Finaliste du Prix des Musiques d’ICI, Eléonore Fourniau, artiste d’origine occitane, chante et compose en langue kurde avec un instrument encore méconnu.
On devine curieux le public du MaMA – associé cette année au festival Ville des Musiques du Monde et au Prix des Musiques d’ICI – en découvrant Eléonore Fourniau, ce 16 octobre au Centre Paris Anim’ Jacques Bravo (Paris, 9ème). Sur scène, l’artiste aux boucles blondes tourne la manivelle de sa vielle à roue pour faire vibrer cet instrument médiéval. Elle le dépoussière en lui donnant des airs anatoliens. Eléonore Fourniau interprète des compositions ou des reprises en kurmandji et soranî, deux dialectes kurdes. Ce qui lui a permis de conquérir un public outre-Méditerranée depuis une petite dizaine d’années.
« Je ne parlais pas un mot de turc »
C’est sans nul doute pour la singularité de son projet qu’Éléonore Fourniau a été retenue comme l’une des six finalistes de la 8ème édition du Prix des Musiques d’ICI. Depuis le début de sa carrière solo en 2017, l’artiste s’est produite dans de nombreux festivals en Europe, en Asie centrale, au Moyen-Orient ou encore en Asie du Sud-Est. Son projet débute en Turquie, sept ans plus tôt, quand Éléonore Fourniau s’y installe. « J’ai passé six ans à Istanbul, explique-t-elle. Je prenais des cours de saz et de chant comme auditrice libre au conservatoire. »
Un jour, elle ramène sa vielle à roue – dont elle est « tombée amoureuse » – pour travailler des mélodies turques. Elle raconte que c’était « du jamais vu ». Avec son instrument, elle complète sa formation au conservatoire d’État d’Istanbul, avec des cours de saz auprès d’Erdal Erzincan. Ce musicien alévi (minorité chiite turque) est passé maître dans l’art du saz. C’est en travaillant auprès des minorités alévies et surtout kurdes, qu’Éléonore Fourniau apprend le turc et le kurmandji : « en arrivant en Turquie, je ne parlais pas un mot de turc.»
L’artiste semble plus à l’aise avec le russe qu’elle étudie avec l’histoire à l’École nationale supérieure (ENS) de Lyon. « Je suis partie en Turquie sur un coup de tête, témoigne la chanteuse, après mes études à l’ENS. » Pourtant, le monde turc ne lui est pas inconnu. Adolescente, elle passe trois ans en Ouzbékistan avec ses parents, historiens spécialistes de l’Asie centrale. Lorsqu’elle passe son adolescence en France, Éléonore Fourniau s’exerce à la musique avec des groupes de chanson française et de musique klezmer, après être passée par des cours de piano, de chant lyrique et de vielle à roue.
L’inconstance des musiques traditionnelles
Ancienne chercheuse, française mais russophone, désormais musicienne et chanteuse kurde… Comment est-elle accueillie par la communauté concernée ? « Bien perçue » résume-t-elle. L’artiste poursuit : « Des kurdes m’ont dit être touchés par mon travail, mais pas que musicalement. » Par ses reprises de chants traditionnels kurdes, Éléonore Fourniau parvient à rassembler les Kurdes autour d’une langue que la communauté se transmet peu. « En Turquie, j’ai appris plus facilement le turc que le kurde, explique-t-elle, car les Kurdes ne parlent pas beaucoup le kurde. » Les concerts kurdes étant surveillés dans le pays et peu nombreux en dehors des grandes villes, l’artiste explique ne pas avoir beaucoup joué en Turquie ou encore, avoir eu des concerts annulés à la dernière minute.
Comme elle le confie, « on ne lui a pas appris que c’était impossible » de chanter en kurde sans appartenir à cette minorité. La chanteuse ne se contente pas de reprendre des chansons, elle compose également. Début octobre, sortira le clip de Raze, un morceau co-écrit avec un poète kurde. Il raconte, dans cette berceuse, l’histoire de son petit frère tué par Daesh. Éléonore Fourniau a également composé et écrit les paroles d’une autre chanson, Evîna veşartî, qui parle d’amour.
Elle prouve avec son premier album Neynik, pouvoir donner une nouvelle couleur à la musique kurde sans trop utiliser d’instruments modernes et occidentaux, pourtant courant dans les musiques actuelles en Turquie. L’artiste perçoit la musique traditionnelle comme n’étant pas « figée », sinon cette dernière tomberait dans le folklore. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le titre de son album se traduit par « miroir ». Il invite à une certaine neutralité, ne représentant aucune identité et invitant l’auditeur à projeter sur elle sa propre identité.
Des frontières occitanes aux kurdes
Eléonore Fourniau accorde une importance à ses origines occitanes, c’est d’ailleurs de cette région que lui vient le goût de la vielle à roue. Des racines qu’elle tire de son père, occitaniste. Elle confie que sa proximité avec la culture kurde viendrait du fait d’avoir en héritage une langue minoritaire. Avec le trio de voix Samaïa – composé avec Luna Silva et Noémie Naël – l’artiste chante notamment en occitan.
« Mon principal instrument c’est la voix dans toute sa force et sa fragilité ». La chanteuse accorde une importance au chant auquel elle confère un rôle thérapeutique. Ainsi, Eléonore Fourniau additionne les projets où les voix – particulièrement féminines– se frottent aux traditionnels d’Anatolie avec Telli Turnalar (avec Gülay Hacer Toruk, Cangül Kanat et Petra Nachtmanova). En fin d’année, Eléonore Fourniau jouera avec la chanteuse arménienne Jaklin Baghdasaryan (Ladaniva), l’envoutante franco-grecque Dafné Kritharas et l’artiste de boléro-jazz Emma Prat. Cette association donne lieu à la création Nomades, si justement nommées.
À lire aussi :
- Collectif Medz Bazar : « On est un groupe à la fois très organique et organisé »
- Dafné Kritharas, d’une rive à l’autre