Tony Dola : « Il y a une vraie puissance mélodique dans la variété française »

Quelque part entre les riffs rêveurs de Connan Mockasin, la légèreté de Gaétan Nonchalant et le charisme de Michel Jonasz (oui), Tony Dola existe. Entendu au Tony (Paris 10ème), aperçu à la Pointe Lafayette (toujours Paris 10ème), c’est pourtant dans le quartier de la Glacière que le chanteur nous livre ses chroniques de vendeur en épicerie bio. Dans De La Glacière, son premier album aux allures de carnet de bord, il expose une galerie de portraits singuliers, parfois nostalgiques, souvent loufoques. Autour d’une Vodka-Martini (c’est faux), nous avons échangé sur Périgueux, SCH, le cinéma et, bien sûr, sur ce disque un peu hors du temps.

La Face B : Comment tu te sens après ta release party au Tony, Tony ?

Tony Dola : Assez fatigué, mais je l’ai bien sentie malgré les retards, les larsens, les petites galères. J’ai eu de supers retours. Enfin, à part celui de la guitare, qui était super fort. Je n’ai pas l’habitude de m’entendre jouer aussi fort. Mais je suis très content.

LFB : J’étais ravie de découvrir ton projet en live. Cet album, De la Glacière, c’est un vent de fraîcheur : il ne ressemble à rien dans le paysage actuel. On l’écoute comme on feuillette un album photo. Comment t’es venue l’idée de ce concept, cette série de portraits ?

Tony Dola: Il y a quelques années, Léna (Le Guay), une amie, m’a demandé une chanson pour son film Les gens, qui parle du revenu de base. Léna vient aussi du Périgord, et elle a pensé à moi pour la bande-son. C’était une commande, et j’ai composé le titre Original, le premier morceau de De la Glacière. À ce moment-là, j’écoutais beaucoup Le Blues du Businessman de Starmania, et la phrase « J’aurais voulu être un artiste » m’a inspiré. Comme c’était une commande, je me suis permis une référence assez claire. À la base, Original était une ironie sur moi-même : je me disais « Ah oui, vachement original, j’ai repris une phrase du refrain du Blues du Businessman ». Ensuite, pendant le COVID, j’ai travaillé au Biocoop de la Glacière, et ça m’a donné l’idée de l’album. Ça a commencé avec Nacho, un collègue argentin qui est arrivé à la fin de la pandémie en 2020. Il était super drôle, mais il a dû partir en Italie au bout d’un an pour obtenir la nationalité italienne, grâce à son grand-père. En Argentine, c’est courant de demander la citoyenneté italienne si tu peux prouver qu’un de tes ancêtres l’était. Nacho est revenu trois mois plus tard… italien.

LFB : Tu as vraiment collecté plein de petites histoires dans cet album : Nacho (L’Italien), Aminata… On a l’impression de plonger dans un album-souvenir. C’est aussi très visuel, avec tous ces détails. Une approche très cinématographique, finalement. Moi, ça me rappelle un peu des mini-films de Rohmer, mais mis en musique.

Tony Dola : J’adore le cinéma, peut-être même plus que la musique. Je suis super exigeant avec les mélodies. Alors qu’au cinéma, il y a tellement de vie ! J’ai l’impression que c’est plus spontané, plus indulgent. Avec la musique, je suis hyper perfectionniste, surtout depuis que je chante en français. Du coup, je n’ai pas beaucoup de chansons, peut-être une vingtaine.

LFB : Est-ce que c’est parce que tu cherches à atteindre un idéal, une sorte de chanson parfaite ?

Tony Dola : J’espère qu’il n’y en aura pas qu’une ! Mais pour moi, une belle chanson doit tomber du ciel, il faut que la vie passe par elle. Il faut parler de quelque chose de fort et de légitime pour que ce soit beau. Entre 2019 et 2021, j’ai écrit peut-être cinq des sept chansons de l’album. Ensuite, j’ai rencontré Aminata, qui est venue travailler au Biocoop et elle m’a inspiré une autre chanson.

LFB : Peux-tu nous rappeler la fameuse anecdote derrière la chanson Aminata?

Tony Dola : Un jour, Aminata est arrivée avec sept heures de retard au magasin. Elle avait 19 ans, elle était super fêtarde. La veille, elle m’avait dit : « Je vais sortir ce soir », et je lui avais répondu : « Attention, Aminata, tu travailles à 12h30 demain ». Et puis, elle est arrivée à 19h. J’étais un peu en colère, mais elle est entrée toute excitée et m’a dit : « J’ai trouvé l’amour ! »… et c’était un rugbyman, ce qui apparemment était une justification suffisante. C’était très marrant.

LFB : Tu as aussi dédié une chanson à ta grand-mère, Yvette. Cette chanson m’a beaucoup touchée. On sent ce rêve d’évasion qu’on fantasme avec nos grands-parents. Quel est ton rapport à elle ?

Tony Dola : Yvette, c’est ma chanson préférée de l’album, celle que je pourrais toujours chanter. C’est aussi la plus ancienne. Elle est inspirée de Voyage au bord de la mer de Michel Jonasz. Je me souviens de cet été où j’ai découvert cette chanson : je l’écoutais en boucle. Ça m’a donné envie d’imaginer une évasion avec ma grand-mère, de rêver qu’on s’échappe de son EHPAD.

LFB : On sent bien la référence à Jonasz, même dans ton phrasé et ta manière de chanter. On te le dit souvent : tu chantes comme un artiste de variété des années 70, et ça fait du bien. Tu écoutes beaucoup de chanson française ?

Tony Dola : Jonasz, oui, c’est clairement une inspiration. J’en suis fier, car ça m’a aidé à passer à l’écriture en français. Avant ça, je faisais surtout de la musique en anglais. Mais je suis arrivé assez tard à la chanson française. J’ai toujours aimé la variété mélodique sans vraiment m’y plonger. Il y a quelque chose de très fort mélodiquement dans la variété française. C’est mon ex-copine qui m’a fait découvrir Jonasz, et aussi Delpech, notamment Le Chanteur. Cette projection dans le futur, parler à quelqu’un comme s’il n’était déjà plus chanteur, je trouvais ça très fort. J’en avais parlé à Gaétan Nonchalant, mais il n’avait pas trop aimé. Lui, il préférait Le Chasseur

LFB : Je vois un peu la variété française comme une nostalgie contre notre gré. Elle a toujours été là en fond sonore : dans la voiture, à la télé. Et il faut gratter sous cette couche de nostalgie pour redécouvrir les textes. J’ai eu cette révélation avec Balavoine. Le Chanteur m’a frappée par sa tristesse.

Tony Dola : Oui, ces chansons ont tellement vécu à travers leur succès et leurs rééditions qu’elles ont bercé des millions de gens. Peut-être qu’après être passées par autant d’oreilles, elles perdent un peu de leur force ? Il faut se poser à nouveau dessus. Moi aussi, Balavoine, au départ, je voyais ça comme quelque chose de léger, drôle, pas forcément sérieux. Mais non. Quand on est enfant, on entend souvent des parodies de ce genre de chansons et on reste coincé là-dessus. Alors que c’est super beau de réenchanter les choses qui ont, en un sens toujours été là.

LFB : C’est un peu l’idée de ton album, de réenchanter le quotidien, de redécouvrir des détails auxquels on ne fait pas attention ?

Tony Dola: Complètement. Le Biocoop de la Glacière, c’est vraiment un microcosme. C’est un travail très terre à terre, mais tu croises des vies que tu n’aurais jamais rencontrées autrement. Et moi, j’aime les romantiser. Ce paradoxe entre la routine très concrète et la beauté de ces histoires, c’est ce qui me plaît. Par exemple, Nacho, je le compare à un acteur italien comme Vittorio Gassman, dans L’Homme aux cent visages. Dans cette chanson, j’essaie de multiplier les références cinématographiques pour donner ce côté grandiloquent, comme avec Le Fanfaron de Dino Risi. C’est ma manière de sublimer ces petites histoires.

LFB : Et pour la suite ? Tu penses déjà à d’autres chansons ?

Tony Dola : Oui, le deuxième album commence à se dessiner. Tu as pu en entendre quelques morceaux au concert. Peut-être que j’en dévoile un peu trop sur scène, d’ailleurs. Le thème central sera la nostalgie. C’est ce qui me plaît, ce que je pense être au fond artistiquement. En fait, j’ai eu l’idée de ces deux albums en même temps : De la Glacière et un autre album centré sur la nostalgie, les regrets, les souvenirs. Mais je me suis dit que ce serait trop pour un premier disque. Alors, De la Glacière est un bon compromis : il parle de mes souvenirs, mais de manière moins personnelle, plus romancée. C’est une bonne introduction à mon univers.

LFB : Donc la nostalgie des autres dans De la Glacière, et la tienne dans le prochain ?

Tony Dola : Ce que j’aime avec De la Glacière, c’est qu’il me permet de parler du présent et de digresser sur le passé. C’est pour ça qu’Yvette est à la fin de l’album. La vraie dernière chanson, c’est De la Glacière, mais Yvette fait le pont, car elle aurait aussi bien pu être sur le deuxième album. C’est à la fois un portrait un peu loufoque de ma grand-mère et un morceau nostalgique sur mes souvenirs. Dans l’album à venir, je vais parler encore plus de ma famille.

LFB : Une chanson qui m’a fait beaucoup rire pendant ton concert, c’est Costa Brava. Tu fais revivre un souvenir d’ado que beaucoup de gens ont vécu, avec des vacances au camping. C’est à la fois tendre et hilarant. J’ai beaucoup aimé ta manière de rendre ces souvenirs universels.

Tony Dola : Ce qui a marché pour Costa Brava, c’est que je me suis mis dans la tête de SCH pour l’écrire. J’ai adopté ce côté où tu lâches des punchlines sans forcément les lier. À la fin, une unité se dégage, mais il n’y a presque aucun lien entre les phrases ou les tons. J’ai hâte de l’enregistrer et de la sortir !

LFB : Tu joues à la Pointe Lafayette bientôt, qui est un peu le QG de ton label, Entresoi. Comment as-tu rencontré ce label ?

Tony Dola : Je les connaissais déjà et j’avais envie de travailler avec eux. Je leur avais envoyé des démos de Seul, un peu à l’arrache : c’était très folk, hyper lent, trop lent même. Un jour, alors que j’étais à la cave du Biocoop, j’ai reçu leur retour : ils étaient partants ! Ils m’ont programmé à la Pointe Lafayette il y a deux ans et demi. Depuis, il s’est passé pas mal de choses. J’ai pris le temps de m’éloigner un peu de la musique, de voir autre chose. J’ai aussi quitté la Biocoop. Ça m’a permis de dégager du temps et de revenir avec un peu plus de recul. Rejouer à la Pointe Lafayette, c’est un peu comme rentrer chez soi, même si c’est un chez-soi où la bière colle au sol et où il fait 1000 degrés.

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