Pour la première fois sur La Face B, nous abordons cette formidable musicienne qu’est Alexandra Savior à l’occasion de la sortie de son magnifique troisième album, Beneath The Lilypad.

Une décennie de constance poétique
Loin d’être une rookie, la musicienne perfectionne sa couleur musicale depuis 2016, avec dans son parcours, la sortie de deux premiers opus : Belladona of Sadness en 2017 et The Archer en 2020. Oui, cela fait 5 ans depuis son dernier projet qu’il n’a pas été donné l’occasion de savourer ses mélodies aussi riches et percutantes. La compositrice américaine entre dans cette lignée d’artistes depuis 10 ans à vouloir saisir une beauté sonore aux creux de sa main. Ces morceaux emplis de sagesse et d’une production musicale aussi perfectionnée, aussi profonde que touchante, ce nouvel album ne fait pas exception à ce que nous avons pu parcourir dans sa discographie. C’est important d’admirer le travail de ces artistes qui ne cherchent pas à cueillir des réactions d’admiration ou simplement à impressionner leur public mais à vouloir que pour vous, que pour nous, puissions vivre un véritable instant d’émotions et de réflexions.
Sous un soleil trompeur & Vers l’inconnu étoilé
L’introduction de ce nouvel album, Unforgivable, ne se contente pas de donner le ton : elle annonce, clarifie, frappe. Derrière sa mélodie presque sautillante, savamment enrichie de violons enjôleurs et de rythmiques dansantes, se dissimule une rage retenue, une douleur canalisée. C’est la colère de celle qui a compris trop tard la dignité de celle qui se relève sans fracas. Le contraste entre la richesse orchestrale et la simplicité des propos révèle déjà cette maîtrise de la mise en scène sonore qu’Alexandra Savior n’a jamais cessé de peaufiner. La douce euphorie instrumentale devient une armure, un écran sublimé de revanche.
Avec The Mothership, la légèreté initiale se teinte d’un voile de mystère. Il conserve son souffle rythmique tout en s’aventurant dans une dimension plus cosmique, plus contemplative. L’espace se creuse entre les lignes, la voix devient guide dans un univers où la gravité est dictée par les sentiments. Il s’agit d’embrasser l’inconnu d’une présence. Le mysticisme s’invite alors comme une manière de transcender le réel.
Fugue féminine & Un murmure sans décor
All of the Girls est une valse suspendue, où la voix frôle les murs de souvenirs multiples. Ce sont les fantômes de toutes les figures croisées, toutes les versions de soi qui s’entrelacent et s’échappent. La mélodie, plus éthérée, s’accorde à ce flou volontaire : rien n’est figé, tout est transformation. Les voix superposées glissent comme des souvenirs non résolus. L’identité devient fluide, insaisissable.
Plus rien ne compte avec Hark!. Cette guitare, cette voix, et le reste du monde s’effacent dans un silence fraîchement conquis, où Alexandra Savior déploie une poignante épure. On s’y perd comme dans une prière intime. Le temps s’y suspend, ne laissant que la fragilité d’un lien brisé. C’est une conversation à voix basse, comme si l’artiste nous parlait à travers un voile.
Danse orbitale & Un Appel d’air
Venus est une caresse jazzée, un souffle entre deux éclipses. Le morceau mêle une langueur presque soul à une gravitation affective. Les voix et les arrangements tournent l’un autour de l’autre comme deux astres aimantés. Le texte prend des allures astronomiques mais il ne s’agit que d’amour, encore. Ce morceau, à la douceur inédite dans sa discographie, réinvente la proximité.
Let Me Out crée une tension sonore où l’élan de la voix et les éclats de cordes s’enchaînent dans une révolte feutrée. Nous montons, nous retenons, nous respirons. La dualité entre emprise et libération s’incarne dans cette architecture mouvante, cette structure presque chaotique. C’est un cri qui se transforme en ascension, un refus d’abdiquer.
Territoires enfouis & Interlude flottant
C’est au coté de Old Oregon, la nostalgie prend les contours d’une maison. On y retrouve des souvenirs trempés de pluie, des visages familiers voilés de buée. Les cordes dégagent une lumière tiède, la voix dessine un paysage affectif. On sent que c’est une chanson pour ne pas oublier d’où l’on vient, et pour affirmer, dans le creux d’un repli, que l’amour familial est un point cardinal.
Beneath the Lilypad, unique instrumental de l’album, agit comme une respiration et une élévation. On y flotte dans un rêve suspendu, une montée d’écume sonore où l’absence de mots laisse place à l’intime. C’est un seuil, une porte ouverte vers le dénouement.
Refus fertile & Partir en paix
The Harvest is Thoughtless retrouve des motifs plus terrestres, mais avec une clarté nouvelle. Le détachement s’y fait mélodique, les harmonies caressent sans tricher. Ce n’est pas un abandon, mais une acceptation : celle de ne plus vouloir d’un monde qui dévore. La nature y est présente, mais comme miroir d’une conscience éveillée.
You Make It Easier ferme l’album avec une élégance rare. La guérison n’y est pas spectaculaire, elle est constat. C’est le vent qui tourne, la nuit qui s’adoucit. Nous n’oublions pas le chemin, on l’honore. Cette émouvante conclusion est un au revoir sans drame, un adieu doux comme un remerciement.
Sous la surface, l’éveil
Beneath The Lilypad n’est pas un album qui se livre d’emblée. Il s’infuse, il s’infiltre. Ce troisième disque confirme qu’Alexandra Savior continue de tracer une trajectoire singulière dans le paysage musical, celle d’une artiste qui ne cède jamais à la précipitation, qui creuse plus profond que les évidences. Chaque instrument semble appelé à faire sens, chaque silence à être entendu. Une offrande précieuse, patiente, et d’une poignante sincérité.