Edith Nylon s’est reformé en 2019 avec un nouveau line up pour un album La fin de la vie sauvage. La bande de Mylène Khaski était invitée aux Francofolies et ils ont partagé la scène de la Salle Bleue avec un autre groupe légendaire des années 1980 reformé suite à la disparition brutale de son claviériste Spatsz : Kas Product Reload. Rencontre de deux générations évoquant l’intemporalité de leur musique, le revival des années 1980 et l’esprit punk en 2024.
La Face B : Bonjour les Edith Nylon, comment ça va ?
Edith Nylon (rires)
Mylène Khaski : Super bien. On aurait bien aimé sur la grande scène. On a joué il y a deux semaines à un festival qui s’appelle Retro C Trop et on avait une grande scène comme ça. C’était magnifique. On a joué après Patti Smith, c’était un peu difficile, mais bon… C’était cool.
LFB : Alors, on va revenir sur le fait que quand même, 40 ans, enfin, un peu plus de 40 ans…
Mylène Khaski : Quelques années, on va juste dire quelques années. (sourire)
LFB : Quelques dizaines d’années… Quelques années après le Palace, vous réinvestissez les espaces scéniques. Là, en l’occurrence, vous faites un passage dans les collections particulières et vous partagez la scène avec Kas Product. Comment ça se passe ? On se dit que c’est un retour en arrière ?
Mylène Khaski : Je ne dirais pas que c’est un retour en arrière, c’est un renouvellement.
Zaco Khaski : En fait, nous, quand on a commencé à arrêter, on avait toujours l’impression que l’on n’avait pas fini notre histoire. Et qu’un jour ou l’autre, il fallait la continuer. 40 ans après, elle nous appelle un jour. Elle a dit, tiens, j’aimerais bien reprendre, remonter sur scène, etc.
Mylène Khaski : Donc, on s’est reformé en 2019. Et depuis, malheureusement, on a eu le Covid qui nous a un petit peu ralentis… On en a profité pour composer et faire notre album. Donc, on a quand même travaillé. On a fait quelques concerts à Paris, des trucs avec Placebo. On a repris la scène, un nouvel album. L’envie d’en faire d’autres est là. Donc, on travaille sur d’autres trucs. Mais je dirais que c’est plutôt un renouvellement qu’un retour en arrière.
LFB : L’idée, là, c’est que vous parlez d’album. Il y en a qui parlent d’EP. Vous revenez avec un format court, entre guillemets, comment vous l’avez appréhendé, ce retour ? Donc, c’était vraiment… Il y a 40 ans, vous aviez l’album qui était sorti. Et là, cette année, en 2019, quand vous vous reformez… Non, non, mais c’est le deuxième !
Mylène Khaski : Ah non ! (rires) On en avait fait plus d’un, à l’époque.
Zaco Khaski : Oui, en fait, on en avait fait plusieurs. Dont un EP, d’ailleurs, qui est très joli, qui s’appelle 4 Essais Philosophiques. Quatre morceaux. C’est incroyable. On l’avait enregistré à Londres, dans des conditions extraordinaires de studio. Ensuite, on avait sorti un autre album, qui s’est appelé Johnny Johnny. C’était un très joli morceau. Et puis, il y a un autre, qui s’appelle Echo Bravo. Enfin, il y a eu pas mal de sorties. Et donc, celui-ci, c’est notre quatrième album, en fait. Celui que l’on a sorti, là, officiellement.
Mylène Khaski : Un, deux… Echo Bravo, oui, ça faisait trois. Plus un 4 Essais Philosophiques, plus un single.
Zaco Khaski : Non, mais 4 Essais Philosophiques, ce n’est pas vraiment un album. Ça fait 4 dans le même album. Mais oui, mais là où tu as raison, c’est qu’aujourd’hui, les gens sortent des EP. C’est vrai.
LFB : C’est moins prise de risque, c’est bon pour vous…
Mylène Khaski : Disons que la distribution a changé aussi. Donc, forcément, aujourd’hui, c’est extrêmement facile de sortir un titre, ou deux, ou quatre, vu que la distribution est digitale, sur les plateformes. Il y a beaucoup plus de libertés aujourd’hui. Je pense que les prochains, on en sortira peut-être deux. Il y a énormément de libertés maintenant. On peut sortir ce que l’on veut, quand on veut.
Zaco Khaski : En fait, on oscille entre un concept album de 24 titres et un EP de deux titres.
LFB : Là, vous êtes revenus notamment avec une reprise de Piaf. Pourquoi ce choix de reprendre Non, je ne regrette rien ? Il y avait un petit message derrière, quand même ?
Mylène Khaski : Le texte est totalement d’actualité. Pour nous, le texte est extrêmement moderne. « Je m’en fous du passé ». Pour nous, c’était une façon de dire qu’on va de l’avant. « Car ma vie aujourd’hui, ça commence avec toi ». Donc, oui, on reprend. Et comme ce sont ces années qui nous ont un peu interrompus, on les oublie un petit peu encore pour essayer de repasser, d’aller de l’avant. Bon, le rock français n’étant plus aussi populaire qu’il l’était, on pense qu’il y a quand même une place pour le rock français et que pour les jeunes générations, c’est quand même sympa pour eux, pour elles, de faire un peu le pont avec cette musique new wave ou ex punk, quand même.
Zaco Khaski : Chanté en français. Ça, c’est important pour nous.
Mylène Khaski : Et même au niveau des looks, on voit aujourd’hui dans la mode l’influence de ces années-là, de ces années 1980, qui existent toujours. Donc, on voit des jeunes… Moi, quand je vois des jeunes qui portent des Doc Martens et des shorts en cuir, c’est toute l’influence des années 1980.
LFB : J’allais justement vous demander, ces années 80, on parle d’un revival 80, et comment vous ressentez ça, en fait? Comme on ne parle pas de retour en arrière, tu refuses de parler de retour en arrière, mais c’est un pas en avant ou c’est juste parce que, pour vous, c’est cyclique et que l’on revient à ça naturellement ? C’est que par la force des choses, on revient aux bases.
Zaco Khaski : En fait, cette génération s’accapare une décennie. Nous, notre décennie de base, c’est les 70’s. Pour nos parents, c’est plutôt les 60’s, les 50’s. Je pense que pour les générations d’aujourd’hui, c’est les années 1980, ça va être les années 1990 bientôt. Enfin voilà, il y a des décennies comme ça que l’on redécouvre. Et aujourd’hui, c’est les années 1980, je pense. Mais je pense qu’il y a des choses qui vont rester. Franchement, dans les années 80, il y a eu des choses formidables et des choses vraiment pas terribles.
Le tri va se faire. Y compris pour moi, en France, encore une fois, les années 1980, quand les gens pensent à ça, ils pensent à Émile et Images et tous ces trucs-là. Bon, il y a eu plein d’autres choses. Il y a eu Taxi Girl, il y a eu nous, il y a eu Marquis de Sade… Téléphone… Enfin, il y a eu des tas de choses autres que cette variété-là. Donc j’espère que ça va rester, ça, voilà.
LFB : Et vous pensez que musicalement aujourd’hui, en tout cas le paysage de la nouvelle génération qui émerge et qui justement s’inspire énormément des années 1980, on en parle beaucoup et elle est invitée aux Francofolies, Zaho de Sagazan qui émerge. Pour vous, vous vous dites, elle a vraiment mangé de notre musique ou vous vous dites, ouais, en fait, on n’arrête pas de parler des années 80 juste parce qu’il y a des synthés probablement. Et qu’aujourd’hui, vous-même, vous avez pris un virage bien punk.
Mylène Khaski : Mais c’est bien ce qu’elle fait aussi. J’ai vu sa reprise de Modern Love de David Bowie, c’est bien, je veux dire, qu’elle s’inspire de ces années-là. Mais enfin, elle fait aussi sa mouture. C’est très bien. Je trouve ça cool.
LFB : Quel rapport que vous entretenez, vous, avec les Francofolies d’une façon générale ? Parce que vous êtes plus âgés que le festival, on va dire aussi jeunes que le festival. Et on vous invite comme ça pour la 40ème édition. Et j’ai trouvé ça assez surprenant. On vous invite donc avec Kas Product, donc ce n’est pas anodin non plus, les collections particulières, mais de se dire, tiens, on ne nous a pas sollicités avant.
Mylène Khaski : Franchement, on est tellement contents d’être là que l’on ne se pose pas vraiment la question et on ne se dit pas, ils auraient pu, ils auraient dû…
Zaco Khaski : Ça n’existait pas à l’époque mais… On avait fait le Printemps de Bourges, c’était juste très joli. Je pense que aussi, là, le fait que les programmateurs comme ceux des Francofolies, etc., ils regardent aussi la continuité. Ils ont vu que l’on a commencé en 2019 à nouveau et que ce n’est pas quelque chose de provisoire, que l’on a fait beaucoup de concerts, on a fait les premières parties de Placebo, on a fait vraiment beaucoup de choses et donc ils ont dit, c’est peut-être l’occasion de nous inviter. Je pense que l’on fait partie et on chante encore une fois en français, donc avec les Francofolies, ça marche bien.
Mylène Khaski : Qu’est-ce que tu en penses, toi ?
LFB : Ca me surprenait, parce que je me suis dit les Francofolies ont 40 ans, vous êtes plus vieux qu’eux. Mais est-ce que ces années 1980 dont on parle souvent, c’est effectivement, des clichés à la Emile et Images. Il y a beaucoup de gens qui vont se retrouver avec ça. Il y a aussi quand même une scène un peu plus underground, la fameuse Frenchy But Chic, pour reprendre les mots de Jean-Éric Perrin. Cette scène-là, en fait, n’a pas tant émergé que ça. C’était comme une scène entre la Bretagne et Paris. Il y en a un qui a émergé et qui maintenant a été invité, grand invité des Francofolies, c’est quand même Étienne Daho. Ce dernier qui d’ailleurs n’a pas manqué de citer Elli et Jacno. Et à mon humble avis, dans le public, on ne sait pas qui est Elli et Jacno. Parce que, mine de rien, je pense que les fans de Daho ne sont pas forcément au courant de tout ce qu’il a pu faire sur le côté et surtout qui sont les gens qui l’ont poussé.
Je pense notamment à Frank Darcel qui a produit des grands qui ont été là, Pascal Obispo était encore invité, lui, ce soir. Toute cette scène un peu confidentielle, grâce à cette collection particulière, et je vais vous voir, je veux voir dans le public, je suis curieuse de voir qui sont les gens qui vont venir vous voir. Est-ce qu’il y a des parents ?
Par exemple, mon père n’écoutait absolument pas Kas Product ni Edith Nylon, n’a pas du tout été absorbé par la scène des années 1980. Là où moi, j’ai trouvé mon terrain de jeu, et je me dis, il y a des parents qui vont venir avec leurs enfants, qui doivent avoir mon âge, à qui on va dire il faut vraiment que tu écoutes, tu vas comprendre ce que l’on écoutait et tu vas comprendre pourquoi tu aimes. Et toi, aujourd’hui, tu vas retrouver chez un certain groupe qui s’appelle Gwendoline, je ne sais pas si vous avez déjà entendu parler d’eux ?
Zaco Khaski : Gwendoline, on a joué avec eux, on a joué avec eux au festival Les Rockers ont du cœur. Ah oui, oui, tu as raison. Oui, on avait fait ce festival qui était très bien. On a joué avec eux et Marquis.
Mylène Khaski : Oui, on avait joué avec Marquis, c’était top, d’ailleurs.
Zaco Khaski : C’était génial et ils sont très gentils, très sympas les Gwendoline et j’aime beaucoup leur musique. Kokomo aussi, on a joué avec eux à Retro C Trop, ils sont super, très sympas.
LFB : C’est cette curiosité de me dire, il va y avoir un public qui va peut-être avoir votre âge, parce qu’il vous a peut-être suivis, et il y a d’autres générations comme la mienne qui vont se dire, bah ouais, c’était ça.
Mylène Khaski : Quand on a fait nos concerts à Paris, il y avait des parents qui sont venus avec leurs enfants, et les enfants regardaient avec de grands yeux en disant… C’est quoi, ça ? Mais oui, pourquoi pas ? (rires) Enfin, que ça se transmette d’une génération à l’autre, pourquoi pas ?
LFB : Là, c’est peut-être une question un peu naïve, mais être punk en 2024, avec tout ce qui se passe, c’est quoi, littéralement, être punk ?
Zaco Khaski : Alors, c’est prémonitoire, c’est la première chose. C’est prémonitoire dans le sens où, bon, je sais que c’est très anxiogène pour nos générations, nos enfants, ils ont le même âge que toi, mais on arrive à la croisée des crises. A la crise environnementale, pour moi, qui est la mère de toutes les crises, la crise politique, les crises de valeurs, les populismes… On arrive à quelque chose aujourd’hui qui se cristallise, et donc, je ne sais pas… Et le punk avait prévu un peu ça, no future, tout ça, profite, on verra bien ce qui va se passer, toute cette philosophie-là, elle s’est révélée assez prémonitoire.
Mylène Khaski : Aussi, les textes que l’on chantait à l’époque sont restés d’actualité, donc on parlait aux femmes, aux Femmes sous cellophane. On a refait un nouveau texte qui s’appelle Ne dis pas oui, ne dis pas non. La question des femmes se pose de la même façon, on parle de terrorisme…
Zaco Khaski : Elle parle de la chirurgie esthétique.
Mylène Khaski : C’est Kim Kardashian en avance, 40 ans avant, donc les textes ont fait le pont et ont perduré. On parlait d’un tas de trucs, on parlait d’électroménager, les femmes à la maison, on parlait de terrorisme…
Zaco Khaski : Il y a une chanson qui s’appelle Le meilleur des amours où l’on parlait de masques légers.
Mylène Khaski : Oui, avec des questions de bactéries, une infection bactériologique, donc les textes sont malheureusement ou peut-être heureusement encore d’actualité quand on chante Tank sur la guerre, on faisait à l’époque référence à la Corée du Nord, elle en est toujours au même point donc punk je pense de ce point de vue-là ça n’a pas changé. Quand on écoute les Clash, ces textes sont restés à jour.
LFB : Là c’est le punk côté personnel et par conviction. Et pour moi, il y a le genre vraiment musical, aujourd’hui est-ce que vous pensez qu’il a pris un autre virage et que l’on n’est plus sur des morceaux de 1 minute 30 où ça y est c’est déplié, il y a quand même une esthétique punk aujourd’hui ?
Mylène Khaski : Les morceaux se sont rallongés, peut-être ralentis mais il y a encore des groupes qui font des trucs…
Zaco Khaski : Dans le punk, il y a deux grands courants ; le punk oï, un peu comme ça bas de plafond, mais très bien j’ai rien contre ça. Et il y a le Punk un peu plus intello, même les Sex Pistols c’est un peu plus intello, le texte d’avant de Johnny Rotten et plus mélodique comme les Buzzcocks comme les Undertones, nous on est plutôt de ce côté-là. Plus mélodique et moins pogo, et aujourd’hui ce qui reste de la scène punk c’est la scène pogo, toute cette scène que nous on représentait un peu plus intello, un peu plus mélodique je la vois plus à part par moment, c’est Gwendoline ou Kokomo des groupes un peu plus récents.
Mylène Khaski : Mais en Angleterre il y a toujours et encore… Les Placebo.
Zaco Khaski : C’est quand même assez rock, new wave pas punk.