Anoraak : rencontre autour de Golden Hour

Après presque 12 ans à sortir uniquement des EPs, Anoraak est revenu au format album avec Golden Hour, paru en avril chez Juliet Records & Endless Summer. On a rencontré le musicien français à cette occasion pour une conversation où l’on parle de la conception de l’album, des featurings, de la liberté qu’il s’autorise et de Marseille.

Anoraak

La Face B : Salut Fédéric, comment ça va ?

Anoraak : Écoute, ça va plutôt pas mal en ce moment. Non écoute, ça va, je suis content. Je viens de sortir un album, ça faisait plus de dix ans que je n’en avais pas sorti. Donc mine de rien, il y a quand même une petite joie de se dire : ça y est, je l’ai fait. Plus vite que les dernières fois. Et non, franchement, ça va. Et en plus, l’été arrive, donc ça va d’autant mieux.

LFB : Justement, qu’est-ce qui t’a donné envie de revenir à un format long ? Parce que même si on se dit douze ans entre les albums, tu as fait énormément de choses.

Anoraak : Non, je n’ai pas végété, ça c’est sûr. En fait, l’histoire à la base, c’est que quand j’ai sorti mon dernier album, c’était fin 2013. Et pour mille raisons que je t’épargne là, ça ne s’est pas hyper bien passé. La réception de l’album était très bonne, mais je n’ai quasiment pas eu de date. J’ai dû revoir mon projet live à la dernière minute vers un truc solo pour pouvoir continuer de tourner. L’album est sorti, et juste dans la foulée, j’ai dû faire une sorte de reset de mon projet. Et à l’époque, faire un album, ça me prenait au minimum un an et demi, deux ans.

Et je me suis dit que bosser pendant deux ans sur un truc qui, in fine, part complètement en cacahuète au moment où ça sort, ça m’a saoulé. J’ai dit plus jamais d’album, terminé, je ne fais que des EPs. Donc je me suis tenu à cette petite parole que je m’étais imposée. Pendant une décennie, en fait. L’idée de l’album est revenue petit à petit, malgré moi. Je pense que j’ai été naturellement attiré à retourner vers ce format qui fait partie de mon ADN à la base. Et surtout de pouvoir s’exprimer un peu plus largement que dans un EP.

LFB : Oui, parce qu’il y a une cohérence sur un album que tu n’as pas forcément dans un EP. Tu peux diffuser un propos, ce qui est le cas musicalement sur cet album-là.

Anoraak : Disons que c’est une dynamique qui est différente. En tous les cas, quand je fais un EP… Ce n’est pas applicable à tout le monde, en vérité. Et surtout, je pense aux plus jeunes artistes qui ont moins peut-être connu le format album, tel que moi je l’ai consommé. Et qui, du coup, dans un EP, vont pouvoir aller sur plusieurs styles. Moi, si je fais un EP, j’ai tendance à rester sur une tension un peu similaire.

Sur un propos très conscrit. Après, pour moi, un album, c’est une manière de pouvoir ouvrir l’angle beaucoup plus largement. Et tu as plus d’espace, c’est temporel. Dans tous les cas, ça commençait à me manquer. Parce que quand tu regardes tous les EPs que j’ai sortis jusque-là, il y avait toujours quelque chose de très… Pas unique, ce n’est pas exactement le terme, mais il y avait un message qui était très clair. Et comme je le disais, c’était assez resserré. Là, au moins, je peux faire des choses qui sont assez différentes.

LFB : Du coup, tu peux t’amuser un peu plus.

Anoraak : Ouais, voilà. Et puis surtout, je pense que je suis arrivé à un moment où je me suis rendu compte que j’étais capable de faire un album en beaucoup moins de temps qu’à l’époque. Donc, ça aide aussi. Parce que je n’ai pas l’impression d’avoir mis en suspens deux ans de ma vie pour le faire.

LFB : Parce que tu as continué à faire d’autres choses à côté.

Anoraak :Ouais, exactement.

LFB : C’est peut-être aussi de la maturité, t’accorder des espaces définis de création, mais en même temps travailler d’autres choses.

Anoraak : Au-delà de la maturité, je pense que c’est peut-être aussi l’expérience. À force, tu sais un peu plus où tu vas, tu es plus efficace. Et évidemment, pendant que je composais l’album, j’ai mis beaucoup de petites choses de côté qui me serviront très bientôt, j’imagine, pour d’autres EPs ou d’autres albums. En gros, j’en avais envie et je crois que j’en avais même besoin, de repasser par cette case-là. Je suis content du résultat.

Anoraak

LFB : Et justement, c’est quoi pour toi l’espèce de fil d’Ariane de Golden Hour, ce truc qui relie ?

Anoraak : Alors, c’est difficile. J’ai toujours l’impression d’être le pire juge pour ma propre musique. En fait, si je l’ai appelé Golden Hour, ce n’est pas pour rien. Pour moi, c’est un peu ça le fil conducteur dans ce que je fais en général, particulièrement dans cet album-là, qui était assez important pour les raisons qu’on a évoquées précédemment. C’est que ça faisait longtemps que je voulais revenir avec quelque chose qui me corresponde entièrement.

Et ne pas rentrer dans des faux-semblants. Je n’avais pas envie de jouer du tout la comédie. Et en fait, j’ai toujours eu une passion pour les couchers de soleil, mais pas juste parce que ce sont les couchers de soleil, mais pour plein de raisons. De par d’un côté, ma culture très americano-centrée de quand j’étais enfant, qui était très californienne, donc très coucher de soleil, tous ces trucs-là. Il y a aussi le fait que j’ai passé une bonne partie de ma vie à essayer de retourner vivre dans le Sud, puisque j’y ai vécu quand j’étais enfant. En fait, ce sont toutes ces choses-là qui sont très personnelles, qui passent via la musique, et que là je t’explique, mais que tu ne peux pas forcément déterrer toi-même juste en écoutant le son.

Mais en tous les cas, pour moi, c’est ça le fil conducteur. C’est le côté méditerranéen, le côté très ensoleillé. Tout ça, ça fait partie de moi. Je ne voyais pas d’autres manières d’appeler cet album.

LFB : J’ai l’impression d’avoir une sorte de road trip, de musique en mouvement, et justement, le titre veut le dire aussi, ce moment de bascule entre le jour et la nuit. Et c’est vrai que les morceaux font vachement ressortir ça aussi. Et la pochette aussi, qui représente vachement bien aussi cette idée de bascule, d’une musique qui va aussi bien sur la journée que sur la nuit.

Anoraak : Tu le dis vachement mieux que moi, mais en réalité, c’est exactement ça. En fait, ce qu’on appelle le coucher de soleil ou cette golden hour, c’est une espèce d’instant qui est très fugace. Ça dure peu de temps. Moi, j’aimerais que ça dure tout le temps. Mon label, il s’appelle Endless Summer. Il y a un truc. Donc oui, en effet, tu as tout à fait raison. Tu le dis beaucoup mieux que moi.

Anoraak

LFB : Ce que j’ai retenu sur cet album, c’est que j’ai l’impression qu’il y avait vraiment la volonté de faire une musique humaine. Avec énormément de voix, énormément de chœurs, le choix d’une musique qui, souvent, est quand même très organique, avec beaucoup de basses, des choses comme ça. J’ai l’impression que c’est un choix aussi très défini là-dedans, d’un truc humain qui laisse passer les émotions aussi.

Anoraak : Tu as tout à fait raison. Déjà, le fait d’avoir fait appel à tous les featurings de l’album, en fait, c’étaient des choix qui étaient assez nourris. En finissant l’album, je me suis rendu compte que tous les feats qu’il y a dessus, ce sont que des gens qui sont passés par Marseille à un moment. Il y a le gars qui a fait la pochette, Anatole, il vit juste à côté de chez moi à Marseille aussi. Je ne l’aurais pas appelé Marseille non plus, mais il y a un truc très Marseille-centré sur cet album, parce que c’est mon cadre de vie, que je l’aime, et que tous ces gens sont passés par là à un moment. Donc, c’est qu’une histoire de connexion dans le réel, donc dans l’humain. Et puis, je chante aussi, mais ça pour le coup, je me connais déjà. Je pense que tu as mis le doigt sur quelque chose de très important, du côté humain. Je trouve que tu en parles beaucoup mieux que moi, honnêtement.

LFB : Même le choix de faire aussi un album très disco, et qui est aussi une musique qui de par son essence, est un truc humain et qui raconte des choses, qui se transmettent. Il y a un côté aussi très cinématographique, avec beaucoup d’utilisation de cordes dans la musique, qui permettent aussi d’amplifier les émotions qui sont transmises.

Anoraak : Oui et puis les cordes, c’est un truc que tu retrouves dans la musique disco, que j’aime. Enfin, vraiment, le vrai disco new-yorkais qui est très, très arrangé. Il y a beaucoup de cordes. Et ça, c’est un peu un des fils conducteurs pour le coup, parce que tu en retrouves sur quasiment tous les titres. Tu as une très, très bonne analyse. En tous les cas, une très bonne vision de ce que j’ai essayé de faire. Je déconne en disant que tu en parles mieux que moi, mais c’est vrai. C’est-à-dire que tu as capté. Tu as vraiment capté ce que j’avais essayé de faire.

LFB : Oui, même l’utilisation des chœurs qui sont un peu un écho de la voix principale et qui ont aussi une place hyper importante dans cet album-là.

Anoraak : Oui, et puis après, je ne voulais pas faire un album de disco non plus, parce que c’est un peu ce que je fais depuis plusieurs années, justement à la faveur d’EPs. Là, je voulais ouvrir un peu plus le champ sur des trucs que j’avais tendance à faire il y a plus longtemps, des morceaux plus pop, ou des morceaux instrumentaux, plus cinématographiques quelque part. Et en fait, je voulais mettre tout ça dans un même enregistrement. Donc j’avais besoin de la durée d’un album pour pouvoir le faire.

LFB : Pour rester un peu sur les voix, j’ai l’impression que chaque featuring ramène sa patte et imprègne aussi. Il y a vraiment ce travail collaboratif, que ce soit le morceau avec Julia, ou le morceau avec Yan Wagner, où tu sens qu’il y a quand même aussi sa couleur musicale qui vient tromper le truc.

Anoraak : Carrément. Après, ça, c’est ma manière de bosser avec les collaborateurs ou collaboratrices avec qui je bosse. Je n’aime pas trop leur imposer de choses vocalement. En général, quand je leur envoie un morceau, il n’est pas du tout terminé. Il n’est pas trop surproduit. C’est assez autoroutier, en fait, ce que j’envoie. Il n’y a pas trop de changements, de trucs, justement pour laisser un maximum la place à l’autre de pouvoir s’exprimer. Parce que c’est une collaboration. Ce n’est pas juste demander à un exécutant de venir poser une voix. C’est vraiment d’arriver, d’écrire des textes même et de s’exprimer pleinement. Et puis des fois, ça ne marche pas. Il y a eu un ou deux featurings qui n’ont pas abouti. Parce que là, pour le coup, c’était surtout une chanteuse avec qui finalement depuis, j’ai fait autre chose qui sortira plus tard, mais qui ne sentait pas le truc.

Dans ces cas-là, il n’y a pas de problème. Moi, je ne vais pas forcer une direction musicale. Je pars du principe que je veux de la spontanéité. Si ça ne fonctionne pas, ce n’est pas grave. On boit un coup, on fait autre chose et on passera sur un autre morceau une autre fois. Il n’y a pas de garantie de résultat. Ce qui est assez cool, c’est que tous les feats de l’album, ça a été très simple, très rapide et sans tergiverser. Il n’y a pas eu besoin d’en parler des plombes.

Fleur de Mur, ça s’est fait dans une chambre d’hôtel sur une résidence au Club Med. On se connaissait juste de nom. On s’est rencontrés en premier soir. Le lendemain, elle est venue. Elle a enregistré. En une demi-heure, c’était bouclé. On a même gardé les prises de voix qu’on avait faites dans cette chambre d’hôtel. On a essayé de refaire à mon studio à Marseille plus tard. L’énergie était là, elle était bonne.

Quasiment tous les feats, ça s’est passé comme ça. Yan s’est enregistré chez lui. Il m’a envoyé les prises. On a gardé les prises originales parce qu’elles avaient la bonne énergie. Elles étaient parfaites. Mouna était venue enregistrer. J’étais en résidence dans les Alpes. Et pareil, elle m’a striké le truc. Et à chaque fois, c’était ça. Julia, pareil. J’aime bien quand ça se passe comme ça.

Après, je fais mon petit travail à la maison. Je fais la prod. Je fais grandir le morceau à la faveur de ma première idée et de l’idée du collaborateur ou de la collaboratrice qui est venu se mettre dessus. Et d’en faire quelque chose qui fasse vraiment un tout.

LFB : Et à l’opposé, qu’est-ce que tu recherches dans ta voix, dans ta musique ? Ce qui est intéressant aussi sur cet album, c’est que je trouve qu’il y a un vrai équilibre entre ce qui pourrait être un album de producteur et en même temps un album d’auteur-compositeur.

Anoraak : Je ne sais pas si je cherche quelque chose de particulier. Mais encore une fois, je suis vraiment dans un truc de sincérité. Je vais enregistrer un morceau. Je vais tout de suite savoir, en commençant à chanter, en écrivant des paroles, parce que c’est ma manière de faire en général. Je fais d’abord la musique. Et ensuite, je vais écrire les paroles par-dessus, trouver des lignes de chant et tout ça. Et si ça met trop de temps à arriver, en général, je passe à autre chose, ou je mets le morceau de côté, ou je me dis que finalement, c’est peut-être mieux pour un featuring.

Ce qui a été le cas de deux-trois titres sur l’album. Où au début, je me disais, tiens je vais tenter des trucs. Finalement, ça ne marchait pas. Donc j’ai préféré demander à quelqu’un pour qui ça marcherait peut-être mieux. Mais en fait, quand je chante, j’ai juste envie que ça me plaise. Que j’ai envie de le chanter. Et au-delà du message qui va passer dans le texte, j’ai surtout envie de me sentir à l’aise. Et du coup, tous les morceaux sur lesquels je chante sur l’album, ce sont les morceaux sur lesquels je suis vraiment à l’aise.

LFB : C’est marrant, parce que c’est aussi fatalement, je trouve que sur beaucoup de tes morceaux, il y a une certaine noirceur malgré tout. C’est un album très dansant, mais il y a aussi de la noirceur qui apparaît. Il y a aussi une volonté de ne pas faire un truc 100% hédoniste et de quand même avoir un contact avec la réalité qui n’est pas forcément toujours très cool.

Anoraak : Mais parce que je suis comme ça, en fait. Alors moi, je ne dirais pas noirceur, je dirais plus introspectif. Mais bon, la limite est ténue. Si toi tu vois ça, aucun problème. Mais de toute façon, j’ai toujours été convaincu, et c’est peut-être pour ça que j’ai un amour immodéré pour le disco, c’est que c’est une musique qui n’est pas fondamentalement joyeuse, ne serait-ce que de là où elle vient. Elle est très politique. Donc pour moi, il y a un truc très introspectif derrière tout ça. Et c’est ce que j’aime, je pense. En tout cas, dans ce genre musical. Mais je suis complètement d’accord avec toi.

Dans celui de Yan particulièrement, parce que lui, il a la voix qui va avec ça et le background personnel. Dans sa musique, on est plutôt sur tout ce qui est New Wave, Dark. Et lui, il sait l’apporter. Il a su parfaitement l’apporter sur ce morceau-là qui déjà à la base, l’instru était un petit peu plus sombre. Avec un petit côté un peu New Wave, justement. Une indie dance. Après, je suis assez mauvais, pour le genreage des titres, mais voilà.

LFB : Tu vois, même un morceau comme Dodger ou même un morceau comme The World, je trouve, qui est hyper pop pour le coup. Il y a un point de vue qui est assez personnel et je trouve qu’il y a une recherche aussi là-dedans. Parce que tu pourrais faire un album que pour danser.

Anoraak : Ce n’était pas ce que je voulais faire, pour le coup.

LFB : Même le titre avec Julia. Il y a ce truc d’accepter l’amour qu’on peut avoir pour soi-même aussi, qui est hyper intéressant. Les thématiques ne sont pas occultées dans l’album.

Anoraak : Non, non, non. Dodger, par exemple, en gros ça parle juste de ces gens qui se cachent derrière leurs petits doigts, dont on fait tous un peu partie. Chacun a des niveaux bien différents. Mais le fait faire presque exprès, de ne pas voir ce qui se passe ailleurs et de se conforter dans son quotidien. Donc c’est un morceau qui est plutôt joyeux dans sa forme, mais dans son fond, c’est peut-être d’ailleurs le plus dark de tout l’album. Dans le propos.

LFB : Le seul morceau instrumental de l’album, c’est aussi le morceau qui donne son titre à lalbum. Et c’est un morceau qui même sans paroles, parle beaucoup et j’ai l’impression qu’il explore justement cette idée de bascule entre le jour et la nuit. Et il laisse énormément de place à l’imagination aussi. Est-ce que c’était important pour toi d’avoir un morceau comme ça sur l’album malgré tout ?

Anoraak : C’est toujours important pour moi d’avoir au moins un morceau instrumental. Parce que ça fait aussi partie de mon passif, de ma culture personnelle. J’ai eu une grosse époque post-rock et je ne sais pas comment on pourrait qualifier ça, moi j’appelle ça presque post-électro. Mais c’est l’époque, comment on appelait ça ? IDM ? Moi j’étais un gros fan de Boards of Canada. Et l’autre côté Mogwai. Et pour moi, ça se complétait vachement. Il y a beaucoup d’instrumentaux dans ces trucs-là, dans ces genres musicaux. Ça ne m’a jamais quitté. J’aime le côté très instrumental.

Si j’avais pu, j’en aurais fait d’autres d’ailleurs. Ce morceau était important aussi parce qu’en vérité je l’ai commencé il y a très longtemps. Et c’était un peu une espèce de délire, ce ne sont que des synthés analogiques, des trucs que tu fais pour rigoler un peu. Il y a un peu de piano aussi. Et je trouvais que c’était une bonne charnière en fait dans l’album. Et puis surtout, il a un côté très aquatique en fait. Très mer. J’ai l’impression que pour moi, ce sont des vagues en fait ce morceau. Il y a un peu une sorte d’évanescence. Mais oui, c’est important pour moi d’avoir des instrumentaux, parce que j’aime beaucoup ça.

LFB : Je suis hyper fan de Chromeo.

Anoraak : Ah, moi aussi.

LFB : Comment s’est faite cette collaboration avec Juliet Records ?

Anoraak : De manière assez simple et fortuite, il y a deux ans je crois, j’avais reçu un message sur Insta de P-Thugg, le producteur à la base de Chromeo, qui m’avait dit qu’il était tombé sur mes morceaux. Il connaissait déjà mon nom depuis pas mal d’années, et il m’avait dit putain, si tu as d’autres trucs à sortir, n’hésite pas, parce que nous on a Juliet et ça nous ferait plaisir. Donc moi à l’époque je commençais à avoir un début de squelette d’album et je leur ai di que mon prochain but là, c’était de sortir un album, sachant que c’est un label qui ne fait que des EPs. Donc au début ils m’ont dit qu’il fallait qu’on en discute, parce qu’ils n’avaient jamais fait d’album. Et puis très rapidement, je leur ai envoyé une première maquette de l’album et ils m’ont dit : allez go on y va. C’était très simple. Ce sont des mecs adorables, accessoirement, et du coup ça s’est fait de manière très facile.

LFB : On en a un peu parlé tout à l’heure, mais du coup tu es installé à Marseille. Quelle influence a la ville sur ton évolution musicale et sur la couleur musicale de ce que tu fais maintenant ?

Anoraak : Intéressante question, parce que moi-même je me pose cette question des fois. Ce que je pense, c’est que le fait même de vivre à Marseille change pas forcément ma manière de voir la musique, de l’appréhender ou même de la composer. Par contre c’est une ville qui m’inspire beaucoup. Je suis beaucoup plus productif depuis que je suis à Marseille. En fait c’est une ville qui m’inspire énormément. Je me sens je pense beaucoup plus à l’aise que toutes les villes où j’ai vécu avant. Je me sens à l’aise, je me sens chez moi. Et surtout, j’ai enfin réussi à atteindre un endroit où non seulement je me sens bien mais qui en plus coche énormément de cases de tout ce que j’ai pu rechercher avant pendant très longtemps. Que ce soit la mer, la nature, le côté méditerranéen des choses dans toutes ses grandes largeurs. Ça peut être la manière d’être des gens, la manière de vivre, la manière de se parler. Moi ça m’a fait du bien de m’installer là-bas. Ça m’a débloqué des trucs qui étaient un peu bloqués en moi. Toutes les villes où j’ai vécu avant que ce soit Nantes, que ce soit Paris ne m’ont pas particulièrement aidé à bien des degrés. Alors que justement, Marseille m’a aidé à me débloquer certains trucs. C’est peut-être pour ça que je suis plus prolifique depuis que je suis là-bas aussi.

LFB : Il y a toujours la volonté de créer des scènes dans les villes. Est-ce que la scène marseillaise existe ou est-ce que c’est un truc un peu factice malgré tout ?

Anoraak : Elle existe depuis très longtemps. Pendant longtemps dans l’inconscient collectif, la scène marseillaise c’était IAM et tout le reste. C’était le rap marseillais, ce qui était une réalité. Et puis après à côté de ça tu as beaucoup d’artistes qui sont marseillais dont on sait maintenant qu’ils sont marseillais mais qui avant le Covid, il fallait quand même chercher dans leur dossier de presse pour savoir qu’ils étaient à Marseille. Je ne te donnerai pas de nom, j’ai des potes qui rentrent dans cette équation-là, qui maintenant peuvent le revendiquer en toute tranquillité. Avant je pense que ce n’était pas forcément cool si tu ne faisais pas du rap en tous les cas de venir de Marseille. Je ne suis pas sûr de ce que j’avance mais j’imagine que ce n’était pas la première info que tu délivrais. Et maintenant ce n’est plus trop le cas.

LFB : Même au niveau des intéts publics des gens dans la ville. J’avais un copain qui habite à Marseille qui me disait qu’il y avait très très peu de concerts de rock.

Anoraak : C’est enfin en train de changer. En fait le truc c’est que Marseille, c’est une ville qui a une manière de fonctionner qui est un peu différente de toutes les autres villes. En tous les cas, toutes celles que je connais. En fait là-bas, tu as une espèce d’énorme tissu associatif et c’est une ville où il se passe énormément de choses mais tu n’as pas d’info comme ça en claquant des doigts. Il faut aller la chercher. Il faut rencontrer des gens, il faut qu’on te parle de certaines choses. Donc déjà ce circuit underground marseillais qui fonctionne, qui a toujours fonctionné et qui continue de très bien marcher, maintenant tu as aussi un circuit peut-être plus facile à aborder, à appréhender qui se développe très rapidement. Pour mille raisons. Déjà parce que tu as beaucoup de venants, tu as beaucoup de gens qui viennent s’installer à Marseille et qui arrivent avec des envies nouvelles.

LFB : Il y a plein de festivals qui se développent aussi.

Anoraak : Il y a plein de festivals. Tu as ne serait-ce que des endroits comme l’Espace Julien qui ont je ne dirais pas qu’ils ont changé leur prog, c’est juste qu’ils l’ont intensifié sur certains types de musiques qu’ils n’auraient peut-être pas produit avant. Je trouve ça cool qu’ils prennent un peu ce risque de faire pas forcément des salles combles à chaque fois mais au moins d’offrir la possibilité une fois ou deux par mois d’avoir des trucs que d’habitude ils ne passent jamais à Marseille, à moins de jouer limite dans des squats. Là au moins ils ne sont pas obligés de s’arrêter à Aix ou à Montpellier ou à Nice. Et ça c’est bien. Mais c’est assez récent. Mais ça vient vite, c’est l’avantage de cette ville.

C’est qu’elle aura mis du temps je pense à commencer à bouger mais là ça bouge à une vitesse c’est incroyable. Donc tu as beaucoup de choses qui se font et puis tu as aussi un truc que tu sais quand tu vis là-bas. C’est une ville qui a une saisonnalité assez forte comme toutes les villes du sud et particulièrement sur la côte méditerranéenne. C’est que du mois de novembre à peu près jusqu’au mois d’avril, il se passe beaucoup moins de choses parce que déjà t’as beaucoup moins d’extérieurs. Quand il fait en dessous de quinze degrés, tu restes chez toi mais ça, ça fait partie du fonctionnement de cette ville et de sa culture propre. Mais en tous les cas, culturellement ça bouge énormément. Il y a plein de trucs et entre autres, des concerts de rock il y en a de plus en plus.

Tu as aussi une autre salle qui s’appelle le Makeda qui était avant le Poste à Galènes, qui a une prog qui est hyper intéressante. Je suis allé voir Chien Méchant il n’y a pas longtemps là-bas. Ce n’était peut-être pas plein mais c’était vraiment bien rempli. Je pense que t’aurais fait le même concert il y a cinq ans, il y avait dix personnes à tout casser.

LFB : Tu as un festival The Echo qui ramène beaucoup de trucs hyper différents.

Anoraak : Ouais, c’est bien en fait parce que ça ce sont des gens qui font, qui forcent un peu. Mais je pense aussi que c’est le bon moment. Je pense que s’ils l’avaient fait il y a cinq ans, ça n’aurait pas pris. Maintenant tu as le public qui est là. Tu as les Marseillais bien renseignés et du cru, et tu as tous ces venants qui arrivent et qui sont chauds pour aller voir des concerts de rock. Ce grand mélange-là, ça produit quelque chose d’intéressant.

LFB : Puisqu’on parle de scènes, comment tu penses faire vivre cet album ?

Anoraak : J’y ai pensé pendant que je le composais. En fait l’idée c’est de faire un peu la croisée des chemins entre ce que j’ai fait pendant un temps, c’est à dire vraiment de la scène : guitare, basse, batterie et de croiser ça avec ce que j’ai fait les dernières années c’est à dire du DJ set purement. C’est un mélange des deux. C’est un live hybride ou un DJ set hybride. C’est à dire qu’en gros, c’est une performance live intégrée dans un DJ set. C’est toujours un petit peu compliqué à expliquer parce que j’ai l’impression qu’il faut plus le voir pour en faire l’expérience.

Les quelques fois où je l’ai fait jusqu’à maintenant, ça marche très bien. Et puis après au fur et à mesure du temps, je vais le faire évoluer aussi. Je pense que ça va dépendre aussi des lieux où je le joue, de l’horaire aussi auquel je joue parce qu’évidemment je ne vais pas performer des morceaux techno. Ce n’est pas exactement mon domaine. Mais l’idée, c’était d’avoir quelque chose qui soit hyper adaptable, que je puisse le jouer en club, en festival ou sur des salles de concert même. Et qu’à chaque fois ça puisse avoir de la gueule, mais en fonction de l’endroit où je suis et de l’horaire auquel je joue du coup.

LFB : Si dans une bibliothèque, tu devais ranger Golden Hour à côté d’un album, un livre et un film, tu choisirais quoi ?

Anoraak : Alors, on va commencer par l’album, je pense que je le mettrais à côté d’un des albums deCut Copy. À côté d’un film, Paris-Texas, c’est le premier qui me vient. C’est un de mes films préférés parce qu’il y a ce côté quête/voyage qui est inhérente. Toujours avec cette espèce de soleil de plomb. C’est ce genre de film que tu re-mates tous les deux ans. En termes de livre, c’est une très bonne question. Dans un bouquin que j’ai lu il n’y a pas longtemps, à côté des Naufragés du Wager. C’est assez passionnant, il parle d’une histoire vraie d’une aventure qui a mal tourné. D’un voilier anglais au 18ème je crois, qui est parti pour aller faire la guerre avec les espagnols et qui est passé par le détroit de Magellan je crois. Il s’est fait démonter par les vagues et les mecs se sont retrouvés sur une île déserte. L’histoire est assez sordide. Non, je mettrais à côté de La longue route de Moitessier qui était un navigateur. J’ai lu énormément de bouquins de ce mec-là pendant que je bossais l’album. Je pense qu’il y a un petit peu de ça. Très bon livre que je vous conseille même si vous ne faites pas de navigation parce que c’est très poétique.

Crédit Photos : Diane Sagnier

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