Claude a dévoilé le 11 octobre dernier IN EXTREMIS, un premier album intime et intense qui se place facilement dans le top des meilleurs albums français de l’année. Deux jours avant la sortie, on avait retrouvé le musicien juste avant sa release histoire de délier avec lui tous les éléments de ce merveilleux premier album, de sa façon de chanter à l’évolution de son écriture en passant par sa relation avec Alexis Delong. Rencontre.
La Face B: Salut Claude, comment ça va ?
Claude : Ça va super et toi ?
LFB : Ça va bien. J’ai une question sur le titre de ton album qui est quand même impactant. Je me demandais si tu avais l’impression que c’était un peu ton rapport à la musique et ton histoire avec la musique, ce qu’elle a pu être et ce n’est qu’elle aurait pu ne pas être aussi.
Claude : De fou. Depuis que j’ai choisi un peu le titre, je me suis un peu fait la remarque que très régulièrement j’ai cette sensation-là. Peut-être que c’est moi qui m’invente des situations comme ça un peu sur le fil et tout, mais en réalité avec un peu de recul, il y a tellement de trucs que j’ai vécus un peu comme ça sur le bord des choses. La musique, pareil. C’est clairement 75/25. 75 je ne faisais jamais ça de ma vie. Donc complètement, tout à fait.
LFB: Ce truc d’être peut-être un accident en fait.
Claude : Clairement. C’est un enchaînement de circonstances très chelou qui ont fait que je me retrouve là. Mais c’est vrai que tout paraît… A chaque fois, j’ai failli ne pas être là à chaque étape.
LFB: Ce qu’il y a de marrant, c’est que j’ai l’impression que tout est très organisé alors que finalement, c’est une accumulation de hasards et d’étapes.
Claude : Je pense que tout le monde doit le vivre comme ça. C’est certain qu’absolument tous les artistes qui font leur truc, d’une manière ou d’une autre, ont la sensation d’être un peu ballottés d’une étape à l’autre d’une manière relativement hasardeuse. Mais à la fin, tu arrives là où tu arrives. Je pense que c’est la même chose pour tout le monde. Après, j’en ai fait un peu des tonnes parce que j’en ai fait un titre d’album en quelque sorte. Mais je pense que c’est un peu le sentiment de tout le monde.
LFB: Tu fais ça et en même temps tu as un rapport très mathématique et cartésien aussi avant de redresser la courbe.
Claude : Je l’ai toujours beaucoup dans la musique, dans ma manière de voir les choses, de travailler. J’ai toujours ce rapport très travail à la musique. Je considère qu’il faut que je me lève tous les matins toujours à la même heure et que tous les soirs avant de dormir je fasse une demi-heure d’écriture. J’aime bien les contraintes. J’aime toujours bien les directions et les contraintes. Je garde complètement ce rapport un peu travail à la musique, qui me permet d’être encadré. De ne pas me dire trop que je fais de la musique et ça y est, c’est la fête.
LFB: Je comprends ce truc, cette idée de se dire que si tu as trop de liberté, tu auras plus tendance à procrastiner alors que si tu te mets un cadre, tu es sûr d’avancer.
Claude : Ouais, la procrastination me fait vraiment super peur. C’est une émotion que je déteste, à part à de très rares moments. Mais la majorité du temps, je n’aime pas du tout ça. Donc je m’oblige à faire des trucs, à me trouver des tâches. Il y a l’un de mes humoristes préférés qui s’oblige vraiment tous les matins à se poser trois heures sans ordinateur, juste avec un cahier. Moi je n’écris que sur mon téléphone donc automatiquement je suis sur mon téléphone mais tu t’obliges à accomplir des tâches et à cocher des cases.
LFB : C’est ton premier album. Quelles ambitions tu avais par rapport à ça ?
Claude : Honnêtement, je voulais faire un album de qualité, vraiment, et ce que moi j’estime être de la qualité en terme d’album. C’est un format que j’aime vraiment beaucoup, beaucoup. Le format album, c’est pour moi le sacro-saint dans la musique. C’est le meilleur moyen de présenter de la musique aux gens. Je voulais faire un album qui soit intéressant, qui soit de la pop. En même temps très grand public et en même temps qui ait ses moments de niches, pour que les gens qui aiment beaucoup la musique, les nerds de musique, se disent que là j’ai fait ça. Je suis très attaché à ça. Du coup, c’était l’ambition personnelle. Après moi, comme tu le dis, je suis cartésien. Donc j’avais l’ambition de le porter. Je veux que ce soit écouté par le plus grand nombre. Je suis très égocentrique, ultra prétentieux donc je veux faire toutes les salles, les tournées, les festivals. Ce sont toutes mes ambitions en cours.
LFB: Tu parles de structure. L’album est très structuré, sans forcément qu’on s’en rende compte. Il y a un début avec un titre instrumental, un milieu avec un titre instrumental et une fin avec un titre qui est beaucoup plus crépusculaire. Il y a vraiment cette idée de progression.
Claude : Complètement. Il y a plein de petits easter eggs dans l’enchaînement des morceaux. Même dans le nombre de tracks. Il y a vraiment plein de petits détails où les gens s’en foutent et ils ont bien raison. Ça intéresse quelques personnes. Ça m’intéresse moi. Je suis content que ça soit dans cet ordre-là, que ça s’enchaîne pour telle raison. Par exemple le fait que Addition et Soustraction ne soient pas pile à l’opposé me fait péter un câble personnellement. Mais juste ça ne marchait pas. C’est le genre de choses où avec un album, tu peux autant t’amuser. Genre le track introductif. On voulait, avec Alexis Delong qui a fait l’album avec moi, un track introductif. On voulait faire une sorte d’entrée de cinéma, une sorte d’introduction.
LFB : C’est l’essence-même de l’album, un truc à la fois brutal et hyper mélodique. Un truc un peu rentre-dedans mais qui diminue.
Claude : Exactement, c’est complètement le cas. J’avais écouté beaucoup d’albums mais je n’avais jamais fait trop gaffe à comment les gens construisaient des morceaux. Quand l’album est bien fait, tu l’écoutes. Tu ne poses pas trop la question de si ça fait ou ça, en termes d’émotions et tout. Donc là, je me suis trouvé à dire qu’il fallait que je mette un morceau calme avant un morceau vénère. Du coup, on m’a dit que jamais on ne fait ça. Ce n’est jamais en dent de scie un album. Ça serait horrible sinon. Donc il y a des passages où tu enchaînes des émotions qui sont obligatoirement liées les unes aux autres donc tu dois mettre les morceaux relativement côte-à-côte pour que ça soit logique dans la tête de l’auditeur et de l’auditrice. C’est rigolo à faire en vrai.
LFB: Tu parles d’easter eggs. Est-ce que commencer un album par Réveille toi, c’est un clin d’œil à un EP qui s’appelait Bientôt la nuit?
Claude : Finalement je m’en suis rendu compte plus tard mais pas du tout. Bientôt la nuit, je l’ai un peu oublié. Je ne le considère plus trop comme mon patrimoine musical, de trucs que j’ai fait. Donc je l’ai un peu oublié mais je me suis fait la remarque ensuite effectivement. Mais du coup, c’est rigolo, c’est presque comme si je me disais d’oublier ça, de me réveiller et sortir de ce truc-là.
LFB: Pour parler d’évolution, lorsqu’on s’était rencontrés la dernière fois, je t’avais dit que tu étais un conteur d’histoires. Pour moi, l’idée reste très vraie sur l’album mais j’ai aussi l’impression que tu as un peu découvert le chanteur qui était à l’intérieur de Claude.
Claude : Moi je n’ai rien découvert. C’est Alexis qui l’a découvert. Il m’a dit en tout début de travail sur l’album que je n’étais pas au théâtre, que je pouvais utiliser ma vraie voix, que je pouvais utiliser des niveaux de nuances. De ne pas en faire des tonnes, de ne pas la rendre plus grave pour rien. Il m’a juste dit d’arrêter et de chanter comme je chante dans la vraie vie. Ça fait qu’il y a des morceaux où tu en fais un petit peu des tonnes, mais c’est ponctuel. Et tu as des morceaux comme Contresens qui est chuchoté. On l’a enregistré, j’avais cinq couvertures autour de moi et j’étais à une proximité du micro pour que ça fasse vraiment le côté chuchoté quoi.
LFB: Tu as trouvé ta voix et les nuances et les morceaux où tu en fais des tonnes, c’est parce que le thème du morceau pousse à en faire des tonnes.
Claude : Exactement, tout à fait. Ça peut en vouloir dire des tonnes en voix de tête sur In extremis, des tonnes en émotions sur Signes vitaux où c’est chanson française, des tonnes sur La pression en mode le mec tristounet et tout. Ça se sent dans la voix.
LFB: Tu parles d’In extremis. Je pense qu’utiliser, modifier la voix, la malaxer, la transformer en quelque chose de presque dissonant, ce n’est pas quelque chose que tu te serais autorisé avant forcément.
Claude : En fait, je chante beaucoup en voix de tête de manière générale quand je travaille, quand j’écris, quand je compose. Souvent je suis en voix de tête parce que c’est une voix qui survole un peu la prod’, donc c’est très clair en construction de mélodie. Je l’utilise beaucoup pour faire mes mélodies. Je savais que je voulais l’utiliser pour chanter. Dans l’album, il y a In extremis où c’est le lead qui est en voix de tête mais tous les autres morceaux, il y a quelque part cachées, des voix de tête qui chantent des trucs, qui font de la texture dans le morceau. Je ne me serais pas autorisé à faire ça avant. In extremis, c’est un morceau où je suis un peu arrivé clé en main. J’avais la mélodie, la composition, le texte. Et finalement, Alexis en a fait un truc de plus en plus électronique, de plus en plus chargé en termes de dissonance.
LFB : La voix est un instrument. Avant, j’ai l’impression que c’était un peu un poids pour toi.
Claude : Complètement, parce que je n’ai jamais vraiment été chanteur. Je ne sais pas, mon frère chante beaucoup mieux que moi. J’ai rencontré beaucoup de gens qui chantent beaucoup mieux que moi. C’était un peu une plaie, il fallait charger à fond le texte et ensuite espérer que les gens écoutent plus le texte que la voix. Maintenant, je peux faire un peu les deux quoi.
LFB : Ce qu’il y a d’intéressant, c’est que tu t’es autorisé à faire des chansons calmes.
Claude : Bien sûr et je me rends compte que c’est plus ou moins ce que je préfère maintenant. En tout cas, à la création, c’est plus pur ces chansons-là. Surtout quand tu bosses avec Alexis et tu as de l’ambiant à fond. Ça paraît vraiment pur comme démarche.
LFB : Du fait de cette évolution du tempo et de s’autoriser à faire de la pop musique dans le sens populaire, tu as aussi troqué le cynisme pour l’émotion.
Claude : Ça, c’est une discussion très drôle que j’ai eue avec Emma Kraemer qui est la directrice artistique de mon label. Une fois que l’album était relativement terminé, elle est devenue directrice artistique à ce moment-là et du coup, on commençait à se voir pour les visuels, les clips et tout. Elle m’a dit qu’elle ne comprenait pas un truc chez moi, c’est que dans tous les morceaux de mon album, ce qu’on avait avant comme directive c’est que c’était du cynisme alors que maintenant, c’est émotion à fond. Que j’étais ultra sensible, ultra franc. Le cynisme peut être dans les accords, dans l’utilisation de quelques mots mais c’est plus des appels à l’aide, de la tension, de l’émotion. Beaucoup plus que du cynisme. On a un peu mis ça à la poubelle on va dire.
LFB : Un morceau comme Contresens, pour moi j’ai l’impression que c’est ton morceau le plus important.
Claude : C’était le plus dur à faire. Enfin pas le plus dur à faire, littéralement s’y mettre. On était en résidence en Bretagne avec Alexis et Tomasi qui nous a aidé à la création de l’album. On a passé deux semaines à faire plein de morceaux, à avancer sur tout et je repoussais constamment le fait de faire Contresens. À chaque fois, on me disait qu’on faisait un ou deux morceaux dans la journée et qu’on faisait celui-ci le soir. Je repoussais. Donc à la fin des deux semaines, l’un des derniers soirs, Alexis m’a dit qu’il fallait le faire, qu’on n’aurait plus l’occasion de le faire dans un cadre comme ça. On était au milieu de nulle dans une maison avec pas de lumières. C’était étoile ou rien. On a fait Contresens. Une fois qu’on était dedans, elle était facile à faire. Il y avait Tomasi à la guitare qui passait dans le modulaire, Alexis en modulaire et au synthé-basse. Pendant vingt minutes, on a tourné et j’ai juste enregistré toutes les phrases qui me passaient par la tête sur le sujet. Ensuite, on a enlevé les phrases qui étaient un peu en trop et on a gardé les 3-4 minutes qui restent à la fin.
LFB : Est-ce que c’est un morceau qui, thématiquement, te faisait peur ?
Claude : Ça me faisait peur de le faire. Je l’avais écrit avant. J’avais des tonnes de notes de téléphone sur le sujet bien sûr. Si tu passes beaucoup de temps à écrire, automatiquement tu écris sur ta vie à un moment donné et donc sur des trucs relativement douloureux. Donc à un moment, j’en arrivais forcément à ça. J’avais plein de trucs. Donc ce que j’ai dit au moment de faire la prise, il y a plein de phrases qui sont revenues. Ça a été dur de le faire parce que je savais que la musique, il y a une limite en termes d’émotion. Quand tu es au-delà, c’était dur. Même pour Alexis et Greg. Ce soir-là, quand on l’a faite, en sortant c’est impossible ensuite. C’était assez silencieux.
LFB : Je pense que les gens, la première fois qu’ils vont l’écouter, vont se la prendre dans la gueule aussi. Ce qu’il y a d’intéressant dans cette mise à nu, c’est que tout l’album tend à ça. Pour moi, l’album c’est un peu un strip-tease émotionnel. J’ai l’impression que tu effeuilles chaque émotion.
Claude : Ça me fait plaisir que tu dises ça parce qu’il y a un morceau qui n’est pas sorti, qui sortira plus tard, qui s’appelle Strip-tease justement. C’est un morceau que j’ai fait un peu trop tard. On en fera quelque chose plus tard. Effectivement, le mot strip-tease revenait beaucoup quand j’écrivais sur l’album et que je cherchais des mots-clés. C’est un mot que je trouve trop joli sur le principe. C’est complètement le cas. Je l’ai vraiment vécu comme ça. En janvier 2023, quand j’ai commencé à écrire, avant de rencontrer Alexis et Greg pour la création de l’album, j’étais vraiment en mode où je listais toutes les choses sur moi, qui sont des choses relativement taboues avec les proches, qui sont relativement difficiles. Ce sont des sujets un peu idiots, un peu honteux. Baisodrome, c’est un sujet un peu honteux sur le principe. C’est une liste de ces sujets-là. Je me suis dit que j’avais 30-40 défauts, de trucs honteux et que j’allais devoir essayer d’écrire un morceau sur chacun de ses sujets-là.
LFB : Il y a des choses qui sont plus lourdes que d’autres. Par exemple, Ode à Mark.
Claude : Elle est ultra légère sur le principe. Mais c’était un sujet parmi les 40 défauts, il y avait le fait que tu passes je ne sais pas combien d’heures sur ton téléphone par jour, sur ton ordinateur, que tu ne fous pas un pied dehors. Et au-delà de ça, que tu as 700 mots de passe sur 700 sites différents, que tes infos sont vendues à je ne sais pas qui. C’était un des défauts mineurs mais ça restait marrant d’en faire un sujet.
LFB : Est-ce que tu penses que tu pourrais écrire sur des choses qui ne te touchent pas et qui ne te marquent pas en tant qu’être humain ?
Claude : Non. Ça a été un sujet. Signes vitaux qui parle d’être hypocondriaque, à la base ce morceau, j’avais la mélodie et la composition mais pas de texte. À ce moment-là, je me disais que j’aimerais bien chanter avec quelqu’un dessus. Je l’ai proposé pour un feat en quelque sorte. J’ai essayé d’écrire vite fait un texte en mode c’est pour un feat, il fallait que ça soit un peu léger. Mon label m’avait dit que ça serait cool que j’ai un morceau un peu plus léger dans la sauce. En gros, j’ai fait un texte mou, un peu tiède mais avec la mélodie que j’aimais beaucoup. Je l’ai envoyé à l’artiste en question qui m’a dit qu’elle aimait beaucoup la mélodie, l’ambiance. Ensuite, elle m’a dit qu’elle ne comprenait pas le texte. Et même moi je ne comprenais pas de quoi je parlais.
Alexis m’a appelé en me disant que je ne pouvais pas faire comme ça, que les gens s’ils voulaient travailler avec moi, c’était pour faire un morceau qui me ressemble. C’est parce que c’est mon morceau à moi et qu’ils s’invitent dessus. Ce n’est pas parce que je fais un truc un peu clé-en-main un peu naze, du réchauffé. Donc il m’a dit d’écrire une chanson ultra personnelle, vraiment un thème qui m’est cher, de voir où j’en suis et que si je veux inviter quelqu’un après, je dégageais un couplet et j’invitais. Donc j’ai fait Signes vitaux qui est l’un de mes morceaux les plus personnels. La deuxième ligne est le nom de ma copine. Du coup, je savais que cette chanson, il n’y aurait pas de feat dessus parce qu’elle ne parle que de moi. Mais du coup, impossible. J’ai vraiment du mal à juste faire un exercice.
LFB : C’est drôle que tu parles de ce morceau-là parce qu’il intervient dans ma question suivante. Est-ce que tu penses qu’on peut trouver de la poésie partout ? J’ai trouvé ça très fort de faire un morceau pop sur l’hypocondrie.
Claude : Je pense honnêtement que plus tu as un sujet spécifique, plus ton morceau va être beau. Je me souviens du docu sur Orelsan où ils font le feat avec Angèle qui s’appelle Évidemment. Angèle dit qu’elle a dit évidemment et que le morceau lui est resté de fou parce qu’il ne veut rien dire et tout dire. Elle, c’est probablement son talent d’arriver à faire des trucs qui soient soit très globaux, soit très spécifiques. Moi, je n’y arrive pas du tout. S’il y a un truc qui est trop général ou que ça implique cinquante sujets différents, je n’y arrive pas. Donc il faut que ça parte de quelque chose d’extrêmement spécifique.
L’hypocondrie, le mot est spécifique en lui-même. Bon je ne le dis pas dans le morceau mais c’est directement spécifique. Plus tu pars dans un truc chelou et étrange et particulier, plus ça peut être poétique à mon goût. Ça n’aura pas été fait avant, tu auras traité un sujet par un angle très chelou. Si tu parles de l’amour mais que tu commences ta chanson en parlant d’un insecte, tu as une contrainte tellement spécifique que ta chanson ne ressemblera à aucune autre. En vrai, honnêtement, je n’ai pas l’impression que Signes vitaux soit si… J’ai entendu plein de chansons là-dessus. C’est juste que ça parle souvent d’amour mélangé à la maladie. Mais pour moi, une référence de morceau, c’est quand c’est ? de Stromae. C’était une référence pour Signes vitaux, clairement. Lui il l’a fait, il a mis le mot cancer dans son refrain donc ça se fait. Tu peux dire ce que tu veux dans tes morceaux.
LFB : Un morceau comme ça ou même Addition quand il est sorti, ça montre aussi la véritable évolution de ton écriture. Je ne vais pas dire que tu dégueulais du texte avant mais c’était un peu ça quand même. Alors que là, sur tout l’album, il y a un vrai travail. Un peu sur la rime même si on reste aussi sur de la prose.
Claude : Je n’ai pas fait exprès les rimes. C’est un peu arrivé par hasard.
LFB : Tu as aussi un vrai travail sur les assonances, sur la mélodie du mot qui est hyper belle et intéressante. J’ai l’impression que toute ton écriture se fond dans un équilibre de morceau.
Claude : Parce que finalement, Bientôt la nuit, c’était un exercice d’écriture. Je n’écrivais pas beaucoup à ce moment-là. Je n’écrivais pas à fond dans mon téléphone. C’est arrivé juste après où j’ai commencé à écrire à fond tout le temps. J’ai arrêté de me dire de partir d’un sujet quand j’ai un morceau. J’ai juste écris pour écrire. C’est devenu une grosse, grosse habitude. Ça a changé complètement la donne en termes de sujet, de profusion de sujets d’écriture. Je pouvais écrire sur ce que je voulais. Maintenant, c’est très naturel dès que quelqu’un me dit un truc intéressant, qui me fait marrer, je l’écris dans mon téléphone. Il y a plein, plein de mono-mot à des endroits et ensuite plus tard, dans les notes, tu retrouves le mot mais tiré sur 5-10-15-20 lignes. C’est trop agréable comme exercice. Tu as de la matière pour la suite.
LFB : Pour moi, un morceau comme Addition qui est le premier single que tu as sorti, il m’a rendu cinglé quand je l’ai écouté. Dans le sens où ce n’est pas quelque chose que j’attendais par rapport à ce que tu avais fait avant, que ce soit dans l’écriture ou même dans le fait que tu aies un peu poli le diamant.
Claude : Comme je te disais tout à l’heure, sur toutes ces thématiques, je suis cartésien. Il faut passer des étapes à un moment donné. Ça ne sert à rien de faire de la musique sinon. Pour moi, je ne ferais pas de la musique si je ne progresse pas. Il faut progresser quoi.
LFB : L’autre immense qualité de l’album, qui est un album très lettré malgré tout, c’est que tu fais parler la musique. Sur beaucoup de morceaux, au-delà de ceux qui sont purement instrumentaux comme La nausée…
Claude : La nausée, c’est rigolo parce qu’à la base, je voulais du texte. À la base, c’était une interlude, je devais parler. Je parlais, c’était un truc avec une voix pitchée, c’était très étrange. Je racontais une histoire. Et on travaillait dessus avec Alexis et Greg et à 23h, ils me disent que c’est une blague quand je dis les trucs. Que j’avais un album sérieux et que là, je faisais une blague. Du coup, le morceau je l’adorais en lui-même, je n’avais pas besoin de parler dessus. On a gardé que l’instrumental. Ça disait exactement ce que ça devait dire.
LFB : Les titres des morceaux prennent toute leur importance. Même Changement à Mannheim.
Claude : Qui est aussi à la base un énorme morceau avec quatre couplets. C’est un morceau que j’avais écrit dans le train, entre Berlin et Paris, qui passe par Mannheim du coup. J’avais écrit quatre couplets. C’était lourd dingue. Alexis m’a dit que mon texte, on s’en foutait dans ce morceau. On pensait surtout à la vocation de chaque morceau. Genre La nausée, un morceau qui se concentre sur ce morceau et ce que ça provoque. Changement à Mannheim, c’est un morceau de train. Donc on s’est dit qu’on allait faire un morceau de train, un morceau que les gens écoutent dans le train.
LFB : Ce sont aussi des morceaux qui par extension répondent aux morceaux qui sont avant.
Claude : In extremis, merde j’ai raté le train.
LFB : Même La nausée qui répond…
Claude : À Signes vitaux, à La pression. Il arrive juste après La pression ouais.
LFB : Un titre comme La pression, il y a des montées instrumentales qui n’existeraient pas forcément chez d’autres artistes, qui le laisseraient pas forcément parler la musique aussi comme tu le fais.
Claude : Oui c’est vrai. Après celui-là, dès le début on voulait un refrain acide. Il y a trop de beaux morceaux qui font ça, avec un refrain efficace et derrière tu as ton leitmotiv. Moi, l’une de mes références, c’était My favorite Game des Cardigans. Pour moi, c’est du génie.
LFB : La montée instrumentale juste avant le refrain sur La pression est folle.
Claude : C’était une galère ce refrain. C’était un peu compliqué d’aligner une ligne d’acid avec une voix qui colle tout le temps aux notes. C’était rigolo à faire aussi.
LFB : C’était un truc qui existait déjà avant mais que tu as amplifié. Quand je t’ai rencontré en janvier 2023, je suis venu à ton concert à Nantes, j’étais avec Alexis et la première chose qu’il m’a dite en voyant ton concert, c’est : putain j’ai envie de bosser avec ce mec.
Claude : C’est de là que c’est parti. C’était à Nantes. Littéralement, le soir même ou le lendemain, il m’a envoyé un message. Je n’ai pas répondu pendant deux mois parce qu’il avait un chat en photo de profil. Un mois plus tard, j’ai tapé sur Google son nom et j’étais en mode : ah d’accord. Là je lui ai envoyé un message, on s’est rencontrés et on est devenus ultra proches en trois semaines. Au-delà de la musique, il y avait tout qui collait.
LFB : Qu’est-ce que ce rapport collectif à la musique, qu’il n’y avait pas forcément sur ton premier EP, t’a apporté ?
Claude : Ça a tout changé. Alexis dans son rôle de réalisateur sur tout l’album, de co-coproducteur, co-compositeur, a tout changé. Cet album, c’est le nôtre. Ce n’est pas le mien. C’est un album collectif. Avant l’album, j’avais dit que je ne voulais pas travailler tout seul. Je sais quelles sont mes limites. Je ne suis pas un très bon producteur, je n’ai pas envie d’être un très bon producteur. J’ai envie de passer du temps sur mes textes, sur les mélodies, sur les compositions et diriger un peu quand t’es en studio. Mais du coup, je voulais m’en tenir à ce sur quoi je devais vraiment m’améliorer. Faire la production avec quelqu’un qui est un génie… C’est un génie de production. Je pense que quiconque a foutu les pieds en studio avec Alexis est choqué par ce qu’il se passe. Ce sont vraiment des moments privilégiés de le voir travailler.
LFB : Si on prend une référence un peu cinématographique, c’est comme si tu étais réalisateur et lui le directeur de la photo. Tu peux faire les meilleurs plans du monde, s’il n’y a pas quelqu’un derrière pour sublimer avec les lumières, il n’y a rien qui existe.
Claude : Exactement. Tout à fait. J’ai un mis un peu de temps à m’en rendre compte mais dès la première fois qu’on a bossé ensemble, je savais que c’était comme ça qu’il faut que je bosse.
LFB : Est-ce qu’il n’y a pas aussi la « crainte » de ne pas pouvoir bosser avec quelqu’un d’autre après ?
Claude : Pour l’instant, je n’ai pas envie de bosser avec quelqu’un d’autre, vraiment. Ponctuellement. D’un morceau à l’autre, on ramènera des gens mais je pense qu’on va continuer. Là, on continue déjà à faire de la musique. C’est juste que ça fonctionne trop bien et on aime vraiment bien le faire. On a des références communes et il me fait progresser. Et lui dans une direction aussi avec moi. À chaque fois qu’on fait une nouvelle semaine de résidence, c’est genre : ah c’est cool j’ai bossé avec telle personne, j’ai appris ça, on peut faire ça. Ça change un peu tout. Pour l’instant, non. Mais ça viendra. Bien sûr en vrai, automatiquement soit on rajoutera des gens au travail. Je pense qu’Alexis aime bien ce boulot de réalisateur, de ramener des producteurs et des compositeurs sur tel ou tel morceau. Mais sinon, pour l’instant, effectivement j’ai du mal à me voir avec d’autres gens.
LFB : Tu parlais de featurings tout à l’heure. C’est quelque chose qui t’intéresse vraiment ?
Claude : Bien sûr. C’est juste que sur mon premier album, c’était tellement personnel que c’était compliqué de se projeter vraiment sur beaucoup de featurings. Mais oui, bien sûr.
LFB : Pour continuer à te parler de collaboration, j’aimerais bien que tu me parles du live et de ce que ça t’apporte de ne plus être tout seul face à des gens.
Claude : Ça change tout. J’ai découvert que j’aime beaucoup danser sur scène, j’aime bien péter un câble. Là ce soir, ça ne sera pas le cas parce que la scène est toute petite et elle tremble beaucoup. Ça fait peur pour le matériel. Mais à part ça, j’ai découvert que j’avais vraiment envie de bouger. Là, on a fait trois semaines de préparation, répétitions, résidence. Plus une date déjà. Je suis me suis rendu compte que je terminais à chaque fois en sueur. J’ai les cheveux collés, haletant littéralement. Ça change tout d’être avec des gens que tu as envie de divertir aussi sur scène, en plus du public. Des gens qui sont avec toi dans le même bateau, qui ont les mêmes objectifs dans ce live, de s’amuser, de donner quelque chose d’intéressant aux gens. Du coup, d’être à trois sur scène et de faire un spectacle vraiment de musique électronique bien faite… Alexis a été directeur musical avec un garçon qui s’appelle Tom Geffray qui est musicien pour Zaho de Sagazan et qui est un producteur, compositeur aussi. Les deux ont été à la direction musicale et les deux sont de grands fans de musique électronique. Donc on a fait un spectacle de musique électronique qui donne des émotions de musique électronique. Ça, pareil, c’est tellement cool de faire ça.
LFB : Est-ce que tu la transformes ta musique ?
Claude : Complètement. Ce sont les mêmes morceaux parfois. Mais parfois, non. Baisodrome, ce n’est plus du tout la même production. On a changé la production pour que ça marche mieux en live. Soustraction, il fait quatre minutes de plus. La nausée, c’est la même chose mais en mieux parce que c’est du live. On a rajouté plein de moments fun, où on kiffe. Des morceaux qui se suivent pour avoir cette ambiance électronique de set presque. Quasiment où il n’y a plus qu’une texture entre deux morceaux qui t’emmène vers le suivant. C’est trop bien, c’est trop fun à faire.
LFB : Quels sont tes souhaits à deux jours de la sortie de ton album ?
Claude : Mon souhait, c’est qu’il marche, objectivement. Que ça m’emmène partout en France, que ça devienne un album important. Ça serait cool, j’aimerais bien que ça devienne un album important. Genre dans la pop française, que la pop française peut avoir cette tronche-là. J’aimerais bien. C’est ça mon petit kink de prétention, que ça soit une référence. Et ouais, que ça m’amène à l’étape suivante. Toujours grimper, grimper, grimper.
LFB : Genre un Trianon après une Cigale quoi.
Claude : Un Trianon, une Cigale et on enchaînera quoi.
LFB : À côté de quel film, livre, album tu rangerais In extremis ?
Claude : Intéressant de ouf. Je le rangerais à côté de The Bear, la série, qui est un gros gros coup de coeur et qui a beaucoup inspiré l’écriture. J’aimerais bien le foutre à côté de La nausée de Sartre qui a été le titre qui a inspiré le morceau. Côté de musique, de loin, à côté d’un Stromae en termes de trucs de folie, de trucs essayés et tout mais pas côte à côte. En film, Les nouveaux sauvages mais c’est de la triche parce que je l’ai utilisé pour une autre interview.