Ela Minus : « Je fais de la musique pour exister »

Après un premier album très prometteur, Ela Minus en livre la continuité dans un nouvel opus nommé DIA qui voit le jour en ce début 2025. Après acts of rebellion, elle continue de mettre ses valeurs et combats en avant dans une musique électronique puissante et immersive. C’est de tout cela qu’on a parlé avec elle, au fil d’une discussion dont on vous fait part dès maintenant.

ENGLISH BELOW

LFB : Cela fait quatre ans depuis ton dernier album. Comment te sens-tu en avant cette nouvelle sortie ?

Ela Minus : Je suis excitée. Cela fait un moment maintenant qu’il est prêt. Ça me parait un peu irréel que cette partie de ma vie puisse enfin exister auprès des gens. Mais c’est chouette, j’ai hâte.

LFB : La promotion, c’est important pour toi ? De parler de la sortie, du processus de création, etc.

Ela Minus : Je ne sais pas si c’est important pour moi mais ça l’est pour le public (rires).

LFB : Pour comprendre ta musique ? Aimes-tu en parler ? Je sais que ça peut être difficile pour certain.e.s artistes de mettre des mots sur leur musique.

Ela Minus : Pour être honnête, je n’y ai jamais pensé. Je pense que c’est un exercice intéressant parce que pour moi, faire de la musique c’est assez instinctif. Mais c’est intéressant de pouvoir discuter de ma musique et de moi parce que vous (les journalistes, ndlr) me posez des questions que je ne me suis jamais posées. C’est pour cela que je pense que c’est toujours intéressant.
Honnêtement, j’apprécie ma tournée promo. Les journalistes musicaux sont des personnes intéressantes.

LFB : Tu as fait partie d’un groupe punk et maintenant tu fais de la musique électronique. Au fil de cette carrière tu as toujours défendu certaines valeurs dans ta musique. Comment as-tu réussi à ne jamais abandonner ces valeurs tout en changeant de style ?

Ela Minus : Je suis contente que tu l’aies remarqué. Je pense que j’ai toujours essayé d’être honnête parce que c’est comme ça que j’ai grandi. Je fais de la musique pour exister, pas pour achever quelque chose. C’est de cette manière que je conçois la musique, je veux continuer à faire ce que je veux sans me préoccuper des ventes ou d’autres choses futiles. J’ai toujours essayé d’être une personne entière et ça se retrouve aussi dans ma manière de faire de la musique.

LFB : Entre la musique électronique et la musique punk, tu es allé à Berklee et tu y as appris le jazz. Comment cela s’est-il produit ? Pour moi, ce sont deux styles qui ne se situent pas sur le même spectre, ça me parait fou de passer du punk au jazz.

Ela Minus : Je suis d’accord, ce sont des genres musicaux très différents. J’ai fait du punk dans un groupe pendant mes années d’adolescente. Par la suite, j’ai dû aller étudier la musique dans une école sinon j’allais probablement devoir rester dans ce groupe et trouver un boulot sur le côté pour vivre. J’ai pensé que le plus intelligent pour mon futur était d’aller à l’école (rires).
Je voulais continuer à apprendre la musique, que ça soit le jazz ou un autre style n’avait pas vraiment d’importance pour moi. Pour le coup, je suis vraiment tombée amoureuse de ce style. Il partage avec le jazz l’esprit de la liberté, le fait que rien n’est plus important que de s’exprimer à travers la musique. Je pense que c’est pour ces raisons que je suis restée à Berklee.

LFB : C’est aussi le cas de la musique électronique qui, pour moi, est aussi une musique de liberté.

Ela Minus : Absolument.

LFB : Es-tu toujours influencée par le punk, le jazz ou même d’autres styles de musique quand tu produis ?

Ela Minus : Oui, absolument ! Le jazz est sûrement ce que j’écoute le plus. J’écoute moins de punk qu’avant mais l’esprit est toujours en moi.

LFB : La musique électronique est souvent assimilée à la fête et tu arrives quand même à y faire passer un message fort de sens. Ta musique pourrait-elle être comparée à un club transformé en ring de boxe ?

Ela Minus : C’est une question difficile, je n’en sais rien (rires) mais c’est très intéressant de voir ma musique de cette manière. Pour moi l’aspect dansant est quelque chose que je ne veux pas oublier. J’aime me faire danser et par conséquent, j’aime que les gens dansent sur ma musique. Mais l’engagement compte beaucoup dans ma manière de faire de la musique, c’est ce qui lui donne la possibilité d’être écoutée en dehors du club.
Pour moi, c’est très important que la musique électronique puisse aussi vivre en dehors des clubs. C’est en réfléchissant comme ça que j’ai pu trouver une balance entre mes engagements et un côté festif. Je pense que c’est comme ça qu’on arrive à faire de la musique intemporelle. En tout cas, c’est ce que j’espère. Je ne veux pas que ma musique dure le temps d’une soirée en club et qu’un an plus tard on passe à autre chose.

LFB : De base, j’écoute beaucoup de rap, qui est un style connu pour être chargé en messages politiques. On pense rarement que la musique électronique peut aussi être une musique revendicatrice. Comment construis-tu tes compositions, ton esthétique, tes chauds de parties vocales pour faire comprendre ce qui t’anime ?

Ela Minus : C’est très intéressant, parce que j’écoute aussi beaucoup de rap et c’est vrai que c’est une musique chargée d’humanité. C’est ce que j’essaye de faire ressentir à travers ma musique, de l’humanité. Je fais de la musique pour que les gens puissent s’y reconnaitre même s’ils n’écoutent pas de musiques électroniques, ne me connaissent pas ou viennent d’un autre pays. Je pense qu’elle peut aussi permettre aux gens de se connecter entre eux par l’expérience, le contexte et les émotions qu’elle dégage. C’est, pour moi, le but de l’art. On oublie les instruments ou même le genre musical pour se laisser porter par la musique et l’émotion qu’elle dégage. Je pense que c’est aussi pour ça que j’ai beaucoup changeé de style.

C’est une vie en musique, ce qui compte, c’est d’être un être humain présent avec quelque chose d’intéressant à dire pour d’autres personnes et de le transformer en musique.

LFB : La musique électronique est une musique de live. As-tu déjà pensé au live autour de cet album ?

Ela Minus : Oui, j’ai déjà pu le jouer plusieurs fois cet été. Ça m’a permis de peaufiner de dates en dates pour trouver la meilleure façon d’agencer le show.
Je pense beaucoup au live parce que je trouve ça très important. Je réfléchis beaucoup à comment l’amener et à ce que j’aimerais recevoir si j’étais dans le public. Maintenant, la musique n’est plus la seule chose qui anime un live, il y a aussi les lumières, la scénographie… Je m’investis aussi sur toutes ces parties pour que le show soit un moment spécial.

LFB : Penses-tu que le public est prêt pour l’album ?

Ela Minus : Oui, même s’il ne l’est pas, l’album, lui, est prêt (rires). Quand je l’ai joué au festival Sonar à Barcelone ou dans des soirées à Londres, je ne disais pas que c’était l’album. Il n’était d’ailleurs même pas encore annoncé. Les gens dansaient, je pense que c’est un très bon signe.

LFB : Musicalement, ce nouvel album est très progressif, donnant l’impression de se diriger vers un chaos. Comment as-tu construit cet album ?

Ela Minus : C’est une bonne question. Je pense que c’était assez dur de faire le séquençage parce que les morceaux sont assez différents. Par contre, les titres me sont venus assez logiquement.
J’ai construit un peu l’album comme une journée, du moment où l’on ouvre les yeux et qu’ils s’ajustent à la lumière. J’ai essayé de faire en sorte que le temps joue un rôle dans ce projet.

LFB : Tu as beaucoup voyagé à travers le monde. Cela a-t-il influencé ta musique ?

Ela Minus : Oui, beaucoup parce que j’en faisais quand je voyageais. Ma musique repose sur cette transition constante et le sentiment d’avoir constamment un nouvel endroit de vie et ce que ça implique de travailler constamment dans des studios différents avec des outils différents.
Ça a influencé à 100% ce disque, il a été fait dans des endroits où je me trouvais inconfortable dans le sens où ce n’était pas ma maison. C’est pour ça qu’il peut paraitre aussi intense.

LFB : Quel est ton voyage préféré ? Ou celui de tes rêves ?

Ela Minus : Mon voyage de rêve est de rentrer à la maison (rires).

LFB : Si ce n’est une bonne sortie d’album, que peut-on te souhaiter pour le futur ?

Ela Minus : D’autres albums !

ENGLISH

Ela Minus: “I make music to exist, not to achieve something”

After a very promising debut album, Ela Minus follows up with a new opus called DIA, released in early 2025. After acts of rebellion, she continues to put her values and struggles forward in powerful, immersive electronic music. We spoke to her about all this, in a discussion we’re now sharing with you.

Ela Minus

LFB : It’s been four years since your last album. How are you feeling ahead of this new release?

Ela Minus : I’m excited. It’s been ready for a while now. It seems a bit unreal that this part of my life can finally exist for people. But it’s great, I can’t wait.

LFB : Is promotion important to you? To talk about the release, the creative process, etc.

Ela Minus : I don’t know if it’s important for me, but it is for the audience (laughs).

LFB : To understand your music? Do you like to talk about it? I know it can be difficult for some artists to put their music into words.

Ela Minus : To be honest, I’ve never thought about it. I think it’s an interesting exercise because for me, making music is pretty instinctive. But it’s interesting to be able to discuss my music and myself, because you (the journalists, editor’s note) are asking me questions I’ve never asked myself. That’s why I think it’s always interesting.
Honestly, I’m enjoying my promo tour. Music journalists are interesting people.

LFB : You used to be in a punk band and now you make electronic music. Throughout this career, you’ve always defended certain values in your music. How have you managed to never abandon these values while changing your style?

Ela Minus : I’m glad you noticed. I think I’ve always tried to be honest, because that’s how I grew up. I make music to exist, not to achieve something. That’s the way I see music, I want to keep doing what I want to do without worrying about sales or other trivial things. I’ve always tried to be a whole person, and that’s also reflected in the way I make music.

LFB : In between electronic and punk music, you went to Berklee and learned jazz. How did that come about? For me, these are two styles that are not on the same spectrum, so it seems crazy to go from punk to jazz.

Ela Minus : I agree, they’re very different musical genres. I played punk in a band during my teenage years. After that, I had to go and study music at a school, otherwise I’d probably have to stay in that band and get a job on the side to make a living. I thought the smartest thing for my future was to go to school (laughs).
I wanted to keep learning music, whether it was jazz or some other style, didn’t really matter to me. As it happened, I really fell in love with this style. It shares with jazz the spirit of freedom, the fact that nothing is more important than expressing oneself through music. I think that’s why I stayed at Berklee.

LFB : This is also true of electronic music, which for me is also a music of freedom.

Ela Minus : Absolutely.

LFB : Are you always influenced by punk, jazz or even other styles of music when you produce?

Ela Minus : Yes, absolutely! Jazz is probably what I listen to the most. I don’t listen to as much punk as I used to, but the spirit is still with me.

LFB : Electronic music is often equated with partying, and yet you manage to convey a very meaningful message. Could your music be compared to a club transformed into a boxing ring?

Ela Minus : That’s a difficult question, I don’t know (laughs), but it’s very interesting to look at my music in this way. For me, the dancing aspect is something I don’t want to forget. I like to make people dance and therefore I like people to dance to my music. But commitment is very important in the way I make music, because that’s what gives it the possibility of being heard outside the club.
For me, it’s very important that electronic music can also live outside the club. It’s by thinking like this that I’ve been able to find a balance between my commitments and a festive side. I think that’s the way to make timeless music. At least, that’s what I hope. I don’t want my music to last for one night in a club and then move on to something else a year later.

LFB : Basically, I listen to a lot of rap, which is a style known for its political message. It’s rarely thought that electronic music can also be a protest music. How do you construct your compositions, your aesthetics, your hot vocal parts to convey what drives you?

Ela Minus : That’s very interesting, because I also listen to a lot of rap, and it’s true that it’s a music charged with humanity. That’s what I’m trying to convey through my music: humanity. I make music so that people can relate to it, even if they don’t listen to electronic music, don’t know me or come from another country. I think it can also enable people to connect with each other through the experience, context and emotions it gives off. For me, that’s what art is all about. You forget about the instruments or even the musical genre and let yourself be carried away by the music and the emotion it releases. I think that’s why I’ve changed my style so much.

It’s a life in music, what counts is to be a human being present with something interesting to say to other people and to transform it into music.

LFB : Electronic music is live music. Have you ever thought about live performances for this album?

Ela Minus : Yes, I’ve already played it several times this summer. That gave me the chance to fine-tune the show from date to date, to find the best way of arranging it.
I think a lot about the live show because I think it’s very important. I think a lot about how to bring it and what I’d like to receive if I were in the audience. Nowadays, the music isn’t the only thing that drives a live show, there’s also the lighting, the scenography… I invest a lot of time and energy in all these aspects to make the show a special moment.

LFB : Do you think the public is ready for the album?

Ela Minus : Yes, even if it isn’t, the album is ready (laughs). When I played it at the Sonar festival in Barcelona or at parties in London, I didn’t say it was the album. In fact, it hadn’t even been announced yet. People were dancing, and I think that’s a very good sign.

LFB : Musically, this new album is very progressive, giving the impression of heading towards chaos. How did you construct this album?

Ela Minus : That’s a good question. I think it was quite hard to make the sequencing because the tracks are quite different. On the other hand, the titles came to me quite logically.
I built the album a bit like a day, from the moment you open your eyes and they adjust to the light. I tried to make time play a role in this project.

LFB : You’ve traveled the world a lot. Has this influenced your music?

Ela Minus : Yes, a lot, because I used to do that when I was traveling. My music is based on this constant transition and the feeling of constantly having a new place to live and what it implies to constantly work in different studios with different tools.
That influenced this record 100%, because it was made in places where I was uncomfortable in the sense that it wasn’t my home. That’s why it can sound so intense.

LFB : What’s your favorite trip? Or the one of your dreams?

Ela Minus : My dream trip is home (laughs).

LFB : Apart from a good album release, what can we wish you for the future?

Ela Minus : More albums!

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