Chez la Face B, on avait envie de donner la parole à celles et ceux qui accompagnent la musique au quotidien sans jamais être sur scène. Parce que ce sont, avant tout, des passionné.e.s de musique, et que sans eux, vos artistes favoris seraient peut-être encore inconnus. Cinquième épisode de notre rubrique avec Stéphane Laick, co-fondateur du label AT(h)OME.
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La Face B : Si tu veux bien, j’aimerais que l’on commence cette interview par le commencement : ta rencontre avec la musique. Est-ce-que tu pourrais nous raconter comment c’était ? Il y avait de la musique chez toi quand tu étais plus jeune ?
Stéphane Laick : Oui bien sûr. La musique était partout chez nous… J’ai des souvenirs de voyages en voiture, à l’époque où on descendait dans le sud de la France en R18, avec des cassettes de Renaud qui tournent, des cassettes de Souchon… Et puis plus tard, dans la chambre à côté de la mienne, j’ai commencé à entendre du rock, Les Béruriers Noirs, des choses comme ça…
LFB : La chambre à côté, tu fais référence à celle ton frère, Olivier?
Stéphane Laick : Absolument. C’est avec lui que quelques années plus tard, j’ai monté le label AT(h)OME. On a six ans d’écart, il est un peu plus vieux que moi. Quand j’ai commencé à être adolescent, on allait à des concerts ensemble, on écoutait de la musique plus ou moins ensemble aussi… De manière relativement simple, on a fini par monter un label.
LFB : Qu’est-ce-qu’il y avait comme concerts marquants à cette époque-là ?
Stéphane Laick : Il y en a eu tellement… Bon, après la question c’est aussi qu’est-ce-que j’ai le droit de te dire (rires)
LFB : Seulement ce que tu as envie de dire..!
Stéphane Laick : Bon, alors, mon premier vrai concert, j’étais avec mon frère, c’était un concert de Simple Minds. J’aimais beaucoup le groupe à cette époque là. Je devais avoir 13-14 ans, pas plus… Puis, comme on vivait dans l’Est, j’ai fait toutes les Eurockéennes de Belfort pendant dix ans. Comme concerts marquants il y a eu Bodycount, les Chemical brothers, Smashing Pumkins, The Cure, Rage Against the Machine, Suprême NTM, et tant d’autres…… Il faut aussi dire qu’à Nancy, où je vivais, il y avait une salle qui s’appelait le Terminal Export, et qui faisait venir énormément de groupes. J’y ai vu toute la scène brit pop que j’adore : Blur, Divine Comedy, Supergrass… J’ai aussi des très bons souvenirs de concerts français : de Mass Hysteria, de Lofofora…
LFB : Que le label produit maintenant, non ?
Stéphane Laick : Oui. Je les ai même vus en concert en plein air à la goutte d’or, à Paris… C’était en 1996 je crois, j’étais en stage à l’époque… Et un dimanche après midi, je vois « Lofofora en concert à la goutte d’or », alors je me dis génial, j’y vais…
Et je les découvre devant un public un peu clairsemé, presque une fête de village. Ils jouaient sur un semi-remorque, avec des gens qui pogotaient plus ou moins devant. Je me souviens encore de Reuno sur scène (le chanteur NDLR) qui demande au public à qui est le portefeuille qu’ils viennent de retrouver… J’avais halluciné.
J’ai eu l’explication un peu plus tard. Ils avaient enregistré un titre qui s’appelle Justice pour tous, à mon sens un titre emblématique, et en fait, ce titre avait été écrit avec des enfants de la Goutte d’or. Ils étaient donc à la fête de la Goutte d’or pour leur rendre la pareille…
LFB : Venons en au label. Comment ça s’est fait cette histoire, comment vous l’avez fondé, en 2002 ?
Stéphane Laick : Olivier et moi avions tous les deux fait une école de commerce. Comme Olivier était un peu plus âgé que moi, il était déjà en activité, il était en poste chez EMI… Et moi, de mon côté, je finissais mes études. J’avais dans l’idée de travailler dans la culture. J’avais fait un stage chez Glénat, dans la BD, un stage chez Sony, dans la musique, et un chez MK2, dans le cinéma…
Au moment de rentrer dans la vie active, mon frère décide de quitter son poste chez EMI, pour monter un label indépendant avec un autre ancien de chez EMI. Il me propose de venir travailler avec eux. Ce premier label s’appelait Jaff. Je travaillais sur de la promo locale avec eux… Il y a eu quelques beaux artistes sur ce label, Enhancer, Bumblefoot (groupe du guitar hero Ron Thal), Lofofora (déjà)…
C’est drôle, alors que je craignais légèrement de travailler avec mon frère, c’est avec l’autre
associé que les choses ne se sont pas passées comme prévu. Alors on est parti pour créer un nouveau label, qu’on a installé au rez-de-chaussée de la maison que mon frère venait de s’acheter en
banlieue parisienne. D’où le nom AT HOME (à la maison) et le jeu de mot avec ATOME (parce qu’on voulait que ça envoie) et le (h) mis entre parenthèses.
La volonté qu’on avait tous les deux en fondant le label, c’était de défendre cette scène qu’on avait adorée quand on était jeunes. Tous les concerts qu’on avait vus aux Eurockéennes par exemple, on avait envie de défendre des projets qu’on aimait, avec une large palette de courants musicaux…
LFB : Il y a en effet une richesse esthétique assez incroyable dans votre catalogue…
Stéphane Laick : Moi je vais te dire, les labels qui ont une ligne éditoriale trop cohérente, ça m’a toujours fait chier (rires). Bon, même si, évidemment, je respecte, c’est agréable de pouvoir prendre n‘importe quel disque d’un label et de savoir que tu vas l’aimer…
Mais nous ce qu’on voulait c’était défendre la scène française dans toute sa diversité. Le sous-titre du label, depuis le début, c’est « label rock ouvert indépendant ». On défend cette ouverture d’esprit. Mon rêve ça a toujours été que quelqu’un vienne chez nous pour un disque de Arman Méliès et reparte avec un disque de Lofofora.
LFB : Ça faisait justement partie de mes questions, la ligne éditoriale du label. Entre Marcel et son orchestre, La Maison Tellier et Lofofora, ça me semblait partir dans tous les sens, mais finalement, ça n’a pas beaucoup d’importance…
Stéphane Laick : Oui, c’est ça… La seule ligne directrice du label, c’est la scène française. Maintenant que tu m’as posé la question de ce que j’écoutais quand j’étais petit, je me dis qu’en effet on a une appétence pour les gens qui chantent en français. Mais sinon, on prend juste des gens qui jouent bien sur scène (rires).
LFB : Comment ça se passe pour signer des artistes chez AT(h)OME justement, ça part d’un concert ?
Stéphane Laick : Aujourd’hui, on a la chance d’avoir de l’ancienneté, et donc de pouvoir recevoir des projets qui viennent à nous de proche en proche. Par exemple : un copain tourneur ou éditeur qui nous envoie quelqu’un… C’est surtout comme ça qu’on trouve des projets. On a pas vraiment le temps de faire tous les concerts pour chercher des artistes…
Mais quand on commence à s’intéresser à un projet, la notion de la scène est essentielle. On a besoin qu’il y ait des concerts, on a besoin que les artistes y soient bons, qu’il y ait une existence de ce côté là. Parce que les projets que l’on sort, on a souvent du mal à les exploiter en radio, alors la scène, c’est ce qui nous permet de rayonner nationalement.
LFB : Vous faites aussi du booking chez AT(h)OME ?
Stéphane Laick : On en a fait à une époque, mais chaque chose en son temps (rires). On a des problématiques d’indépendants quand même. De financement, de trésorerie pour faire vivre la structure et continuer à exister… Même si j’ose croire qu’en 22 ans on a réussi à sagement gérer notre histoire.
Quand on avait commencé à développer du booking, on s’était vite rendu compte que c’est une activité au moins autant compliquée financièrement que celle de label. Et c’est difficile d’avoir deux activités en même temps où l’on est à risque…
LFB : Il y a quelques années, vous avez créé une charte de « producteur indépendant ». Tu peux nous en dire plus, qu’est-ce-que ça veut dire pour toi être indépendant, pourquoi c’est important ?
Stéphane Laick : On a créé ça à l’époque où le disque était plus fort, et on voulait faire apparaître sur les pochettes un petit logo qui indique que l’album était produit par un indépendant…
LFB : Le disque bio, en somme.
Stéphane Laick : Voilà, un peu. L’idée était de signifier au public qu’en achetant cet objet, il était en lien direct avec un producteur, et non pas avec une multinationale…
LFB : Pour moi, c’est aussi un gage de qualité humaine, quand on parle aux labels indépendants, on a l’impression qu’ils ont un fonctionnement interne plus humain que les grosses majors, où les employés ont un cercle d’autonomie assez réduit et prennent rarement de décision eux mêmes…
Stéphane Laick : Oui, c’est surtout ça la différence. Je ne doute pas qu’il y ait des gens passionnés et sincères dans les majors. Mais par contre, les postes sont très cloisonnés. Le type du digital ne s’occupe que du digital, celui qui fait le marketing ne fait que le marketing… Chacun a une zone de travail très précise et n’est pas habilité à parler d’une zone qui n’est pas la sienne. C’est une des raisons pour lesquelles mon frère est parti de chez EMI d’ailleurs…
Alors que chez AT(h)OME, quand les gens nous parlent, ils savent qu’ils s’adressent à des gens qui ont une vision de toute l’activité du label. Donc les décisions sont plus rapides, les dialogues plus fluides… C’est notre force.
Après, on ne va pas tout peindre en rose. Il y a aussi des inconvénients… Par exemple, on est en lien direct, sans filtre, avec les artistes. Ce qui veut dire que quand un manager ou un artiste n’est pas content, on prend plein pot… Quand un artiste nous lâche pour signer ailleurs, on est en prise direct avec cette déception… Il faut un peu de cuir pour encaisser ça. Au bout de 22 ans ça va mieux, mais au début, c’était pas facile. On n’a pas de service juridique qui peut filtrer les choses, pas de service financier…
LFB : Vous avez donc fondé le label il y a 22 ans…
Stéphane Laick : 22 ans, ressenti 150 (rires)
LFB : Et oui, d’autant que le monde de la musique a énormément changé. L’autre jour j’ai interviewé un data analyst, c’est un métier qui n’existait même pas il y a quinze ans… Comment tu vois toutes ces évolutions ?
Stéphane Laick : Il faut être résilient. Il faut savoir s’adapter… J’ai démarré le label à une époque où on faisait 100% de vente physique en magasin. Ta recette était là, entièrement.
Aujourd’hui, le modèle c’est du digital, de la vente en magasin, de la vente aux fans, des droits voisins, des subventions, des crédits d’impôts… Tes revenus sont complètement fragmentés. Je pense que les labels qui n’ont pas su s’adapter à ce changement ne sont plus là pour en parler…
On a vu arriver le digital très vite. Vers 2005, les premières plateformes proposaient uniquement du téléchargement… On s’y est tout de suite intéressé. On avait développé un réseau de webzines avec qui on travaillait… On a toujours travaillé sur internet, on s’est toujours intéressé aux micros niches qui existaient, parce que les micro niches, parfois, se transforment en gros chenils… On a vite ouvert les contrats Virginmega, on a ouvert les contrats Fnac music, même si ça ne nous rapportait que quelques centimes…
Je vais même te raconter un truc : à l’époque où on sortait le troisième album d’AqME, vers 2005, j’avais réalisé qu’on était pas sur Itunes, et que c’était dommage, parce que l’album était super important pour nous et que Itunes ressemblait déjà un peu à l’avenir. Au même moment, j’avais un copain qui venait de monter sa boîte en tant qu’associé et qui me tannait pour qu’on bosse ensemble. Alors je lui ai dit, « on sort le troisième album d’AqME et je veux qu’il soit sur Itunes, on le fait ensemble ».
Figure-toi que la boîte de ce copain : elle s’appelait Believe.
LFB : Je l’avais pas vue venir (rires)
Stéphane Laick : Et donc, j’ai signé un contrat avec eux en 2005 pour la distribution de notre catalogue sur Itunes… Puis le digital a évolué, Believe a évolué aussi… On travaille avec eux depuis lors. C’est une boîte pour laquelle j’ai beaucoup de respect.
En 2013, j’ai créé un poste de chargé digital au sein du label. En 2013, le streaming était absolument pas au niveau actuel, mais je savais qu’il y avait un truc essentiel qui s’y passait. On a fait l’effort financier pour avoir quelqu’un qui aide nos artistes à avoir une présence en ligne vraiment propre.
Et ça a bien marché : au moment de la grosse croissance du streaming, vers 2015, notre catalogue pop/chanson française avait une croissance en streaming supérieure à celle du marché. Parce qu’on était prêts, tout simplement…
LFB : En parlant de 2015, c’est l’année de sortie de l’album Avalanche, de La Maison Tellier, sur votre label. C’est mon album de lycée, que j’ai écouté un nombre de fois incalculable… J’ai plein de souvenirs avec ce disque, en terminale…
Stéphane Laick : J’étais super fier du travail qu’on avait fait avec La Maison Tellier. Il y avait eu un gros travail de développement et d’images sur le précédent, Beauté pour tous…
LFB : Qui était leur grande renaissance, d’ailleurs !
Stéphane Laick : Oui, je suis content que tu en parles. Je pense qu’on les a bien aidés sur cette partie de leur carrière, sur cette album puis Avalanche. Je suis un peu triste qu’ils aient choisi de nous quitter, mais bon, c’est la vie… Je continue à regarder cette période avec fierté.
LFB : Tu peux ! Avalanche, c’est Yann Arnaud qui le réalise il me semble (qui a aussi travaillé avec Syd Matters ou Dominique A, NDLR), et pour moi c’est vraiment un disque important.
Stéphane Laick : Oui, on avait cassé notre tirelire pour le faire celui là. On avait loué le studio de la Frette, un magnifique studio dans un manoir avec un petit parc autour… De Fontaines DC à Nick Cave, de très grands albums s’y font. Toute la maison est équipée pour enregistrer. Tu as un studio avec des cabines, mais le salon au rez-de-chaussée est aussi câblé… Si tu veux enregistrer tes parties de guitare avant d’aller courir dans le parc, tu peux… Et tout ça avec un son incroyable, un peu vintage. Il a fallu trouver les sous, mais j’étais vraiment ravi de pouvoir leur offrir ça, à La Maison Tellier…
LFB : Et moi de l’écouter.
Stéphane Laick : Alors tant mieux (rires)
LFB : Comment tu vois l’avenir à AT(h)OME ?
Stéphane Laick : Je le vois plutôt dynamique. Et je vais te dire : on arrête pas. On sort une dizaine de projets par ans, et l’on produit la majeure partie de ce qu’on sort. On propose un niveau de production, de travail et d’investissement que peu de labels indépendants sont capables d’offrir. On veut continuer à faire ça. Défendre le métier de producteur, accompagner nos artistes, leur proposer du budget et du travail pour les aider à se développer.
LFB : Et contre vents et marées, à travers toutes les évolutions du secteur…
Stéphane Laick : Peu importe les évolutions du secteur, je pense qu’on est rompu à tout maintenant (rires).