Au Printemps de Bourges, nous avons découvert une partie de ceux que l’on appelle les Spécimens Canadiens, une initiative inclusive visant à faire découvrir aux professionnels européens ce qui se trame en musique au Canada. David Marchand et Etienne Dupré font partie du trio montréalais zouz. On s’est posés avec eux pour parler de leur musique qu’ils tiennent à qualifier de bruitiste, du fait de chanter en français dans un genre marqué comme anglophone, de chansons énervées et d’amour insoupçonnées et… de religion ! Si vous passez par le Canada, vous pourrez les voir le 13 juin au Festival de la chanson de Tadoussac, le 18 juin aux Francos de Montréal et le 17 juillet au Festif.

La Face B : Salut les gars, comment ça va ?
zouz
David : Bien, très bien.
Etienne : Ça va bien.
LFB : Vous venez tout juste de sortir de scène, vous êtes peut-être un peu claqués ?
zouz
Etienne : Ça va, en fait, c’est des showcases, c’est des très courts concerts. On joue 20 minutes, donc des fois, au cinquième morceau, c’est là qu’on commence à être vraiment dedans.
David : À être échauffé, oui, c’est ça. Ça fait que oui, ça va très bien.
LFB : Alors, est-ce que vous pouvez m’expliquer ce que c’est un peu zouz, le nom est pour le moins que l’on puisse dire curieux…
zouz
David : Le nom est curieux, surtout en France. C’est parce qu’au Québec, ça ne veut pas dire ce que ça veut dire ici. Au Québec, c’est plus comme une façon de dire Marijuana ou la weed.
Etienne : Ce qui est très ironique, c’est parce que personne de nous fume la Marijuana. Mais bon, c’est surtout une sonorité, plus qu’un nom en soi. Ça se retient bien aussi.
David : C’est très court, c’est très étrange.
LFB : Vous êtes trois. Vous faisiez déjà de la musique avant ensemble ?
zouz
David : Etienne et moi, on a habité ensemble pendant longtemps avant de commencer, même le groupe. À la base, on est juste des bons amis.
Etienne : Donc, on se retrouve même dans d’autres groupes ensemble. Comme David l’a dit, les communautés musicales à Montréal se touchent entre elles vraiment. S’il y a une personne qui veut jouer uniquement dans un groupe, c’est plus rare.
LFB : Pour parler de vous, vous vous définissez comme faisant du rock bruitiste. Généralement, on parle de noise. C’est une expression canadienne ? (sourire)
zouz
David : Non, pas du tout. C’est vraiment le nom. Je trouvais que ça faisait beau. À part de reprendre un autre anglicisme, de parler du rock bruitiste, qui faisait la même chose finalement. Je ne sais pas, on dirait que la langue est très importante pour nous. On dirait peut-être qu’on est québécois. On dirait que le Québec est entouré d’anglophones de tous les bords, avec les États-Unis et le Canada anglais.
La langue, le choix de la langue dans la musique est quand même très identitaire culturellement. Je ne sais pas, je pense qu’on est attaché à cette langue-là. Le moins on prend de termes en anglais pour décrire notre forme d’art, le mieux on se sent peut-être.
Etienne : Surtout que le noise rock, c’est un style en soi qui est de plus en plus populaire et qui se manifeste de plusieurs façons. Le groupe qui joue en ce moment aussi, c’est une sorte de noise rock aussi, mais c’est très différent de ce que l’on fait nous aussi. Donc de l’appeler le rock bruitiste, c’est tout simplement de le traduire en français. C’est ça que je trouve intéressant.
David : Le noise rock est peut-être associé à un courant de rock des années 80, comme Sonic Youth. De le traduire en français, ça lui donne un autre visage qui est peut-être un peu plus proche de ce que nous faisons et moins proche de Sonic Youth par exemple. C’est une façon de jouer avec le mot.
LFB : Justement, la langue, vous chantez en français, ce qui est quand même assez exigeant.
zouz
David : Oui, très.
LFB : Et à la fois très inédit, parce que ce style-là est souvent associé à l’anglais.
David : Absolument.
LFB : Pourquoi alors ? Est-ce que ce serait pour des raisons identitaires que vous chantez en français ?
zouz
David : Oui, absolument. Au Québec, à travers les 20 dernières années, le rock est devenu beaucoup plus francophone qu’anglophone. C’est-à-dire que quand nous, on était ados ou enfants, c’était très rare le rock en français. Ensuite, les temps ont changé, et c’est devenu à la mode de chanter en français en faisant du rock.
Ça a donné lieu à une scène de rock francophone québécois. Quand on avait 17-18 ans, nos héros chantaient en français aussi. On avait tous les exemples du monde pour chanter en français.
Etienne : On écoutait aussi beaucoup de groupes qui chantaient en anglais, ce qui fait en sorte que nous, nos premiers groupes de composition originales, on chantait en anglais, mais on ne s’était même pas posé la question pourquoi on chantait en anglais. On chantait en anglais parce que finalement, les groupes qu’on écoutait quand on était adolescents chantaient en anglais.
Donc, on s’est mis automatiquement à écrire en anglais. Mais après ça, il y a eu tourne-tout sur un moment où on s’est posé la question « Pourquoi on ne fait pas le même style, mais en français ? » C’est beaucoup plus rare. On se démarquerait beaucoup plus comme ça aussi.
Justement, c’est un style qui n’est pas trop associé au français. Je trouve que le fait qu’il n’y ait pas beaucoup de groupes francophones qui vont être dans ce style-là, je trouve que c’est une raison de plus de le faire.
David : Aussi, je pense qu’il y a une question d’être authentique. On communique toujours en français avec nos amis, avec nos familles, avec tout le monde qui nous entoure. Quand il y a le temps de faire de la musique qui nous tient à cœur, c’est plus naturel d’en faire dans cette langue-là. Tout simplement.
LFB : Votre album s’appelle Jours de cendre, j’aimerai une explication par ce que vous vouliez dire par là…
zouz
David : La musique est quand même assez noire sur l’album. C’est notre album le plus dark. Les jours de cendre, c’est un peu comme un jeu de mots avec mercredi des cendres, qui est le premier jour du carême. Donc, le premier jour de quarante jours d’hostilité qu’on s’inflige.
Aussi, en fait, le jour de cendre, en Amérique du Nord, il y a beaucoup d’incendies à chaque année maintenant. Ça brûle énormément partout. Donc, je ne sais pas. Le jour de cendre, c’est aussi une espèce de réflexion ou une idée sur le lendemain d’incendie, le forêt, tout ça. Mélangé à mercredi des cendres.
Etienne : Ce n’est pas l’été passé, c’était l’autre d’avant. Pas loin de quand on était dans la création de cet album-là, il y a eu d’immenses feux de forêt au Québec. Ça a fait des smogs immenses. Même que le smog s’est déplacé jusqu’en France, il y a eu des smogs en Europe à cause de nous. C’était fou.
Montréal était toute grise de partout. Pendant deux jours.
David : Plus que ça, non ? Et les incendies étaient très loin en plus. Ce n’était pas drôle. Ce n’était pas jojo.
Etienne : Mais c’est un album qui traite beaucoup de noirceur. Je pense qu’il y a quand même des clins d’oeil aussi aux combats intérieurs.
David : C’est un album où la musique et les textes sont quand même arides.
LFB : Vous commencez d’ailleurs l’album avec Miroirs, qui est très énervée. Vous l’avez faite au concert, mais ce n’était pas en ouverture.
Comment est-elle née ?
zouz
David : Miroirs ?
LFB : Ce n’est pas la plus énervée, mais peut-être l’une des plus énervées de l’album.
David : C’est l’une des plus intenses. Ta question porte sur la musique ou sur le texte ?
LFB : Les deux.
zouz
David : Celle-là, la musique est venue avant le texte. On écoutait d’autres groupes de noise rock.
Etienne : On cherchait à faire une toune avec un tempo lent. La lenteur ne veut pas dire que c’est pas agressif et bruyant. L’idée a commencé avec une chanson qui a un tempo lent. Le texte, je pense que t’es passé par plusieurs phases. Il y a eu plusieurs textes différents avant d’arriver à celui-ci.
David : Je l’ai réécrite, je pense, quatre fois, cette chanson-là. C’est un peu bizarre. Elle, c’est un bon exemple d’une chanson sur le mal-être générationnel. On vit dans une époque où tout le monde se filme tout le temps. On est très obsédé avec notre image, avec ce qu’on projette. Selon moi, probablement beaucoup trop pour notre propre bien, pour notre propre santé mentale collective. Ça parle de ça.

LFB : Juste après, vous enchaînez avec Une main lave l’autre. Qui joue beaucoup sur la répétition de cette phrase. J’imagine que la crise COVID est passée par là… (rires)
Etienne : On n’y avait jamais pensé (rires)
LFB : Je me suis bien dit que ce n’était pas ça ! (sourire)
Etienne : Non. Une chanson sur le lavage de mains, c’est trop bon !
David : C’est quand même une chanson assez opaque. Celle-là est quand même opaque. Elle peut être interprétée de cette façon. Une main lave l’autre, c’est une expression qui veut dire une main rend service à l’autre. Deux personnes se rendent service. C’est une drôle de chanson d’amour.
LFB : Il y a un fond amoureux ?
David : Absolument. Comme j’ai dit tantôt, c’est une chanson assez opaque. L’amour en musique, c’est un thème qui est généralement peut-être trop utilisé.
Mais c’est quand même un thème très universel. C’est un très beau thème que tout le monde vit. Je trouve ça intéressant de jouer avec différentes façons de parler de ce grand thème omniprésent en musique.
Etienne : La raison pour laquelle il est aussi omniprésent en musique et en chanson, l’amour, c’est que je crois qu’il est relativement facile à réinventer en texte. Si on a été capable d’écrire dans l’histoire autant de chansons sur l’amour, ça veut dire que c’est un peu inépuisable, peut-être. Tout le monde aime les chansons d’amour. Tout le monde. En tout cas, je pense.
LFB : Je ne m’attendais pas du tout à ce que ce soit une chanson d’amour !
David : Je pense que c’était plus ça le but, c’était justement de surprendre avec. Si tu la lis un peu avec ça en tête, tu vas probablement comprendre de quoi ça s’agit.
LFB : Je me suis dit qu’il y avait peut-être aussi un fond religieux, cette idée de la sainteté, d’être propre, sain et en parallèle beaucoup de questionnements intérieurs…
zouz
David : Ce n’est pas une chanson chrétienne. C’est drôle que tu parles de sainteté, de catholicisme, parce qu’avec le Mercredi des cendres, avec des chansons comme Messie, des chansons comme Leviathan, ça reprend des figures catholiques. L’Église catholique a eu une importance immense politique au Québec jusqu’à la fin du XXe siècle. Ça fait partie du bagage collectif d’avoir toutes ces images-là, tout ce bagage historique-là.
On dirait qu’on voulait s’amuser avec certaines de ces images-là dans le but de les exorciser un petit peu. Peut-être les désacraliser, je ne sais pas.
Etienne : Il y a des magnifiques images dans la religion catholique. Je crois que ça fait assez longtemps qu’on se les fait montrer et qu’on les sacralise. Je crois qu’il est temps qu’on puisse donner des nouveaux sens à ces symboles-là, tout comme on est capables de transformer une église en maison.
David : La Bible, c’est probablement le plus grand best-seller de tous les temps. C’est le premier livre imprimé par Gutenberg. C’est quand même un livre important, un livre omniprésent, chrétien ou pas.
Etienne : C’est drôle parce qu’on en a parlé dans une autre entrevue. On a parlé tantôt de chrétienté et on n’y avait jamais pensé. On n’était jamais conscients d’intégrer des éléments de chrétienté dans notre musique, mais on se rend compte que c’est très profondément ancré dans la société.
David : C’est drôle, les médias chrétiens ne nous en parlent pas du tout. Jamais, jamais. On n’est pas les seuls à faire ça, au Québec.
LFB : Vous jouez beaucoup avec les émotions de l’auditeur qui alternent entre la colère avec Miroirs, où vraiment on sent que c’est très énervé, pour progressivement aller vers la contemplation, les belles choses, on peut s’interroger sur ce qu’était votre ligne directrice…
zouz
David : C’est sûr que la ligne directrice était plus orientée vers un album dark. Quand même, on voulait faire un album qui est conséquent avec lui-même. On ne voulait pas d’un album qui se promène trop. Mais c’est vrai qu’on ne vit pas des vies misérables. C’est dur de faire des tunes super tristes ou super intenses tout le temps. Il fallait un peu de lumière dans tout ça. De faire des tunes un peu plus lumineuses, ça fait du bien autant pour nous que pour quelqu’un qui l’écoute, j’imagine. C’est un petit baume sur le cœur.
Etienne : Ça fait un peu partie de notre son. Dans nos deux premiers EP ainsi que notre premier album, il y a toujours eu des petits moments de lumière. C’est quelque chose qui est finalement, avec le temps, devenu un peu une signature pour zouz. Oui, aller dans le rock, l’intensité, la noirceur, mais aussi, on a toujours fait ça et je crois que l’on va continuer de le faire aussi. Ça prouve un peu de notre curiosité à vouloir faire plein de choses.
David : Je ne connais presque personne qui est tout le temps fâché ou presque personne qui est tout le temps triste. Ou tout le temps heureux. Je ne connais personne qui est tout le temps heureux. Je ne sais pas. Si on veut faire de la musique qui est au moins un peu vraie, il faut respecter son temps. Au moins un peu vraie.
LFB : Là, je n’ai pas eu l’occasion de vous voir dans une condition de vrai concert pour parler de la scénographie, la lumière. Cette noirceur ressort dans les éléments scéniques ?
zouz
David : Toujours. Sauf tantôt. Quand notre éclairagiste était avec nous, c’est sûr que ça va être souligné. C’est du rouge qui vient du fond du stage. On devient un peu comme des silhouettes.
Etienne : Je ne m’attendais pas à ce qu’il fasse si sombre. Je croyais que à 20 heures, il n’allait pas faire encore très clair.
LFB : Le printemps n’est pas arrivé.
Etienne : Il a pu arriver ici. A Montréal, il y a eu une tempête de neige. C’est terrible.
LFB : On est au Printemps de Bourges, qu’est-ce que ça vous évoque ?
zouz
Etienne : C’est sûr que c’est un long chemin pour faire 20 minutes de spectacle. On a vraiment l’impression, en arrivant ici, d’être pris au sérieux. On a rencontré déjà des gens.
Les gens le savent, justement, qu’on a fait toute cette route pour venir ici. J’ai senti, tout à l’heure, dans le visage des gens, de la reconnaissance, de la joie. Je sentais qu’on avait notre place. Je trouve ça vraiment agréable. Ça porte bien son nom. Comme on disait tout à l’heure, c’est le printemps. Les feuilles sont sorties quelques jours. Ça fait du bien. C’est un très bel événement.
David : C’est comme une bonne bouffée d’air. Ca fait du bien. Je tiens à le souligner. C’est le fun que t’aies vraiment écouté l’album. Pour de vrai, on croise beaucoup de journalistes qui ne l’écoutent pas du tout ou presque pas. C’est le fun d’avoir quelqu’un pour qui la musique est importante.
Etienne : Qui met en lumière certains moments clés de cet album-là et de comprendre de quoi ça parle. Ce n’est pas tout le monde qui fait ça.
LFB : C’est la moindre des choses (sourire). Je finirais en vous demandant si vous avez des coups de cœur à partager à nos lecteurs. Des choses que vous écoutez, de la littérature, du cinéma…
zouz
Etienne : C’est quelque chose que tout le monde parle en ce moment. Je ne vais pas être très original en en parlant. C’est la série Adolescence qui est disponible. Au Québec, ça a vraiment frappé fort. C’est une série anglaise en 4 épisodes qui n’aura qu’une seule saison sur l’éducation. Ça traite de l’éducation des enfants, de nos adolescents. C’est l’histoire d’une équipe policière qui arrête un jeune homme de 12 ans qui a assassiné une de ses collègues de classe. Chaque épisode est un plan de séquence. La caméra filme sans arrêt pendant 1h10. C’est très impressionnant au niveau technique. C’est aussi très pertinent au niveau des enjeux, des réseaux sociaux, du téléphone intelligent dans la vie de nos enfants et de l’éducation.
Mais aussi, le fait fondamental que même si on éduque nos enfants le mieux possible, ils vont quand même être en contact avec ça qui va leur montrer plein d’autres choses. C’est bouleversant. C’est très dur à regarder, mais c’est magnifique. Je le conseille vraiment.
David : Une recommandation… Je n’arrive pas à trouver. La musique peut-être ? Il y en a plein, mais je n’arrive pas à y penser. Connaissez-vous Lou-Adriane Cassidy au Québec ? C’est une bonne amie à moi et j’ai bien aimé son album. Ariane Roy a sorti son album aussi. Une bonne amie à moi aussi. C’est comme tout le monde connaît ses affaires au Québec. C’est moins original.
L’album de Lou-Adriane c’est un gros coup de circuit. C’est un gros home run. C’est impressionnant dans les prods québécoises qui sonnent le plus que j’ai entendu. Les choses sauvages ont sorti un bon album.
Etienne : Oui, je ne l’ai pas écouté encore. J’ai beaucoup de rattrapage à faire sur les albums qui sont sortis au Québec. Il y en a eu beaucoup récemment. Il y en a eu beaucoup. L’album de Population II qui est sorti. L’album d’Ariane Roy, je ne l’ai pas écouté encore assez en profondeur. J’en ai juste écouté une bonne partie. Il y a tout plein de choses.