jean, rencontre autour de c’est quand même bizarre

Mis en orbite par sa tournée avec Odezenne et son premier EP Loop, jean ne cesse de confirmer les espoirs placés en lui. Après un prix aux INOUïS du Printemps de Bourges, jean dévoile cet année son premier album : C’est quand même bizarre. Un premier album superbement écrit et musicalement ambitieux autour du quel on a longuement échangé. On a notamment parlé de cinéma, d’écriture, de timidité et de cette nouvelle existence quand même un peu bizarre.

jean
Crédit : Simon Helloco

LFB : Salut jean, comment ça va ?

jean : Ça va, et toi ?

LFB : Ça va bien. Ton album est sorti vendredi. Tu commences tes « propres concerts » en ton nom depuis un mois, deux mois. Comment tu vis tout ça ?

jean : Ce sont des concerts qui sont beaucoup plus agréables, dans le sens où les gens viennent exprès. Donc du coup ils sont très réceptifs, voire trop réceptifs des fois, c’est un peu étrange. Mais ça n’a rien à voir avec les autres concerts qu’on faisait, où t’es là pour un peu séduire. Là c’est un public qui est un peu, je ne dirais pas acquis, mais qui vient exprès, donc du coup les réactions sont plus naturelles. C’est un truc que je ne gère pas vraiment, parler aux gens, parler au public. Là c’est beaucoup plus facile maintenant qu’ils viennent exprès.

LFB : C’est quelque chose qui te surprend ?

jean : Ouais. Le dernier concert qu’on a fait jeudi, ils ont applaudi pendant je pense une minute trente, deux minutes. C’était interminable dans ma tête, c’est très étrange.

LFB : Justement, le titre de ton album, est-ce qu’il ne représente pas un peu ces deux dernières années de ta vie ? Depuis la sortie de Loop, qui a quand même déclenché pas mal de choses.

jean : Finalement, ouais. Ce n’est pas la première fois qu’on me dit ça. Mais de base c’était le nom d’un des sons qu’on voulait mettre dedans, mais qui ne rentrait pas dans le projet, parce qu’il était musicalement particulier. Puis les paroles ne ressemblaient pas du tout à ce que je fais d’habitude. Donc on ne l’a pas mis. Mais le titre était vraiment cool alors on l’a gardé et on l’a mis pour le projet.

LFB : C’est un peu le hasard.

jean : Ouais, c’était le titre des morceaux qu’on a fait qu’on préférait. Donc on s’est dit : autant le mettre.

LFB : Et justement, toi, qui es quand même quelqu’un d’assez timide, comment tu vis cette nécessité un peu de parler de ta musique ?

jean : C’est un gros effort. C’est de plus en plus simple quand même parce que j’ai été conseillé par plusieurs personnes. Et puis à force de le faire, je suis moins gênant. Parce qu’au début, je ne répondais que je sais pas, ou ouais, c’est vrai, et puis voilà. C’était très dur, même en général pour moi dans la vie, quand je ne connais pas quelqu’un, je ne parle pas beaucoup. Mais ça va un peu mieux.

LFB : Et d’ailleurs, il y a une phrase qui est intéressante dans Mouillé, où tu dis : je ne dis pas ce que je pense, je partage peu. J’ai l’impression que ta musique parle plus pour toi que toi t’aurais envie de le faire.

jean : Ouais, c’est vrai qu’on m’a fait la réflexion, mais je me livre beaucoup dans ma musique. Je ne m’en rendais pas vraiment compte. Mais dans la vie de tous les jours, je ne suis pas quelqu’un qui partage énormément mes problèmes. Je mets une distance quand je l’écris. Je ne me rends pas compte que je me livre même des fois très personnellement.

LFB : Tu ne réalises pas.

jean : Je le fais soit tout seul, soit avec deux autres très très bons potes, donc il n’y a pas trop ce truc. Une fois que c’est sorti, c’est vrai que c’est un peu étrange de me dire que ma grand-mère, elle écoute ça, alors que je parle de substances, de produits.

LFB : Ouais de dépression aussi.

jean : Ouais, voilà, c’est ça, alors que je n’en parle pas vraiment dans la vraie vie.

LFB : Avant de parler de musique, j’aimerais te parler d’un truc qui est hyper important, ce sont les visuels qui accompagnent ton projet. Il y a un truc que j’aime beaucoup, c’est le logo. J’ai l’impression qu’il représente bien un peu le personnage de Jean, c’est une personne qui est proche du vide et prête à tomber.

jean : Ouais, alors j’aimerais bien en prendre le mérite, mais pour le coup, ce n’est pas moi qui l’ai fait. C’est une très bonne amie de la personne avec qui je travaille, Ju!es, qui monte sur scène avec moi, manager, directeur artistique, tout ça, tout ça. Et elle est très talentueuse. Elle nous a fait plusieurs propositions et ça nous a frappé. Mais c’est vrai que ça représentait un peu l’instabilité j’imagine. En tout cas, je l’ai surtout trouvé joli, si je peux être sincère. Ça a été le premier.

LFB : C’est ça qui est intéressant, c’est esthétique et en même temps ça dit des choses.

jean : Ouais, mais j’ai l’impression que ça dit les choses après. Je sors pas mal de trucs et puis après je me dis, putain mais en fait, ça veut dire ça. C’est comme pour l’EP d’avant Loop, on n’avait pas du tout capté que musicalement, ça faisait une boucle avec le premier. Je ne sais pas. Ça sonnait bien, alors on l’a fait comme ça. C’est un peu la démarche.

LFB : Mais justement, pour rester sur cette idée-là, le visuel est hyper important. Le cinéma aussi est hyper important, que ce soit la pochette qui est dans un cinéma, qui fait une référence à Donnie Darko, le clip qui fait une référence à Paris-Texas. Justement, est-ce que laisser ces autres mondes traverser ta musique et la faire voir un peu différemment, c’est quelque chose qui t’intéresse ?

jean : Moi, c’est ce qu’on dit toujours, je dis « on » parce que les décisions, elles sont souvent prises avec Ju!es qui est mon ami conseiller. On est tous les deux fans de cinéma et on se dit que c’est dommage de faire une œuvre vidéo qui n’a pas d’intérêt. Je trouverais ça dommage de faire des clips où juste je chante devant la caméra. C’est un peu dommage. J’aimerais bien que tout ce qu’on fasse soit joli.

LFB : De faire des courts-métrages un peu.

jean : C’est ce qu’on voulait faire de base. On voulait faire un court-métrage. On n’a pas eu les financements, mais ça a toujours été dans l’idée de faire des trucs. En plus, je connais plein de gens hyper talentueux qui réalisent très bien. Donc, oui ça va continuer dans cette veine-là, c’est sûr.

LFB : C’est un truc qui nourrit ta musique. Enfin, sur Loop, tu avais justement cette idée de Fight Club aussi. Des inserts sonores aussi du film.

jean : Oui, l’interlude, oui.

LFB : Il y a ça aussi sur l’album.

jean : Sans exagérer, on va dire que c’est 35% de ma vie, les autres 35%, c’est la musique et le reste, c’est la vie. Mais vraiment, je ne fais que ça moi. Regarder des films, faire de la musique, écouter de la musique, je suis un peu autiste. Ce n’est peut-être pas le bon mot, mais obstiné.

LFB : Obsessionnel.

jean : Obsessionnel, ouais.

LFB : Mais d’ailleurs, le sample dans Les voisins du dessous, c’est un sample de quoi ?

jean : C’est Roger Rabbit, mais on l’a modifié parce qu’on avait peur de se faire attraper.

LFB : Parce que moi, ça m’a fait penser au laboratoire de Dexter.

jean : Ah oui, effectivement. Je crois que c’est le même doubleur, c’est le doc dans Retour à le Futur. Ouais.

LFB : C’est marrant, ces inserts-là, justement.

jean : Je trouve ça trop cool à écouter dans d’autres morceaux, dans d’autres albums. À chaque fois qu’il y a un petit truc comme ça. Je sais qu‘Infinite fait beaucoup ça, qui est un rappeur que j’aime beaucoup. Et Alpha Wann, Une main lave l’autre, qui est un des meilleurs albums de rap. Pareil, rempli de petits moments parlés. J’adore ça. Même dans le tout premier EP qu’on a sorti, il y avait un morceau d’Eternal Sunshine de Spike Easton. Il y avait toujours eu cette idée de mettre des mots parlés parce que je trouve ça joli.

LFB : C’est marrant, parce que ce son-là, il repart sur un autre sample juste après.

jean : Ouais, parce qu’en fait, quand on a fait la setlist, on ne l’a pas travaillé comme l’autre. On les a fait un par un. Et après, on a essayé de les organiser. Parce que vu que c’était un peu un style différent de musique à chaque fois, on ne savait pas trop comment les mettre, pour qu’il y ait de la cohérence. Et en tout cas, en parlant juste du sens, les deux collés, parce que c’est le point d’interrogation, du coup. De base, c’était l’intro du morceau d’après. Mais on a dû faire une autre piste pour éviter les droits.

LFB : Si c’était un film, ce serait quoi ? Un documentaire ? Un faux-cumentaire ? Genre un film comme I’m Still Hereoù c’est une part de toi qui pourrait être réelle, mais qui est romancée ?

jean : Malheureusement, ce n’est pas vraiment romancé. Mais ouais, les influences qu’on a eues, puisqu’on a fait un moodboard pour l’album, c’était beaucoup de Trainspotting, avec Requiem For a Dream. Des films qui finissent mal, malheureusement. Mais où il y a de l’amour, des produits, de la tristesse, des trucs comme ça. Je ne pourrais pas te dire.

LFB : Il y a a un côté un peu éclaté aussi., une montagne russe.

jean : On va dire que j’ai eu beaucoup de problèmes de substance dans ma vie. La montée, la descente, ça a été beaucoup… Il y a un morceau hyper énergique qui s’appelle ARTICULE! et juste après, Jour de fête qui est vraiment une descente où tu ne te sens pas bien. C’est un mec bourré qui parle à son ex. On a essayé de faire beaucoup de montées et de descentes. Je trouvais que c’était pertinent en tout cas par rapport à ce que je voulais exprimer.

LFB : Justement dans l’écriture, c’est brut mais c’est beau la façon dont tu écris les choses. Comment tu rends poétique cette réalité qui peut être très brutale et un peu dégueulasse parfois ?

jean : En fait, quand je commence à écrire, souvent, j’ai plein de phrases dans mes notes. C’est rempli des notes où il n’y a qu’une ou deux phrases que je trouve jolies ou des idées que je trouve un peu jolies. Souvent, c’est des trucs un peu crados. Je ne sais pas comment le dire. Il y a un morceau qu’a sauté où il y avait une phrase dedans qui parlait de sniffer de la coke dans les toilettes et je trouvais cette phrase hyper belle. Je ne sais pas pourquoi parce que ça rendait le truc crado au milieu de tout un truc un peu beau. C’est une chanson d’amour, tu n’es pas censé te parler. Je trouve que c’est ça qui est beau. Comme Trainspotting. Pour reprendre les deux exemples, c’est des trucs terribles qui se passent et c’est quand même très beau. Le film The Wale que j’ai vu il n’y a pas longtemps, c’est quand même dur à regarder. C’est pareil, c’est le même réalisateur. C’est Aronofsky. C’est très dur mais la fin est trop belle. Moi, j’ai une larme de beauté et je trouve que c’est ça qui me plaît dans l’art en général.

LFB : C’est ce que tu cherches à faire dans ta musique.

jean : Oui, c’est ce que j’aime. J’essaie de faire un truc qui me plaît.

LFB : J’ai l’impression qu’une des évolutions par rapport à Loop, c’est qu’il y a une recherche de je malgré tout. Il y a des morceaux comme Céline ou Monique, ce sont des morceaux où tu crées des personnages à partir d’émotions. Céline parle clairement de ton addiction et Monique parle beaucoup de solitude et de ce que tu deviens quand tu restes trop avec toi-même.

jean : Oui, c’est ça. J’aime bien aussi les titres avec des prénoms. Je trouve ça joli. C’est surtout pour ça. Monique, ça me tenait à cœur parce que de base ça devait être un autre prénom d’une dame que je connais qui commençait par « M » et du coup j’ai dû le changer pour être Monique. Et Céline, c’est par rapport à une drogue qui ressemble un peu au niveau du nom donc ça a été plus cherché dans ce sens-là. Je suis content que tu l’aies vu comme un truc.

LFB : C’est marrant parce que c’est vrai que si tu ne le vois pas, tu te dis que ça parle d’une relation humaine. Mais si tu creuses un peu, tu vois quand même il y a ce truc « j’ai pas besoin de toi mais je reviens tout le temps vers toi ».

jean : Il est blindé de jeux de mots. La lettre de la drogue en question est particulièrement répétée, même accentuée à plein d’endroits. C’était un peu marrant à écrire je trouve.

LFB : me si ce n‘est pas marrant à vivre.

jean : Non mais bon c’était terminé depuis un moment donc j’ai pu prendre du recul quand même dessus pour faire ce truc-là. C’est d’ailleurs pour ça qu’il est très altéré au niveau du mix parce qu’on a essayé de faire un truc un peu… Avec la voix qui déraille, beaucoup d’acid finalement dans les textures.

LFB : C’est intéressant. Tu parles de jeu, d’accentuer. Ce qu’il y a d’intéressant aussi, c’est que l’écriture est hyper visuelle. On reste dans l’idée toujours de cinéma mais il y a cette volonté de rendre tout très percutant et compréhensible.

jean : Ça me fait plaisir que tu dises ça parce qu’effectivement, c’est le but. Je n’ai pas toujours bien écrit mais j’ai par exemple Jules qui écrit beaucoup mieux que moi, je n’ai pas de mal à l’assumer. C’est lui qui m’a beaucoup écrit et puis j’ai souvent sa voix dans ma tête qui me dit non mais là ça n’a pas assez de sens, on va peut-être faire un truc plus joli, plus compliqué. J’essaie que que tout ait un sens et qu’il y ait plein de jeux de mots cachés, de trucs d’entremises. J’aime bien cacher des choses dans les textes. Je ne sais pas, ça m’amuse.

LFB : Et ça t’intéresse la vision qu’ont les gens justement de ta musique qui peut être différente de ce que toi t’as voulu dire ?

jean : Au début, pas du tout. À part pour les gens à qui je faisais écouter ,c’est-à-dire Jules, les gens avant de sortir tout ça. Mais ce qui me fait bizarre, c’est que je reçois des messages de gens que ça touche vraiment.Je ne pensais pas que ça arriverait. Ça me fait plaisir parce que c’est ce que je voulais même si c’est pour moi de base. Ça c’est un peu étrange. Mais non, tu l’interprètes comme tu veux parce que c’est pour moi de base. Donc moi ça me fait plaisir quand je l’écoute, quand je l’ai fini. Après je ne sais pas comment dire. Si c’est mal pris ou si c’est bien pris, ça ne m’importe pas vraiment.

LFB : Mais justement ça te fait « du bien » quand le texte est fini et que le truc ne t’appartient plus ?

jean : Ouais c’est ça. C’est ce qu’on arrête pas de discuter parce qu’on a sorti l’album vendredi à minuit. C’est vrai que moi ça m’a pas non plus… Parce que je l’avais fini, j’avais déjà entendu les masters. Je l’avais écouté donc c’était un peu différent en termes d’attente, d’excitation. C’était déjà fini pour moi et les gens que je connais qui dont leur avis m’importe, ils l’avaient déjà écouté.

LFB : Ce sont des choses que tu découvres un peu, l’attente autour de ta musique.

jean : Ouais vu que je n’ai pas beaucoup d’attente, en général ce n’est que du positif. Donc c’est cool. Ça marche, ça donne des dates. Les gens vont au concert. C’est cool quoi.

LFB : Est-ce que il y a aussi une importance à faire de l’humour noir dans ta musique et dans ton écriture ? Notamment sur un morceau comme Cordialement.

jean: Ouais, je me suis un peu fait plaisir sur celui-là. Il est pour plein de gens en plus, j’adore le faire sur scène. Très, très agréable.

LFB: Le morceau s’appelle Cordialement et la première phrase que tu dis, c’est un peu : lâche-moi les couilles.

jean: Je dis la même chose sur plusieurs phrases qui ont le même sens, mais ça veut juste dire « arrête de parler et lâche-moi ». Mais c’est un truc que j’ai écrit pour mes parents, les gens que je rencontre dans la rue qui me saoulent, ma copine des fois, mes potes, Jules des fois, parce qu’on se connait depuis longtemps, donc des fois je le déteste. Enfin bref, très agréable à faire. Facile à écrire aussi. Je sais que je pianotais un peu, je me suis dit c’est super mignon, viens on dit des saloperies. Et ça m’a plu. Ça a plu à tous les gens avec qui j’ai bossé. C’est une bonne surprise. C’est différent de ce que je fais quand même d’habitude, il y a très peu de mots, il n’y a pas énormément de rimes, tout ça. Du coup, je l’aime bien.

LFB: C’est un morceau intéressant pour finir un album en plus.

jean: Il s’appelle Cordialement. Ouais, c’est vrai. Non et puis je me plains beaucoup. Moi je dis souvent que je m’auto-fouette pas mal dans les textes. Je dis beaucoup mes défauts, tout ça. Donc un dernier morceau où vraiment ce n’est pas moi que j’insulte, je trouvais ça bien.

LFB: Pour rester sur l’idée du texte et faire une transition vers la musique, j’aimerais parler de l’ambition autour de la voix. Par rapport à Loop, il y a un truc d’amplifié et une recherche de variété dans l’interprétation.

jean: Ça a été complètement le gros sujet quand on a commencé à faire l’album parce qu’on ne voulait pas faire la même chose. Moi j’ai une tendance à écrire un peu la même chose, tout droit. Je fais beaucoup de rimes mais je parle surtout de drogue, de tristesse. Donc on a essayé que ça ne soit pas que ça. On a fait Monique, on a fait Cordialement. Même Décrocher, il ne parle pas de drogue finalement. C’est le morceau qui est un peu valse. Celui-là est purement sexuel. On appelle ça une prod DJ Sex. C’est ce qu’on s’est dit quand on l’a fait. On a essayé d’être variés parce que j’en avais marre de dire les mêmes trucs.

LFB: Même dans la façon de chanter. Un morceau comme Mouillé, tu chantes énormément. Arrête de faire comme si, c’est pareil. Même Monique, il y a des intentions très différentes.

jean: Au début, je ne chantais pas très bien. J’étais adolescent. J’ai fait du rap longtemps. Quand j’ai signé avec le label, on a arrêté de bosser qu’avec Jules. On a bossé avec un autre mec qui s’appelle Clément Cordier, qui a aussi une carrière. Il s’appelle Cartoon, très bien à écouter, je conseille. Et lui il m’a poussé à essayer de chanter et ça a donné Mouillé, Arrête de faire comme si, les morceaux qui poussent un peu. Je me suis rendu compte que je pouvais le faire, donc j’ai un peu abusé du truc. C’était le but, que ça ne soit pas répétitif.

LFB: Mais justement, si on garde la métaphore cinématographique. Est-ce que musicalement, l’album, ce n’est pas un peu Split de M. Night Shyamalan, à savoir un album à personnalités musicales multiples ?

jean: Oui, complètement. Finalement, il y a des sons qui sont en pleine euphorie. Il y a des sons qui sont vraiment en prise de conscience de « ça ne va pas ». Oui, c’est vrai que ça part un peu. Il y a un morceau caché dans le vinyle.

LFB: Il y a une volonté, même musicalement, d’aller chercher des trucs purement rap, de la bossa, des trucs très rock. Je trouve qu’il y a un luxe de ne pas choisir de style musical ?

jean: Moi j’aime tout écouter. Dans ma playlist, il y a très peu de rap. En vrai, il y en avait beaucoup avant, mais il n’y en a quasiment plus. Mais ça m’a beaucoup inspiré en fait de se dire que t’es pas limité à. J’adore les rimes, ça me satisfait énormément. Bien écrire tout ça, qu’il y a du sens mais faire ça toujours sur les prods type beat, tout ce truc là, ça me saoulait quoi. J’aime bien Mac Miller.

LFB: Il y a une vraierecherche de musicalité. Dans un titre comme DISQUETTES, tu l’avais déjà.

jean: On avait plus de liberté à l’époque. On n’avait pas fait grand chose, donc tout ce qu’on faisait, c’était nouveau. On n’avait pas, je ne m’y connaissais pas beaucoup en prod, tout ça. On avait vraiment du matos nul. On enregistrait dans une vieille buanderie, si on ouvrait le nouvel placard, on devait attendre que ça arrête de goutter pour enregistrer. On ne connaissait pas les logiciels. C’était avec les moyens du bord. Dès qu’on a eu la possibilité de faire plus, on s’est dit, on veut faire ça, ça, ça, on veut faire du gospel, on veut faire de la bossa nova. Ça a été un terrain de jeu, plus qu’autre chose.

LFB: Est-ce que ça a été un vrai travailde recondenser le tout pour donner une cohérence ? Parce qu’effectivement, quand tu passes de rien à tout est possible

jean: On n’était pas loin de la fin de l’album, on s’est dit merde ils sont quand même tous différents. Mais en fait le texte, le liant et puis certains morceaux qu’on a fait plus tard ont réussi quand même à relier le tout. Parce que la thématique est la même. Dans chaque morceau, t’as de la solitude de la tristesse et de l’ennui. Finalement, je pense que c’est plus le texte la ligne conductrice que la musique.

LFB: C’est ça, le texte et le personnage qui n’est pas un personnage sont tellement puissants et centrés qu’ils permettent d’explorer plein de trucs autour.

jean: Oui, en espérant pouvoir faire plus de différents après, plus tard. Parce que je parle quand même pas mal de drogue et de tristesse encore.

LFB: Mais est-ce que t’as l’impression que c’est aussi parce quetu t’es un peu débarrassé de tout ça, que tu peux aussi en parler de cette manière-là ?

jean: Ouais, clairement. A l’échelle de ma petite vie, ça ne fait pas énorme, mais ça fait un moment que je suis détaché de ce genre de choses. Ça me rend plus joyeux d’en parler. Dans Loop, il y avait beaucoup de joyeuseté, de c’est tant pis. C’est comme ça, c’est tant pis, c’est pas grave. Il y a beaucoup de regrets, je trouve. Ça raconte aussi une fin de relation, sur tout le truc. C’est une sorte de deuil de la vie de toxico, c’est pas le bon mot, mais…

LFB: Qui aurait pu être une vie de toxico, finalement.

jean: Oui, c’est ça. Il y a un peu d’espoir, je trouve.

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Crédit : Simon Helloco

LFB: Je trouve qu’un morceau comme Cordialement, ça peut être aussi une manière de faire un doigt d’honneur à ta vie d’avant.

jean: Oui, c’est ça. C’est aussi un doigt d’honneur à la drogue, à mes relations toxiques, tout ça, tout ce que j’ai pu faire de pas bien. Donc oui, c’est quand même un peu plus positif que les autres projets qui terminaient musicalement joyeux, mais textuellement triste.

LFB: J’aime beaucoup l’album.Je trouve que c’est un album qui s’explore et j’ai l’impression que tu découvres des facettes différentes au fur et à mesure que tu l’écoutes ou que tu appréhendes le texte. Tu te rends compte justement des jeux, des choses comme ça. C’est un peu des poupées russes en fait. À chaque fois que tu ouvres l’album, tu vas découvrir quelque chose à l’intérieur qui va te donner envie de rouvrir et de redécouvrir quelque chose en fait.

jean Super, c’est que ça a fait ce qu’on voulait.

LFB: Ce que j’aime aussi dans l’album, c’est cette symbiose entre la puissance et la violence qui vivent en même temps dans les chansons. De la même manière que la douceur et les faiblessesvivent aussi en même temps dans les chansons.

jean: C’est vrai que ça fait partie pas mal de ma vie. Des émotions chiantes. Une chanson d’amour positive, je trouve ça un peu relou. Je ne sais pas comment dire. C’est un peu néant, un peu démago. Tout est beau, on est heureux, on a envie de faire la fête, c’est cool. Ça m’emmerde un peu. Donc si je veux parler d’amour, j’ai envie de dire des trucs tristes ou des trucs horribles. Je trouve ça plus intéressant. Comme dans les films, en fait. Juste un film genre Bridget Jones, c’est un peu moins bien qu’Eternal Sunshine. Ce genre de nuances, je trouve.

LFB: Est-ce que tu penses que c’est un travail qui n’a pas de fin de capturer ses émotions ?

jean: C’est naturel. Je réfléchis beaucoup en général, peut-être pas comme il faut, mais sur ce que je pense, ce que je ressens, tout ça. Je ne sais pas. J’imagine que ça va s’arrêter à un moment donné. Mais oui, on cherche une recherche de sensations fortes, ça c’est clair.

LFB: Et c’est un truc qui te fait peur de ne plus avoir de choses à raconter ?

jean: Oui, quand j’ai arrêté un peu tout ce qui est produit, je me suis dit « merde, je n’ai plus rien à raconter, je me fais chier, je ne fais plus rien ». Maintenant, il y a d’autres choses. C’est pas fini à ce moment-là.

LFB: C’est un album qui a une ambition musicale assez importante. Je sais que pour l’instant vous n’êtes que deux sur scène, mais toi comment tu aurais envie de le faire sur scène ?

jean: Un groupe. Depuis qu’on a commencé les concerts, on aimerait un groupe. C’est une question de moyens. Pour le coup, il faut payer plusieurs cachets. Mais dans l’idéal, un batteur, un guitariste, un bassiste, un pianiste, ce serait trop bien. Il y a une grosse partie de l’album qui s’est construit aussi avec des vraies basses, des vraies guitares. Même si c’est fait par MAO, c’est jouable sur un vrai instrument.

LFB : Oui, il y a une volonté organique sur l’album.

jean : C’est ça. L’idéal, c’est la prochaine tournée, donc la tournée après celle d’automne, de partir avec un petit groupe. Peut-être pas tous les musiciens du monde mais au moins un pianiste et un batteur. Ça serait vraiment bien.

LFB : Là, finalement tu passes quand même des étapes. Tu as rempli la Boule Noire, la Maroquinerie. Tu arrives au Trabendo qui est quand même une salle…

jean : Ouais, apparemment. C’est étrange. C’est le tourneur qui nous a dit que plus ça marchait, plus il y aurait possibilité d’engager des musiciens. Ça commence à avoir l’air possible. C’est cool.

LFB : C’est l’objectif.

jean : Oui. Même quand on a commencé l’album. Je suis arrivé au studio et j’ai dit à Clément, qui gère le studio, que je voulais un truc où on a l’impression que ce sont de vrais instruments. J’écoutais que des trucs comme ça à ce moment-là, des trucs très organiques avec des vrais instruments. Ça a toujours été le kiffe. Je suis fan des Strokes en plus.

LFB : Au niveau du tour, tu es chez Caramba.

jean : Ils sont niquels.

LFB : Ce n’est pas un tourneur de rap donc il comprend cette volonté de la chanson et d’avoir un entourage qui te permette de progresser et qui croit au projet.

jean : Oui et au niveau finances, ils nous ont payé une carte son pour le live. On est en parrainage avec la SMAC de Rouen. On est aidé de partout. On a des moyens, si on veut faire de la musique, on peut. On n’a plus besoin de payer. Avant, on perdait de l’argent à faire ça alors que maintenant, on peut quand on veut. C’est vraiment pratique et beau. Ils sont impliqués dans tout. Ils nous demandent d’écouter les morceaux, sans nous dire de faire telle ou telle chose. C’est très agréable.

LFB : Tu as une attachée de presse maintenant qui défend ta musique.

jean : Ouais, super attachée de presse. Patricia, déterminée.

LFB : C’est important d’avoir une équipe qui comprend la direction que tu veux donner à ce que tu fais.

jean : Ouais, et quand je ne travaille pas avec le tourneur du label, je ne suis qu’avec des potes qui font aussi de la musique. Je suis très, très bien entouré de partout. J’ai énormément de chance je pense.

LFB : Si tu devais ranger dans une bibliothèque ton album à côté d’un livre, d’un film et d’un album, tu choisirais quoi ?

jean : C’est compliqué.

LFB : Pour l’album, je l’aurais mis à côté de Camp de Childish Gambino. Dans l’interprétation, dans la diversité ou même dans la façon de parler de toi.

jean : C’est vrai qu’il fait pas mal d’album où les sons sont différents. Si c’est toi qui le dit, je suis hyper content. Sinon, je ne sais pas. Sur Spotify, je sais que les gens qui m’écoutent écoutent beaucoup Mr. Giscard. Sinon, Odezenne.

LFB : Et le film et le livre ?

jean : J’ai des livres préférés mais ils n’ont rien à avoir avec ce que je fais.

LFB : Ça peut être des choses qui t’ont accompagné dans l’écriture.

jean : J’allais dire Le parfum mais ce n’est que de la description. Non les livres que je lis ne ressemblent pas à ce que j’écris. Mais Chattam. J’adore les polars et tout et ça ne ressemble pas trop à du polar. Pour les livres, je ne pourrais pas dire. Pour le film, on va dire pour la pochette Donnie Darko. C’est super dur comme question.

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