Avec la sortie de Delta Keb Mojo, le charismatique chanteur québécois Raphaël Dénommé opère, libre de tout label, un grand virage en langue française aux racines d’une folk émotionnelle et puissante, sans concession. Rencontre dans un café de quartier, entre deux tempêtes de neige printanières...
La Face B : Bonjour Raphaël, merci de m’accorder ce temps ! Cet album qui paraît, Delta Keb Mojo, et dont tu es en pleine promotion est déjà ton quatrième ! Quand on s’est rencontrés pour la première fois, tu m’as parlé de ton désir d’être dans une dynamique d’indépendance vis-à-vis de l’industrie musicale. Tu peux développer pour nos lecteurs, d’où t’est venu ce désir de liberté, ce que ça t’a apporté de partir cette fois sans label, notamment dans la structure de ton album ?
Raphaël Denommé : Certain ! Le plus important c’est, bien sûr, la liberté d’écriture. Mais ça a joué aussi au niveau de la D.A.… Pour la petite histoire, je suis fan du travail d’un photographe (français justement !), Larry Niehues, qui travaille avec pas mal d’artistes sur lesquels j’trippais ! Donc je l’ai contacté pour acheter les droits de l’une de ses œuvres et l’avoir comme pochette d’album… Il a accepté ! Fait que j’étais vraiment content. Cela signifiait beaucoup pour moi en tant que producteur de l’album, de maîtriser aussi l’univers visuel…
La Face B : J’comprends ! Dans ton écriture musicale d’ailleurs il y a un côté très cinématographique : la façon dont tu rends les émotions, dont tu déroules le propos, c’est très visuel, au fond…
Raphaël Denommé : Disons que c’est vraiment important pour moi. Le côté musique de film est central, c’est toujours présent. Le cinéma m’a énormément inspiré, d’ailleurs en travaillant avec Ariel Posen aux guitares, une collaboration qui me ravit, on passait parfois plutôt par l’image que par le langage, vis à vis de la barrière de la langue !
La Face B : Je vois ! Et ce choix du français, est-ce que ça va avec ce besoin de communiquer vraiment avec tes auditeurs, en t’adressant à eux dans ta langue maternelle, à laquelle tu es revenu après un album entièrement en anglais ?
Raphaël Dénommé : Ce n’est même pas vraiment un choix ! J’aime aller dans les deux, l’anglais et le français. Mais là les tunes se présentaient, s’inventaient directement en français. C’est devenu un peu le volume II de l’album précédent en anglais ; dans le fond, dans l’écriture, c’est comme si je l’avais su, comme un interlude au travers des hard times, qui s’est écrit comme ça…
La Face B : Et est-ce que tu peux revenir sur ton parcours de vie, vraiment unique, qui est passé par plein d’étapes ? Changer de direction professionnelle, te consacrer à la musique, quitter la ville pour la campagne…
Raphaël Dénommé : Disons que je suis un peu excessif, quand je suis dans quelque chose que j’aime ! Quitter mes jobs alimentaires pour la musique s’est fait naturellement quand ça s’est mis à vraiment marcher.
Le fait de ne plus vivre en ville, c’est pareil, ça s’est fait comme ça… Et ça me permet de saisir à 100% les opportunités offertes par l’environnement urbain quand je suis en promo où lorsque je travaillais sur l’album, tandis que quand je m’en retourne chez nous, je me pose juste dans le silence et ça me permet de mettre les choses en perspectives, et de composer au cœur de la nature…
La Face B : Et ça c’est quelque chose qu’on retrouve j’imagine dans l’évolution de ton style ?
Raphaël Dénommé : Oui, et c’est ça qui est fun ! C’est d’évoluer… Quand j’étais jeune, j’étais toujours à fond, maintenant j’ai plus de sérénité, je chemine dans et vers plus de silence… J’essaie toujours d’évoluer, en fait. Dans mes influences, ce qui me nourrit, change aussi. Sur cet album, Delta Keb Mojo, c’est le lien avec le Mississippi, qui sont les vraies racines de ma musique, avec le blues. Et puis l’histoire du territoire, la vie difficile des personnes qui en sont issues et que je voulais retranscrire par la musique…
C’est dur de rendre la simplicité, mais au final, c’est ce qui rend le son authentique et pur. Les gars qui viennent du Delta m’ont beaucoup influencé, et pour le process, on a du coup beaucoup enregistré live… J’ai gardé les voix des première, deuxième et troisième moutures ! Du coup il y a toujours une ambiance un peu lo-fi, assez brute.
La Face B : Ok… J’imagine que ça passe aussi par le rythme, par des rythmiques plutôt organiques ?
Raphaël Dénommé : Oui tout à fait !
La Face B : Et par rapport à tes influences, je m’interroge sur celles notamment vocales, avec ta voix au grain très mélodique, très affirmé ! Comment est-ce que tu as cheminé dans un paysage musical où on assiste vraiment je trouve à un désengagement, un désintérêt du travail sur la musicalité de la voix, qui a tendance à passer au second plan ?
Raphaël Dénommé : Je m’inscris clairement dans une tradition vocale extrêmement forte, peut-être à contre-courant de ce qui se fait majoritairement ces temps-ci… Mais ça n’a pas d’importance ! J’ai appris à chanter seul et qu’au début, je manquais, disons… de subtilité. Je donnais juste tout ! Mais avec le temps j’ai beaucoup travaillé ça, au contact de la scène. Je me suis connu, calmé, et je n’ai plus besoin de crier pour communiquer dans la musique (rires). Quand j’ai commencé, on veillait tard en soirées, et moi je chantais. Et ça s’est développé naturellement. Alors voilà. J’essaye de garder cette énergie des débuts, mais de l’amener peut-être plus intelligemment, de façon plus canalisée. Ça va avec mon chemin de vie : pendant la pandémie, j’ai emménagé dans la nature, et ça m’a donné un nouvel ancrage dans le territoire. Je lui rends hommage notamment dans la chanson Les pays d’en haut, qui parle de ça. Des Laurentides (NDLR : une région sauvage du Canada proche de Montréal), du parallèle possible entre cet exode urbain induit par la pandémie, et l’époque où les personnes partaient à la découverte de ces nouveaux territoires, en quête d’une vie meilleure !
La Face B : Et là tu es déjà dans la préparation de l’album suivant, c’est ça ?
Raphaël Dénommé : Oui ! Je suis pas encore en studio mais l’écriture est pas mal achevée… J’ai toujours le goût d’y aller mais il s’agit de d’abord terminer, et là, je veux faire voyager cet album !
La Face B : Et on est heureux qu’il voyage déjà jusqu’en France… Merci Raphaël !