente, que j’étais capable de faire de la musique, que je n’étais pas juste une parolière disons… Maintenant, je me suis vraiment dégagée de cette nécessité de vouloir avoir l’air d’une musicienne. Ça a été un choc, parce que du coup j’étais comme “qu’est-ce que je fais avec mon corps?”. À cette époque, c’était la pandémie pis j’ai arrêté de faire du sport. Je fais des arts martiaux dans la vie et j’ai du arrêter. Je faisais juste aller dans mon sous-sol, j’avais acheté plein de lumières pis je faisais un dance floor (rires). Je suis allée en Pologne aussi, j’ai fait des cours avec une chorégraphe polonaise pendant deux semaines.

LFB: Ce qu’il y a de marrant, c’est que ce complexe de devoir prouver que tu es compositrice est un truc très féminin. J’ai interviewé beaucoup de musiciennes et je suis à chaque fois choqué de cette idée de devoir prouver quelque chose, qu’on ne trouve pas du côté masculin. Est-ce que tu avais besoin de briser le quatrième mur et de retirer cette barrière et de forcer l’échange?

Lydia Képinski: Absolument! En plus d’être un objet, la guitare a un fil et le fil me retient physiquement. Je peux bouger un peu, mais je dois toujours rester sur ma station, j’avais un pedal board, je regardais plus au sol… J’étais littéralement connectée à la scène. Une fois que j’ai été capable d’assumer mon corps, j’ai pu explorer, descendre dans le public, avoir un micro sans fil… Mais oui, le matériel a quand même un impact sur le quatrième mur, 100% ouais.

LFB: Pour revenir à l’album, on parlait d’évolution permanente de ta personne. J’ai l’impression qu’il y a deux autres éléments qui sont très importants dans ce disque : le temps et ton rapport aux autres. Les autres en tant que public mais aussi en tant que tes relations humaines qui sont un peu fuckées parce que tu es tout le temps sur la route, il y a des gens qui ne comprennent pas où tu veux en venir, ou bien tu as décidé de te débarrasser de la toxicité du regard des autres. Ces deux éléments là me semble centraux et hyper importants pour la compréhension de cet album.

Lydia Képinski: C’est des clefs de compréhension importantes. J’essaie aussi de ne pas toujours parler de relation de couple nécessairement, de relation homme-femme… C’est pour ça que j’aime bien apporter du détail dans les contextes, c’est beaucoup mon rapport au monde aussi. J’apprécie qu’on voit autre chose que juste des chansons romantiques, disons. 

LFB: Même dans tes chansons, tu cherches à créer ce dialogue là avec l’autre, même s’il est absent parce qu’il n’y a que toi qui parle. 

Lydia Képinski: C’est un monologue (rires)

LFB: Ce que j’aime beaucoup sur cet album là, c’est que c’est des morceaux très longs. C’est quelque chose qui est très lettré dans l’écriture, je me demandais comment tu “sculptais” tes textes et comment tu t’intéressais au groove des mots sur une musique qui est très dansante? 

Lydia Képinski: C’est toujours des casse-têtes extraordinaires. C’est quand même rare que j’écrive une chanson en un après-midi. En général, on parle de deux ans (rires). Souvent, j’essaie de trouver le mot parfait avec l’allitération parfaite qui va rappeler un élément d’un arrangement, les deux évoluent vraiment en même temps quand j’écris. Je vais avoir une maquette que j’ai faite, pis je vais essayer d’avoir le mot qui décrit ce que je vais avoir envie de communiquer mais qui en même temps fonctionne dans une dimension strictement esthétique de la chose. Des fois, il y a des mots qui sont opportuns mais qui ne sont pas beaux. Je pense que c’est un peu les mêmes dynamiques que les traducteurs vivent pour traduire un poème : il y a la fonction du mot, ce qu’il veut dire, mais aussi la rime et la beauté de la phrase. 

LFB: Finalement, le français est beaucoup plus rigide dans le groove et dans la musicalité, donc il y a un travail qui est impressionnant dans ce que tu fais. Pour tenir un morceau de 6 minutes qui en plus évolue, change de texture musicale quelques fois, il faut y aller. C’est un peu des puzzles comme tu dis : tu as des pièces et tu les assembles avec un truc que tu vas écrire un peu plus tard pour au final donner le morceau dans toute sa complexité en fait. 

Lydia Képinski: Merci! (rires)

LFB: On parlait de journalisme au début, moi je ne suis pas journaliste en fait. Si je viens parler avec toi, c’est parce qu’il y a quelque chose qui m’a marqué dans ta musique et qui me donne envie d’échanger là-dessus. J’ai réécouté l’album plusieurs fois en début de semaine, j’ai vraiment eu cette sensation que c’est des courts-métrages. Il y a des trucs très réfléchis dans la construction. C’est de l’écriture presque folk dans le sens où tu racontes des histoires, mais c’est ramené sur le dance-floor et l’un ne prend pas le pas sur l’autre. Cette liberté de mettre beaucoup de textes sur de la musique électronique était importante pour toi? 

Lydia Képinski: Je ne trouve pas que ce soit conflictuel mais souvent les gens me parlent de dichotomie… Moi, j’aime bien danser sur des chansons tristes, ça a été fait par plein d’autres personnes. C’est peut être le fait que ce soit des textes longs, mais les textes de rap le sont aussi et ça passe en boite. C’est les arrangements et la musique que j’avais envie de faire et les paroles que j’avais envie de mettre dessus. Je n’ai pas vraiment une réflexion plus étoffée, disons. 

LFB: C’est très naturel en fait?

Lydia Képinski: Ouais! C’est ce que j’ai envie de dire, pis c’est de la musique sur laquelle j’ai envie de danser, alors…

LFB: Ce besoin de faire danser, est-ce que tu as l’impression que l’as atteint? Quelle importance il a pour toi justement?

Lydia Képinski: Si les gens dansent, c’est parfait, c’est ce qu’il faut. Et en général, en spectacle les gens dansent! 

LFB: Comment tu intègres les morceaux du premier album, très différents, pour qu’ils se fondent dans l’ambiance?

Lydia Képinski: La majorité de notre set, c’est le deuxième album. Il y a eu le premier album, le premier spectacle et après les remixes. On a donc revisité le spectacle pour faire un genre d’entre-deux. On avait 360 jours du premier album, puis 360 jours le remix, et on fait les deux en fait. On fait 360 jours comme sur Premier juin, pis après il y a un bridge et un outro qui devient super électronique à l’image du remix. Finalement, vu que les remix sont des chansons que je n’ai pas faites et qui ont été ré-interprétées par des gens, c’est comme si j’avais dû passer par cette case là pour faire Depuis. Mais au spectacle, tout se rejoint. 

LFB: Vous êtes combien sur scène? 

Lydia Képinski: On est 5. 

LFB: C’est important pour toi d’avoir un groupe qui te permet de te libérer comme on le disait tout à l’heure?

Lydia Képinski: Absolument! Je trouve que j’ai vraiment une meilleure communication avec le public, je danse… Je n’ai plus besoin d’être dans la technique, je n’ai plus de problème de guitare qui ne fonctionne pas ou je ne sais pas quoi… Je peux vraiment faire de l’animation, je peux être ludique, ou juste ne rien faire et être concentrée sur mes textes et comment je chante. C’est une grande liberté, j’adore. 

LFB: Entre la sortie et là maintenant, tu as sorti ce morceau avec Les Louanges. Est-ce que c’est une ouverture sur un futur projet? Est-ce que tu as déjà pensé à la suite? 

Lydia Képinski: Je ne sais pas quelle forme ça va prendre, je souhaite que ce soit un troisième album, mais ça ne me dérange pas non plus de sortir des singles, de travailler sur un disque en parallèle et d’éventuellement le sortir. Pourquoi pas.

LFB: Comment tu as vécu la réception de ce titre là? Pour moi, c’est un gros tube (rires). L’association est excellente et je trouve qu’il n’a peut-être pas reçu la réception méritée.

Lydia Képinski: Je ne sais pas, ce n’est pas à moi d’en juger! Moi, je fais la chanson et il arrive ce qu’il arrive. Mais les gens la connaissent bien et l’aiment bien!

LFB: Est-ce qu’il y a des choses qui t’ont plu ou influencée récemment?

Lydia Képinski: J’ai vu le film TÁR avec Cate Blanchett et ça faisait longtemps que j’avais vécu un moment de communion avec un film. Il m’a complètement surprise et emportée. Il y avait plein de scènes magnifiques ou rien n’était raconté, rien n’évoluait dans l’histoire, presque aucun dialogue… Mais un sentiment, une ruelle à Berlin. Je me suis sentie envahie. 

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