Je faisais la rencontre de DIOGENES il y a tout juste un an. Je ne savais pas encore qu’il faisait du son, je ne savais même pas qu’il écoutait du rap. À cette époque j’écoutais J’fais le bilan calmement de 404Billy plusieurs fois par jour, en boucle. Et je me rappelle avoir caché ma surprise quand DIOGENES m’a annoncé timidement, au détour d’une conversation, qu’il en avait fait la prod. Quel classique.
Plusieurs semaines sont passées et, un matin, DIOGENES est arrivé avec une maquette à me faire écouter. Un son qu’il avait fait la veille avec son pote Yovo. La maquette s’appelait ARTISTE ENTREPRENEUR, qu’on connaît maintenant sous le nom de CLARA M. (premier extrait du projet). Le son était implacable, j’étais complétement admiratif et emballé par ce style néo-boom bap novateur que DIOGENES créait. C’était également la première fois que j’entendais le rap de Yovo et le coup de cœur pour ses textes singuliers, à la fois brutaux et sarcastiques, fût immédiat. La complicité entre les deux artistes semblait évidente. CLARA M. est habité d’une rage au ventre mutuelle, la rage de deux artistes revendiquant une place de choix dans le paysage musical français.
Chaque jour, DIOGENES avait de nouvelles maquettes à me faire écouter. J’ai eu cette chance incroyable de voir le projet prendre forme aux côtés de son architecte, de traverser avec lui des périodes de création intense, de remise en question, de travail effronté. Depuis, DIOGENES et Yovo se sont entourés d’une équipe talentueuse, structurée, et le projet little boy & fat man est né. Un EP d’une résonnance indéniable dont-il est encore difficile de mesurer toutes les conséquences – à l’image des bombes d’où le projet tire son nom. J’ai eu la chance de rencontrer Yovo pour retracer ensemble la création de little boy & fat man pour La Face B. « Je me sens chaud si je pète préparez le champagne dans des verres à pied » – Peut-être qu’il est temps ?
LFB : Ton premier EP, ZÈBRE, a progressivement gagné en popularité depuis sa sortie en juin dernier. Il est notamment marqué par un featuring avec ISHA, une collaboration inédite pour un premier EP. Comment cette collaboration s’est-elle faite ?
Yovo : J’ai participé à un concours organisé par Levi’s et Iconiq, un média rap. Ils proposaient aux abonnés d’envoyer des maquettes avec, à la clé, l’opportunité d’aller enregistrer un son dans le studio d’ISHA, au Papa Shango à BX. J’ai envoyé une maquette comme ça, sur Discord , un truc qui n’était même pas fini, il manquait un bout de couplet. Je me suis dit vas-y dans le doute j’envoie, et ils ont kiffé apparemment. Ils m’ont invité là-bas pendant une journée. J’enregistre ÉPOPÉE archi vite, j’avais quand même fait quelques maquettes chez moi avant pour voir si c’était bien, et tout le monde a l’air d’à peu près kiffer. Le son est sur une prod de Kooking [] et le but était d’en faire l’intro de ZÈBRE. J’avais posé un premier couplet et deux espèces de mini-refrains, et après j’étais censé laisser dérouler la prod. Il y avait genre 30sec de vide mais c’était fait exprès pour apporter un côté intro au projet.
Je pose mon couplet chez ISHA et avec le reste de l’équipe on part boire un verre à côté. Je me souviens qu’ISHA il nous a fait une phase de ouf. Il nous a dit qu’il nous rejoindrait après pour avoir le temps d’envoyer quelques mails. Donc on prend un verre tranquille avec le reste de l’équipe et, quand on revient au studio, on réécoute le morceau et là j’entends la voix d’ISHA à la toute fin du morceau. C’était incroyable en fait il a posé un couplet tout le temps où on était parti boire un verre. Il avait juste kiffé le morceau et il voulait poser dessus. Trop lourd parce qu’il a fait un bête de couplet. En plus à ce moment-là je pense que c’était vraiment le rappeur que j’écoutais le plus, et c’est encore le cas aujourd’hui.
LFB : Premier projet, encore rien de sorti, et tu te retrouves invité au studio de ton rappeur favori. Comment est-ce que tu t’es senti au studio ?
Yovo : J’étais juste content de le rencontrer de base, pour échanger, parce qu’en vrai on a plus parlé que fait du son. On a du rester ensemble pendant 6-7 heures, on a fait dû son pendant 2 heures max, tout le reste du temps on a parlé. C’était trop bien, trop bonne expérience.
LFB : Quel bilan fais-tu de ZÈBRE quelques mois après sa sortie ?
Yovo : Ça fait très longtemps que je fais du son avec des potes, et ZÈBRE c’était un peu la formalisation du niveau que j’avais commencé à atteindre. C’est le début du moment à partir duquel j’ai senti que j’avais un style d’écriture et que je commençais à kiffer un certain style de prod. En fait, je savais que c’était le moment où je pouvais sortir un truc sans en être déçu plus tard. Et en vrai je suis content parce que j’en suis toujours pas déçu alors qu’en vrai y’a plein de défauts. Je sais que j’en serai jamais déçu de ce 5 titres.
LFB : ZÈBRE marque aussi ta première collaboration avec DIOGENES. Comment cette connexion s’est-elle faite ?
Yovo : Au départ, DIOGENES ne devait même pas être sur le projet pour être honnête. C’était censé être plus ou moins un espèce de projet commun avec Kooking []. Au final, emploi du temps oblige, on n’a pas pu faire tous les morceaux ensemble. Le projet prenait du retard de fou et au même moment je suis tombé sur des prods de DIOGENES, et je me suis dit que c’était pile l’esthétique que je voulais.
LFB : Tu te souviens du morceau sur lequel tu l’as découvert ?
Yovo : Le son déclic c’est J’fais le bilan calmement de 404 Billy. Je suis tout de suite allé regarder ce qu’il faisait. Et là j’ai vu qu’il avait aussi fait distrokid. de Huntrill. Il avait déjà un univers à lui en termes de prods. Moi ça m’intéressait grave, surtout dans le cadre de faire un projet commun. Je l’ai contacté par DM, il m’a dit qu’il était chaud pour qu’on se rencontre. Je l’ai invité en session avec Fost, un pote avec qui je fais du son depuis très longtemps. On s’est vu plein de fois après, et ainsi de suite…
LFB : … Et très vite on en arrive à un projet commun.
Yovo : C’est ça exactement.
LFB : Le premier morceau enregistré du projet est Clara M. ?
Yovo : Ouais c’est complétement Clara M. qui a initié tout le projet commun. Au début on faisait du son pour se faire kiffer, y’avait quand même un but derrière mais sans trop s’avoir où ça nous mènerait. On a fait une première maquette de Clara M. et je me souviens très bien, le soir même je rencontrais Maya (manageuse de DIOGENES et Yovo) et Dora qui gère la partie visuelle. On leur a fait écouter la maquette et on s’est tous dit que c’était chaud, on en était sûr. On a terminé le morceau et c’était le début de tout le projet commun.
LFB : Le morceau aurait pu s’appeler artiste entrepreneur. C’est un mot qui revient souvent, notamment dans le rap, est-ce qu’il porte beaucoup de sens pour toi ?
Yovo : Je pense que DIOGENES et moi on a deux visions différentes là-dessus. DIOGENES c’est un vrai entrepreneur, c’est le mec derrière ses machines, un peu mystérieux. Il a une vision de fou, il sait où il veut aller musicalement. Il apporte des idées intéressantes tout au long du projet. Ma vision d’artiste entrepreneur est un peu différente. J’ai mis beaucoup de temps à développer mon style de rap et j’ai mis beaucoup de temps à sortir mon premier projet. Rétrospectivement je me dis qu’il y a plein de morceaux stylés que j’aurais pu sortir. Mon approche personnelle de l’artiste-entrepreneur commence véritablement maintenant. Je me suis beaucoup plus professionnalisé, grâce à DIOGENES notamment, à la fois dans la création de la musique et de tout ce qu’il y a autour.
LFB : DIOGENES a également la casquette de réalisateur sur LBFM. Qu’est-ce que ça t’a apporté d’avoir quelqu’un d’impliqué avec toi sur la vision du projet ?
Yovo : Comme j’avais déjà fait un premier projet perso, j’avais déjà une vision de ce que je recherchais comme esthétique, mais je suis très axé sur les lyrics. Au niveau musical j’ai quand même une oreille, je sais si j’aime ou je n’aime pas une prod, je sais ce qui me dérange ou pas, mais j’avais besoin de quelqu’un qui sache encadrer un projet de A à Z. DIOGENES a grave ce truc là de réal projet, il a sa vision, il sait où il veut aller. On a étoffé tout un univers pour le projet à partir de Clara M.. Pour moi il n’y a pas plus pertinent que de faire appel à un beatmaker pour réaliser un projet. Ce sont eux la base de la musique en soi.
LFB : En parlant d’univers, LBFM a cette ambiance néo-boombap couplée à une influence culturelle japonaise très marquée. Quelles étaient tes références lorsque vous avez imaginé l’univers du projet ?
Yovo : Je consomme énormément de culture japonaise. J’écoute des trucs de city-pop japonaise des années 80. Je kiffe trop c’est le deuxième genre que j’écoute après le rap. Je me bute aux mangas, aux animés… Depuis que je suis tout petit j’ai une forte attache avec ça. Dans la démarche du projet on voulait faire un truc très prouveur : je voulais montrer que s’il y avait une prod de fou-malade, je pouvais la trancher en 4, et que DIOGENES était capable de m’envoyer ces prods de fou-malade. L’esthétique qui se rapproche le plus de ce délire là c’est le boom-bap classique avec 80/90 bpm. Après on n’a pas voulu faire un truc chiant et le boom bap peut vite le devenir, d’où le fait qu’on a apporté une touche un peu plus futuriste. Moi avec mes changements de voix et DIOGENES dans les changements d’instru.
LFB : Est-ce que cette mentalité de prouveur a créé une sorte de compétition bienveillante entre vous ?
Yovo : Je pense que je ressens plus un esprit de compet’ avec les autres rappeurs, et DIOGENES avec les autres beatmakers. Entre nous le but c’est juste de sortir le meilleur morceau possible. Mais évidemment oui je veux être meilleur que tous les rappeurs de la planète [rires]. Et lui je pense que c’est pareil avec les beatmakers.
LFB : Ldes bombes nucléaires américaines, Little Boy et Fat Man, donnent leurs noms au projet. Quelle était l’idée derrière cette comparaison ?
Yovo : On a trouvé ce nom quasiment après avoir terminé la musique. On avait la tracklist, on avait le nom des sons, ils étaient presque tous terminés. En réfléchissant on s’est rendu compte qu’il y avait quelque chose proche de la déflagration dans le projet. C’est surtout lié au fait qu’on avait la volonté de prouver quelque chose. On s’est dit que les bombes nucléaires, Little Boy et Fat Man, étaient un binôme qui répondait à cette volonté. D’où la partie très explosive dans le projet, et une autre plus calme, dans la douleur et la reconstruction. C’est pour ça qu’on s’est inspiré de l’histoire de Yamaguchi dans l’interlude. Cet homme incroyable qui a survécu aux deux bombes nucléaires. On s’est dit que c’était un symbole ultra fort pour nous. DIOGENES et moi on en est au même stade au final, on a chacun des petits accomplissements. Lui a fait pas mal de beaux placements, moi j’ai mon premier projet avec Isha dont je suis très fier. Ok y’a tout ça, mais il est tant d’aller de l’avant et d’enclencher les machines. Perdu pour perdu, on fonce et on donne tout !
LFB : Comme on peut l’entendre dans l’interlude l’histoire de Yamaguchi est un symbole fort de résilience. Pourquoi est-ce que son destin a-t-il particulièrement résonné en toi ?
Yovo : Personnellement j’ai mis beaucoup de temps avant de sortir de la musique alors qu’en vrai j’étais déjà fort. À la fois par soucis de sortir un projet de qualité et parce que je pense que je travaillais tout simplement pas assez, par manque de professionnalisme. Et c’est là-dedans que je me suis reconnu dans l’histoire de Yamaguchi. L’histoire fait aussi écho à mon vécu perso. Il y a plein de choses chiantes qui me sont arrivées dans la vie, mais aujourd’hui j’ai juste envie de faire du son. Alors je m’en donne les moyens et de toute façon on verra bien ce qu’il se passera.
LFB : Tu l’as évoqué juste avant, LBFM est marqué par ces changements de prod et de voix qui installent plusieurs ambiances différentes sur le projet. Tu ne faisais pas encore de changements de voix sur ton précédent projet, est-ce que la collaboration avec DIOGENES t’a permise de découvrir cette nouvelle facette de ton style ?
Yovo : Je pense être assez fort pour sortir des bons morceaux, mais je sais que pour sortir un très bons morceau il y a toujours un gap de fou-malade à franchir. Ce genre d’inspi de changement de voix m’est venu de la prod. Tu m’aurais mis n’importe quelle prod avec le même bpm boom bap, je n’aurais jamais switché de voix comme ça. C’est justement ces inattendus qui font step-up dans le niveau de rap.
LFB : Tu vas bientôt avoir un répertoire de voix à la Kendrick [rires].
Yovo : C’est le but [rires]. C’est aussi pour ça qu’avec DIOGENES on a eu envie de mettre tout un tas d’ambiances dans le projet. Naturellement, s’il me met des ambiances différentes, je vais être amené à utiliser ma voix de manière différente. Et de par son rôle de réal, il est capable de m’orienter sur les voix que je peux prendre, de me faire tester des nouvelles choses.
LFB : Sur Clara M. on peut t’entendre dire « Yovo aka rap consciente je vois pas le rapport« . Tes lyrics ont aussi une portée souvent très intime. Tu parles notamment de cette histoire qui t’es arrivée en soirée techno où on te prend tout de suite pour un dealer. Est-ce que tu vois aussi le rapport entre Yovo et rap conscient ?
Yovo : J’aime bien le rap quand il est drôle. Y’a peut être des choses qui font rire personne, mais comme j’aime bien décrypter les lyrics, moi ça me faire rire. Les rappeurs que je trouve trop chauds ils me font rire à chaque fois. Je pense à Limsa, Isha… ils ont des fulgurances où je me tape des barres. Et, consciemment ou non, ça s’est retrouvé dans mon écriture. Quand j’écris, y’a des trucs qui me font rire et qui feront peut-être rire d’autres gens donc je les mets. D’où le fait que je dise « rap conscient je vois pas le rapport« . Le rap conscient est très connoté moralisateur, rap de société. Je suis d’accord que ce soit important de garder un côté sociétal dans les textes mais je préfère le faire passer avec humour parce que ça passe tout simplement mieux.
L’anecdote que je raconte sur la soirée techno est totalement vraie. J’ai beaucoup de potes qui vont en soirées techno donc j’y vais aussi même si je n’aime pas spécialement ce genre de musique. En vrai quand j’arrive avec ma dégaine, ma grosse doudoune North Face, si dans les cinq minutes il n’y a pas quelqu’un qui m’a demandé si j’avais des tazs c’est bizarre.
LFB : LBFM est marqué par deux ambiances totalement différentes, séparées par l’interlude. Cette section plus mélancolique et introspective est arrivée dans un second temps ? C’est d’ailleurs des atmosphères que tu avais moins explorées sur ZÈBRE.
Yovo : J’ai plein de maquettes chez moi qui ne sont jamais sorties, et qui ne vont jamais sortir. J’ai fait plein de sons plus introspectifs et c’est grâce à mon gars Fost. C’est un pote très proche avec qui je fais beaucoup de morceaux. Lui a cette palette très introspective et il me pousse à chaque fois à aller dans cette direction. Je ne l’avais pas exploité à fond sur ZÈBRE, et c’est les prods de LBFM qui m’ont guidé naturellement sur ce terrain. C’est le mood que je ressentais sur la prod, quelque chose de plus profond, plus introspectif. Sans être rap conscient [rires].
LFB : Tu as cité Limsa et, pour l’anecdote, quand DIOGENES me faisait écouter les maquettes d’EFFRONTÉS, je lui disais que vous aviez là votre 4 Décembre. Est-ce que c’était une ambition ?
Yovo : C’est une bonne ref ! Je l’avais pas pensé comme ça mais c’est pas une mauvaise ref. C’est vrai que y’a un délire évolutif tout au long du morceau. Peut-être qu’inconsciemment ça a joué parce que 4 Décembre c’est un morceau de fou, je l’ai saigné ! Je vais réécouter les deux à la suite toute à l’heure en rentrant [rires].
LFB : Dans CODE BRZ tu annonce que tu ne vas jamais rétrograder. Qu’est-ce que tu as de prévu pour la suite ?
Yovo : Si ma manageuse est d’accord qu’on en parle [rires]. L’objectif c’est justement de ne pas rétrograder, faut qu’on entende parler de Yovo et DIOGENES en 2024. On veut envoyer du projet rapidement. Avec DIOGENES toujours parce que ça marche bien et que ça marchera encore très bien !