Rencontre avec Herman Dune

La Face B a rencontré Herman Dune à l’occasion de la sortie d’Odysseus, un album lumineux et organique, enregistré à San Pedro, à Los Angeles, avec David Garza, complice de studio et d’instinct. Marqué par son amour profond pour la folk américaine et le bluegrass, Herman Dune tisse dans ce nouveau disque une odyssée intime, nourrie par ses lectures, ses errances, et son admiration pour la figure d’Ulysse. Ainsi, au fil de l’entretien, il évoque sa vision d’Odysseus, son processus d’enregistrement, et les passerelles invisibles entre la musique et le dessin, qu’il pratique avec la même liberté. Une rencontre généreuse, drôle et chaleureuse avec un artiste qui façonne, morceau après morceau, un univers profondément personnel et singulier.

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« Je pense qu’il faut deux choses pour pouvoir écrire : vivre et lire. Parce que les mots, ça résonne en toi. C’est important ce que tu lis. Si tu lis que les journaux, que les nouvelles, des trucs comme ça, t’as pas de beaux mots en toi. » Herman Dune

La Face B : Bonjour David, comment vas-tu ?

Herman Dune : Ça va, merci. Tu veux que je dessine en même temps ?

La Face B : Oui c’est parfait ! J’ai beaucoup écouté Odysseus. C’est un titre d’album très fort, presque mythologique. Qu’est-ce qui a fait résonner cette figure d’Ulysse avec ta propre histoire ?

Herman Dune : J’ai commencé cet album — le premier titre d’Odysseus que j’ai écrit — j’étais moi-même bloqué dans la ville de Montréal, au Canada, entre l’Europe et là où j’habite, aux États-Unis, parce que c’était interdit à l’époque de retourner d’Europe aux États-Unis. Donc, sans savoir où aller, j’ai pris un billet pour être sur le continent. Ils avaient ouvert les frontières avec le Canada et je me suis retrouvé à Montréal. Le groupe Godspeed You! Black Emperor, à Montréal, a un hôtel qui était évidemment fermé, et ils m’ont invité à rester là-bas pendant que j’attendais un visa ou une autorisation de rentrer.

Et je me suis retrouvé bloqué dans un hôtel-ville — ça me fait toujours penser au Shining — en plein centre de Montréal, en attendant jour après jour de savoir quand je pourrais rentrer chez moi, semaine après semaine. Le matin, j’allais au cimetière du Mont-Royal, sur la tombe de Leonard Cohen par exemple, et j’étais bloqué. Et quand on est bloqué, on lit pas mal. Et je ne pouvais pas rentrer chez moi, voir ma femme à Los Angeles. Je me suis vraiment senti coincé. Donc, comme tu sais, L’Odyssée d’Homère commence avec Ulysse — Odysseus — bloqué chez Calypso et rêvant de rentrer chez lui. C’est cette image que j’avais en tête, avec la traduction d’Emily Wilson en anglais, qui est fantastique. Elle a traduit le texte en vers modernes, et je me suis tout simplement identifié à Odysseus. J’ai écrit cette première chanson, qui est aussi le titre de l’album.

La Face B : Pour rebondir sur Emily Wilson, qui a été un déclic, qu’est-ce qui t’a marqué dans sa version de L’Odyssée, hormis la construction moderne ?

Herman Dune : L’Odyssée en anglais est souvent traduite comme une histoire continue. Elle a décidé, puisque c’est un poème, de l’adapter — ce qui n’est pas facile — en vers typiques à dix syllabes, comme ceux utilisés par Shakespeare, donc en anglais sans rimes.
Et c’était d’une force et d’une simplicité qui m’a vraiment sauté au cœur. Cette histoire en vers prenait une autre dimension pour moi, très poétique. Et j’étais en plus dans une situation qui se prêtait à cette histoire. Je lisais plusieurs livres en même temps quand j’étais bloqué. J’avais trouvé une copie de Dune, qui est un livre très important pour moi (mais qui n’a pas trop de rapport). J’avais aussi Le Hobbit, qui est un voyage. Donc j’avais toutes ces notions d’être enfermé, de quête, j’avais envie de rentrer chez moi. Et L’Odyssée, c’était quelque chose qui me parlait beaucoup pour ça.

Et la traduction d’Emily Wilson… Bon, c’est un détail, mais c’est la première fois, bizarrement, qu’en anglais, une femme traduit L’Odyssée. Je ne sais pas si c’est ça qui m’a plu ou si ça m’a parlé d’une manière différente.

La Face B : C’est un détail quand même. Et justement, tes textes ont souvent une dimension littéraire. On retrouve des échos de Kafka, Salinger, Dostoïevski. Comment ces auteurs nourrissent ton écriture ?

Herman Dune : Je pense qu’il faut deux choses pour pouvoir écrire : vivre et lire. Parce que les mots, ça résonne en toi. C’est important ce que tu lis. Si tu lis que les journaux, que les nouvelles, des trucs comme ça, t’as pas de beaux mots en toi.
Mon livre préféré, c’est L’Attrape-cœurs de Salinger, où chaque mot est une merveille et profond de sens. Kafka est mon auteur préféré. C’est comme avoir différents points de vue ; ça aide à développer le sien.

En ce qui concerne l’influence de L’Odyssée, c’était carrément de s’identifier au héros. Ce qui a pu m’arriver aussi avec La Métamorphose. Quand tu t’identifies à un héros, ça te donne des mots qui ne sont pas les tiens pour décrire — les mots d’un héros pour décrire ce qui t’arrive. Et ça, c’est déjà le début d’un voyage avec le langage.

La Face B : Cet album a été enregistré en live à San Pedro. Qu’est-ce que cette méthode de travail a changé dans ton son et l’énergie de l’album ?

Herman Dune : Ça change beaucoup. Figure-toi que je travaillais sur l’album avant. Et je sortais d’un album qui s’appelle The Portable Harmony, que j’avais fait seul, entièrement seul. Et souvent, quand on travaille, on est dans une méthode, on réessaye la même après.
Donc j’ai commencé à travailler seul sur Odysseus, et je passais mes journées dans mon studio, et j’y arrivais pas. Ça m’énervait et ça me déprimait — surtout que ces chansons étaient importantes pour moi. Jusqu’à ce que je rencontre dans un café à San Pedro, David Garza, le producteur de l’album.

Il me dit : « Écoute, si tu n’y arrives pas, joue-moi tes chansons. » Et je ne savais pas vraiment ce qu’il voulait, donc il est venu chez moi et m’a écouté jouer mes nouveaux morceaux. Il a adoré. Il a dit : « Écoute, voilà ce qu’on va faire. Si tu veux, je produis l’album. Tu te mets là, dans ce fauteuil, tu viens me jouer les chansons, tu enregistres, je m’occupe du reste. » Alors j’ai dit OK.
Il savait que je voulais des violons — moi, j’aime les instruments acoustiques. Il a réuni toute une équipe et on a juste joué mes morceaux.

Ce qui fait que j’ai pu me sortir complètement de ma tête, de cette réflexion constante : comment ça va sonner, qu’est-ce qu’il faut mettre, comment il faut l’arranger… Et juste chanter mes chansons. Et c’est un plaisir fou avec des musiciens qui réagissent en live à ce que tu fais.

La Face B : Justement, sur David Garza, comment cette rencontre imprévue dans un café s’est transformée en alchimie musicale?

Herman Dune : Je connaissais David. On m’en parlait beaucoup. Il a travaillé avec beaucoup de gens. Fiona Apple que j’aime beaucoup et produit un groupe qui s’appelle Milk Carton Kids, il a joué avec Lucinda Williams… Je connaissais plein de choses de lui. Mais bon, à Los Angeles, ce n’est pas rare de rencontrer des célébrités.
Je ne pensais pas à lui pour ma musique, mais quand on a parlé au café, notamment d’un souci que j’avais — je voulais mettre des violons sur mes chansons mais j’avais du mal à penser à un arrangement que je pourrais ensuite enregistrer ailleurs — j’avais carrément des aspirations à prendre un orchestre classique.

Et lui, en fait, connaît très bien la bluegrass, la country music car il vient du Texas. Il m’a complètement libéré et savait que… quand on a de bons musiciens, on n’a pas besoin de réfléchir. On joue son morceau, ils vont jouer dessus.
Donc il m’a sorti de cette idée classique que j’avais. Et ça, c’était super.
J’ai un peu perdu le fil de ta question.

La Face B : Comment cette rencontre est devenue une alchimie musicale.

Herman Dune : Il y a eu un moment précis. Je vais essayer d’y répondre plus précisément. Donc je l’ai rencontré au café. Il m’a dit : « Ce soir, je viens. Joue-moi tes chansons et je te dirai ce que j’en pense. » Et donc il est venu chez moi, et j’étais en face de lui, en train de jouer mes morceaux. Et là, c’est vraiment une phrase qui m’a persuadé de travailler avec lui.

Quand il était jeune, il a joué avec un artiste qu’on appelle Townes Van Zandt — un des maîtres de la country folk. Il n’est pas ultra connu — ce n’est pas Willie Nelson — mais il est très important. Par exemple, Willie Nelson chante ses chansons.

Quand David m’a dit qu’il avait joué avec Townes Van Zandt, j’ai tendu l’oreille. Et la fin de sa phrase, c’était : « J’ai joué avec Townes Van Zandt et tes chansons me rappellent Townes Van Zandt, dans leur ton de confession et dans ta relation avec la vérité dans tes chansons. »

Pour moi, c’était un commentaire à la fois pointu et touchant, car c’était une image de mes chansons qui me plaisait déjà.
Je n’avais jamais travaillé avec un producteur — j’ai toujours eu peur d’avoir la vision de quelqu’un d’autre sur ma musique. Mais cette petite phrase, elle a vraiment ouvert la porte.

La Face B : Il t’a compris aussi ?

Herman Dune : Il a très bien compris. Et puis de toute façon, maintenant, on joue souvent ensemble et on parle vraiment la même langue. On s’appelle tous les deux David. Parce qu’il est du Texas, mais d’origine mexicaine. Et en mexicain, on appelle ça Tocayo, quand on a le même prénom que quelqu’un. Et donc, on est très proches.

La Face B : On va parler du rôle du violon dans Odysseum. Je trouve que le violon, c’est vraiment le fil rouge de l’album. Alors dans l’intro, il est presque cathartique. Il est prenant, il happe, presque étouffe. Parce que cette intro, elle est hyper puissante, je trouve. Elle a la magnitude de tout le dramatique, tout le gigantisme. Par la suite, on l’entend en bribes, mais c’est un fil conducteur. Il y a toujours ce violon qui va nous rappeler. Je trouve ça très intéressant. Et après, tu joues aussi de la mandoline bluegrass. Comment est-ce que cet instrument a trouvé sa place dans ta musique ?

Herman Dune : La mandoline ?

La Face B : Moi, je joue de la mandoline depuis l’âge de 7 ans.

Herman Dune : J’adore la mandoline, j’adore ça. C’est un peu comme un violon, ça s’accorde comme un violon, et ça a le même genre de manche. J’ai failli mettre un t-shirt de Bill Monroe. Mais j’adore la mandoline, je pense que même si la guitare, c’est mon compagnon principal, la mandoline me procure tellement de joie. C’est très technique, donc ça me permet aussi de garder des doigts agiles. Quand je passe de la mandoline à la guitare, j’ai l’impression que c’est très facile. Et non, j’adore la mandoline.

La Face B : Et elle a trouvé sa place un peu organiquement dans ta musique ?

Herman Dune : Oui, c’est-à-dire que ce que tu disais sur les violons, notamment sur l’intro… Quand on a l’Odysseus, qui est le premier morceau de l’album, c’est aussi le premier morceau qu’on a enregistré. Et quand les violonistes sont arrivés — deux des violonistes, qui sont vraiment très très bons et assez connus dans leur domaine, ils travaillent sur des musiques comme Star Wars, ce sont vraiment des gens de très très haut niveau — mais aussi fans de bluegrass. Et deux des violonistes présents étaient fans l’un de l’autre, mais ne s’étaient jamais rencontrés. Donc ils étaient tellement excités, on ne pouvait pas les empêcher de jouer en fait.
Ils commençaient à jouer, à se montrer des trucs. « Tiens, toi tu tapes comme ça, moi je fais… ». Ils se montraient des pizzicatos qu’ils ne connaissaient pas. C’était émouvant.

Alors ce qu’on a fait, c’est qu’on a dit : « Bon, avant de jouer le morceau, on va les laisser s’exprimer sur la corde d’ouverture d’Odysseus. » Et moi j’étais au milieu, j’avais un violoniste à droite et un à gauche. Et je lâche l’accord, on entendait les bateaux du port, et ils ont commencé à jouer sur la corde. C’était vraiment presque comme une communication entre les deux, assez impressionnante à voir. Et moi j’étais au milieu en plus, donc je l’avais en stéréo. Et donc, c’est ça qu’on a gardé. C’est l’intro.

La Face B : Elle est extrêmement puissante. Il y a un aspect de gigantisme. Tu sais, comme si tu avais une espèce de tornade… Si dans un film, tu as une tornade avec des vagues gigantesques et quelqu’un sur un bateau, ça aurait ce genre de musique.

Herman Dune : Exactement. C’est très cinématique. Autant qu’avec la fenêtre ouverte… Et le bruit des bateaux et tout. C’était vraiment un très bon signe pour commencer l’album, parce qu’on était dedans.

La Face B : Moi, j’avais trouvé ça superbe. Après, dans les titres qui m’ont le plus plu, et je voulais te demander un petit peu l’histoire, il y avait Sneakers on the Telephone Line. Je l’ai trouvé fun. Je trouvais que l’image était drôle et touchante. Et après, j’aimais beaucoup Buffoon of Love. Est-ce que tu peux me parler de ces deux titres en particulier ?

Herman Dune : Oui, bien sûr. Sneakers on the Telephone Line… Pour ceux qui ne connaissent pas, Los Angeles, c’est une ville énorme, qui fait 90 kilomètres dans un sens et 70 dans l’autre. Ce qui permet aux habitants de vivre dans des petites maisons. C’est beaucoup moins dense que Paris ou Bordeaux, donc ça fait un peu campagne, même en ville. T’as des poteaux électriques un peu penchés, comme dans les films, et les fils partent…

À Los Angeles, sur les fils, il y a des tennis, des Jordan, des Puma, des machins qui pendent partout, devant certaines maisons, des accumulations. Et ça fait partie du paysage. Donc ça m’a inspiré la première ligne de ce morceau. C’est un morceau un peu plus drôle, plus fun que d’autres sur l’album. Un morceau sur mes errances, quand je marche dans la ville ou dans mon quartier de San Pedro.
On a tendance à toujours regarder tout droit, mais quand tu regardes dans l’air, c’est une autre ville. Et donc on s’amuse à suivre les baskets.

Musicalement, c’était un morceau assez folk, que je jouais en picking à la guitare. Et David m’a surpris le jour de l’enregistrement : il a dit « pas de guitare sur ce morceau » et il m’a donné un immense micro — apparemment le même que Radiohead. Un énorme truc qui m’occupait les mains. Il m’a dit : « J’ai pas envie que tu penses au rythme, on s’en occupe. » Et donc j’avais juste le micro, et les musiciens autour qui jouaient. Ça me faisait un peu l’effet d’un rappeur ou d’un chanteur de jazz au milieu des musiciens.

La Face B : Tu ne te sens pas un peu nu, sans ta guitare ?

Herman Dune : Ce n’est pas une habitude pour moi. A posteriori, je trouve ça très malin, parce que tu prends un chanteur de folk, tu lui enlèves son encre. Moi, je n’enregistre jamais sans guitare. C’est impossible. Je chante et je joue de la guitare en même temps. Et donc, il m’a enlevé mon gilet de sauvetage. Et ça m’a permis d’avoir une interprétation que je trouve assez libre et qui est fun.

La Face B : J’allais le dire, ça devait être un peu libérateur.

Herman Dune : Et pour Buffoon of Love, c’est une chanson que j’ai écrite, assez mélancolique, qui a une vision un peu méfiante vis-à-vis de l’amour. Ce qui m’a vraiment surpris, c’est qu’en la jouant, j’ai eu envie de la chanter avec mon épouse. Donc c’est presque ironique. Mon épouse n’est pas musicienne professionnelle mais elle chante très bien.

La Face B : Les voix se marient très bien.

Herman Dune : Elle est dans beaucoup de mes titres mais elle n’avait jamais fait une chanson où c’est elle la lead singer. Quand elle l’a chantée avec moi, j’avais envie qu’il n’y ait qu’elle. C’est une personne complètement honnête dans ses émotions, et je trouvais que ça rajoutait une grande force à cette chanson. Donc elle s’est transformée en duo. Et pour l’enregistrer, je savais qu’avec tout le groupe ce serait trop impressionnant, qu’elle allait perdre cette fraîcheur, essayer de trop regarder les autres.
Alors on a décidé de l’enregistrer avant que les musiciens arrivent, tôt le matin. Juste David, moi, mon épouse et l’ingé son. Dans une ambiance très intime, et c’est ce que l’on retrouve sur l’enregistrement.

La Face B : Et puis justement les voix se marient très bien. Il y a beaucoup de complicité non dite dans les voix qui se répondent et qui chantent ensemble. Ça contrastait beaucoup avec des morceaux plus denses, forts, sombres. Là, il y avait quelque chose d’assez touchant. Comme si tu avais un arc-en-ciel qui venait après la tornade.

Herman Dune : C’est vraiment comme ça que je vois le morceau. Ce qui est super, c’est que tu as remarqué ça, et c’est bien pour moi. En fait, ce morceau, si je ne l’avais pas interprété de cette façon avec ma femme, il aurait peut-être été dans le groove un peu sombre de l’album. Et le fait qu’on l’ait fait, et qu’en plus ce soit une première prise… on sent cette fraîcheur. Et c’est important, dans un album, d’avoir un petit moment de fraîcheur.

La Face B : Tu vis aujourd’hui en Californie, enfin à San Pedro, mais tu as été bloqué à Montréal. Tu as des racines en France, en Suède. Comment ces lieux et ces identités coexistent dans ta musique ?

Herman Dune : Je dirais que c’est surtout dur d’échapper à son identité dans sa musique. Je ne sais pas s’il y a des personnes qui le font consciemment, mais pour moi, en tout cas, ça vient naturellement. J’ai des origines marocaines qui m’ont toujours marqué dans la musique, des origines suédoises. En Suède, il y a beaucoup de folk music, beaucoup de violons, qui m’ont toujours marqué. La France, j’ai grandi en France, j’ai toujours aimé Serge Gainsbourg et la musique française.

Mais mon univers à moi, ça a toujours été la country music, la folk music américaine et le blues. Je n’essaye pas de faire un mélange. En général, quand je cuisine, j’improvise. Je ne fais pas des recettes précises. Je ne me dis pas : il faut mettre un bout de cette culture, un bout de ça… J’essaie d’être naturel.

La Face B : En parlant de chanteurs français, moi j’ai trouvé que dans tes chansons du début, il y avait beaucoup de Bashung. Par exemple sur Say You Do Love Me Too, je trouvais qu’il y avait… pas des faux airs de Joséphine, mais même dans la voix, dans les phrases !

Herman Dune : C’est l’album de Bashung qui est sorti lorsque j’étais adolescent, je crois. Et je l’ai beaucoup aimé. Je ne peux pas dire que je suis spécialiste, mais moi, je ressens — de mon point de vue, ayant grandi dans la folk américaine — chez Bashung, un immense amour de Bob Dylan.

D’ailleurs, sur cet album, il y a clairement des reprises. Donc je pense que c’est ça aussi, peut-être, qui peut nous rapprocher, à ton oreille, je pense.

La Face B : Sur l’intro en particulier, sur la guitare bluegrass, ça m’a beaucoup fait penser à Bashung. Je ne sais pas si c’était intentionnel ou pas. Après, tu disais dans une interview il y a longtemps que, quand tu as commencé à chanter, tu pensais que tu allais avoir une voix un peu rusty, dusky.

Herman Dune : C’était mon rêve. Moi, quand j’étais jeune — pour ceux qui connaissent mes premiers albums — j’avais une voix un peu fragile, mais pas rocailleuse. Et c’était mon rêve. Depuis que j’étais petit, moi, j’aimais Tom Waits, Bob Dylan, donc je rêvais de ça. Mais je ne pensais pas que ça m’arriverait un jour. Et comme quoi, pour ceux qui te disent que les rêves peuvent toujours se réaliser… Parce qu’il y a quelques années, ma voix a commencé à se casser. Et maintenant, j’ai des chansons comme Say You Love Me Too, dont tu parles, ou certains morceaux comme Tune Out sur Odysseus, où naturellement ma voix part comme ça. Et c’était mon rêve quand j’étais petit.

Tu connais John Fogerty de Creedence Song ? J’ai entendu une interview de lui une fois — c’était Marc Maron, l’interviewer, qui lui demandait : « Comment tu peux avoir cette voix-là ? Comment c’est possible ? » Et lui, il avait une autre tactique. Il expliquait à Marc Maron que lui, il voulait chanter comme Otis Redding. C’était son seul but. Et il a tout simplement hurlé pendant des mois et des mois jusqu’à ce qu’il se casse la voix volontairement. Voilà, c’est une autre tactique.

La Face B : Tu es aussi illustrateur et auteur de bandes dessinées. Comment ton travail graphique nourrit-il ton écriture musicale et vice versa ?

Herman Dune : Bizarrement… écoute, cette question, je me la suis déjà posée. Et en fait, je n’arrive pas à savoir. J’utilise beaucoup le langage en BD, et même en tant que peintre, il y a le langage qui est en commun, mais je n’arrive pas trop à saisir le rapport. À part que, en tant qu’artiste, on est une seule et même personne : c’est la même personne qui dessine que celle qui chante. Par exemple, mes BD… j’espère qu’il y a le même humour que dans mes chansons. Mais je ne peux pas le définir. C’est marrant, j’y ai déjà pensé, mais je n’arrive pas à savoir le lien.

La Face B : Des fois, il n’y en a peut-être pas, on a juste envie de faire les deux. Et est-ce qu’on peut imaginer une version illustrée d’Odysseus, une sorte d’Odyssée en dessin ?

Herman Dune : Alors, j’ai vu que tu as le CD, par exemple. Oui. Prends le poster qui est dans l’insert. Ça te donnera une idée de ce que peuvent donner les illustrations.

La Face B : Quel objet ou rituel est indispensable quand tu composes ?

Herman Dune : Mandoline, guitare, évidemment. Et sinon, je fais toujours la même erreur : je n’ai pas appris, depuis 25 ans que je suis professionnel de la musique. J’écris sur des blocs que je perds. Et donc, mes chansons, je suis toujours obligé de les réécrire. Et elles changent avec le temps. Je perds toujours mes blocs. J’essaie de me discipliner et de tout transférer sur mon téléphone pour avoir toujours le texte disponible, mais je n’y arrive pas. J’ai des dizaines et des dizaines de blocs partout. Ce que je fais maintenant, c’est que j’essaie de tous les mettre dans un tiroir. Au moment de finaliser la chanson, j’ai du boulot.

La Face B : Tu as fait de super reprises, Springsteen, Cohen, etc. Si tu pouvais reprendre une chanson aujourd’hui, en acoustique totale, ce serait laquelle ? À l’instant T ?

Herman Dune : Écoute, je viens de voir Willie Nelson jouer, il y a deux semaines. Je ferais Willie Nelson.

La Face B : Le truc que tu écoutes en cachette ou que personne n’imagine chez toi ?

Herman Dune : Je ne sais pas ce que les gens imaginent. Mais j’écoute Lana Del Rey.

La Face B : Ce n’est pas non plus hyper surprenant. Tu peux faire le ménage en écoutant ABBA, j’en sais rien.

Herman Dune : J’adore ABBA, c’est bien choisi. J’adore leurs arrangements. C’est incroyable. Pour moi, c’est l’un des meilleurs groupes de l’histoire. Donc, tu as bien choisi.

La Face B : Et dernière question : si tu devais écrire un dernier couplet à cette odyssée musicale, dans quel port accosterais-tu ?

Herman Dune : Dans le port de San Pedro, à Los Angeles.

La Face B : La boucle est bouclée.

Herman Dune : C’est là où je me sentirais arrivé.

La Face B : Écoute, merci beaucoup David pour ton temps. On est arrivé à la fin de cette interview. C’était un plaisir.

Herman Dune : Merci à toi.

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