Dirty Cloud – Le retour du No Future

Le 02 novembre, les rouennais de Dirty Cloud ont dévoilé leur premier EP, intitulé Straight Jacket, une pépite punk acérée et plus que jamais actuel.

Être jeune en 2023, c’est la merde. Être jeune il y a 10 ou 20 ans c’était déjà la merde. Et j’entends d’ici accourir les boomers pour nous dire que c’était pas non plus facile de grandir dans les années 70, et les moralisateurs de les suivre de près pour venir nous asséner leurs « franchement vous avez du culot de vous plaindre, vous n’avez pas connu la guerre mondiale ». Pas encore non.

C’est un fait pourtant, être jeune de nos jours, ça craint. Le ciel est gris de pollution, des conflits éclatent un peu partout dans le monde, les politiques nous chient à la tronche, les inégalités se creusent et la planète fini de s’éteindre doucement mais sûrement, sans qu’aucun décisionnaire ne lève le petit doigt de peur de fâcher une multinationale ou un électorat frileux et conservateur. Fatalement, on retrouve une augmentation croissante de la prescription de psychotropes et autres antidépresseurs aux mineur.es. Celle-ci explose même ces 5 dernières années…

Tout ça porte les esprits des jeunes générations à ébullition. Colère, incompréhension, mais aussi peur et dégoût vis-à-vis de l’avenir. Et on ne peut que les comprendre (si si.). Quel avenir ? Les Sex Pistols scandaient déjà le No Future à la fin des années 70, en effet. (ça ne donne pas raison aux boomers pour autant hein. D’autant qu’il serait stupide de comparer la France et le Royaume-Uni de cette époque.) Au début des années 90, la déferlante Grunge balaye tout sur son passage. Du punk un peu plus crade encore, beaucoup plus dépité et mélancolique, beaucoup moins vindicatif. Les choses s’étaient empirées et la jeunesse commençait à s’essouffler. Et nous voilà en 2023. Vu d’ici, on a le sentiment d’être revenu au point de départ, si seulement les choses ne semblaient pas s’être encore empirées sur beaucoup (trop) de points.

Pourtant, nous n’avions pas de porte-parole ou de porte-étendard en vue. Dans l’underground si, évidemment. Mais personne pour oser tenter le gros coup de pied dans la fourmilière, en salves de guitares saturées et de chants vindicatifs. En bref, où étaient passés les Punks ? Où était passé cette énergie contestatrice qui pouvait galvaniser des foules ? Celle qui ferait se relever les têtes d’une jeunesse sacrifiée en lui donnant le sentiment de faire partie d’un mouvement fort et véritable ?

Là où on ne l’attendait plus.

Julien, Maxime et Elliott se rencontrent sur les bancs du collège. Pour pallier au manque cruel de vibrations qu’émet cet endroit souvent déprimant, ils montent un groupe de rock. Quelques reprises plus tard, les voilà qui se décident à écrire leurs propres morceaux. Cela les fait vibrer plus encore. Quelques petites années plus tard, ils font salles combles dans les caves, bars et autres clubs de leur fief, Rouen, ville grise s’il en est. Dirty Cloud est né.

de gauche à droite : Maxime (batterie), Julien (chant, guitare), Elliott (basse)
Crédit : Charlotte Romer

Ce mois-ci, du haut de leurs tout juste 16 ans, ils viennent de nous balancer leur premier EP, Straight Jacket, co-produit par Raphaël Balzary (ex We Hate You Please Die). Percée aussi fulgurante que l’est leur musique, Punk à souhait, teintée de Grunge qui déborde même par moment sur le Stoner. Un régal pour les oreilles qui, on le verra plus tard, n’est pas qu’un simple revival.

Straight Jacket est donc un EP de 6 titres. Six pistes au travers desquelles Dirty Cloud parviendra à traiter de sujets qui les touchent vivement. Il sera question de droits sociaux, d’extrême-droite, de violences policières mais aussi de question de genre ou encore de ces fameux médocs que l’on file à tour de bras à des êtres en développement. Ces sujets sont projetés sur une toile de fond qui dépeint l’état de conscience et les pensées d’une jeunesse qui en a sa claque de voir des enjeux aussi grands être ignorés, raillés ou détournés par des politiques ou présentateurices véreux.se.s.

Tout d’abord, nous tombons sur une petite intro expérimentale de 40 secondes, electronico-bruitiste, sans doute pour nous permettre d’ouvrir les chakras. On décrypte dans le titre Basement (=cave), n’oublions pas que Dirty Cloud est aussi ici pour s’amuser, et on aime à penser qu’ils bidouillent leurs instruments dans des élans de créativité au sein d’un petit univers qu’ils se sont conçus, et qui se doit d’être un sous-sol si on veut sérieusement (ou pas) parler de Grunge. Quoi qu’il en soit, c’est leur premier single Psychotrope qui déboule dans la foulée.

On entre alors dans le vif du sujet. Rythmique accrocheuse, une bonne basse à la croche comme on les aime. On décèle un petit côté Pixies au démarrage, autant dans le groove de la basse quand dans la voix qui rappelle celle de Franck Black lorsqu’il ne s’égosille pas. Après quoi une furie cobainienne arrive dans la voix lorsque le mur de guitares déferle dans nos oreilles. Dirty Cloud nous prouve d’ores et déjà qu’ils sont capables de mélodies solides et touchantes, un peu comme Kurt justement. Cependant, on arrive très vite sur quelque chose d’assez incomparable. Beaucoup d’influences distillées, mais pas d’imitation. Psychotrope aborde donc ce fléau dont nous parlions plus haut : l’augmentation constante des prescriptions d’antidépresseurs aux mineur.es.

Les membres du groupe en ont vu les ravages puisque certain.es de leurs ami.es se sont fait administrer des psychotropes par des psychiatres plutôt que d’obtenir une vraie aide, les faisant sombrer un peu plus encore… Emballé c’est pesé en somme. Pour ainsi dire, cela nous rappelle tristement les prescriptions massives de Ritaline aux enfants américains diagnostiqués « hyperactifs » (ou juste un peu trop turbulents) dans les années 70. D’ailleurs, les ventes y explosent à nouveau.

C’est ensuite un Crappy Boomers bien abrasif qui fait monter le ton un peu plus encore. Le titre démarre sur une ambiance lancinante qui explose sur un drop incroyablement puissant. Le son est massif, la guitare rugissante. On retrouve toute la puissance d’un Rock Stoner digne de celui des Melvins. Julien nous offre même un growl tempétueux avant de finir de scander « Authority must die » avec un flegme punk à souhait. Un titre exaltant et colérique qui envoie se faire voir les cinquantenaires donneurs de leçon mais incapable d’écouter celles qui leurs sont adressées.

Là-dessus, Liquefaction s’attaque aux inégalités sociales qui se creusent année après année. Le titre démarre sur un rythme syncopé qui crée une tension bien maîtrisée, puisqu’elle en devient presque entraînante. Puis au refrain tout devient véritablement furieux. De là, l’énergie ne fait plus que monter pour nous entraîner dans un break dévastateur qui clôturera le morceau.

Une brève transition arrive alors, assez énigmatique. Un sourire se dessine sur nos lèvres lorsque l’on comprend que son titre est le code morse du slogan ACAB. Bien pensé, bien dosé, bien placé. Cela ne vient pas de nulle part rassurez-vous. Les trois comparses ont répondu présents aux manifestations contre la réforme des retraites, mais aussi à celles en hommage à la mort de Nahel. Ils ont vu de leurs propres yeux ce que beaucoup ont compris ce jour-là : la police n’est pas et ne sera plus de notre côté.

clip de Ritalin

C’est alors que la dernière piste se lance. Ritalin est réellement le point d’orgue de Straight Jacket. Incroyablement bien dosée, mélodiquement très impactante, cette musique galvanise l’essence de ce qui se faisait le mieux dans le Grunge. Des couplets teintés d’un spleen sourd, des refrains déferlants et acérés qui écrasent tout sur leur passage. Cette espèce de bipolarité musicale qui a été la marque de fabrique des Pixies ou encore de Nirvana, et qui fonctionne toujours aussi bien. Ici la voix de Julien prend une teinte que l’on avait pas encore entendu sur l’EP, mais qui le sied à merveille. Enfin un groupe revient pour alerter et sensibiliser la société sur la santé psychologique des jeunes en France.

Enfin un porte-parole qui fera écho dans l’esprit de beaucoup de monde, des jeunes qui pour se conforter devaient trouver refuge dans une musique vieille de trente ans, ce qui ne faisait que renforcer un sentiment d’isolement et de solitude. Désormais, le ton est posé, l’étendard est à nouveau dressé, un cri de ralliement qui on l’espère fera écho.

Il est désormais clair que Dirty Cloud est en passe de rendre ses lettres de noblesse au Power Trio. Avec ses instrumentations imparables et sa très bonne maîtrise du genre, le groupe nous offre une réinterprétation éloquente d’un genre qui ne s’est jamais vraiment éteint, mais qui frétillait fébrilement à l’occasion d’un revival plus axé sur la forme que sur le fond. Et c’est là qu’est la grosse différence. Peut-être Dirty Cloud sont-ils parvenus à enfin stopper son agonie, l’ont tué pour mieux le ressusciter ?

Ils semblent en tout cas avoir trouvé les mots, l’énergie, la fougue pour venir regonfler le fond d’une forme qui s’était raplatie, déformée. Elle renaît différente à ceci près qu’elle est enfin actuelle et pertinente. Ici le revival est plus sociétal que musical, et on peut remercier ces jeunes personnes d’avoir pris les armes, leurs instruments, pour se faire porte-parole d’une génération qui depuis trop longtemps étouffe, cette agonie là ne sera pas. On espère qu’ils ouvriront la voie à une nouvelle ère musicale d’une musique qui a quelque chose à dire, et qui le dit.

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