Molécule, RE-201 : « Une petite bulle de chaleur, de plaisir »

Il est des projets qui font rêver, Molécule en fait partie. On aime s’embarquer avec lui et affronter les tempêtes de l’Atlantique Nord (60° 43′ Nord), parcourir les paysages figés par le froid (-22.7°), ou encore se confronter à la solitude et à la puissance de la mer (Tévennec). Romain De La Haye est un explorateur du son qui possède un goût insatiable pour les aventures hors du commun et qui a aussi une aptitude impressionnante à les partager.

Dans son dernier album RE-201, le voyage est davantage temporel que géographique. Un voyage aux sources d’un genre musical né en Jamaïque dans les années 70 – le DUB – qui a exercé une grande influence sur toute la musique moderne. En lui rendant hommage, Molécule l’a imprégné de musique électronique – de la sienne et également de celle d’artistes de la French Touch comme Étienne de Crécy, DJ Falcon ou BoomBass. Et ce mélange s’avère solaire et extraordinairement festif. À quelques semaines de son premier Olympia (7 février 2024), nous sommes allés discuter Molécule avec Romain.

La Face B : Bonjour, Romain, comment vas-tu ?

Molécule : Je vais très bien. J’arrive de ma petite Bretagne et c’est un grand plaisir d’échanger avec vous.

La Face B : Il ne fait pas plus chaud en Bretagne, je suppose.

Molécule : Il fait un peu plus doux au bord de la mer. Mais oui, cela s’est rafraîchi, mais tant mieux. Enfin, l’hiver !

La Face B : On te connaît surtout pour tes projets électroniques nomades – entre l’Atlantique Nord, le Groenland ou encore le phare de Tévennec – et là avec ton dernier album, tu changes complètement le concept. Faut-il voir RE-201 comme une pause, une respiration ou un retour aux sources ?

Molécule : Après l’Océan Atlantique, la vague géante de Nazaré, la banquise, je me suis dit que j’avais droit à un peu de chaleur. C’est une petite bulle de chaleur, de plaisir. Un retour aux sources vers mes influences profondes. Également un album qui témoigne de mon amour pour le travail en studio. C’est un album de studio, de producteur. J’ai pris le temps de le faire, deux ans. Et j’ai collaboré avec pas mal de monde. L’objectif était de réunir mes premiers amours et de collaborer avec des artistes qui m’ont toujours fasciné. Et puis d’emmagasiner plein de chaleur, de plaisir, d’énergie pour sans doute mieux repartir pour de nouvelles aventures solitaires, prochainement.

La Face B : RE-201, ce sont d’abord des voix d’artistes jamaïcains qui ont construit une partie de la musique des années 70/80. Comment les as-tu sollicités et les as-tu intégrés dans ton processus créatif ?

Molécule : J’avais en tête de collaborer avec ces chanteurs légendaires qui ont bercé mon adolescence. J’ai activé mes réseaux pour rentrer en contact avec Bravo Gaylard qui a été mon point d’appui à Kingston. C’est un gars qui a un petit studio dont le nom est Small World Studio. Je lui ai exposé mon projet. Il connaît beaucoup d’artistes en Jamaïque. Les rencontres se sont construites comme cela. Avec lui, j’ai fait les premiers tests à distance pour définir les bases et les contours du projet. Ensuite, en juin 2022, je suis parti à Kingston pour enregistrer les voix, travailler en studio, être avec les chanteurs. Collaborer réellement ensemble.

Je suis parti avec mes démos. Et – ensemble – on a passé de bons moments et échangé sur ce qu’on en pourrait faire. Comment je voyais les choses et ce qu’ils ressentaient à l’écoute de cette musique. On a tout enregistré et je suis revenu avec cette matière à Paris. J’ai finalisé les morceaux comme cela.

En même temps, j’ai collaboré avec des artistes français, des figures de la French Touch, pour donner vie à cet album RE-201.

La Face B : Tu as d’abord constitué la trame avant d’aller sur place.

Molécule : Les instrus étaient quasiment faites quand je suis parti à Kingston. Et quand je suis revenu en fonction des voix, j’ai déconstruit certaines choses pour aller parfois dans une direction différente. Et puis avec Etienne de Crécy, DJ Falcon et BoomBass de Cassius on a co-produit. J’ai travaillé un titre avec chacun d’entre eux.

La Face B : Et tu as pu avoir les artistes jamaïcains que tu souhaitais ?

Molécule : Oui. Sachant que les rencontres se sont faites sur place en fonction des disponibilités, du moment. Le casting s’est affiné à Kingston. J’avais fait une sorte de liste d’artistes avec lesquels je voulais travailler. Certains étaient en tournée, d’autres à l’étranger ou non disponibles. Mais les artistes présents font partie de ceux que j’avais « cochés ».

La Face B : Et c’est ce qui fait que c’est important d’être sur place pour finaliser les rencontres et puis aussi s’imprégner de l’atmosphère.

Molécule : Tout à fait, l’album est déjà immergé dans cette ambiance jamaïcaine. J’en ai profité pour faire des enregistrements de cette ambiance si singulière. Et puis, être en studio avec ces légendes jamaïcaines, c’était important pour mener à bien ce projet. Pour les rencontrer. Il y a une dimension humaine très forte. Pour moi, c’était la condition sine qua non que d’aller sur place, de travailler avec eux, d’échanger, de vivre des moments de partage. C’est comme cela que j’envisageais cette collaboration.

La Face B : Et de découvrir des studios là-bas qui ne sont pas les mêmes qu’ici.

Molécule : Oui, c’est un autre monde. On prend vraiment et concrètement conscience qu’ils font avec les moyens du bord : les outils qu’ils ont et les contraintes matérielles. Ce qui ne les empêche pas de produire une musique qui a influencé presque toute la musique moderne. Dans la production, dans le son. C’était fascinant d’être là-bas et de voir comment ils travaillent, d’apprendre à leurs côtés et de vivre ces moments au présent.

La Face B : Tu as eu un titre avec Lee Perry.

Molécule : Non, il est mort en…

La Face B : En 2021, c’est pour cela que je te posais la question. Il me semble l’avoir vu en crédits sur une de tes chansons et cela m’étonnait.

Molécule : C’est peut-être une confusion avec Terry l’assistant de Bravo Gaylard au studio. Il a posé sa voix sur un morceau. Il n’est pas mentionné directement dans le titre, mais dans les crédits en petit. Mais Lee « Scratch » Perry est une des figures du DUB qui m’a forcément influencé depuis le début comme King Tubby, Mad Professor, Scientist, tous ces ingénieurs du son qui ont tant fait pour la musique.

La Face B : Après des années à capter les sons de la nature, RE-201 était l’occasion de recentrer les thèmes sur l’humain

Molécule : Il y avait cette envie de faire un projet moins cérébral, plus spontané, plus solaire, plus chaud, plus simple d’accès avec comme thème principal la pulsation, la danse, le rythme. Tout cela avec l’idée d’emmagasiner plein d’énergie pour mieux repartir, mais aussi de rendre hommage à ces deux cultures qui m’ont fortement influencé. La culture DUB en Jamaïque et le mouvement de la French Touch des années 90 en France.

La Face B : Comme je le ressens, RE-201 est un croisement entre les sonorités jamaïcaines et celle de la musique électronique. Tu as voulu confronter ces deux mondes.

Molécule : Je n’emploierais pas le terme confrontation, mais plutôt le mot alliage ou mixage. Mais en tout cas, j’avais cette volonté de mélanger ces deux mondes. Chose qui n’avait pas vraiment été faite et qui semble pour moi assez naturelle.

La Face B : D’ailleurs lorsque je pense au DUB, bizarrement ce n’est pas le son de la Jamaïque qui me vient en premier (peut-être trop évident), mais plutôt celui de Police and Thieves des Clash avec justement Lee « Scratch » Perry à la production.

Molécule : Il y a aussi le courant français avec High Tone, Zenzile, ces groupes-là. Il existe un courant DUB très fort en France.

La Face B : Et personnellement, comment définirais-tu ce DUB auquel tu rends hommage dans ton dernier album ? 

Molécule : C’est une approche du son comme étant une matière à travailler, à sculpter, à modeler. Ces sorciers du DUB jamaïcain ont inventé cette manière de prendre un son comme une matière et de pouvoir lui donner différentes formes, différentes couleurs, différentes sonorités à travers des effets, à travers des filtres, de l’équalisation, de la compression. C’est un principe que j’ai fait mien depuis le début. Dans mes précédentes aventures, quand je pars avec mes micros et mes instruments, j’enregistre les sons environnants. Et ces sons, je les sculpte, je les travaille et ça crée la colonne vertébrale des compositions. Les notes viennent ensuite se poser dessus. Et cette approche vient du DUB.

Les DUB, c’étaient les faces B dans les années 60/70 où l’ingénieur du son faisait « play » sur le multipiste avec toutes les pistes séparées. Et puis, il s’amusait à couper les voix et à les envoyer dans des delays, dans des reverbs, à muter des éléments de la rythmique. C’est tout ce jeu finalement assez ludique avec les sons qui a créé ce mouvement musical.

Moi, c’est un peu pareil. Je le fais avec mes micros, avec les sons que j’enregistre dans les environnements, les sons de la nature. Et, je joue avec eux avec leurs fréquences, leurs vibrations pour composer et créer de la musique.

La Face B : C’est de la sculpture sonore.

Molécule : Il y a cette idée-là qu’un son est une matière, une forme que l’on peut sculpter, affiner, épaissir, multiplier avec des delays, rendre plus flou. C’est une approche du son comme une matière à travailler.

La Face B : Ton album prend le nom d’un module de delay sorti en 1974 le RE-201 de Roland, il y a quasiment 50 ans.

Molécule : Je ne connais pas la date de première sortie.

La Face B : Il me semble que c’est 1974, si je ne me trompe pas. C’est un instrument que tu as utilisé sur ton album ?

Molécule : Bien sûr. C’est un instrument mythique de la musique reggae et jamaïcaine. Il s’agit d’un écho à bande qui fait en même temps réverbération à ressort. Ce que l’on appelle une spring reveb. C’est un module dans lequel on passe un son et le fait que le son aille sur la bande lui donne une caractéristique. On peut jouer sur le volume d’entrée, sur le volume de sortie pour teinter chaque son. C’est un module de traitement que j’ai beaucoup utilisé en clin d’œil à ces sorciers du DUB, évidemment. Et puis aussi parce que dans la musique électronique c’est vraiment un outil, un effet que l’on retrouve dans les studios du monde entier. Il est devenu iconique.

La Face B : C’est vrai qu’aujourd’hui avec le numérique, les effets sont plus simples à obtenir.

Molécule : Il existe aussi des versions numériques qui reproduisent le son. Ce qui est intéressant, c’est que chaque module de Space Echo a une son singulier. Aucun ne sonne vraiment pareil. J’aime bien les vieilles machines. Je travaille beaucoup avec du matériel de cette période, 1970/1980 avant l’arrivée du pur digital, pour leurs caractères, leurs singularités et leurs personnalités parfois difficiles à apprivoiser.

La Face B : Et ça fonctionne de quelle manière. C’est une bande magnétique sans fin ?

Molécule : C’est une boucle. Une bande qui est dans une boîte avec cinq têtes de lecture et d’enregistrement. La bande tourne. Il y a une tête d’écriture et quatre têtes de lecture. On envoie le son, le module est toujours en mode « enregistrement ». Le son vient se coller sur la bande et il est reproduit sur toutes les têtes de lecture. Ce qui permet de créer l’écho.

Le Space Echo est l’ancêtre du delay. C’est avec de la bande et la bande, ça vit. Ça a un timbre très particulier qui peut être fonction de la température. Et même lorsque l’on tape sur cette boîte, cela fait du son. En plus, la machine est belle. C’est un instrument génial qui est assez rare. Il est devenu assez cher, mais quand il est sorti c’était une petite boîte comme une pédale d’effet de guitare. C’est un peu plus gros, comme une petite valise. Mais il y a un côté très ludique.

La Face B : C’est plus un instrument de studio ? Sur scène, la mise en œuvre est peut-être complexe.

Molécule : Si, si, on peut l’emmener sur scène. Même si moi, je ne le fais pas, c’est un instrument que l’on peut retrouver sur scène. Il est assez fragile donc il faut faire attention. Mais la petite boîte est plutôt mobile. Il y a une poignée pour qu’on puisse la transporter facilement.

La Face B : Tu as utilisé le premier instrument électronique – le Thérémine – dans Tévennec et celui de demain que tu as nommé J.I.L.

Molécule : J’aime les instruments, j’aime l’innovation, j’aime l’aspect technologique. Même si je suis très attaché aux vieilles machines, à leur époque, elles étaient à la pointe. J’aime être au croisement de la technologie et de l’artistique. Effectivement, j’ai utilisé le Thérémine sur un projet sur le phare de Tévennec au large de la pointe du raz sur lequel j’ai travaillé sur les énergies. C’est un lieu très particulier qui a fait que j’ai eu l’idée d’amener cet instrument. J’avais aussi plein de pédales d’effets et d’instruments plus modernes avec moi pour créer ce concept-album.

Et puis récemment, sur un autre projet, j’ai collaboré avec une start-up sur la création de l’instrument du futur. Avec un instrument qui se joue et se pilote uniquement par le regard. Il y a un an et demi, j’ai eu l’occasion de faire une tournée de plusieurs dates en France avec J.I.L. Pour moi, c’était important de nommer cet instrument, de le personnaliser. C’est un projet pour lequel j’espère pouvoir travailler sur une V.2 parce qu’il y a encore beaucoup de choses à faire dans ce domaine.

La Face B : Et tout comme le Thérémine, c’est un instrument qui amène une part d’aléatoire dans les sons qu’ils produisent.

Molécule : C’est un instrument qui sonne différemment selon les personnes. C’est un projet qui m’a demandé plusieurs mois de travail et qui a été très excitant.

La Face B : Tes projets sont spécifiques sur de multiples axes. La musique évidemment, la manière de la concevoir, mais aussi la façon de la partager. Films, conférence, concerts immersifs… Comment naissent tes idées, comment les fais-tu mûrir et comment abordes-tu cette vision 360 de la création ?

Molécule : Chaque projet à la base vient d’une idée simple. C’est presque une intuition, d’un lieu, d’un sujet, d’un thème. Et de là, le processus que j’ai mis en place est de partir avec mes instruments, des micros et de recréer un studio dans un lieu. Essayer de faire tout sur place, in situ. Il se pose, une fois que l’on est revenu, la question de la diffusion. La manière dont on va partager cette aventure avec le public. L’aspect visuel, c’est important pour moi de montrer des images pour que le public voie le contexte qui a donné naissance à la musique. Et puis pour partager, je collabore avec des gens et des technologies pour travailler sur l’immersion en termes de sons spatialisés ou d’images 360.

À chaque fois ce sont des collaborations et l’envie d’amener le public avec moi dans des territoires nouveaux pour lui faire vivre une expérience atypique. Trouver les recettes à mettre en œuvre m’excite beaucoup. J’ai pu faire un concert en 360 à la Gaité Lyrique. Récemment dans un dôme immersif à Dubaï ou un concert dans le noir au REX en son spatialisé pour que le son prenne toute sa dimension et sa puissance. Ce sont à chaque fois des réflexions sur la manière la plus pertinente de partager une émotion et un projet avec le public.

La Face B : Et le 7 févier, ce sera ton premier Olympia.

Molécule : Oui mon premier Olympia. Ça commence à approcher. C’est un mélange d’excitation et de tension parce que c’est mon premier Olympia. Ce n’est pas rien. Il va falloir que je réussisse à vivre le moment pleinement sans être trop happé ou touché par la pression et l’enjeu.

La Face B : Et tu vas apporter à l’Olympia dans une composante immersive.

Molécule : On est en train de travailler effectivement depuis plusieurs mois là-dessus. Je ne peux pas en dire trop avant. Mais l’idée est de proposer une expérience singulière pour que le public entende et voit l’Olympia comme ils ne l’ont jamais vu ni entendu. Il faut être là ! il faut venir !

La Face B : Et avant l’Olympia tu as d’autres concerts à Rennes et à Strasbourg.

Molécule : Oui, et aussi à Lille, Lyon, Bordeaux, quelques concerts pour se chauffer et être fin prêt. On est en pleine tournée. Et après il y a la page des festivals qui va s’ouvrir. L’album est sorti en octobre dernier et souvent quand on sort un album comme celui-là, il va nous occuper pour les deux prochaines années.

La Face B : Ce qui ne t’empêche pas d’avoir des idées entre-temps.

Molécule : Au contraire, il le faut. Et je suis déjà en train de poser les premières pierres pour les prochains projets. C’est maintenant que cela se passe. Le public n’a pas forcément ça en tête, mais quand on nous voit au moment présent, on est déjà ailleurs. Il y a un décalage, une latence.

La Face B : C’est ce que les artistes me disent toujours. L’album, on le sort, mais on est déjà passé à autre chose.

Molécule : Après il faut, et la difficulté est là, arriver à être dans le moment présent. Et la scène est un bon exercice pour cela. C’est l’objectif. Être là, embrasser et chérir ces moments si particuliers. C’est aussi un monde solitaire, notamment dans la musique électronique. Et la scène permet de se mettre en résonance avec le public. Emmagasiner plein d’énergie, partager les émotions, pour mieux repartir.

La Face B : Donc il faut être là à l’Olympia le 7 février !

Molécule : Évidemment !

La Face B : Et pour finir, que peut-on te souhaiter ?

Molécule : Je suis parti en 2013 sur un bateau réaliser un rêve. Mettre en musique la tempête avec tous mes instruments et mes micros. Ça fait 10 ans, même un peu plus. Si les dix prochaines années me permettent de réaliser tous les rêves et les idées que j’ai en tête, ça sera parfait !

C’est un privilège de faire ce métier, de rencontrer toutes ces personnes, de collaborer et puis de vivre des aventures assez folles. C’est ce qui m’excite et j’ai encore beaucoup de choses à réaliser. Continuons comme cela. Le changement c’est tous les jours et en même temps être dans la continuité. Cela me va très bien.