honey from a winter stone, l’hommage virtuose d’Ambrose Akinmusire

Peu de musiciens de cette génération ont aussi rapidement le Jazz de leur patte. Avec sa trompette, Ambrose Akinmusire s’est vite fait un nom comme étant l’un des instrumentistes les plus prometteurs parmi ses paires. En ce début d’année 2025, l’originaire de Berkeley sortait son nouvel album studio : honey from a winter stone, un hommage vibrant au pianiste Julius Eastman.

Avant toute chose, qui est Julius Eastman ? Né au milieu du vingtième siècle, le musicien s’est illustré grâce à un talent de composition révélant une identité radicale et irrévérencieuse. Sa pièce, Gay Guerilla, est notamment devenu culte et a aujourd’hui atteint un statut de légitimité considérable auprès des musiciens contemporains. Décédé dans l’anonymat le plus complet, l’originaire de New-York, les travaux du pianiste étaient provocateurs et empreints d’un engagement politique franc et engagé. Ce dernier a notamment eu une carrière marquée par les discriminations liées à sa couleur de peau ainsi que son orientation sexuelle, le compositeur faisant partie de la communauté LGTBQI+.

Victime d’une indifférence latente durant tout le long de sa carrière, le travail de Julius Eastman a en grande majorité été perdu. Ce n’est qu’à l’aube des années 2010s que son œuvre va être redécouverte. Cette reconnaissance posthume a pris place par le biais de travaux de recherches conséquents, notamment réalisés par Renée Levine et Mary Jane Leach au sein de l’ouvrage Gay Guerilla. On peut également noter une exposition new-yorkaise ayant rencontré un franc succès ou encore un album, Building Something Beautiful For Me, mis sur pieds par Loraine James.

À l’heure d’une reconnaissance nouvelle de plus en plus raisonnante, il n’est alors pas étonnant de voir certains artistes rendre hommage aux travail de Julius Eastman — surtout au sein des communautés noires et afro-américaines, particulièrement concernées par les positions politiques du pianiste. C’est à l’aube de l’année 2025, le génial et virtuose trompette Ambrose Akinmusire entreprend la création d’une pièce œuvrant à la noblesse du regretté musicien de New York. Ainsi naquit honey from a winter stone, une ode assumée au génie déchu du clavier d’ivoire.

La comparaison est sans doute facile, mais elle prend cependant place naturellement. Tous les observateurs sont rapidement tentés de comparer le musicien de Berkeley avec celui que l’on considère comme le plus grand représentant de son instrument : Miles Davis. Il faut dire que les deux partagent un point commun, à savoir celui d’être à l’avant-garde, de proposer une musique évidemment brillante, mais qui touche son plein potentiel que dans les oreilles des plus téméraires. 

Ce dernier met en place une musique qui prend un malin plaisir à empiler les couches et textures pour créer une masse fascinante mais qui fait apparaître une évidente complexité. Loin de là l’idée de dire que la musique développée par Ambrose Akinmusire tire vers l’élitisme. Cependant, cette dernière requiert une certaine résilience quant à son assimilation. Comme tout visionnaire et explorateur harmonique, le trompettiste peut perdre, ne nous prend pas par la main. Une sensation que l’on pourrait comparer à celle qui émane d’œuvres comme, au hasard, le culte Bitches Brew.

Cette complexité apparente peut s’affirmer par la composition même du disque. honey from a winter stone ne comporte que cinq pistes, mais dure pourtant une heure et quart. Le projet laisse dès le début apparaître une propension toute particulière pour les compositions longues et tourneuses — en atteste le titre final, s-/Kinfolks, durant près d’une demi-heure et écrit comme un véritable labyrinthe. La langueur et cette caractéristique précise n’est pas inutile, bien au contraire. Ambrose Akinmusire dévoile une progression significative de l’ambivalence de sa musique qui va bien au-delà des carcans du Jazz.

Entre musique classique, Hip-Hop et musiques électroniques, le spectre harmonique et rythmique de honey from a winter stone est large, voire ambigüe par moments. Il suffit de voir l’alternance entre les interventions vocales de Kobayi suivies par les envolées classiques et abstraites du Mivos Quartet. Cette richesse fait bien évidemment écho à un travail se faisant depuis maintenant plusieurs années et notamment initié par Kamasi Washington avec son luxurieux et dense The Epic.

En guise de démonstration de cette pluralité, on peut prendre l’exemple du progressif Bloomed (the ongoing processional of nighas in hoodies). Sur sept minutes trente cinq de musique, près de la moitié est réservée à une introduction langoureuse uniquement construite sur un dialogue harmonique entre le piano et les cordes. Une mise en place longue, qui est subitement interrompue par la section rythmique et la trompette d’Ambrose Akinmusire qui déploient un swing furieux et d’une grande clarté. 

Cette extension stylistique s’étend également au sein même du carcan du Jazz. C’est notamment le cas sur le morceau MYanx. avec son préambule qui, de par sa déstructuration rythmique complète qui nous renvoie assez évidemment par bribes au Free — avant de prendre une forme bien plus standard. De par ces différentes influences se dégage une grande imprévisibilité d’un tel disque qui fait prévaloir une impressionnante maitrise. 

Ambrose Akinmusire continue de tracer sa route, un chemin pavé de virages divers et variés qui confortent la création d’une identité aussi forte que palpable. En se plaçant à la croisée des mondes, entre tradition codifiée et renouveau à la limite de l’avant-garde, le trompettiste définit un son qui ne laisse personne indifférent. Érigé comme un phénomène par ses pairs et adulé par la critique, le californien confirme un statut qui lui prévaut. Nul doute ne fait qu’un grand avenir est réservé à celui qui fait de son instrument l’extension d’une voix artistique résolument moderne, à la démarche aussi solennelle que novatrice. 

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