Le belge Noé Preszow était présent au Printemps de Bourges. Artiste engagé, il écrit d’une main ferme et les émotions débordent dans ses textes poétiques empreints d’une sensibilité à fleur de peau. D’un naturel réservé, Noé Preszow s’est posé avec nous sur l’importance de l’engagement, la transmission, la puissance du live et… la mort ! Retrouvez Noé Preszow à l’Européen le 30 juin.

La Face B : Salut Noé, comment vas-tu ?
Noé Preszow : Eh bien, ça va bien ! je suis très content d’être ici. On est arrivé à l’instant. Je suis très content parce que la première fois que j’ai joué en 2021, c’était le premier concert après Covid et c’était en formule acoustique pour ouvrir pour Jean-Louis Aubert. Je suis un très grand fan de Jean-Louis Aubert, une grosse pression. Mais je n’étais pas en groupe. Je suis content de le faire vraiment, cette fois-ci, avec le groupe.
LFB : Justement, ton premier album était sorti en pleine crise Covid, tu as retrouvé la scène pour [prèchof], ça doit faire un bien fou !
Noé Preszow : Ouais, que le public soit debout, pas masqué, enfin tout ça. Après, cette période du Covid, je m’en souviendrai toute ma vie. On ne saura jamais, finalement.
Comme c’est la chanson A nous qui a été un peu le déclencheur, on ne saura jamais si le fait d’avoir été en période de Covid a permis particulièrement à cette chanson d’exister. Moi, ça m’a un peu frustré que l’on l’associe à cette période-là. Les gens avaient l’impression que j’en parlais, que ça soit sorti vraiment au moment même.
Les gens pensaient que ça parlait du Covid, du souhait d’être ensemble, alors que moi, c’était une chanson tout à fait intérieure et énigmatique. Mais on ne saura jamais. Peut-être que, en ce qui me concerne, cette chanson a une belle vie parce que le contexte s’y prêtait.
De fait, j’ai adoré la première tournée, mais je préfère celle-ci parce qu’on peut hurler et danser comme on le sent.
LFB : C’est d’ailleurs fou la belle énergie positive, fédératrice qui se dégage de tes concerts, comment vis-tu cette interaction avec le public ? Je t’ai connu comme quelqu’un de timide, presque sur la réserve et tu deviens presque une autre personne une fois sur scène !
Noé Preszow : C’est-à-dire que c’est plutôt dans la vie quotidienne que je suis pas tout à fait moi, en fait. C’est vraiment sur scène que j’existe, que je suis libre, que je me laisse vivre et que la vie commence. C’est quand le concert est fini que ça peut être plus compliqué pour moi de circuler dans le monde, quoique je me débrouille de mieux en mieux.
Mais voilà, donc simplement, tout ce que je sais, c’est que mon trac, il est très technique. C’est la mémoire, c’est les cordes de guitare, c’est qu’il y ait pas de truc électrique, de courant électrique qui saute ou je ne sais pas trop quoi. Mais sinon, j’ai vraiment envie de retrouver le public. Chaque concert, je suis impatient de monter sur scène parce que j’ai envie d’aller vers le public, j’ai envie de partager mes chansons. Donc je pense que c’est ça quand tu dis fédérateur.
C’est évidemment pas quelque chose qu’on peut inventer, c’est pas quelque chose qu’on peut espérer, mais c’est pas quelque chose dont on est maître. Mais c’est vrai que j’aime être sur scène et partager ça, oui.
LFB : C’est l’idée rimbaldienne Je est un autre. Toi, tu existes que quand tu es sur scène.
Noé Preszow : Oui, absolument. Absolument. Je souscris.
LFB : S’il y a quelque chose que j’admire chez toi au-delà de ta plume c’est ton engagement au cœur, aussi bien en toi qu’au cœur de ton projet, comment tu définis l’engagement dans le milieu artistique ? J’ai lu l’anecdote de ton interview aux côtés d’Hugues Auffray qui t’a invité à te désengager…
Noé Preszow : Enfin, c’est-à-dire que moi, très vite, je l’ai relancé sur Dylan parce que moi, j’ai une grande passion pour Bob Dylan et j’ai découvert Dylan d’abord par les traductions en français de Hugues Auffray et c’est comme ça que toute la francophonie a découvert les chansons de Bob Dylan puisque Hugues Auffray a traduit très tôt les chansons de Bob Dylan. Donc, quand Hugues Auffray m’a dit ça, moi, directement, j’ai dit « Mais alors, Bob Dylan ? ».
En effet, Hugues Auffray s’auto-proclame être de droite. C’est-à-dire que ce n’est pas moi qui lui colle ces étiquettes, lui se présente comme ça. Mais ça a permis un échange sur comment un artiste reste libre et ne s’enferme pas lui-même en se mettant des étiquettes. Donc, moi, je dirais que c’est une évidence de parler de ce qui se passe dehors. Les chansons doivent être criantes de vérité et d’intimité parce que sinon, ça n’a pas d’intérêt.
Mais cette intimité, ça ne veut pas juste dire soi et son nombril. Ca veut dire qu’est-ce qui fait cette intimité. C’est l’amour, c’est l’amitié, c’est le temps qui passe, c’est tout ça. Et tout ça en parallèle est emmêlé à l’époque telle qu’elle est. L’époque telle qu’elle est, comme j’estime être un citoyen préoccupé par l’état du monde, par l’état de son pays, par l’état de sa ville, eh bien, c’est dans mes chansons. Pour moi, il n’y a pas de distinction.
LFB : Le fait de chanter en français est comme un engagement supplémentaire…
Noé Preszow : Oui. Alors, quand j’avais 15 ans, en effet, on me disait tu vas chanter en français, il faut chanter en anglais, etc.
En tout cas, je sais que quand Feu ! Chatterton et Eddy de Pretto sont arrivés, je me suis dit j’avais l’impression de faire la même chose depuis que j’ai 15 ans.
Mais je veux dire quand ils sont arrivés, ils sont un tout petit peu plus âgés que moi, je me suis dit tiens, il y a quelque chose qui est en train de bouger, qui va bouger et c’est ce qui s’est passé. J’ai l’impression qu’on ne se pose plus trop la question. C’est une évidence que beaucoup plus de francophones chantent en français.
La question de l’engagement, elle est vaste, parce qu’en effet, c’est jusqu’où tu vas dans l’engagement. Pour moi, être engagé finalement, ou être concerné, c’est ne pas avoir peur de déplaire et d’être en désaccord. Que des gens qui écoutent tes chansons, finalement, un jour ne les écoutent plus parce qu’ils ne sont pas d’accord. Parfois, on qualifie certains ou certaines artistes d’engagés. On peut parler du curseur. Est-ce que c’est des chansons qui fâchent certains auditeurs ? Je pense que en effet, je suis prêt à me fâcher avec certains auditeurs, spectateurs.
Parfois, il y a des débats à la fin des concerts, même si les gens savent pourquoi ils viennent me voir. La plupart des gens savent, mais la magie des concerts, c’est qu’il y a toujours quelqu’un qui se fait entraîner. Tiens, tu ne connais pas, on va découvrir, machin.
Puis après, ça peut donner des surprises pour le public qui ne s’attend pas forcément, notamment, sur tous les thèmes, que ce soit les violences policières, que ce soit la question de l’extrême droite, ce qui se passe à Gaza aujourd’hui. Ces derniers concerts, j’ai eu droit à toutes sortes d’interactions avec quelques personnes du public de manière chaque fois très différente. Mais je suis prêt, je suis prêt à ça.
LFB : Dans ton album tu nous fais partager ton histoire familiale dans la chanson Prezsow = [prèchov], que représente la question de la transmission chez toi ?
Noé Preszow : Eh bien, c’est un peu comme ce qu’on a appelé tout à l’heure l’engagement. C’est naturel. Je ne me pose pas la question. Mais je dirais que c’est comment donner une place dans mon travail, comment donner une place à la mémoire tout en laissant cette mémoire tout en actualisant cette mémoire. C’est-à-dire, la transmission, ce n’est pas seulement se plonger dans le passé, mais c’est en effet comment faire exister l’histoire qui est la mienne.
Aujourd’hui, il y a finalement la chanson qui s’appelle Prezsow = [prèchov]et qui parle en effet de la déportation d’une partie de ma famille. Quelque part, on peut voir ça au sens large. C’est l’histoire juive, mais plus largement, c’est l’histoire des traumatismes qui se transmettent de génération en génération. Et puis, finalement, la phrase peut-être la plus importante de la chanson, c’est la fin ; « Je viens de là, je crois, je viens de là, et toi ? Je crois ». Le « je crois » est important parce que même s’il y a des faits, il y a des adresses, il y a des lieux, c’est très précis, il y a toujours une énigme autour de notre mémoire, de où on vient. On n’est pas seulement le produit de ceux qui nous ont précédés.
On l’est beaucoup, mais il y a une part de mystère. Et puis, c’est important, par exemple, dans une chanson comme Prezsow = [prèchov], d’ouvrir aussi. C’est une chanson où j’interpelle l’auditeur.
Je ne me dis pas, au moment d’écrire, tiens, la transmission, c’est important, ou la mémoire, c’est important. Mais c’est vrai que ça occupe une place dans ma vie. Sans doute, quand je vais chanter pour des causes, que ce soit pour Gaza, que ce soit pour des collectifs de sans-papiers, des manifs de sans-papiers, c’est intrinsèquement lié à mon histoire familiale. Ça, c’est sûr.
LFB : Quelle a été la première réception de ta famille sur cette chanson ?
Noé Preszow : Je ne sais pas très bien. Ce que je sais, c’est qu’ils aiment cette chanson. Comment dire ? Ils sont très encourageants, mais sans être consensuels non plus. Ils aiment cette chanson parce qu’ils trouvent que c’est une bonne chanson. Ce n’est pas juste parce que ça parle de notre histoire familiale.
Je ne veux pas parler à leur place. Mais je crois que pour en avoir un peu parlé avec mon père, ce qui l’interroge et ce qu’il trouve très fort, c’est qu’il voit bien que pour moi, c’est assez naturel finalement d’en parler. Et donc, c’est ça qui les intrigue.
Comment ça se fait que pour moi, c’est naturel d’en parler sur scène et de le chanter ? Voilà, c’est ce que je sais un peu des échanges qu’on a eus. Mais ils ne me disent pas « On est fiers de toi, mon fils, parce que tu chantes notre histoire tous les soirs devant des gens et c’est important que les gens sachent. »
Par contre, ils trouvent ça par exemple intéressant que cette chanson soit suivie de la chanson sur l’extrême droite. Voilà, ça c’est des choses, des conversations qu’on a eues. C’est vrai que cette chanson est un peu au centre de l’album. Et elle est un peu au centre du concert aussi, en termes de place.
Que ça soit Prezsow = [prèchov] ou que ça soit justement quand je parle de ce qui se passe en Palestine ou que ça soit quand je parle d’extrême droite ou quand je parle des violences policières…
Oui, ils ne sont pas, comment dirais-je, ils ne sont pas inquiets parce qu’ils savent que c’est ma raison de vivre, de faire des chansons qui parlent de notre époque, mais quand même. Il y a parfois une pointe d’inquiétude chez eux de savoir que je traverse la Belgique, la France, qu’on va donc en Suisse, au Canada, etc. que j’aborde de tous ces sujets-là. Mais en même temps, c’est une inquiétude qui s’accompagne du fait que eux ont toujours écouté des artistes politisés aussi.
LFB : Tu as récemment décidé de refaire tes morceaux en acoustique, à l’approche de tes 30 ans. D’où est née cette idée ?
Noé Preszow : Ça me rendait malade de me dire qu’éventuellement… Moi, vraiment, ce n’est pas du tout sinistre ce que je vais dire…
Mais vraiment, la mort est un vrai moteur. Je le dis, le sourire aux lèvres. La possibilité, même la certitude de la mort. La possibilité d’une mort un peu prématurée. C’est une possibilité. Et c’est un moteur. Et donc, ça me rendait malade.
Je passais un peu de temps juste comme ça, enregistrer une version différente d’acoustique de cette chanson-là, cette chanson-là, juste pour les avoir. Pour les avoir pour moi, pour mes propres archives. Et puis, ça me rendait malade, finalement, de me dire que peut-être que ça ne serait pas à partager. Et il y a plein de choses. Évidemment, il y a plus de choses dans mes disques durs externes que de choses qui sont sorties. C’est normal, c’est la base.
Mais ça, une fois que j’ai eu comme ça, c’est quelques pianos-voix, quelques guitares-voix. C’était un besoin vital que ça sorte et de le partager. Parce que je trouve que ça donne un autre éclairage à mes chansons. C’est aussi pour ça le titre De ton vivant.
C’est parce qu’il y a la chanson De ton vivant qui parle de mon grand-père. Mais aussi, c’était une façon de dire de mon vivant. Ça sort maintenant, alors que c’est le genre de trucs qui peuvent sortir dans 50 ans, dans 60 ans. C’est un très beau titre d’album posthume, mais j’avais envie de le partager de mon vivant.
LFB : On est au Printemps de Bourges, qu’est-ce que ça évoque pour toi ?
Noé Preszow : Je regarde l’affiche en même temps. Ce que ça m’évoque, c’est de sentir à quoi ressemble notre époque.
En tout cas, ici, en France, juste en regardant une affiche de programmation d’un festival, je trouve que cette affiche et ce mélange d’artistes programmés, je trouve ça assez juste par rapport à ce qui se passe aujourd’hui, musicalement, en France. En dehors du fait que c’est un festival mythique, c’est aussi pour ça que c’est un vrai plaisir d’être là.
C’est parce que, puisque moi j’essaye, bien ou mal, ce n’est pas à moi d’en juger, mais puisque moi j’essaye de raconter l’époque avec mes chansons, c’est important d’être dans un festival qui, d’une certaine façon, raconte l’époque.
LFB : Tu as des coups de cœur récents musicaux ou plus largement culturels à partager avec nous ?
Noé Preszow : Saya Gray qui est vachement bien. J’ai beaucoup aimé un documentaire, un double documentaire. Ce n’est qu’un au revoir et Un pincement au cœur de Guillaume Brac. J’ai trouvé ça très réussi.
Je suis toujours très sensible et très attentif aux films, aux œuvres, aux chansons, aux documentaires, en l’occurrence, qui parlent de l’adolescence. Et c’est vraiment un thème qui me passionne. C’est un documentaire que je conseille absolument !
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