DIIV – Le Trianon, Paris, 10 mars 2024

2024 se présente sous les meilleures auspices pour les aficionados de shoegaze, les américains de DIIV nous faisant l’honneur d’un passage au prestigieux Trianon de Paris en amont de la sortie de leur très attendu quatrième album Frog In A Boiling Water en mai prochain. Il n’a jamais été aussi bon d’être mélancolique.
 
L’attente fut longue pour les fans de DIIV qui depuis 2019 et l’excellent troisième album Deceiver s’impatientaient de pouvoir se mettre sous la dent quelques nouvelles compositions du quatuor américain le plus entêtant qu’il soit dans le petit monde calfeutré du shoegaze. C’est donc chose faite avec l’annonce cette année du nouvel album à paraitre en mai, au nom plutôt énigmatique pour la communauté vegan à laquelle appartient Zachary Cole Smith, Frog In A Boiling Water. L’art du second degré n’étant pas étranger à la formation, cela n’a pas refroidi les ardeurs des fans qui se sont précipités en ce dimanche soir humide au Trianon de Paris, la date affichant complète depuis quelques semaines.
 
Nous retrouvons dans le théâtre du 18e arrondissement le public composé des fidèles, qui depuis 2012 et Oishin ont suivi de près les pérégrinations de cette formation atypique qui a émergé à une époque où le rock mené par les Arctic Monkeys et autres Franz Ferdinand continuait de dominer les charts dans un style aux antipodes des New-Yorkais. Nous évoquons en 2024 le revival du shoegaze avec le retour gagnant de Slowdive et l’apparition de jeunes pousses talentueuses qui remettent le style au goût du jour mais s’agissant de DIIV, leur appropriation de ce genre si atypique pour le grand public a été leur atout majeur dès le départ. Le groupe a été comme précurseur du retour en grâce de la dream pop évanescente, en accentuant fortement l’aspect indie rock grâce aux guitares acérées de Zachary Cole Smith et Andrew Bailey. À la suite des difficultés personnelles rencontrées par Smith et le turn over subi au sein du groupe, c’est en quatuor et requinqués que DIIV nous ont offert un come-back prestigieux avec Deceiver en 2019 et les retrouvailles l’été dernier au festival Rock en Seine, en plein jour sous un soleil radieux ce qui n’est pas commun les concernant, nous a permis de doubler notre joie de retrouver les américains, qui plus est au mieux de leur forme.
 
 
Le concert parisien se déroule face à un public conquis d’avance. Ainsi, c’est sous un tonnerre d’applaudissement que Ben Newman, Colin Caulfield, Andrew Bailey et Zachary Cole Smith pénètrent sur la scène du Trianon, cette dernière assez vaste, obligeant Ben et sa batterie à se tenir à l’arrière, créant un petit effet de distance entre les membres. La scénographie sera assurée par un écran vidéo qui trônera dans le fond et qui introduit le concert avec un message d’accueil digne de la COGIP mais en mode « gourou du bien-être ». Ainsi, des messages faussement réconfortants nous incitent à ouvrir nos esprits et à nous focaliser sur l’instant présent tout en nous recommandant un passage au stand merchandising à la fin du set. Sont également diffusées des images du groupe en studio ou sur scène et d’étranges formes géométriques, alors qu’apparaissent sur certains morceaux les paroles tel un karaoké géant. Cette mise en scène appuie l’origine du choix du titre de l’album à paraitre Frog in A Boiling Water, qui est une métaphore philosophique tirée d’une œuvre de Daniel Quinn, auteur américain chantre de l’environnementalisme. Définissant la lente mais inévitable dégradation de notre société soumise au capitalisme sauvage, la plume amère mais réaliste de Smith et ses comparses ne pouvait trouver thème aussi inspirant.
 
 
Deceiver sera mis à l’honneur ce soir avec pas moins de six morceaux interprétés, rassemblés pour la plupart lors du rappel faisant s’embraser la fosse lors de Blankenship. En amont, sous un lightshow rouge et bleu vif ou plongés dans la pénombre, seulement éclairés aux extrémités par des spots blancs dirigés vers le sol, DIIV vont nous entrainer dans une délicieuse torpeur quasi méditative, le timbre de Zachary Cole Smith berçant le public tout en interprétant ses textes sombres. L’extrême timidité de ce dernier malgré toutes ces années nous interpelle toujours autant et son positionnement à la toute droite de la scène alors qu’il mène le chant n’est pas anodine. C’est Andrew Bailey qui se tient au centre et sans jamais prendre le micro, domine par sa prestance le set. A ses côtés Colin Caulfield à la basse est le plus expressif mais sans jamais en faire trop. DIIV nous proposent pas moins de cinq inédits dont le titre éponyme du prochain album. Ces morceaux, sans révolutionner le genre du groupe, nous promettent un disque de haute tenue, toujours à fleur de peau, qui entrainera à nouveau les fans dans un univers où les sentiments complexes seront portés par une musicalité mélancolique et tendue à la fois.
 
 
Réfugié dans l’étroitesse des balcons, le spectateur contemplatif se laissera surprendre par l’océan de têtes qui hochent à l’unisson à l’écoute des morceaux qui défilent, avec un final euphorique mais tout en retenue que nous offre Doused, nous rappelant que depuis dix ans maintenant DIIV nous régalent de leur shoegaze racé, maitrisant parfaitement les influences de leurs maitres à penser tels My Bloody Valentine et Nirvana. Une thérapie pas si douce pour laquelle on ne demande qu’à rempiler.
 
Setlist
Like Before You Were Born
Under the Sun
Brown Paper Bag
Take Your Time
Taker
Soul-net
Frog in Boiling Water
Air Conditioning
Incarnate Devil
In Amber
Between Tides
Blankenship
Acheron
Horsehead
Raining on Your Pillow
Doused