
La date du 12 octobre 1492 constitue un tournant majeur dans l’histoire de notre monde. Ce jour a marqué la découverte de ce que l’on appelait les terra incognita, les terres inconnues en latin, et plus particulièrement ce que l’on appellera les Amériques. Ce dernier marque le début du processus de colonialisation et d’expansion territoriale, tant bien économique que culturel. Les codes structurels sociaux actuels tirent leurs orignes des rapports de domination engendrés par le processus de colonialisation qui suivra la construction des grands empires européens. Nul doute que lorsque Christophe Colombposa les pieds sur ce qu’il pensait être les Indes, ce dernier ne considérait pas la portée de l’importance de sa découverte. Cet évènement sera amplifié par la révolution industrielle prenant place à la moitié du XVIIIe siècle, simplifiant et fluidifiant grandement la mondialisation des marchés commerciaux et des échanges économiques.
Ce traffic à échelle mondiale n’a pas cessé, si bien que l’on constate un phénomène d’uniformisation des standards économiques, politiques, sociaux et culturels. La théorisation de cette tendance a donné lieu à la naissance de la globalisation. Celle-ci définit l’interdépendance des secteurs économiques, financiers et commerciaux dans le monde entier. Cette fondation-même de notre système monde contemporain touche pour à vrai dire toutes les branches de notre industrie. Ce qui veut donc dire que la musique, elle aussi, est touchée par ce phénomène. La grande problématique de cette mouvance promue par le sacre saint capitalisme est de voir naître une culture et, dans notre cas, une identité musicale impropre et complètement uniformisée. Celle-ci prenant alors la place des traditions rythmiques et mélodiques inhérentes aux différentes parties du monde.
Lorsque l’on pense à ce processus de colonisation et de construction d’un rapport de force culturel, deux zones sont majoritairement considérées : l’Afrique et l’Amérique. Le continent américain s’est vu être le théâtre d’une arrivée ibérique, et plus précisément espagnole, dès la fin quinzième siècle et l’arrivée de Christophe Colomb évoquée en préambule de cette introduction. Ce point de rupture va lancer la création et l’expansion massive des empires coloniaux ibériques. On note particulièrement des pays importants comme le Brésil, sous le contrôle du Portugal. Pour ce qui est de l’Espagne, des pays comme le Mexique, l’Argentine, l’Uruguay ou encore le Chili ont tous fait partie de l’empire colonial espagnol.
Cette occupation hispanique a grandement influencé les différentes structures de ces pays, qu’elles soient sociales, culturelles, politiques ou économiques. À vrai dire, au-delà de les placer dans certaine direction, elle a bâti et édifié la base des structures sociétales contemporaines en Amérique Latine. Cet empire colonial a laissé une trace bien plus prononcée et imperméable que ce que sa surface peut laisser entrevoir. Ce n’est pas pour rien que l’on parle de colonialisme souterrain. Les études postcoloniales et décoloniales ont démontrées l’impact sur le long-terme qu’ont eu et ont encore les régimes ayant occupé ces territoires. Malgré cette présence d’une culture se voulant comme prédominante et d’un rapport de force occidental global, une identité artistique propre s’est formée en Amérique latine.
Sous le giron de l’occupation ibérique et de son héritage, un passeport culturel et artistique riche s’est développé. Des mouvements musicaux comme la samba, le tango, le flamenco, la salsa, la bachata ou encore la lambada vont naître et gagner en popularité au sein des frontières latines. Plus tard viendront s’ajouter d’autres genres comme la Bossa Nova et son magnum opus Getz/Gilberto de João Gilberto et Stan Getz, qui rencontrera un succès mondial, tant bien critique que commercial. La dernière mouvance musicale importante que l’on a pu constater étant celle du Reggaeton. Cette dernière tire sa natalité de Porto Rico et du Panama et prend la forme d’une musique opérant une fusion entre le Reggae, le Dancehall jamaïcain et le Hip-Hop, tout cela en addition à un chant en espagnol très rythmé. Il est également nécessaire de garder en tête que tous ces pays ont également développé une identité musicale propre, mettant en place des codes personnels et inhérents au dit-endroit.
Ce nouveau genre amènera également à l’apparition d’un riddim inhérent à ce dernier, c’est-à-dire un motif rythmique propre au Reggaeton, servant de base aux morceaux. Cette notion théorique est tirée de la musique jamaïcaine, et plus particulièrement du Reggae et du Dancehall. Ce dernier est joué par la plupart du temps par une basse ou un clavier, et a comme caractéristique de pouvoir être réutilisé plusieurs fois. Son nom tire son origine d’un terme anglais, « rhythm » qui, une fois entré dans le langage jamaïcain, se transformera en « riddim ». Parmi les artistes contemporains en Amérique Latine appartenant à cette mouvance, on peut démarquer le portoricain Bad Bunny qui a largement participé à une émergence massive du Reggaeton auprès du très grand public. Ce dernier, de par ses succès commerciaux et critiques internationaux, est parvenu à exporter le genre et a participé à le transformer en une norme musicale à part entière dans l’industrie actuelle.
Mais on peut légitimement se poser la question : Qu’est-ce que la musique latine ? Qu’est-ce qui la caractérise précisément ? Outre la dimension géographique, ciblant particulièrement l’Amérique du Sud mais également sa partie Nord avec notamment le Mexique et l’immigration latine aux États-Unis. Évidemment, les anciennes forces impériales que sont le Portugal et l’Espagne prennent également part au mouvement de la musique latine. On peut d’ailleurs même les placer à l’origine du genre de par leurs passés coloniaux ayant amené à une théorisation de ces sonorités et processus créatifs. On peut également en définir une spécificité, à savoir une prédominance d’usage des langues espagnoles et portugaises constituant un outil de débat en rapport à la globalisation que nous étudierons. De plus, cette identité culturelle et musicale se démarque par une marque de fabrique musicale forte et affirmée. On peut la définir comme une musique à la richesse vertigineuse, prenant le soin de conserver un ton très vivant dans laquelle règne une forme d’optimisme lyrique, fortement encline à la danse.
Mais une fois l’impérialisme ibérique déchu, la mondialisation et la puissante machine du libéralisme a pris une place prépondérante dans le système monde. La capitalisme a permis une expansion généralisée d’une certaine culture, une épistémè sociale globalisante. Promouvant alors toujours une version occidentalisée de la production artistique, et dans notre cas précis, de la création musicale. C’est ce que Philippe Colin et Lissel Quiroz appellent dans leur ouvrage Pensées décoloniales : Une introduction aux théories critiques d’Amérique Latine la politique de la connaissance, visant à occidentaliser toute forme de culture et de connaissance par le prisme du néo-colonialisme et ayant vu le jour en même temps que l’impérialisme colonialiste.
Mais quid de l’héritage identitaire de la musique latine ? Nous observerons comment, à l’ère d’un mondialisme toujours plus débridé et fluide, cette dernière résiste à la globalisation, notamment portée par le néo-libéralisme. Nous prendrons ici bien évidemment en compte la musique tirant son origine d’Amérique Latine, mais également de la musique provenant des originelles forces coloniales, tout particulièrement l’Espagne. Ce choix peut être expliqué par l’influence prépondérante qu’a exercé la culture et l’art espagnol dans la construction de cette identité, aujourd’hui propre aux pays que nous allons examiner. De plus, cela nous permettra de remarquer que, comme l’indique Dipesh Chackrabarty dans son essai Provincialiser l’Europe : La pensée postcoloniale et la différence historique, le monde n’est plus eurocentré et que la domination culturelle des pays du Nord n’est plus aussi prépondérante qu’auparavant.
Afin de démontrer cette résistance de la mémoire culturelle de la musique latine, nous utiliserons des méthodes et données provenant de domaines tels que la musicologie, l’histoire, la sociologie ou encore la littérature. Dans un premier temps, nous analyserons la reproduction exacte et fidèle, à notre époque contemporaine, de cette mémoire et comment cette dernière est perpétuée. Nous verrons ensuite deux exemples distincts et différents de la fragmentation culturelle de cette même musique, notamment véhiculée par des choix linguistiques précis. Finalement, dans un troisième et dernier tiers, nous réaliserons une étude de cas et nous pencherons sur le cas particulier de Bad Bunny et de ses succès internationaux que sont Un Verano Sin Ti et nadie sabe lo que va a pasar mañana.

BUENA VISTA SOCIAL CLUB ET LA MÉMOIRE EXACTE ET AUTHENTIQUE
Une telle problématique et un tel questionnement se réfèrent forcément à la notion de mémoire, tant bien culturelle que sociale. Elle renvoie donc à la question de capital culturel. Mais avant tout, qu’est-ce que la mémoire représente-t-elle exactement dans ce cas ? On peut définir cette notion par la théorisation d’une identité inhérente à un groupe social, une population. Cette dernière peut être soit mineure ou majeure, forte ou faible, et peut appartenir à seulement une période donnée et définie. On peut par exemple mettre en avant le cas qui nous intéresse ici, à savoir celui de la musique latine à l’ère contemporaine. Pour avancer et illustrer cette définition, nous allons nous appuyer sur l’exemple connu du groupe Buena Vista Social Club et de leur album éponyme. À l’initiative du producteur Nick Gold et du guitariste Ry Cooder, l’idée d’une telle formation était de former la réunion de personnes ayant vécu l’âge d’or de la musique cubaine et pouvant le restituer et lui rendre hommage. En ce sens, l’envie des deux américains était de constituer une sorte de vitrine de la musique populaire traditionnelle cubaine, de présenter l’immense richesse, tant bien musicale que plus largement culturelle de Cuba. On peut d’ailleurs noter qu’il est quelque peu ironique qu’une telle démarche, à savoir celle d’un manifeste enregistré de l’âge d’or musical cubain, pendant sa période pré-révolutionnaire soit initiée par deux américains. Cette même ironie se retrouvera d’ailleurs, quelques mois après la parution de cet album, avec la documentaire à la fois touchant et authentique du réalisateur allemand Wim Wenders, que nous évoquerons plus loin.
Dans un soucis de recherche d’authenticité, de quête d’une mémoire à la fois pure mais aussi naturelle, il fallu se tourner vers ce que l’on peut appeler des vétérans du genre. C’est ainsi que des musiciens cubains retraités tels qu’Ibrahim Ferrer, Rubén González ou encore Orlando « Cachaito » López embarquèrent dans le projet. Ce choix trouve ses raisons dans une volonté de coller de manière la plus respectueuse et exacte possible au capital culturel musical cubain de l’époque. L’objectif ici est de retrouver la ferveur d’une musique populaire d’un Cuba n’ayant pas encore connu la révolution de 1959. Ce qui est ici recherché est la renaissance d’une mémoire qui, à l’époque, était vieille de presque quarante ans. C’est ainsi que Ry Cooder s’est mis en tête de rassembler des musiciens déjà en activité à cette même époque. Parmi les membres du Buena Vista Social Club, on retrouve notamment des musiciens qui ont, fût un temps, promu et tenté d’exporter cette musique propre à l’île. Après la révolution de 1959 menée par Fidel Castro, principalement après 1962, certains de ces musiciens furent employés par le gouvernement cubain lui-même dans le but de créer plusieurs formations permettant de faire perdurer cette tradition musicale forte. On note même des tentatives de tournées en dehors des frontières cubaines, notamment en Europe.
On peut donc remarquer que cette volonté de travail mémoriel ne date pas seulement de la fin du XXème siècle, mais que le juvénile gouvernement cubain post-révolution l’entretenait déjà. Avec ce rassemblement de vétérans de la musique locale va donc naître le Buena Vista Social Club, une formation comptant à ses débuts ni plus ni moins de quinze musiciens. Son nom est tiré de celui d’une boîte de nuit mythique d’Havana disparue après la révolution. On peut d’ailleurs préciser que cette même naissance fût le résultat d’une heureuse sérendipité. Le projet était initialement de mélanger musiques maliennes et cubaines au sein d’une même production. Une idée rendue impossible par un problème de visa empêchant les musiciens africains Bassekou Kouyaté et Djelimady Tounkara de se rendre en terres cubaines.
En l’espace de six jours, les quinze membres du groupe vont enregistrer leur premier album éponyme. Ce dernier reprend des morceaux importants de l’histoire de la musique cubaine, tombés dans l’oubli depuis la révolution, joués par des musiciens tout autant oubliés si ce n’est plus. Quatorze titres seront finalement retenus et composeront ce qui va participer à la reconstitution fidèle et magistrale de la mémoire musicale cubaine pré-révolutionnaire. La première chose qui nous frappe en lançant Buena Vista Social Club et son côté vivant et son aspect très naturel. Comme le précise Ry Cooder dans une interview, tous les titres ont été enregistrés en live, en une seule prise son, en laissant se diffuser les idées :
« Vous seriez surpris du nombre de chansons enregistrées, une trentaine au total. On a retenu celles qu’on jugeait les plus intéressantes, mais en y regardant de plus près, celles mises de côté sont bonnes aussi et pourraient former un autre disque. Dès que quelqu’un proposait une idée, on laissait tourner les bandes ».
Ceci est évidemment pensé dans un soucis d’ambiance, d’atmosphère, mais cela est également dû à l’identité même de ces musiciens. La musique cubaine se caractérise par un ton très jovial, propice à la danse et une capacité frappante à envouter quiconque y penche son oreille. Cette caractéristique précise tire sa paternité de son intime affiliation avec la musique africaine, reconnue et vantée pour son travail perpétuel sur la question du rythme et de l’organisme de la musique, naissant notamment de l’improvisation et de sa spontanéité. Ce lien avec la danse est si tangible qu’on retrouve un mouvement cubain, la Son (autrement appelé Salsa) qui définit à la fois un genre musical, mais aussi une danse à part entière. On peut dire que cette méthode d’écriture et d’enregistrement entre en adéquation avec cette volonté de retrouver une forme contemporaine de la musique qui se diffusait à Cuba avant 1959. Un art spontané, éminemment vivant, pouvant être joué partout, même dans la rue et qui célèbre la vie et sa jouissance.
Pour continuer sur cette question d’authenticité, les quatorze morceaux de cet album éponyme sont uniquement chantés en espagnol, langue officielle de l’île de Cuba. C’est d’ailleurs un des facteurs, outre l’aisance de l’interprétation musicale, qui a facilité la confection de cet album et a permis sa rapidité. Tous les membres du Buena Vista Social Club parlant espagnol, les idées pouvaient se transmettre de manière plus efficace et surtout plus fidèle. Ce facteur participe dès lors au sentiment d’unicité et d’effervescence naturelle traversant tout le disque. La pertinence et la justesse de l’incorporation du collectif dégage une impression de déjà vu, comme si ces musiciens jouaient ensemble depuis des années, ce qui n’est évidemment pas le cas.
Cette notion d’authenticité se retrouve également avec la photo qui donnera lieu à la pochette de l’album. Cette dernière saisit tout à fait ce que représente Cuba et tout son patrimoine culturel. On y retrouve des tons chauds et des couleurs vives. On y aperçoit un homme marchant dans une rue qui semble vivante, dans laquelle circule la population locale. Ce même homme porte des vêtements associés au style traditionnel de Cuba, avec notamment une chemise simple, une casquette, tout en tenant une cigarette entre ses deux lèvres. Sur la gauche de cette même photo, on peut retrouver de vieilles voitures américaines, autre instrument du folklore très codifié de Cuba.
De toute cette démarche en résulte un succès commercial international. Depuis la sortie de ce premier disque en septembre 1997, neuf millions d’exemplaires de Buena Vista Social Club se sont écoulés partout dans le monde. En plus de ces chiffres conséquents, on peut également citer le succès d’estime aboutissant sur la victoire de deux Grammy Awards, celui du meilleur album traditionnel de musique tropicale et latine ainsi que celui du meilleur album Tropical/Salsa de l’année 1998. Cette réussite peut être perçue comme étant d’une certaine ironie. Quand on prend en compte l’écrasante culture américaine et sa capacité de domination, voir un album de musique populaire cubaine pré-révolutionnaire conquérir le monde entier et s’inviter à une cérémonie américaine comme les Grammy Awards a l’allure d’un grain de sable dans un rouage.
L’instrumentation de Buena Vista Social Club s’éloigne de toute forme de production au sens contemporain du terme. Nous sommes déjà, en 1997, à l’ère des musiques amplifiées qui mettent de moins en moins en avant les musiques acoustiques. Alors qu’au même moment, Radiohead, les Daft Punk, The Prodigy ou encore Björk déjouent les limites de leur support avec une musique toujours plus numérique et électrique, les quinze musiciens de Cuba vont à contre sens. De par la nature du projet, le groupe n’utilise aucune forme d’instrument électronique. Toutes les guitares sont acoustiques, on retrouve une contre-basse, un piano, des cuivres ainsi que diverses percussions. Ce contre-courant total rend d’autant plus surprenant et imprévisible l’immense succès critique qui va suivre l’album.
Ce qui démarque l’album des autres sorties est bien évidemment la recherche d’authenticité et de retrouver une signature sonore traditionnelle. Ici, la question n’est pas de faire évoluer un média et d’amener la mutation d’une coutume ou de l’imbriquer dans une tendance. En aucun cas Buena Vista Social Club tente d’inclure la musique traditionnelle cubaine dans son époque en rajoutant des éléments extérieurs. L’objectif avec ce disque est de simplement restituer une mémoire datée d’une certaine période, avec ses codes et méthodes propres. Ce premier album est un pur produit de mémoire musicale et culturelle. La production et les choix de sonorisation vont dans cette direction. Ry Cooder a fait le choix d’une mise en son brute et très organique, adoptant alors une démarche très « vieux jeu » collant parfaitement à la volonté du groupe. Ce ton est cependant mis en valeur par les moyens techniques modernes d’enregistrement et de mixage.
Outre cette mémoire musicale, on retrouve également une volonté de rendre cette mémoire visuelle. C’est ainsi que Wim Wenders entreprit la réalisation d’un documentaire prenant place à Cuba et suivant le groupe pour en dresser un portrait. Projeté pour la première fois en 1999, le film emmène donc une équipe de tournage réduite suivre l’entièreté du processus créatif de la création d’un autre album que Buena Vista Social Club. Ce disque est celui qu’Ibrahim Ferrer va créer suite au succès de son précédent projet, toujours produit par Ry Cooder. Ce processus de reportage a permis la naissance d’entretiens entre le réalisateur allemand et les protagonistes du projet. C’est ainsi que des discussions filmées vont voir le jour et vont donc consolider cette idée d’une véritable remémoration de la culture cubaine pré-révolutionnaire.
La première remarque importante que l’on peut mettre en avant est que ce documentaire n’est pas en réalité exactement une trace mémorielle de l’album Buena Vista Social Club. Même s’il porte le même nom, la perspective qu’il englobe est bien plus large. Tout d’abord, le tournage prit place plusieurs mois après la parution du dit album. Ici, le film de Wim Wenders capture et immortalise toute l’effervescence de ce récent succès. Il capte bien plus une mouvance et la tendance nostalgique d’un groupe social qui s’est répandue partout dans le monde, et qui en prime, plaît. Dans un sens, cela touche donc à la mémoire de la musique latine au sens large du terme.
En effet, le documentaire traite tout de même de ce marqueur mémoriel qu’est l’identité cubaine, étant ici tout particulièrement musicale, régnant avant la révolution castriste de 1959. En un sens, c’est là que réside tout le charme et l’attachement que l’on peut tirer d’une telle œuvre. En œuvrant ainsi, Wim Wenders, et plus largement le Buena Vista Social Club, se placent dans ce que l’on pourrait grossièrement appeler une capsule. En écoutant l’album ou en regardant le documentaire, un voyage dans le temps s’opère. On y découvre une période éteinte, aujourd’hui objectivement terminée, mais qui pourtant, dans les modes de vie et manières de vivre de certains, reste encore vivante et bien active. C’est en ce sens qu’un romantisme doux et charmeur confère au projet cubain une attractivité qui rend hommage à la mémoire cubaine pré-révolutionnaire traditionnelle.
Ce côté traditionnel ne représente cependant pas la globalité du travail de conservation mémorielle effectué autour de la Musique Latine. Effectivement, pour qu’elle continue à vivre et à persister, une mémoire se doit d’évoluer, de continuer à exister en s’adaptant à des codes socio-économiques et culturelles en constant mouvement. Des artistes, souvent issus des jeunes générations, font muter cette identité culturelle encore aujourd’hui. Une mutation qui d’ailleurs, génére énormément de succès, tant bien commercial que critique.
Cette question de la modernité et de la nécessité de faire évoluer des codes traditionnels se heurte à une problématique majeure : Comment ne pas la pervertir ? La difficulté d’une telle tâche est de réussir à faire évoluer cette mémoire culturelle, l’adapter aux codes sociaux en rigueur, mais sans la pervertir et la dénaturer. L’un des aspects majeurs de cette nuance épineuse réside dans la linguistique de ces artistes. La question étant la suivante : Est-ce encore viable aujourd’hui de chanter en espagnol ? Est-ce qu’un artiste, pour le bien du développement de sa carrière et de la largeur du public qu’il souhaite toucher, doit laisser tomber sa langue d’origine, ici l’espagnol, au profit de la langue globalisante qu’est l’anglais ?

ROSALÍA ET LA MÉMOIRE LATINE MUTANTE
À vrai dire, c’est une question dont aucune réponse ne fait clairement l’unanimité. Aussi propre et personnel ce choix soit-il, il a pour ainsi dire un impact prédominant sur la conservation culturelle de la musique latine. Comme exemple d’artiste ayant pris le parti de chanter uniquement, ou du moins en immense majorité en espagnol, on peut prendre le cas de l’autrice-compositrice et interprète catalane Rosalía.
Si l’on cherche à décrire l’artiste, on peut tout d’abord dire que c’est une universitaire accomplie. Rosalía Vila Tobella, de son nom complet, est diplômée de l’École Supérieure de Musique de Catalogne. Cette dernière a étudié les habitus de la musique espagnole et plus largement latine. À vrai dire, même avant la fin de ses études, elle développa une expérience et un sens déjà très aiguisé, habile et mature. Avec le Flamenco en guise de cheval de bataille, Rosalía a démontré dès le début de sa carrière un fort intérêt pour la culture espagnole. Dès 2013, elle commence à prendre part professionnellement à la scène musicale ibérique et va enchaîner ses travaux jusqu’à la fin de ses études et l’avénement de sa carrière.
Si l’on procède à l’analyse du premier album de l’artiste catalane, Los Ángeles, par le prisme de la question de l’évolution culturelle, ce dernier n’est pas forcément intéressant ni marquant. Les douze pistes composant le disque ne constituent qu’une collection de morceaux de Flamenco dans la plus grande tradition du genre. Une guitare classique au rythme et jeu percussif et une voix féminine. Si l’on veut tirer une remarque notable de ce projet, on retiendra l’impressionnante tessiture et la maitrise vocale de la chanteuse. En occupant le rôle de cantaora, cette dernière démontre une versatilité et un contrôle poignant. Cependant, de ses propres mots, le projet prend la forme d’un hommage pur et simple :
« J’ai l’impression qu’avec Los Ángeles, j’ai voulu bâtir mon héritage musical… et honorer le son classique du Flamenco dans le sens le plus traditionnel du terme, le respecter au maximum ».
L’album contient des reprises de morceaux devenus des exemples du genre, comme le très beau titre d’Enrique Morente : Aunque era de noche. Ce dernier se concentre sur la thématique de la mort et prend la forme d’un album concept. Une constante dans la carrière de l’artiste.
C’est à partir du deuxième album de Rosalía, El Mal Querer, que la question de la mutation culturelle latine commence à prendre un sens plus concret. Premièrement, il s’agit d’un album concept qui adapte une œuvre littéraire. Ce dernier est inspiré du roman Flamenca écrit au quinzième siècle écrit par le troubadour Daude de Pradas, traitant d’une histoire d’amour passionnée et passionnelle, mais aux enjeux et caractéristiques malsaines et toxiques. Narrativement parlant, on observe déjà donc une idée claire et forte : celle de prendre un récit traditionnel dans l’histoire de la littérature espagnole et de l’adapter dans un contexte moderne. Musicalement l’album se démarque aussi. Comme le premier album de la catalane, le Flamenco et tout folklore qui l’entoure sont au centre de la réflexion artistique. Mais cette dernière prend une forme différente. Ici il se mélange à des sonorités bien plus modernes et contemporaines tels que le Hip-Hop, la Pop et le R&B.
Si l’on prend comme exemple la deuxième piste de l’album, QUE NO SALGA LA LUNA, on ressent clairement tout l’héritage évoqué auparavant. On se retrouve ici face à un Flamenco hybride, adoptant la guitare cogneuse et les percussions typiques du genre, mêlées à des méthodes de production et des codes musicaux modernes. Cette hybridation culturelle entre l’Espagne et son folklore et la musique moderne marquée par la globalisation culturelle relève d’une démarche purement post-moderniste. L’idée est de mélanger deux recettes qui ont chacune marquées leur époque, les mélanger pour donner naissance à une nouvelle codification musicale distincte. Cela est particulièrement par les différentes références étant faites à la culture espagnole tout au long du projet. La plus notable étant celle La Niña de Los Peines au sein du morceau Que Nos Salga La Luna.
Au-delà de rendre hommage au folklore espagnol et à la grande tradition du Flamenco, Rosalía fait muter les codes et les habitus du genre pour les rendre actuels et contemporains. Le motif symptomatique de cette démarche étant la fusion mélodique et rythmique qu’elle effectue. El Mal Querer incorpore habilement durant tout son long les mains percussives traditionnelles du Flamenco. C’est un marqueur rythmique et percussif très spontané qui renvoie au caractère populaire et vivant du genre. Cela est mélangé avec des claviers modulaires et analogique très reliés à la musique populaire actuelle. Dans cette idée de suivre la marche post-moderniste, la chanteuse emprunte d’autres motifs à la musique américaine. On peut notamment la voir insérer une interpolation dans le septième chapitre de l’album, BAGDAD. Elle y empreinte la ligne mélodique du refrain du célèbre morceau Cry Me A River, écrit par Justin Timberlake et paru en 2002. On peut également la voir faire autrement référence à la musique populaire des années 2000, en citant par exemple les Destiny’s Child et leur tube Say My Name dans le morceau DI MI NOMBRE.
Outre son aspect fusionnel et intrinsèquement contemporain, l’originaire de Sant Cugat del Vallès déploie une voix impressionnante de versatilité et de contrôle. Le registre vocal reste le même que l’on peut entendre sur Los Ángeles, tout en finesse et avec un ton très subtile et angélique. En ce sens, on ressent la prépondérance évidente d’une influence du Flamenco avec sa précellence concernant les grandes envolées lyriques. En plus de cette maitrise tout bonnement impressionnante, Rosalía déploie une écriture d’une grande poésie et démontre une réelle sensibilité littéraire palpable que l’on pouvait déjà apercevoir de par ses références. On peut prendre comme exemple les dernières paroles de l’album, écrites avec une grande finesse et une plume d’une sensibilité et vulnérabilité certaine :
« Voy a tatuarme en la piel,
Tu inicial porque e’ la mía,
Pa’ acordame para siempre,
Y recordalo to’a la vi’a,
De lo que me hiciste un día ».
En arborant une identité musicale proche de la tradition espagnole, Rosalía adopte une structure et un cheminement mélodique et structurelle basée sur les codes de la Pop contemporaine. La catalane réussi ici un grand écart périlleux, jouant alors entre deux extrêmes. Toute la force et le brio de ce second album est de parvenir à référencer des artistes contemporains américains, s’imbriquer dans une mouvance bien plus commerciale et globalisante, sans pour autant tourner le dos à une identité forte. Avec El Mal Querer, l’artiste affirme une capacité de pouvoir jouer entre ces deux mondes. Un jeu qui va lui permettre de s’exporter outre les frontières espagnoles et de faire circuler un art qui va prendre une dimension importante.
Cette nouvelle reconnaissance, la chanteuse va la mettre à profit et prolonger sa démarche. Le 18 mars 2022, la catalane rendit public l’un des albums prenant la figure de l’un des tremblements de terre de cette même année. MOTOMAMI, c’est le nom du troisième album studio de Rosalía. Le titre d’introduction, SAOKO, pose des bases solides et démontre la continuité découlant d’El Mal Querer. Porté par un piano au son saturé, le morceau se base sur la rythmique Reggaeton et voit l’artiste œuvrer à mi-chemin entre le chant et le rap. On peut interpréter ce placement comme une volonté toujours plus présente de s’imbriquer dans un ton fondamentalement hybride. C’est d’ailleurs une direction que les paroles de cette introduction semblent confirmer. Ces dernières prenant l’allure d’une ode à la transformation et à la mutation. Le titre fait par ailleurs référence à un tube Reggaeton de Daddy Yankee, paru en 2004. Au sein de ce dernier, Rosalía met des noms sur cette mutation, citant notamment le mannequin Kim Kardashian ou encore le Cheval de Troie.
C’est ainsi que l’on peut entendre l’une des voix anglo-saxonnes actuelles les plus connues du globe : The Weeknd. Le canadien est présent sur le titre LA FAMA, premier single de promotion de ce troisième album. On remarque cependant un symptôme fort des différentes collaborations entre des artistes non-hispaniques et la catalane : ces derniers ne chantent jamais en anglais. Beaucoup de noms très réputés ont pu au fil des années s’associer avec la chanteuse comme Travis Scott ou encore Billie Eilish. Cependant, Rosalía y pose constamment un point d’ordre à conserver un chant en espagnol, même de la part de ces mêmes invités. Pour rester sur le cas du titre LA FAMA, on y retrouve l’influence prépondérante de la musique latine, avec des rythmes très brûlants et une percussion acoustique. Cette omniprésence d’éléments mélodiques et rythmiques latins et espagnols se fait ressentir à travers tout le disque. On notera particulièrement les envolées lyriques enjouées et braves de DELIRIO DE GRANDEZA empruntant au catalogue du Flamenco. Ce n’est d’ailleurs pas le seul morceau se remémorant les premiers amours de l’artiste, le doux BULERÍAS en est un autre exemple.
Cela-dit, le catalogue culturel et référentiel de l’artiste, à l’instar de ses précédents projets, ne se limite pas seulement à l’Espagne et aux pays hispanophones. De nombreux emprunts à différentes cultures sont faites ici et là, de manière discrète et surtout cohérente. On remarque dès lors l’incorporation de quelques rares mots d’anglais, dans des morceaux tels que CHICKEN TERIYAKI, renvoyant également à la culture gastronomique indienne, ou encore CUUUUuuuuuute. Au sein de ce dernier, on entend même, dans son préambule, la catalane compter en anglais. On observe notamment une autre référence évidente à la culture européenne et plus particulièrement à la mode, avec le titre COMBI VERSACE, renvoyant directement à la marque de luxe italienne. Cependant, Rosalía ne se cantonne pas qu’aux continent européens et américains, avec particulièrement l’insertion du Jazz dans le pont du morceau introducteur du disque, SAOKO. C’est ainsi que la culture japonaise s’infiltre dans MOTOMAMI à travers le morceau HENTAI. Ce dernier correspond à un type de cinéma pornographique animé originaire du Japon. Cette dernière déclarera au propos de ce choix de titre :
« Je l’ai choisi parce que c’est une sensualité, ou une sexualité aussi. Souvent pour moi, ce qui n’est pas explicite est beaucoup plus intéressant et le hentai, rien que par le fait d’être dessiné, me semble très sensuel et très beau ».
Ces emprunts directs à différentes cultures, dont la chanteuse ne fait bien sûr pas partie, représentent cependant un terrain sur lequel il est difficile de naviguer. C’est ainsi que, notamment suite à l’utilisation d’expressions sud-américaines et afro-caribéennes, Rosalía sera accusée par certains membres de ces mêmes communautés d’appropriation culturelle. Cela pose alors la question de la pertinence de l’utilisation de ces dernières. En vérité, outre la volonté de créer une hybridation culturelle et musicale forte, cette notion d’emprunt culturel est utilisée à des fins également engagées. On peut par exemple noter la volonté de la chanteuse de s’engager au sein des causes féministes, en quête d’égalité entre hommes et femmes :
« Je veux pouvoir me mouvoir de manière libre avec mon corps, aussi librement que les garçons dans la culture hip-hop. Ils peuvent avoir l’air agressifs, guerriers, personne ne le leur reprochera. J’essaierai toujours de me présenter comme une femme avec du pouvoir. Parce que ça compte plus que tout. Dans le flamenco, les femmes chantent de manière primale, animale. Et tout le monde se fiche du fait que tu sois jeune ou vieille, laide ou belle. Tout ce qui compte, c’est de savoir si tu as une vérité en toi et si tu es capable de la communiquer. Juana la del Pipa ou La Paquera de Jerez, ce sont des gangsters. Leur énergie n’a pas de sexe ».
Cette direction, ce parti-pris se veut comme une prise de position. Ainsi, Rosalía se pose comme un relai de la parole et du mouvement féministe. Cette dernière se sert notamment de sa musique comme un vecteur de tous ces messages concernant la condition de la femme dans notre société actuelle. Elle-même le reconnaît à mots entiers et cible particulièrement l’industrie musicale via ses propos : « Je veux être leadeuse et envoyer un message aux jeunes filles, leur montrer que cette industrie n’appartient pas qu’aux hommes ».
En ce sens, on peut dès lors mettre en avant la volonté d’imposer une réelle universalité inhérente aux propos tenues par Rosalía. Ce désir mène à une apparition d’une expérimentation forte et osée au sein de MOTOMAMI. Le disque se base précisément sur des marqueurs rythmiques inhérents au Reggaeton, tout en conservant les influences expressément espagnoles. C’est ainsi que la chanteuse insère des éléments d’expérimentation dans ce troisième album. On remarque des traitements de voix osés comme sur les morceaux DIABO et COMO UN G et la modification de la voix de la chanteuse. Cette tentative de recherche est également marquée par les différents changements d’ambiance présents dans ce troisième album.
Tous ces essais poussent l’artiste catalane vers un Reggaeton Alternatif, s’éloignant des carcans originels du genre. MOTOMAMI pousse et étire les frontières de la musique latine. En se référant à d’autres identités culturelles et musicales, ou en cherchant à faire muter un matériel de base. Comme la chanteuse en fait l’apologie sur le titre SAOKO, cette dernière transforme, n’a pas peur de fusionner des identités contraires et d’hybrider des références éloignées. C’est en ce sens que Rosalía, en plus de la propagation de la langue espagnole à travers sa musique, participe à la résistance de cette mémoire musicale espagnole et latine. C’est précisément cette fusion qui la fait perdurer et qui en fait un concurrent direct de celle globalisante, à savoir la musique américaine. Mais du fait de l’immigration prenant place entre les deux moitiés du continent, certaines hybridations se forment menant à une identité culturelle pluriforme et mixte. C’est notamment le cas de Kali Uchis.

kALI UCHIS ET L’AMBIGÜITÉ LINGUISTIQUE DE LA MUSIQUE LATINE MODERNE
Née en Colombie et élevée aux États-Unis, l’artiste entretient un lien différent à ce rapport de domination tant bien culturelle que purement social. Au contraire de Rosalía qui prend le parti de respecter une direction résolument inscrite dans la tradition espagnole, la colombiano-américaine met en avant une cohabitation plus ambigüe. Cette dernière module les langues dans lesquelles elle chante de manière régulière. Entre Anglais et Espagnol, elle se prête même parfois au jeu de mélanger les deux. C’est notamment le cas sur le titre Body Language sur son premier album studio Isolation. Ce chant anglophone permet notamment une viabilité commerciale forte, s’exportant plus facilement à l’international.
C’est un fait que l’on observe particulièrement sur toutes les collaborations entreprises par Kali Uchis. En dehors de ces propres projets, la colombienne est présente sur de nombreux travaux d’autres musiciens et producteurs. On peut spécifiquement citer le titre See You Again, sur l’album de 2017 de Tyler, the Creator : Flower Boy. Ceci l’emmenant même jusqu’à la nomination et victoire aux prestigieuses cérémonies des Grammy Awards. Cette récompense concernant nommément le single 10% réalisé dans le cadre du disque BUBBA de Kaytranada sorti en 2019. Ces associations prenant tout de même majoritairement place dans le cadre du genre de Kali Uchis, à savoir le R&B. C’est dans ce sens que l’on constante de nombreuses associations avec des artistes comme Daniel Caesar et Omar Apollo.
Paradoxalement, la chanteuse parvient également à toucher le haut des classements avec ses travaux en espagnol. On notera particulièrement le single telepatía qui a atteint la première place des Billboard latins. Le titre, tiré de son album de 2020 Sin Miedo (del Amor y Otros Demonios) comptabilise aujourd’hui plus d’un millard d’écoutes sur Spotify. On remarque alors une certaine cission en deux dans la carrière de la Kali Uchis. Cette dernière se sert de celle-là pour étendre son réseau de contacts, quelque chose que l’on remarque en observant les tracklists de ces premiers objets. Prenons l’exemple de son premier album solo, Isolation. On remarque certes une majorité d’invités anglophones. Parmi ceux-ci figurent des noms importants de l’industrie contemporaine comme Snoop Dogg, Tyler, the Creator ou encore Boosty Collins et Steve Lacy. Le seul représentant de la musique latine étant Reykon, membre actif de la scène Reggaeton colombienne sur le morceau Nuestro Planeta.
On remarque alors tout de même des titres aux paroles exclusivement en espagnol, mettant en avant l’une de ses deux langues natales. Toute la mixité et la richesse de la carrière de l’artiste prend son sens lorsque cette dernière sortit en 2020 son deuxième album, entièrement en espagnol. Sin Miedo (del Amor y Otros Demonios) présente treize morceaux mettant intégralement de côté l’anglais. C’est précisément dans ce sens que la carrière de la colombienne prend un virage résolument multiculturel. C’est d’ailleurs une entreprise qu’elle a reproduit entre 2023 et 2024. Cette dernière a annoncé deux projets sur lesquels elle travaillait conjointement. Le premier, Red Moon in Venus, est sorti en mars 2023 et comporte une majorité de chant en anglais. On retrouve cependant, outre les quelques mots hispanophone dissimulés partiellement, deux morceaux aux titres en espagnol, Como Te Quiero Yo et Hasta Cuando.
Le deuxième chapitre de ces travaux, Orquídeas sorti lui le 12 janvier 2024 et comprendra uniquement des titres chantés en espagnol. On remarque alors un cycle qui se créé, mettant en place une certaine rotation concernant la représentation linguistique. Si l’on cherche à établir une comparaison avec Rosalía, on peut aisément dire que les deux démarches sont diamétralement opposées. Tandis que la catalane œuvre pour conserver l’unique présence de la langue espagnole dans son répertoire, Kali Uchis elle, préfère une ambivalence s’expliquant par son vécu, marqué par l’immigration de la Colombie vers les États-Unis. Sa double culture est omniprésente dans son travail. L’artiste déclare à ce propos :
« Je pense que c’est à la fois une bénédiction et une malédiction pour moi. Ça va dans les deux sens, mais je ne voudrais pas qu’il en soit autrement ».
À l’instar de Rosalía, Kali Uchis est parvenue à accomplir un tour de force à travers son art. Avec des débuts exclusivement chantés en anglais, l’originaire de Perreira a réussi à imposer le chant hispanophone à un auditoire anglophone. Cette dernière devenant même une figure officielle prônant la diversité et l’influence de la culture latine dans le monde. Comme elle le précise en interview, ce choix de mettre en avant la langue espagnole fût dans un premier temps décrié, constituant une décision que beaucoup interprétaient comme une prise de risque :
« C’est un rêve qui devient réalité, parce que je fais de la musique depuis longtemps, et beaucoup de gens m’ont dit qu’un album en espagnol serait comme faire marche arrière dans ma carrière ».
Malgré un chant partiellement en anglais, Kali Uchis parvient à faire prospérer une culture latine qui grâce aux nouvelles générations devient de plus en plus importante et influente. Les exemples des importants succès commerciaux que furent Sin Miedo (del Amor y Otros Demonios) et Red Moon in Venus illustrent cette importance que prend cette épistémé. Les nombreuses certifications obtenues par des artistes de musique latine vont dans ce sens et prouvent une familiarisation du grand public avec cette même musique. Le record de l’album le plus écouté de l’histoire de la plateforme Spotify appartient même à un artiste porto ricain. C’est le producteur, chanteur et rappeur d’Almirante Sur : Bad Bunny qui a battu ce record avec son album de 2022 Un Verano Sin Ti. Cela matérialise une domination statistique sans précédent prenant place depuis 2020. Ceci étant entre 2020 et 2022 l’artiste le plus écouté sur la plateforme. En ce sens, nous allons effectuer une étude de cas des deux derniers albums du portoricain, Un Verano Sin Ti et nadie sabe lo que va a pasar mañana. Ceci ayant comme objectif de marquer les particularités qui ont permis à l’artiste d’atteindre un tel stade de popularité.

ÉTUDE DE CAS : BAD BUNNY ET L’EXPLOSION DE LA MUSIQUE LATINE
Si l’on cherche à établir une comparaison entre les autres artistes que nous avons étudié précédemment, on pourrait dire que Bad Bunny en constitue une sorte de synthèse. La première grande particularité des travaux du portoricain étant son choix linguistique fort. Ce dernier, à l’instar de Rosalía avec qui il a déjà collaboré sur le titre La Noche de Anoche, ne considère qu’un chant en espagnol. Malgré le lien étroit résidant entre Porto Rico et les États-Unis, l’artiste résiste à ce choix aux velléités globalisantes pour préférer sa langue natale. Cette décision se répercute également sur les invités présents sur ses différents projets. Tout d’abord, en leur sein sont présents une majorité de travaux collaboratifs réalisés avec des représentants de la musique latine. En guise d’exemple, on peut bien sûr citer Rosalía évoquée précédemment, mais également l’une des nouvelles têtes d’affiche du Reggaeton : Chenco Corleone sur Me Porto Bonito ou encore son compatriote portoricain Jhayco, réelle figure montante locale.
Cependant, Bad Bunny se démarque musicalement. On remarque une certaine occidentalisation latente dans les disques les plus récents de l’artiste. C’est notamment par l’omniprésence des identités sonores Rap et Trap que l’influence américaine se présente. Cette dernière arrivant à son pinacle lorsque le rappeur Drake, véritable roi des plateformes de streaming dans le genre, faisait son apparition sur le titre de clôture de X100 PRE : Mia. Il est intéressant de préciser que sur ce dernier, la canadien s’adapte à son hôte. C’est ainsi que Drake y chante en espagnol, rappelant alors le schéma que nous avons étudié précédemment avec Rosalía. Les deux derniers albums du portoricain, Un Verano Sin Ti et nadie sabe lo que va a pasar mañana sont des exemples même d’hybridation. Les sonorités latines omniprésentes venant se mélanger à des références américaines aujourd’hui connues du grand public.
Dans le cas de Un Verano Sin Ti, le disque a été en partie écrit et produit en République dominicaine. Une partie de cette identité s’est alors mêlée avec le son résolument portoricain de Bad Bunny. La meilleure illustration étant le titre Después de la Playa. Ce dernier s’ouvre sur une ambiance atmosphérique portée par des claviers nuageux et doux. Ce son est caractéristique de la Dream Pop et de la Synth Pop qui sont tous deux des mouvements résolument américanisants et globalisants. S’en suit un changement complet d’ambiance avec l’entrée revigorante du Mambo du groupe de rue dominicain Dahian el Apechao. Au sein de ce même morceau cohabitent alors les identités latines et américaines et se confrontent. Ces modulations harmoniques et rythmiques sont monnaie-courante au sein du quatrième album de l’artiste. En plus d’œuvrer comme un élément fluidificateur, permettant des balancements et contre-balancements de thèmes mélodiques, ce dernier prend la forme d’un facteur d’hybridation.
Cependant, un morceau s’insère dans une démarche de mélange mais prend également le parti d’établir un message mettant en avant la souveraineté de Porto Rico. El Apagón dresse le portrait d’un peuple et d’une culture portoricaine indépendante et forte. Le titre fait écho aux conséquences de l’ouragan Maria qui a laissé l’île dans un état dégradé avec particulièrement des lignes électriques instables. C’est en juin 2021 que la société privée américo-canadienne LUMA Energy a pris le contrôle de la gestion électrique locale dans le but de l’améliorer. Une opération résultant sur un échec et de vives critiques. Les coupures touchant une grande majorité des 1.5 millions de portoricains ayant accès à l’électricité. Selon le New York Times, ce n’est pas moins de 1.4 millions d’habitants locaux qui furent touchés par les importantes pannes, avec particulièrement 200.000 d’entre-eux ayant subi une coupure prolongée. C’est cela qui pousse Bad Bunny à émettre un tel message. Dans le refrain du même morceau, on l’entend dire : « Puerto Rico está bien cabrón ». Cela sonne comme une volonté d’indépendance de la part de cette puissance économique extérieure.
Commençant sur un style purement latin, notamment dans le reggaeton dont Bad Bunny est la tête de proue, la piste finit par moduler son ambiance pour construire un pont tout du moins surprenant. C’est bien le son d’une Rave Party qui est utilisé faire changer le morceau de dimension et lui donner un ton résolument international. Malgré son patriotisme et son attachement pour Porto Rico, l’artiste tire ici profit de toutes les influences auxquelles ce dernier est sensible. Ceci lui permettant notamment de parvenir à toucher un public bien plus large. Dans ce cas précis, c’est donc également le message que porte El Apagón qui prend une toute autre importance et qui se voit dépasser les frontières portoricaines. Cet engagement envers son pays n’étant par ailleurs pas quelque chose de nouveau, agissant alors en prolongement des actions passées du chanteur et rappeur. Comme auparavant, Bad Bunny ne rejette pas la culture américaine et son art, mais son idéalisme et son interventionnisme.
Mais ce mélange ne s’opère pas seulement avec la culture américaine ou avec les mouvements musicaux contemporains comme les Rave Parties. On observe également l’artiste porto ricain tirer des influences d’autres sonorités provenant aussi de la partie Sud du continent américain. C’est ainsi que ce dernier va particulièrement emprunter au genre de la Bossa Nova dans l’écriture de la ballade Yo No Soy Celoso aux accents doux et ensoleillés. On voit alors que la musicalité dont fait preuve Bad Bunny s’étend et ne se restreint pas uniquement aux côtes porto racine et à la puissance étasunienne. Ce dernier puise d’ailleurs également certaines références des textes bibliques. C’est le cas pour la première phrase du premier couplet qui renvoie au verset 8:7 de la Bible. Toute cette volonté revendicatrice de Porto Rico passant par ailleurs par le portrait d’une journée estivale typique. Avec son lot de fêtes, d’amours et de discussions, l’album créer alors une boucle inlassable se répétant tout le long de l’été.
nadie sabe lo que va a pasar mañana est lui beaucoup moins ambigüe quant à son orientation musicale. Ce dernier est notamment inspiré par la nouvelle vie que mène celui que l’on appelle Beníto, habitant désormais à Los Angeles. Cependant, l’artiste n’a en aucun cas coupé tout contact avec son Porto Rico natal, bien au contraire. Il l’affirme à travers le journal Rolling Stones :
« Porto Rico est ma maison, je ne me vois pas vieillir autre part que là-bas ».
Malgré cet amour toujours aussi fort et sincère, le natif de l’île passe le plus clair de son temps sur la côte californienne. Comme il le précise toujours dans la même interview avec Julyssa Lopez, son mode de vie a considérablement changé. Il est désormais en plein milieu du système plein de célébrités que représente l’endroit. Pendant l’entretien sont particulièrement évoqués ses liens d’amitié avec des artistes reconnus mondialement comme Beyoncé et Jay-Z, The Weeknd ou encore le modèle Kendall Jenner. Cette nouvelle vie a grandement influencé le dernier album en date de Bad Bunny, se composant d’une écrasante majorité de sonorités Rap et Trap. Malgré cela, ce dernier conserve toujours son immuable chant en espagnol et le soin apporté aux différentes collaborations présentes sur le disque. On y retrouve notamment de jeunes figures montantes du Reggaeton comme le brillant Young Miko ou encore Bryant Meyers.
Cette américanisation du style de Bad Bunny passe également par ce qui entoure et englobe sa musique. Les visuels accompagnant l’album se rapprochent par exemple d’un imaginaire que l’on peut rapprocher à l’Histoire américaine. On retrouve un mélange entre des visuels faisant référence à l’ère des cow-boys et de la grande conquête. La pochette de nadie sabe lo que va a pasar mañana représente un exemple concret de cette direction. Les différentes annonces vidéos empruntent elles à l’imagerie des films de gangster résolument rattachés à Hollywood et au Nouvel Hollywood de la fin du siècle dernier. De plus, Beníto a à l’occasion de cette nouvelle parution fait son apparition dans plusieurs talk-shows du nouveau continent comme le désormais légendaire Saturday Night Live ou encore le Tonight Show présenté par Jimmy Fallon.
Cette affiliation à Hollywood va si loin que l’on retrouve au sein du clip de MONACO, le premier single de l’album, la présence de la légende Al Pacino. Toute l’image que le clip empreinte tire son ADN de cette imaginaire très classieux et typique de ces films mettant en scène des gangsters de la pègre ainsi que leurs activités. Des longs-métrages dont certains des plus légendaires sont d’ailleurs marqué par la présence du comédien de 83 ans. Le morceau est à vrai dire une excellente représentation de ce que cet album tente d’échafauder. On retrouve un registre empruntant directement au folklore du Rap américain, à savoir l’egotrip. Les paroles de nadie sable lo que va a pasar mañana mettent en avant un certain statut, ce dernier apportant particulièrement une richesse prépondérante. Ce qui rapproche encore plus l’artiste des rappeurs américains adeptes de cette technique.
En somme, on peut décrire Bad Bunny comme le symbole le plus influent de la culture latine à travers le monde. Ce dernier a aujourd’hui sa pure fonction d’artiste et est devenu une figure de représentation majeure de la musique mais également des communautés latines partout dans le monde. Comme Beníto l’évoque dans sa dernière interview pour Rolling Stones, il est le premier à avoir vécu cette isolation latente propre à la communauté latine.
« J’ai ressenti le rejet de la part des États-Unis, à quelques endroits sans doute parce que je suis latino. Je me suis senti rejeté dans un monde dans lequel il y a beaucoup de personnes riches et tu peux avoir 100 millions de dollars en banque, à leurs yeux, tu restera inférieur parce que tu es latino ».
Malgré son exportation et sa réputation, l’affiliation de Bad Bunny à Porto Rico et à ses origines reste très forte. Comme ce dernier l’a déclaré au micro d’Apple Music : « Je fais de la musique depuis Porto Rico pour le reste du monde ». Son influence et son importance sont telles que des cours sont consacrés à ses travaux dans des universités américaines, se concentrant notamment sur sa résistance dans le spectre politique portoricain face aux États-Unis.
conclusion
La musique latine est aujourd’hui devenu un pan important de l’industrie du disque. De par des figures comme Rosalía, Kali Uchis, la mémoire traditionnelle de Buena Vista Social Club ou encore le mastodonte que représente Bad Bunny, la communauté a démontré une résistance féroce. Le principal vecteur de lutte contre la musique américaine globalisante est l’adaptation à cette dernière de la musique latine. Grâce à des albums comme MOTOMAMI, Un Verano Sin Ti ou encore Sin Miedo (del Amor y Otros Demonios), cette identité musicale opère une transition passant par une hybridation avec la musique américaine.
Cette évolution amène une fracture avec la mémoire traditionnelle que le Buena Vista Social Club mettait en avant en 1997. Les courants alternatifs sont en majorité la voie dans laquelle la musique latine s’est engouffrée pour muter et s’adapter à son temps. On peut également remarquer les changements dont s’est empreint le Reggaeton, le menant à une popularité planétaire. L’exemple d’artistes contemporains comme Chenco Corleone prouve à quel point la vision apportée au genre est dorénavant résolument internationale. Le fait qu’un artiste comme Bad Bunny soit la tête d’affiches de tournées à guichets fermés aux États-Unis démontre aisément l’importance que toute cette communauté a pris au fil des années.
Outre le plan musical, c’est bien la question linguistique qui prédomine. Comme nous l’avons vu, le choix de la langue dans ces œuvres est un facteur essentiel. C’est à travers ce dernier qu’une majeure partie de l’héritage de cette musique se transmet : la langue espagnole. On observe alors des artistes majeurs de cette génération comme Rosalía et Bad Bunny faire le choix fort de conserver un chant exclusivement hispanophone. Ceci permettant d’établir un vecteur d’exportation de cette même langue pour la faire perdurer dans une industrie musicale tendant de plus en plus à œuvrer dans la suprématie de la langue anglaise.
Comme l’a récemment dit Bad Bunny en interview, nombre de ces musiciens matérialisent premièrement pour eux, mais également pour ces communautés, leur culture et leur pays. La musique désigne dans le cas de la mémoire latine un outil de conservation mémoriel, mais également de résistance lui permettant de persister. Cette musique a toujours représenté un marché important à la situation géopolitique parfois complexe. Cependant, son problème majeur fût de réussir à s’exporter et dépasser ses frontières pour toucher le reste du monde. Aujourd’hui, cette dernière est parvenue à briser le plafond de verre la bloquant et constitue désormais une force importante. Cette évolution se remarque statistiquement. On observe notamment entre 2104 et 2023 une augmentation de presque 1000% des écoutes de musique latine par les utilisateurs de la plateforme Spotify.
C’est ainsi que l’on peut mettre en avant deux ponts essentiels de cette évolution et de cette résistance de la musique latine et donc de sa mémoire face à la globalisation américaine. Premièrement, la révolution constituée par le développement d’Internet, des réseaux sociaux ainsi que des plateformes de streaming comme Spotify a permis une évolution massive de la musique latine. Lorsque l’on observe le récapitulatif directement publié par les équipes de la plateforme sur leur site, cela est clair. Le genre est aujourd’hui l’un des plus importants à travers le monde. On peut par exemple mettre en lumière l’analyse des albums les plus écoutés sur l’ensemble de l’année 2023 sur cette même plateforme. Le disque Un Verano Sin Ti de Bad Bunny que nous avons observé précédemment occupe la première place de ce même classement. Nonobstant, d’autres artistes latins y figurent comme la chanteuse colombienne Karol G grâce à son album Mañana Será Bonito ou encore Peso Pluma avec son projet Génesis. Ces artistes sont également présents au sein du classement des dix artistes les plus écoutés sur toute l’année. Cependant un autre de leurs compères s’y place également en la personne de Feid, un artiste colombien qui a notamment collaboré avec Bad Bunny, Karol G, J Balvin ou encore Maluma.
L’autre composante prépondérante de cette évolution réside également dans l’adaptation que la musique latine a entrepris à travers les dernières années. C’est ainsi que des courants alternatifs dans les mondes du Flamenco et du Reggaeton ont fait leur apparition. Comme parents de ces mouvements peuvent être mis en avant Rosalía ou encore Bad Bunny qui ont pris le soin de mélanger leurs cultures et identités culturelles avec d’autres sources d’inspiration. Cette hybridation a également pris place sur le plan linguistique. De nos jours, beaucoup d’artistes latins ont pris le pli du chant en anglais.
C’est particulièrement le cas de musiciens et musiciennes comme Kali Uchis ou même Shakira qui ont décidé d’opter pour un chant anglophone afin de maximiser leur réussite. Cependant, un autre mouvement à part entière, le Reggaeton s’est vu devenir une mouvance extrêmement appréciée et écoutée à travers le monde entier. L’explosion d’artistes tels que Karol G, Chenco Corleone ou encore Feid prouve l’importance gagnée par ce même genre. En somme, de par ces nombreux mouvements et les expérimentations et mélanges que nous avons précédemment étudié, nous observons que la musique latine ne résiste plus seulement à la globalisation, elle en est devenue une concurrente prospère. La preuve étant les statistiques annuelles d’écoute qui démontrent une présence importante d’artistes latins dans les oreilles d’auditeurs du monde entier. C’est ainsi qu’outre le fait d’avoir survécu, la musique latine concurrence aujourd’hui la musique américaine, symbole de globalisation et du libéralisme, et en est devenu, au moins statistiquement, son égal.