Yoa : « L’album et sa forme me ressemblent : c’est un joyeux chaos »

C’est dans les loges du Grand Mix qu’on a retrouvé Yoa lors d’un de ses derniers concerts de l’année 2024. Avec l’artiste, on a longuement échangé autour de la sortie de son tout premier album : la favorite. On a parlé d’écriture, de variété de styles musicaux, de sororité et de l’importance de rendre fier l’enfant que l’on continue de porter en nous.

yoa-la-favorite

La Face B : Salut Yoa, comment ça va ?

Yoa : Ça va vraiment bien. Franchement, ça va vraiment bien. Ce qui est étonnant parce que je sais que là, je ne me suis pas du tout assez reposée le mois dernier. Mais sinon, ça va très bien.

LFB : Tu as eu une année 2024 assez intense. Je me demandais comment tu l’avais vécue surtout au niveau de la tournée. J’ai l’impression que tu es allée explorer le territoire francophone.

Yoa : En vrai, cette année était plus rude pour tous les espaces de travail qui étaient à Paris que pour la tournée. Moi, la tournée c’est tellement l’endroit que je préfère parce qu’en vérité, c’est super cadré. Tu as des horaires. Tu ne peux pas commencer ta journée à 17 heures si tu en as envie ou à 8 heures du matin. Tu as la routine des dates qui donne quand même un super cadre. Je suis super stressée plutôt des moments où je ne tourne pas beaucoup. Au moins, quand tu es en tournée, il y a une petite routine qui s’installe, qui est épuisante mais pas désagréable. Là où après avec le studio… Bon après, c’est parce qu’il y a beaucoup de choses à gérer et que c’est compliqué de créer un truc immatériel à plusieurs. Moi ça allait en vrai cette année. Et j’ai moins tourné que l’année dernière aussi, par choix. Voilà, c’est surtout depuis cet hiver qu’il y a plein de dates.

LFB : Finalement, entre Chansons tristes et l’album qui sort en janvier, j’ai l’impression qu’il n’y a pas vraiment eu de pause. Il y a eu un EP entre temps aussi qui était presque une sorte de teaser. Je me demandais ce que ça représentait pour toi cette idée de premier album ?

Yoa : Je ne suis pas attachée aux premiers albums en général. Je m’en fous un peu. Je ne voulais pas faire de la musique à la base dans ma vie. Je n’ai pas du tout grandi avec le truc de me dire que mon premier album devait être un truc de ouf, que je ne devrais pas me rater. Je n’ai pas grandi avec cette idée-là en tête. Pour moi, le premier ou le quinzième album doivent se valoir. Je pense aussi surtout qu’un premier album a un sens très particulier quand c’est ta première sortie. Moi j’ai déjà sorti trois EPs avant. Là, ce qui est super intéressant et que j’ai adoré faire, c’était le format long. Je pense que ça devrait être plus compliqué pour moi maintenant de refaire un EP et de repasser sur un format court. Pour moi, symboliquement, c’est plus l’industrie qui fait peser un poids particulier sur le premier album. Et l’industrie française surtout. Ce qui est super dommage parce que ça crée beaucoup de stress.

LFB : Tu as l’impression que tu ne peux pas faire une tournée en ton nom si tu n’as pas un album.

Yoa : Oui, complètement. Et puis tu ne peux pas avoir accès à certaines aides si tu n’as pas fait de premier album. Tu n’as pas accès à certaines salles, tu ne peux pas avoir accès à certains trucs si tu n’as pas fait de premier album.

LFB : Alors que ce sont des formats qui n’existent plus dans l’esprit des auditeurs.

Yoa : Voilà. Je pense qu’il y a des gens qui ont l’habitude des albums et qui apprécient les albums donc ils auront plaisir à en écouter un mais aujourd’hui, les formats sont tellement éclatés… Mais je suis très contente de ce que j’ai fait. Je suis très contente d’avoir fait un album et d’avoir appris à faire une forme plus longue. C’était trop intéressant à faire.

LFB : J’ai l’impression qu’il y a un truc qui reste très vrai depuis Attente, on reste toujours dans une conversation entre toi et toi-même. C’est ce que je t’avais dit à l’époque et l’écoute de l’album continue à me faire penser à ça.

Yoa : Tu as raison. Je pense que c’est l’un des trucs principaux. Encore une fois, je ne suis pas musicienne de formation et j’ai tout fait un peu en autodidacte. Parfois et pendant la création de l’album, je me suis sentie un peu pas à ma place en me demandant ce que je foutais là parce que ma musique, ce n’est pas du tout comme la musique de Claude ou celle de Zaho qui sont des gens qui ont grandi et qui ont nourri leur travail depuis des années. Zaho a mis trois ans à faire son album. Moi j’ai mis un peu moins d’un an. Musicalement, mon premier EP ne ressemble pas au deuxième, qui ne ressemble pas au troisième, qui ne ressemble pas à l’album. J’ai toujours trouvé que je n’avais pas de marqueurs forts musicalement. Mais en vérité, je pense que ce qui fait le lien dans toute ma musique, c’est toujours cette idée de truc très intime où j’essaie de dire le plus la vérité possible. Toi, je pense que c’est ça que tu appelles « parler entre moi et moi-même. » C’est vrai aussi.

LFB : Même s’il y a des paradigmes qui changent, c’est marrant que tu parles de musicalité parce que j’ai l’impression que sur l’album et ça a l’air d’être un choix très conscient, chaque morceau a une identité très propre. Il y a un truc très éclaté et une volonté d’explorer plein de choses à travers la musique alors que les thématiques de l’album sont très recentrées sur les mêmes idées. Musicalement, j’ai l’impression qu’il fallait qu’il y ait de la variété.

Yoa : Grave parce que je n’ai tellement pas d’identité musicale en termes de sonorités. Je pense que demain je pourrais faire un album de chansons, un album techno le lendemain, un album de raggaeton le surlendemain. Je n’ai tellement pas d’identité sonore à laquelle je tiens particulièrement, donc ça devient un luxe, je peux faire à peu près tout et n’importe quoi.

LFB : Pour moi, tu as évité un piège qu’on aurait pu te tendre. J’ai l’impression qu’on qualifiait beaucoup ta musique de mélancolique, j’ai aussi l’impression que tu as aussi voulu éviter ça et que tu es allée chercher des trucs beaucoup plus solaires et organiques.

Yoa : Je pense que l’album dans sa forme me ressemble tellement et ressemble tellement à la manière dont il a été créé. C’est un joyeux chaos. En vérité, même si chacun a son lot de merdes, de maladies mentales et de problèmes psy et tout, fondamentalement je suis quelqu’un de très joyeux et rigolo. Je trouve que ça se ressent dans l’album. Il y a plus d’ironie peut-être, là où dans Chansons tristes c’était un peu plus premier degré. Là, ça l’est un peu moins.

LFB : Il y a des morceaux qui sont faits pour ça. Je pense notamment à Matcha Queen ou même à Mes copines. Des trucs qui sont vraiment là pour montrer que personne ne connaît Yoa. C’est marrant que tu parles de chaos parce que pour moi, La Favorite, c’est un album d’émancipation dans lequel il y autant de reconstruction que de destruction.

Yoa : C’est vrai. Ça me touche, c’est une super belle formule. C’est hyper vrai. Je ne sais pas ce que je pourrais rajouter d’autre, c’est hyper vrai.

LFB : Le choix du titre n’est pas choisi par hasard. C’est une référence à un film mais dans l’idée aussi de continuer la discussion entre toi et toi-même, la favorite c’est aussi vouloir être celle des autres mais aussi être la favorite pour toi.

Yoa : Absolument. Exactement, il y a cette ambivalence-là dans le titre que j’aime beaucoup. La référence au film et aussi le fait que généralement dans un concours, il y a le ou la favorite mais il y a aussi le ou la perdante. J’aimais aussi cette idée que la place de la favorite n’est jamais stable. Le favori aujourd’hui ne sera pas le même que dans six mois, qui n’était pas le même il y a six ans. C’était les mêmes dynamiques à la cour où la favorite du roi pouvait perdre sa place et être remplacée par une autre. Il y a cette idée-là aussi qui témoigne d’un truc qui m’a beaucoup portée pendant la création de l’album alors même que je ne suis pas connue et que je n’ai pas un succès public. Je me suis tellement comparée et sentie mise en compétition avec les filles autour de moi, mais à un niveau qui m’a fait tellement souffrir parce que je n’ai jamais été empreinte à de la jalousie ou de trucs comme ça dans ma vie. L’industrie du disque en France est tellement néfaste.

LFB : C’est ce que disait Ian (Caulfied ndlr).

Yoa : Complètement, et son texte est trop important. J’ai pensé à ça tout de suite et à comment je me suis sentie en faisant mon disque aussi. C’était important pour moi de l’appeler comme ça.

LFB : Pour moi, il y a deux thématiques importantes dans l’album mais appeler son album comme ça par rapport à ce que ça raconte, ça prend aussi le contrepied de l’une des thématiques de l’album. Pour moi, c’est un album qui est énormément centré sur la sororité et sur le fait qu’on a besoin de l’amour des siens pour avancer, et pas se tirer dans les pattes. On parlait de Matcha Queen, de Mes copines mais même Contre-cœur qui est un pendant un peu plus triste parle aussi de ce besoin des autres pour se tirer vers le haut.

Yoa : Complètement. Pour moi, ce n’est pas seulement des autres mais c’est important d’insister sur le besoin des autres filles. C’est très dur. Moi, c’est un truc dont j’ai envie de parler maintenant parce que c’est important pour moi et que ça m’a fait vraiment souffrir. Bêtement parce que ce sont des trucs auxquels je n’ai même pas réfléchi moi-même. Ce sont des trucs qu’on m’a mis en tête et que les gens de l’industrie me mettaient en tête sans faire exprès. Mais c’est tellement ancré dans la tête des gens et tout. Je sais qu’avec Zaho par exemple, je me suis mise en compétition dans ma tête avec elle mais toute seule, absolument toute seule. Enfin pas toute seule parce que c’est vraiment les pros et l’industrie autour de moi qui ont implanté la graine. Ça m’est arrivé de croiser des gens que j’aime beaucoup et qui sont pro et qui ne se rendent pas compte de ce qu’ils disent, qui me disaient « ah bah dis donc toi et Zaho, c’est aux coudes-à-coudes », « il n’en restera qu’une et tout »…. Des trucs comme ça pendant des mois.

LFB : C’est parce que dans l’industrie musicale, certains sont des vampires. Ils se nourrissent de ça.

Yoa : C’est un truc de fou. Pour moi, c’est important d’insister sur le fait que c’est un album aussi pour les femmes, et pour les femmes musiciennes. C’est tellement dur de ne pas rentrer dans le jeu du capitalisme et de l’industrie. Il y a qu’en se répétant qu’on est ensemble qu’on ne rentrera pas dans ce jeu-là. Je parle de Zao mais le fond du problème, c’était moi. Juste du coup, ça me renvoie à des insécurités de moi et je me dis que putain, je ne suis pas assez bien. Voilà.

LFB : Je parlais des titres parce qu’il y en a qui sont évidents mais cette idée de sororité est partout dans l’album. Tu prends 2013, il y a aussi cet écho-là qui te dit que ça va aller. Dans chaque morceau, il y a cette idée d’être portée par ses sœurs.

Yoa : Complètement. Mes relations sororales et d’amitié féminines ont compté plus que n’importe quoi dans ma vie. Aujourd’hui encore, j’ai un rapport plus complexe encore avec mes amis qu’avec mes potentiels partenaires amoureux. Vraiment, avec mes amitiés, elles m’ont formé d’une manière que je remercie et que je chéris beaucoup.

LFB : Typiquement, aller chercher quelqu’un comme Geagea pour travailler avec elle, qu’est-ce que ça t’a apporté dans la création de l’album ? D’aller chercher des femmes productrices.

Y : J’essaie aussi dans une démarche à la fois politique et pour ma santé, de m’entourer principalement de femmes et de femmes artistes avec qui je vais travailler. Géraldine, on s’est rencontrées en studio et très vite, c’est devenu un modèle pour moi parce que c’est quelqu’un qui est un peu plus âgée que moi. Elle a quasiment vingt ans de carrière à à peine trente piges, ce qui est un truc de malade. Elle est impressionnante et est d’une humilité folle. Surtout, sa musique est incroyable. Pour moi, c’était absolument naturel de travailler avec elle comme de travailler avec Iliona, Olivia Merilahti… Ce sont des filles dont je suis super fan depuis des années.

LFB : Qui te font avancer aussi.

Yoa : Oui complètement. Il y en a certaines que j’ai rencontrées pendant l’album, genre Olivia et d’autres qui étaient déjà mes amis à la base. Géraldine, c’était un peu des deux parce qu’on s’est rencontrées dans un camp d’écriture.

LFB : Je vais continuer sur l’autre thématique. C’est un album qui parle beaucoup d’amour mais de la même manière que les productions sont très éclatées, c’est un album qui parle d’Amour avec un A majuscule parce que ça parle de l’amour de soi, de désir, de l’amour de ses amis. Il y a cette volonté d’éparpiller l’amour et de montrer que pareil, c’est un sentiment qui est bien plus multiple et bien plus compliqué que ce que la pop française peut montrer.

Yoa : Complètement. Franchement, je suis hyper fière de ça. Des thèmes que j’ai abordé dans le disque parce que même les chansons d’amour un peu tradi que j’ai essayé de faire dans le disque, je trouve qu’elles ne sont pas tant tradi que ça. Bombe, le refrain pour moi, il est plein d’ironie et c’est quand même une blague de dire que je vais te larguer comme une bombe. Je trouve ça quand même marrant. C’est un morceau que j’avais écrit pour Wejdene d’ailleurs à la base mais finalement, ça ne s’est jamais fait. Les grandes chansons, c’est peut-être plus traditionnel mais je lui trouve aussi un double sens.

LFB : Pour moi, c’est le morceau le plus méta de l’album, avec ce double discours que tu n’entends pas forcément au début et au bout d’un moment, tu dis qu’en fait tu ne parles pas du tout de chanson française.

Yoa : Complètement et ça, c’est Greg qui me l’avait fait remarquer. Il m’avait dit que pour lui, ce morceau c’était comme si je disais aux gens que la société n’a pas l’habitude d’aimer, qui ne sont pas représentés dans les grandes chansons d’amour françaises en général, que je leur disais que je les aime. En vrai, il y a de ça aussi dans cette chanson. Je suis plus fière qu’elle parle de ça aussi aujourd’hui que du fait qu’initialement, ça soit une chanson d’amour à la base. Après, il y a Là-bas part. 2 qui est une chanson de rupture où pareil, j’ai essayé d’être sincère et je n’avais qu’en modèle le morceau de Stupeflip qui s’appelle Nan ?….. Si ?. Incroyable morceau. Pour moi, c’est LA chanson de rupture.

LFB : Il est fou et tellement inattendu dans l’univers du groupe.

Yoa : Franchement, ce morceau est dingue à tous les niveaux. Il y a une phrase de ma chanson que j’emprunte à cette chanson, c’est « maintenant je ne suis ni ton pote, ni ton amoureux ». Voilà pareil, j’ai essayé de tordre les codes de la chanson d’amour.

LFB : Même Tu veux me ?, je la trouve hyper drôle cette chanson.

Yoa : C’est hilarant oui.

LFB : C’est hilarant quand tu te dis qu’il y a des gens qui vont le prendre au premier degré. Il y a un truc hyper intéressant qui a toujours été là dans ton écriture, je te rapprocherais beaucoup de Rebeka Warrior. On est toujours dans la crudité mais la crudité poétique qui ne traverse jamais la ligne de la vulgarité.

Yoa : Ça me touche parce que j’essaie de le faire.

LFB : Parfois, j’ai presque l’impression que c’est de l’écriture automatique. Ce besoin de garder une espèce de naïveté aussi.

Yoa : Complètement. Mais après, la naïveté est aussi travaillée parce qu’elle m’intéresse. Je trouve que c’est toujours plus impactant par exemple de dire un texte dégueulasse avec un ton très monotone et une prod’ douce derrière.

LFB : J’ai interviewé Rebeka il y a quelques jours et c’est ce qu’on disait. Quand Kaaris ou Damso font des textes comme ça, c’est juste vulgaire mais le travail est aussi de le rendre poétique.

Yoa : Complètement. Effectivement, je pense que ça n’a pas le même poids que quelqu’un qui dit « je vais te sucer » quand moi je le dis et quand quelqu’un d’autre le dit.

LFB : Il y a un truc où quand c’est dit par un homme, il y a un truc de fantasme un peu dégueulasse.

Yoa : Absolument.

LFB : Dans l’album de Kompromat, il y a une chanson où Vitalic était choqué parce qu’elle dit « je me suis branlé plus de dix fois ». Dit par une femme, ça n’a pas le même impact que dit par un homme. Il y a un côté plus disruptif et plus libérateur parce que dans la chanson, on a toujours tendance à vouloir policer le discours de la femme.

Yoa : Complètement. C’est aussi pour ça que pour moi, c’est une volonté plus politique d’écrire crûment, de mettre les mots, de ne pas trop mettre de figures de style abondamment qui viendraient lisser ou imager le discours. Parce que je trouve que dans les récits de femmes qui chantent et chez les song-writeuses françaises, il y a encore une tendance à venir policer, camoufler les mots crus que les hommes s’approprient et s’autorisent à dire sans soucis. Pour moi, c’est important de parler de sexe, de dire les bons mots. Dans Le collectionneur pour moi c’était hyper important de dire viol. Ce sont des trucs qui m’ont été reprochés, qui ont été questionnés.

LFB : Ça prouve qu’il y a encore du progrès à faire sur le patriarcat. Il y a une thématique dont j’aimerais parler avec toi et qui, pour moi, est un peu une thématique secrète de l’album. J’ai l’impression que l’un des trucs importants, c’est le fait de rendre fier l’enfant qu’on a été et surtout l’enfant qu’on garde en soi.

Yoa : Oui, complètement. D’ailleurs quand j’ai livré mes remerciements pour le disque physique, j’ai regretté de ne pas avoir mis une phrase pour cet enfant-là parce qu’en vérité, c’est pour elle que je fais tout ça. C’est pour elle que j’essaie, en tout cas au niveau du travail, personnellement il y a des trucs que j’ai à régler et qu’il faut que je règle pour ma petite Yoa, mais dans le travail je ne sais pas où je vais mais je vais le plus loin possible pour qu’elle fasse « oh » comme ça. C’est vrai.

LFB : Le collectionneur est un morceau fort, qui tranche un peu mais il est amené hyper intelligemment sur l’album parce qu’il y a Héros juste avant. Je me demandais si ça avait été réfléchi de les placer l’un après l’autre ?

Yoa : Absolument. J’ai toujours entendu la fin de l’album comme ça. Vraiment depuis qu’on a fini ces morceaux-là, je savais que l’album finissait comme ça. On a hésité à un moment à peut-être enlever Héros de l’album parce que je ne voulais pas un album trop long parce que justement je me disais que si l’album ne fait pas onze titres, les gens n’allaient pas écouter. En fait, je me suis dit que je m’en branlais complètement. Donc on l’a remis.

LFB : Je trouve que quand tu écoutes Héros comme ça, elle passe un peu inaperçue et tu te le reprends dans la tronche justement parce qu’il y a Le collectionneur derrière.

Yoa : Je suis hyper d’accord. Héros, c’est une chanson que j’aime trop aussi. Tout l’ADN, toute la forme de la chanson et son squelette étaient super précis dans ma tête. C’est une chanson qui est allée plutôt vite mais oui, je trouve qu’elle prend tout son sens aussi avant Le collectionneur.

LFB : Du coup, Le collectionneur, est-ce qu’on peut dire que c’est un morceau qui n’aurait pas forcément dû être dans l’album à la base et qui est arrivé comme une évidence ? J’ai l’impression que c’est un morceau très spontané, qui est très important. Ce que j’aime beaucoup dans ce morceau, c’est qu’au début tu prends le rôle de la personne en face et c’est important, avec la façon dont le morceau est construit, qu’il y ait ce basculement. Et de dire à la personne qui parle au début que c’est une énorme ordure.

Yoa : Oui grave. Écoute pour la première partie de ta question, il y a deux morceaux dont je me suis questionné la place dans l’album, c’était Le collectionneur et Nulle. Au final, j’ai gardé les deux parce que les deux disaient quelque chose de moi qui était trop intime et que je n’avais pas envie de ne pas laisser dans l’objet. Même si les morceaux sont déjà sortis, je voulais quand même qu’ils soient dans l’objet album. Mais c’est vrai qu’effectivement, il aurait pu avoir sa vie de son côté, qu’il a eu aussi un petit peu un truc de choix.

La session Colors, c’était un beau moment puissant dans ma vie. Pareil, dans l’écriture du morceau, il y a une personne qui a questionné ce choix-là d’être au je, au il et après de passer au je. Mais pour moi, c’était important. Pareil, comme je ne suis pratiquement qu’en écriture automatique, c’est vraiment sorti comme ça tout seul. Quand j’ai écrit la chanson, je n’avais que la topline du refrain depuis des mois et je ne savais pas trop quoi en foutre. Un jour, je me suis posé, j’ai commencé à écrire d’un coup et voilà.

LFB : Il y a un truc hyper important et que j’ai l’impression qu’on empêche aussi aux gens. C’est que l’album est traversé par le réel malgré tout. Je sais qu’avec cet album-là, il y a un truc très onirique de l’ordre de la protection mentale. Mais il y a quand même le réel qui traverse. Quand tu fais des allusions aux violences policières, au racisme. Et il y a ce morceau-là qui est justement important parce qu’il est une espèce de drapeau planté dans le réel pour dire que malgré tout, il faut parler des choses importantes.

Yoa : Oui, je le pense vraiment sincèrement. Le réel doit toujours prendre la place principale, surtout dans ces métiers-là. Il ne faut pas laisser le réel au second plan. Si on sent qu’on va faire un burnout et qu’on est fatigué, on s’arrête. Si on sent qu’on n’a pas envie de faire tel plateau télé important, on ne le fait pas. Si juste on ne se sent même pas en adéquation avec l’industrie, on ne joue pas son jeu et c’est tout. Ce n’est pas facile de faire coïncider ses envies avec la réalité mais en vrai, c’est possible. Ça demande un peu de rigueur et un peu de force mentale de ne pas faire trop de la merde. Mais c’est possible. Ça se fait.

LFB : Justement, tu parlais d’intime sur Nulle et Le collectionneur. Je sais que tu as toujours considéré la musique comme un travail. Est-ce que tu arrives encore à faire la distinction entre Yoa et Yoanna par rapport aux autres ou est-ce que c’est quelque chose qui devient un peu plus compliqué ?

Yoa : Moi j’arrive très bien à la faire mais j’avoue que c’est plus compliqué, et ça me fait super peur j’avoue parce que c’est le truc de ma vie où ça me fait super peur. J’ai peur que s’il y a un gros succès ou juste un succès…

LFB : Tu as quand même du succès, tu remplis un Trianon.

Yoa : Oui mais je me dis aussi ça pour me protéger. En vrai, je sais. Je vois mes chiffres Spotify, je vois des choses comme ça. Je sais que ça va. En fait, je commence à voir qu’avec certain.e.s ami.e.s où je pensais que ça ne serait jamais un problème, je commence à voir que potentiellement ça peut devenir un problème. Pareil pour des trucs qui sont de l’ordre de l’industrie ou même des choses que les gens ne comprennent pas forcément.

LFB : Que tu ne puisses pas les voir tout le temps.

Yoa : Oui, complètement. C’est tellement compliqué. Franchement, les vraies stars je ne sais pas comment ils font. Ça, ça me fait vraiment, vraiment très peur pour ma vie en général. Je pense vraiment que je ne vais pas faire de la musique toute ma vie. C’est impossible de faire ça toute une vie. Pour moi en tout cas. Je tiens à ma santé donc voilà.

LFB : Tu as une tournée qui arrive l’année prochaine. Dans l’optique de la sororité, je me demandais si limite tu n’aurais pas envie d’imposer que ça ne soit que des premières parties féminines ?

Yoa : J’y ai pensé mais je pense aussi au fait que moi de toute manière dans mon projet et pour mes dates un peu attendues, genre les dates parisiennes, je ferais en sorte que ça soit toujours des meufs parce que j’ai aussi envie que ça soit des soirées féminines. Dans mon équipe, il n’y a que des filles. Ce sont des trucs qui sont vraiment importants pour moi. Mais aussi, je sais à quel point pour avoir été première partie pendant la majeure partie de ma courte carrière pour l’instant, je n’ai pas envie de priver des artistes émergents en tout genre de cette petite exposition qui est quand même importante quand on est au début. Peu importe le genre.

LFB : Ça peut être aussi une idée intéressante de dire qu’aux salles que s’il y a possibilité de prioriser… Parce que des artistes féminines, il y en a partout.

Yoa : Évidemment. Mais ça, c’est un peu implicite dans mes équipes. Il n’y a vraiment que des gays ou des filles dans mon équipe. C’est pour le mieux.

LFB : Comme on est en fin d’année, si tu devais choisir des choses qui t’ont marquées cette année ?

Yoa : Un album qui m’a trop marqué, c’est l’album de Chappell Roan, The Rise and Fall of a Midwest Princess. Je me suis sentie super proche d’elle, super proche de son histoire personnelle. Cet album m’a vraiment fait beaucoup de bien et je n’arrive pas à arrêter de l’écouter. Il m’a vraiment fait trop de bien. Même elle, l’écouter en interview, la voir complètement sans filtre et imposer des trucs, ça m’a vraiment fait trop du bien cette année. Je dirais cet album-là.

Crédit Photos : David Tabary

Laisser un commentaire