Odezenne revient avec DOULA, quatre ans après 1200 mètres en tout. Toujours fidèle à leur formule hybride mêlant électro, spoken word et hip-hop, le trio bordelais propose une création musicale frontale plus organique. Enregistré entre Berlin et la France, DOULA marque un virage sonore : moins de samples, plus d’instruments, une production plus brute, presque live. Avec ce nouvel album, Odezenne continue de tracer une trajectoire à part entre mélancolie lucide et énergie vitale.

Un souffle dans la nuque
Place Sainte-Anne, Rennes, 22h. La chaleur du jour colle encore aux verres de vin posés sur les tables du bar. Juin commence, je suis ralenti par la chaleur. Je suis breton, je n’ai pas souvent l’occasion d’apprendre à gérer les hautes températures. Tandis que les conversations s’éparpillent autour de moi avec un brouhaha conséquent, je mets mes écouteurs et pour la troisième fois, je lance l’album. Dans les profondeurs nocturnes de l’introspection, Odezenne ouvre grand les portières avec DOULA (des couloirs des portières), un voyage sensoriel où l’émotion nous percute comme un bolide lancé sur une route sinueuse. Entre poésie urbaine incisive, électronique hypnotique et pulsations hip-hop, le trio bordelais tisse un album radicalement vivant.
Quand l’émotion prend le volant
Le décollage se fait en douceur avec Keskia, murmure d’une confidence échappée à l’arrière d’une voiture filant dans la nuit. C’est bref, c’est subtil, mais ça pose immédiatement une ambiance dense, où les pensées furtives et les lumières floues des villes défilent à vitesse de croisière. Le voyage s’accélère brusquement avec Houston, déchirant le brouillard électronique pour révéler une anxiété existentielle aiguisée comme un couteau. Entre synthés lourds et beats rétro-futuristes, le morceau est un SOS ironique lancé depuis les turbulences émotionnelles d’une société perdue dans ses propres contradictions.
Pourboire glisse ensuite avec une élégance jazzy nonchalante, posant des questions inconfortables sur la valeur symbolique du geste ordinaire. Une rythmique feutrée, un piano minimaliste, et voilà Odezenne transformant l’insignifiant en une réflexion sur la reconnaissance sociale, sans jamais tomber dans la morale facile. Puis c’est Hey Joe , une bombe pop inattendue qui explose joyeusement en plein milieu de l’album. Odezenne franchit ici une nouvelle frontière sonore, rappelant à la fois Jacno et les fulgurances pop acidulées des années 80. C’est audacieux et ça fonctionne.
Un art de la rupture
Écouter Odezenne ici, à cette heure suspendue entre l’agitation et la nuit, installe un état d’esprit méditatif. Doula génère une sensation douce, je n’écoute plus la mélodie festive des clients autour de moi, j’entends surtout une musique capable d’orchestrer le murmure.
Aïe aïe aïe rompt net l’ambiance avec une décharge sonore électrique. Un cri rauque traduit l’urgence physique et brutale d’une rupture amoureuse. Avec Baveux, le trio plonge tête la première dans une noirceur sarcastique et critique. L’atmosphère sombre et les grooves incisifs servent une dénonciation subtile de la superficialité, jouant sur une ironie cinglante mais jamais gratuite. Odezenne fait tourner les émotions en boucle, évoquant ces spirales sentimentales inextricables. À l’écoute de Merry-go-round, on se dit qu’il y a dans leur travail musical une forme d’hypnose. L’ambiance lunaire et vaporeuse contraste parfaitement avec la dureté précédente.
Gadoue replonge brutalement l’auditeur dans la réalité. Les guitares grondent, les rythmes s’alourdissent, la voix devient presque animale. Le texte dépeint sans concession l’enlisement dans le quotidien, les difficultés de se dégager d’une réalité suffocante. Le dernier morceau sonne comme un bilan existentiel, magnifiquement orchestré par des nappes synthétiques et des montées dramatiques.
DOULA agit comme un révélateur d’émotions enfouies, faisant remonter à la surface les remous intimes que l’on croyait tus. Odezenne signe un album essentiel, viscéral, presque organique. Les trois Bordelais ont ce don rare de faire résonner les troubles de notre époque avec une justesse désarmante. Ils ne contentent pas seulement de décrire notre monde : ils l’embrasent, ils le transforment et lui donnent un souffle neuf, à la fois brut et bouleversant.