Lisa Portelli : « Je ne peux pas rester sur des choses passées. »

Lisa Portelli a sorti son cinquième album Absens. Nous tenions à la rencontrer pour parler de son choix de l’exil pour écrire, l’influence d’Antigone sur son travail, son virage électronique pleinement assumé, la force symbolique inscrite dans son univers, son rapport à la littérature, son imprégnation de la liberté jusqu’au concert. Pour les parisiens, retrouvez la le 22 mai prochain au Studio de l’Ermitage !

La Face B : Bonjour Lisa, comment ça va ?

Lisa Portelli : Ça va, ça va plutôt bien.

LFB : Ca y est l’album est sorti, comment est-ce que toi tu la vis cette sortie ?

Lisa Portelli : Comment j’ai vécu cette sortie… Ca a été un soulagement déjà dans un premier temps, parce que j’ai travaillé longuement dessus et il fallait que ça sorte. C’est une énergie aussi en album, donc il y a une espèce de truc, quand ça sort, il y a un truc très tendu juste avant, et puis quand c’est sorti, il y a un truc plus…  Ben voilà, ça y est, c’est fait et c’est soulageant. J’ai été extrêmement heureuse des concerts de sortie, du travail que j’ai mis en place pour être vraiment là. Ne pas me laisser ronger par la peur, donc je suis hyper contente de ça. Mais comme tout le temps, ça ne fait que commencer. Voilà, c’est pas fini, l’ouvrage n’est pas terminé.

LFB : Pour l’écrire, en tout cas le concevoir, tu t’es exilée en Bretagne. J’aimerais que tu m’expliques ce choix de l’exil pour composer. Ce n’est pas rare dans le monde artistique mais qu’est-ce qui t’a poussé à t’exiler ?

 Lisa Portelli : J’aime bien ce mot exilée déjà. Déjà, j’étais en séparation d’un homme avec qui j’étais depuis 12 ans. C’était la fin du confinement. Je me retrouvais dans un petit studio à Saint-Mandé et l’année a commencé. Je me suis dit que je ne pouvais pas rester là. Au fil des années qu’on venait de passer difficiles, je sentais que ce n’était pas fini complètement. Le temps que ça se remette vraiment la vie, on ne savait pas à ce moment-là. Finalement, c’était la fin.

J’ai mis une annonce pour partir en Bretagne pour écrire, et quelqu’un m’a répondu « je ne sais pas si tu connais l’île de Molène ». Je ne connaissais pas cette personne. Elle m’a envoyé une photo et m’a dit « j’ai un plan là-bas, pas cher ». Et là, j’ai halluciné. C’est-à-dire que j’ai vu cette photo, et je me suis dit « waouh, c’est trop génial ». Juste avec cette photo, il y a eu un truc qui s’est ouvert, et j’ai tout fait pour partir.

Je me suis organisée sur plein d’aspects pour pouvoir partir à ce moment-là. Et je me suis passionnée dès cette photo sur l’insularité. Au nouvel an, j’ai lu Robinson Crusoé de Daniel Defoe à la bougie quand même. Je me suis fait mon petit délire. Déjà, ça a commencé là. Après, je ne savais pas du tout que j’allais faire un album et tout ça, mais ça a été un prétexte pour m’échapper de mes soucis.

LFB : Quand j’ai reçu les éléments de présentations de ton album, une grande figure m’a interpellée : Antigone. Comme il y a cette notion d’exil, je me suis demandé si déjà en partant, tu avais le projet d’avoir cette influence d’Antigone.

Lisa Portelli : Non, justement, je n’avais pas le projet de créer un album autour de l’insularité vu que je ne savais pas que j’allais atterrir sur une. Là, là-bas, je demandais un endroit. Mais par contre, j’avais envie d’écrire sur Antigone. J’avais envie d’écrire, c’est marrant, ça me fait rire, un album qui raconte Antigone. Non, mais je me suis rendue compte que c’était… Enfin, donc j’ai beaucoup lu toutes les versions d’Antigone. Je me suis vraiment intéressée.

Mais en fait, je me suis rendue compte qu’il fallait être beaucoup plus simple dans l’onirisme. Mais qu’en tout cas, la figure d’Antigone, je pense, a été énormément porteuse de l’acte de ce voyage. Parce que finalement, vers la mer, c’est aller vers la mort aussi, la mort de quelque chose. Antigone va vers sa mort. Et moi, c’est surtout cet acte-là, le fait qu’elle aille vers sa mort, pas par dépit, par courage, c’est ça qui me semblait fou.

LFB : Tu m’as parlé de la littérature, quelle est sa place dans ton travail ?

Lisa Portelli : Ça a une place énorme. Mais en fait, malheureusement, tu vois, là, on est en train de parler et je me rends compte que je ne lis plus assez, mais j’ai des livres comme ça qui viennent me chercher. Et souvent, il y a des cohérences dans mes lectures sans que je ne me rende compte. Ce n’est pas moi qui décide, c’est comme si les livres venaient à toi. Et ça, quand ça arrive, ça fait trop du bien. Et donc, pour répondre à ta question, avant, non.

Sur L’innocence, je lisais beaucoup de poésie. Mais là, ça nourrissait ma vie. Sur l’île, il n’y avait pas grand-chose à faire. Et même cette période-là, c’était une période de grande solitude quand même. Donc, les livres me faisaient énormément de bien.

LFB : Que signifie le titre de l’album Absens ? Est-ce que c’est l’éloignement du sens ? Ou comme tu parles de précipiter vers la mort, peut-être quelque chose de ce côté-là.

Lisa Portelli : Oui. En fait, c’est une mort symbolique, cet album. Mais dans ma vie, c’était une mort aussi, comme dans Traverse tous des morts. En fait, on ne fait que traverser des morts et on renaît. Mais sans rentrer dans la philosophie à deux balles, c’est que pour rester dans quelque chose d’onirique, j’aimais bien l’idée que l’absence soit un pays. C’est un endroit en nous. C’est un endroit, en fait. Donc, quand on a compris ça, c’est merveilleux.

Parce que du coup, c’est un endroit de poésie, un endroit pour créer. Et donc, pour moi, l’absence, c’est cet endroit. En plus, j’ai remarqué aussi, puisque j’ai trouvé le titre à la fin, que je parle beaucoup d’absence, en fait, dans l’album. Le mot revient souvent. Mais ce n’est pas une absence triste. C’est un voyage.

Donc, c’est un pays. Donc, c’est onirique pour moi, ce mot. Le fait de changer l’orthographe me permettait d’en faire vraiment quelque chose de singulier, plutôt que juste le mot en soi qui évoque simplement d’être seule. Pour moi, ce n’est pas simplement d’être seule. C’est un endroit. C’est une fuite, aussi.

LFB : La fuite, quand je dis s’éloigner, il y a quand même cette idée de s’éloigner de soi, s’éloigner de ce que tu étais, de ce que tu as vécu…

Lisa Portelli : Exactement.

LFB : Est-ce que tu peux me parler un peu de la pochette ?

Lisa Portelli : Alors, oui, la pochette, c’est marrant. Je l’adore, cette pochette. Je crois que c’est la pochette que je préfère de tous mes albums. J’ai jamais été très friande qu’on me voie, en fait. Et à chaque fois, on me bassinait avec ça, mais c’est important. Là, franchement, c’était hyper cohérent qu’on me voie pas.

On voit ma main qui fait, c’est celle qui fait, la main. Donc, c’est de par elle que ça se voyait, en tout cas pour moi, dans la façon dont je travaillais, etc. Et, en fait, cette photo, l’idée de la photo, elle m’est venue sur l’île d’Yeu, pendant une résidence d’écriture, mais la photo n’a pas été prise sur l’île d’Yeu. J’avais fait une photo avec mon portable sur l’île d’Yeu, on voyait une main au-dessus de l’océan, et j’adorais cette photo. Et plus tard, quand j’ai fait des photos à Ouessant, avec un ami, qui fait de la photo argentique, j’ai dit, tiens, vas-y, on va prendre cette idée que j’avais, là. Mais je pensais pas forcément à la pochette.

Dans la continuité, ma sœur, en a fait une sérigraphie. Ça ne devait pas forcément être la pochette, et au dernier moment, on était en retard sur les trucs, et je n’avais pas encore de photos, vraiment, de moi, j’avais pas envie de me montrer. J’avais ce visuel, j’ai dit, non, mais… J’avais la sérigraphie qu’avait faite ma sœur à partir de cette photo. Je me suis dit, c’est ça ! Enfin, moi, à chaque fois que je la voyais, ça me procurait de l’émotion. Donc à partir de là, on a travaillé avec un graphiste. Je trouve que le travail est super, d’ailleurs, de la typo par rapport à l’image. C’est assez magique, en fait, comment ça s’est fait. C’est parti d’une idée, mais plein de gens se sont ralliés à ça.

LFB : C’est symbolique avec la main, peut-être, d’Ondine, qui vient chercher la création…

Lisa Portelli : Exactement. Pour moi, c’est ça. Elle représentait plein de choses, cette main d’Ondine ou en même temps l’absence, c’est-à-dire qu’en face de cette main, il n’y a rien. Là, c’est le grand tableau de Michel-Ange ; La Création d’Adam. Eh bien, c’est la présence, et en fait, c’est la relation de Dieu à l’homme. Ça, c’est mon père qui est parti dans ce délire-là, mais je trouve ça assez juste. Et là, c’est l’absence aussi de… L’absence !

LFB : Tu fais preuve d’une grande liberté artistique dans l’album. Comment est-ce qu’on s’imprègne de la liberté, et surtout, comment on la capture ?

Lisa Portelli : Ah ouais, ça, c’est un cadeau. Je pense que c’est beaucoup les deuils qui me portent. Parce qu’en fait, quand on se retrouve dans un endroit où on ne sait plus ce qui va se passer, qu’il n’y a plus de projet, je veux dire dans le sens même affectif, tout est possible. Ca, ça m’a énormément portée. C’est assez magique.

Tu vois, là, présentement, dans ma vie, tout va mieux. Enfin, je veux dire, je suis comblée par tout. Mais je ne sais pas comment ma création va prendre forme. Et je n’ai pas envie de me mettre dans un état de désœuvrement. Donc, il faut faire confiance aussi en ça. Mais ce n’est pas quelque chose qu’on va chercher, la liberté. En fait, en l’occurrence, si, parce que là, le voyage m’a permis de le faire. La solitude de là-bas m’a permis de le faire. Souvent, la solitude m’amène à ça parce qu’il y a une telle introspection dans un endroit où tu ne connais pas, etc. puis surtout, oui, pour continuer à répondre à tes questions, c’est tout ce qui peut sortir des distractions.

En fait, le pire, c’est les distractions et on n’est fait que de ça. Je veux dire, même moi, là, tu vois, je suis tout le temps sur mon téléphone, etc. Notre monde n’est que distraction. Donc, c’est une exigence énorme de ne plus trop en avoir. Je ne dis pas ne plus en avoir du tout parce que ce n’est pas possible. Et puis, c’est bien de se distraire. Mais moi, c’est peut-être ça que je cherche des cadres où il n’y a pas de distraction pour pouvoir vraiment plonger.

LFB : Ce qui fait que s’il n’y a pas de distraction, tu estimes que tu es libre, disposée.

Lisa Portelli : Ouais, disponible aussi. La distraction, ça nous empêche d’être disponible. Tu vois bien. Et ça nous arrange aussi. C’est-à-dire que la disponibilité, ce n’est pas facile. Ça demande d’être engagée dans quelque chose, d’être à l’écoute, de regarder ce qui se passe autour de nous. Mais en fait, c’est ça la liberté pour moi. C’est d’arriver à ça. Mais peut-être que par la suite, j’aimerais l’apprendre dans le monde. Pas dans l’absence, justement, mais dans ce qu’il y a autour de moi, dans la relation, en étant avec quelqu’un, en ayant une famille. Je n’en sais rien. Mais bon, jusqu’à présent, ça a été dans l’éloignement.

LFB : La deuxième partie de la question est plus complexe. Comment est-ce qu’on capture cette liberté au niveau sonore, musical ? Parce que finalement, ça se ressent. Pour t’avoir vue sur scène, justement, à la sortie. C’est-à-dire que tu vas être très libre, très investie dans l’espace. Mais d’un autre côté, il faut quand même que tu restes dans le cadre de la performance…

Lisa Portelli : Oui, mais c’est toujours pareil. Le cadre fait qu’on est libre. Quand je dis ça… Alors, il y a deux choses dans la réponse par rapport à ta question. C’est que déjà, d’une part, j’ai un plaisir enfantin à faire de la musique. Donc pour moi, là, j’avais envie d’écouter mes envies. Et moi, j’écoute de la musique électronique. Je n’écoute pas vraiment beaucoup de chanson, finalement. Pas vraiment de chansons françaises, en fait. J’écoute du rock, de l’indé, des choses alternatives.

Donc j’avais envie de m’amuser à ça, en fait. Simplement. La cohérence, elle est de par l’histoire et par l’écriture. La cohérence, elle se crée de par ce qu’on raconte. J’ai fait des choix de sons qui reviennent. Mais quand même, il y a des morceaux différents. Et c’est en ça que je suis fière de cet album par rapport à avant. C’est qu’il y a une vraie cohérence, malgré tout, dans cet album.  Ça, c’est l’écriture des textes qui m’a permis ça. L’histoire, la narration permettent ça, en fait. De tenir quelque chose. Et après, ta question sur scène, je ne sais pas. Tu veux dire que sur scène, tu as l’impression que je ne suis pas libre, c’est ça ?

LFB : Si, si. Tu as une grande liberté. Mais il y a peut-être le fait que l’espace scénique délimite l’espace et te verrouilles dans l’espace alors que tu es très libre. On va imaginer un carré imaginaire qui laisserait dire que… Rappelez-vous qu’elle n’est que sur scène et qu’elle fait de la musique. Cette liberté-là, elle est derrière toi.

Lisa Portelli : Ah, elle est derrière moi. Et c’est très juste que tu dises… Tu vois, d’ailleurs, sur scène, c’est ça. C’est que tout est derrière soi sur scène. Il y a même une coach qui m’avait dit une fois quand tu es sur scène, pense à ton dos. Je trouvais ça intéressant parce qu’en fait, ça veut dire que le moment, il fait peur. Mais en fait, le moment, c’est toute une vie.

Il faut faire confiance, c’est ça, à ce qu’on a engendré avant. À tout l’imaginaire. Et sur scène, tout à coup, il y a des choses qui reviennent. J’ai des sensations de la langue. Donc en fait, je me sens libre. Ce cadre, il n’est pas physique. Il est mental. Ce non-cadre, il est mental. Et il y a le cadre physique. Alors ce qui est très difficile, par contre, c’est de retranscrire l’album sur scène avec qu’on n’est que deux. C’est ça qui est dur.

C’est qu’en fait, je n’ai pas les moyens d’être trop sur scène. Et aussi, j’ai un côté geek. J’ai des machines. Sur cet album, je me suis mise aux machines. Et j’ai appris à m’en servir jusqu’au dernier moment. Et ce n’est pas fini. Parce qu’elles sont tellement bien que ce n’est pas fini. Mais là, genre au mois de janvier, il y a des choses que je ne savais pas faire que j’ai appris à faire pour le concert. Elles sont au centre, ces machines, malgré tout. Parce qu’elles tiennent tout.

LFB : Je trouve qu’il y avait cette idée que tu bidouilles sur la scène. Et ce côté bidouillage, il n’est pas méprisant du tout. C’est que tu as cette idée d’expérimentation continue. Et comme tu me le dis là, c’est que jusqu’à très tard, tu les manipules encore. Donc cette idée que tu as encore cette liberté de jouer. Et de tâtonner. Et puis explorer peut-être des sons qui ne sont pas de l’album.

Lisa Portelli : Oui. Non, non, c’est différent de l’album. Et c’est différent à mon point de vue sur scène. Ben oui, je suis obligée d’adapter au réel. Et en effet, alors d’ailleurs au point que même ma manageuse Marion (Marion Richeux NDLR) me dit des fois mais arrête là. Enfin, il faut apprendre des fois à dire vas-y, c’est bon. Garde ça quand même. Il y a des trucs qui marchent.

Par exemple, il y a des choses que je retravaille, retravaille et puis j’écoute les versions d’il y a deux ans, je me dis ah mais en fait elle était bien cette version. Donc j’y reviens. Mais en effet, il y a toujours des choses à améliorer de toute façon mais c’est un savant mélange entre garder des choses qui étaient déjà là et faire évoluer autre chose. C’est-à-dire que tout n’est pas flexible. On le dit souvent. Oui, voilà. C’est là que le son se démarque. C’est ça. Mais en tout cas, pour ma santé mentale, j’ai besoin d’être en recherche. Tu vois bien comment la sortie d’un album, c’est long, c’est difficile. Donc il faut qu’on y trouve son plaisir. Je ne peux pas rester sur des choses passées.

LFB : Alors tu me dis que tu écoutes beaucoup de musique électronique sur le côté. Tu avais déjà un peu exploré les sonorités électroniques, là, c’est complètement assumé. Qu’est-ce qui t’a poussé à vraiment passer le cap ?

Lisa Portelli : Qu’est-ce qui m’a poussé ? Oui, c’est vrai, je ne sais pas en fait. C’était à force d’en écouter. J’écoutais beaucoup de musique dans la lande au casque. Voilà. Qu’est-ce qui m’a poussé ? C’est de ne pas chanter. J’avais envie de morceaux narratifs dans la musique. C’est-à-dire que j’avais envie de dire qu’il soit comme une narration d’album.

Je trouvais que le voyage, la sensation du voyage, des fois, ça se passe de mots. Je trouvais par exemple Passer des chimères, il y a un peu de voix, il y a des voix samplées, mais c’est instrumental. Ce qui m’intéressait, c’est cette structure de ne pas chanson. Donc, le côté électronique me permettait de mettre en image le voyage, le mouvement, la mer. Enfin, même si je n’ai pas essayé de retranscrire le son de mer, etc. Mais voilà, pour la narration, j’ai voulu m’y mettre. Et parce que j’en écoute aussi, je ne savais pas comment j’allais faire sur scène. Je me suis dit qu’il faut essayer.

LFB : Le côté narratif, c’est que ça raconte une histoire. Est-ce que c’était déjà un projet quand tu commençais vraiment à avoir l’idée d’un album à faire, de vouloir raconter quelque chose, ou au final, c’est au fil de l’eau de créer un récit ?

Lisa Portelli : Non mais trop bien cette question. En fait, c’est venu sur le concert de L’Innocence. L’Innocence, c’était un album avec des chansons, la chanson. Et j’avais fait un spectacle autour de la promenade où j’avais tout un récit, en fait, au milieu des chansons. Et je me suis dit, à la fin de la tournée de L’Innocence, putain, ce serait trop bien de faire un album, justement, où il y a un récit. De là est venu Antigone, parce que je voulais toucher le réseau plus théâtral. Rien à voir maintenant. Et après, de fil en aiguille, il est venu comme un cadeau. Et voilà.

LFB : En fait, je l’ai cherchée Antigone dans ton travail. Une figure effectivement très forte dans la culture théâtrale. Soit on se repose sur celle d’Anouilh, sur celle de Sophocle. Il y a beaucoup de signification pour Antigone et ça dépend du contexte, évidemment…

Lisa Portelli : Oui, totalement.

LFB : Et là, pour le coup, j’étais impatiente, parce que je n’avais pas encore le son, de savoir ce que tu allais mettre d’Antigone. Je pense qu’elle a un peu disparu. Mais elle est inscrite dans le processus créatif. C’est-à-dire qu’elle est absente de l’album, mais elle est dans le processus de création. Antigone s’éloigne, prend le courage de s’éloigner de la société pour pouvoir régler ce qui lui fait mal, aussi bien pour elle que pour la société. Et toi, quelque part, c’est ça. Tu t’es éloignée pour aller mieux. Tu as quitté la société pour te retrouver toi. Et en retrouvant ce que tu es toi, tu reviens dans la société pour voir que tu lui apportes peut-être des clés.

Lisa Portelli : Concrètement, je suis une femme. J’ai, là, 38 ans. À l’époque, j’en avais 30, c’était souvent. Je sors d’une relation de 12 ans, je n’ai pas d’enfant. Je me retrouve en face d’un truc où, quelque part, je choisis une mort sociale. Et en plus, c’est terrible ce que je vais raconter, mais c’est beau, mais mon ex voulait un enfant, par exemple. Et moi, je l’ai quitté aussi. C’était tragique. Je l’ai quitté parce qu’il voulait un enfant et moi, je me souhaitais après d’en avoir. Je le raconte, je le dis parce qu’en ça, il y avait quelque chose de tragique dans mon existence où je sentais que c’était une mort à quelque chose. C’était terrible parce que je l’aimais encore. Un peu comme Antigone. Et en fait, je sentais que j’avais besoin de cette radicalité pour aller au bout de quelque chose de mon art.

Puis en fait, finalement, jusqu’à présent, je n’étais jamais vraiment allée au bout parce que j’avais un confort affectif. Et là, je me suis dit mais non, en fait, il y a une révolution en moi qui se passe. Je sens qu’il y a un appel d’aller au bout de quelque chose et je ne comprenais pas. J’avais l’impression de me détruire. Mais en fait, non.

C’est marrant parce que j’ai eu mon ex tout à l’heure qui vient d’écouter l’album aujourd’hui. Il m’a dit mais je comprends tellement notre chemin à travers… Que tu étais au bout de cet album, je comprends ce qu’on a vécu. Lui, il a fait sa vie. Maintenant, je fais la mienne et tout va bien. Mais à ce moment-là, il y avait une mort. Et en ça, Antigone était une figure qui m’a portée, en fait, plus que vraiment inspirée littérairement même si j’étais à l’époque et j’ai lu toutes les versions. Moi, j’aime beaucoup celle de Simenon aussi.. C’est éternel, en fait. Cette figure… C’est un archétype. Ça devient une image.

LFB : C’est drôle qu’il y ait une sorte de cohérence entre l’innocence, donc peut-être que tu étais encore jeune à ce moment-là et que, par extension, tu es innocente et que, finalement, c’est l’absence d’enfant et que je reste dans mon innocence et je tire ma radicalité.

Lisa Portelli : Oui, alors, l’innocence, le mot innocence, justement, je voulais surtout pas le relier à l’enfance. Pour moi, l’innocence, c’est un état que j’ai trouvé tard. C’est-à-dire, c’est une reconquête de l’innocence. Je l’ai appelée innocence parce que c’était une conquête. C’était pour créer. Il faut être dans un état d’innocence, accueillir cet état-là. Il faut venir le chercher. Voilà. Et j’aimais bien, évidemment, que ça finisse par anse, mais absence, oui, c’est étonnant. C’est juste que c’est la suite.

LFB : Sur l’album, tu as un duo avec Nosfell. Tu peux me raconter cette collaboration ? J’étais curieuse de savoir si sur Granit, comme il a créé une langue à part entière – le klokobetz -, est-ce qu’il a traduit, ce que toi, tu veux retranscrire dans la chanson ?

Lisa Portelli : Il y a un texte que j’ai écrit inspiré de la Divine Comédie. Enfin, juste trois phrases pour montrer que j’arrive dans les limbes. Et lui, il a repris ce texte, et il l’a traduit, mais il l’a réarrangé un peu parce qu’il y avait des mots qui n’allaient pas. Et lui, il était hyper à cheval là-dessus, ça ne rigole pas. Je veux dire, sa langue, elle est hyper précise et ça ne rigole pas du tout. Même après, avec le clip et tout, il était derrière nous pour que les mots ne soient pas dans le mauvais ordre, etc. Parce que c’est très beau. C’est un langage imaginaire.

LFB : Comment s’est passée la collaboration ? Vous vous connaissiez déjà ?

Lisa Portelli : Non, on ne se connaissait pas. Je l’ai vu, moi, dans un spectacle où il jouait une créature, des mers. Et déjà, à cette époque-là, je me suis dit ah, intéressant… Enfin, j’étais en train de travailler, donc je commençais, je me disais ah tiens, intéressant. Mais je ne savais pas comment je voulais le mettre, mais je savais que je voulais l’intégrer d’une façon, d’une autre. Et après, en faisant des morceaux électroniques, je me suis dit putain, sa voix sur un électro, ce serait canon. Et après, je lui ai envoyé un texto. Il m’a répondu qu’il était carrément partant.

On ne s’est pas rencontré avant, il a travaillé… Il est arrivé endeuillé. D’ailleurs, le jour de la prise de voix, il n’était pas à l’intro, il avait dit qu’il avait perdu un ami juste avant. Mais il était hyper généreux, il est d’une élégance folle. Enfin, élégance, j’entends, humaine aussi, il y a un truc chez lui très classe et en même temps dispo. Donc, c’était simple.

LFB : Il y a des touches un peu jazzy dans l’album, sur Si haute plus particulièrement. Est-ce que c’est un univers sonore que tu voudrais développer ou c’est quelque chose que tu vas laisser à la marge et que tu vas écouter peut-être sur le côté ?

Lisa Portelli : Ouais, ce sera toujours sur le côté. C’est-à-dire que le jazz, c’est le côté fou du jazz qui me plaît, c’est-à-dire le côté matière qu’on fait comme on veut. Donc, c’est surtout sur Si haute parce que je ne crois pas que sur d’autres titres il y ait vraiment un truc jazz. C’est sympa, c’est pour ça que je dis que c’est sur un morceau. Parce que ce morceau-là, c’était un parti pris qu’on avait pris en live avec Alexis (Alexis Campet NDLR) où c’était musique au piano et je me rendais compte que ça marchait bien mais je n’avais pas envie que ça marche sur l’album. Donc j’ai renié le côté jazz pour l’album et puis c’était trop évident et donc, le fait d’ajouter également Etienne (Etienne Jaumet NDLR), ça a donné au titre encore plus de cohérence par rapport à ce que ça raconte.

Le titre, c’est le moment de la liberté dans l’album. L’endroit, c’est un peu l’endroit où elle arrive quelque part et où tout est possible. Le free jazz, il s’y prêtait bien. Encore une fois, c’est la narration qui aide à assumer un choix. Parce que moi, je ne suis pas une puriste. Je ne suis pas une puriste du jazz ou une puriste de l’électro. Je ne suis une puriste de rien. Enfin, même pas de la chanson puisque j’en écoute pas tant. Mais pour moi, c’est de la matière que tu vas chercher et que tu peux éditer comme tu veux. Il faut se sentir libre par rapport à ça. Ça, d’ailleurs, je trouve que les nanas, en général, elles ont plus cette simplicité à utiliser des codes et à pas rentrer dans des cases et se dire, se foutre une étiquette.

LFB : Fin d’année dernière, tu participais à un ciné-concert au Forum des Images. Est-ce que tu peux me raconter un petit peu cette expérience ?

Lisa Portelli : Ouais, ça, c’est trop bien. Justement, encore, dans mon travail, je pense que la narration, c’est quelque chose qui arrive de but en blanc sur Absens et qui, en fait, elle est super pour faire de la musique à l’image. C’est d’ailleurs grâce au maquette de Absens que j’ai eu ce plan en faisant mes images.

C’était un régal de raconter une histoire juste avec des sons pour le coup. Il y a quelques petites chansons pour les enfants. Ce qui est marrant, ce n’est que c’est pas moi qui ai choisi les courts-métrages, mais ça parle de la rencontre. Et j’ai trouvé que c’était beau dans mon parcours de sortir d’Absens avec ce truc où le thème, c’est la rencontre avec l’autre.

LFB : Ce qui est marrant, c’est que tu parles d’enfants, donc d’un jeune public qui n’est pas forcément le même que toi ici.

Lisa Portelli : J’ai un rapport avec les enfants extrêmement simple. Je les vois à égalité, vraiment. J’ai essayé de faire quelque chose de très doux dans quelque chose d’electro pur. C’est des êtres extrêmement vulnérables et qu’on peut tout faire mais il faut absolument rester dans la tendresse. Mais pas neuneu.

Ce n’est d’ailleurs pas fini, j’en fais encore des ciné concerts. Le fait de m’être adressée à des enfants ça m’a positionnée autrement avec les adultes. Quand je fais des concerts avec des adultes, je les vois comme des enfants parce que c’est pareil. Pendant très longtemps, j’avais peur des adultes, je me présentais comme une enfant devant des adultes. Je me sentais toujours un peu comme la gamine. Le fait d’avoir fait ça, ça a retourné la situation. Les gens sont aussi vulnérables. On peut aller très loin mais ma voix est douce de base donc je ne peux pas faire autrement.

LFB : Est-ce que tu as des coups de cœur à nous partager ?

Lisa Portelli : Gros coup de cœur pour Racine carrée du verbe être de Wajdi Mouawad au théâtre. Monumental, les références sont infinies et il y a une simplicité. Le dernier album de Shannon Wright que je trouve très bien. Un film que j’ai adoré : The Outrun, une nana qui part sur une île justement. Ca c’est super, on a vraiment le côté insulaire, le vent permanent dans ce film c’est super agréable !

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