Sam Sauvage : « Il n’y a rien de plus précieux que l’ennui pour écrire des chansons. »

Qui pourrait encore prétendre ne pas avoir pris en pleine figure la déferlante Boulonnaise qu’est Sam Sauvage ? Après un premier EP très prometteur, Prémices, voici qu’il nous dévoile un nouvel objet musical, qu’il a choisi d’éponymiser. Nous l’avons rencontré au détour d’un café, lui, ses grands cheveux noirs en pétard et ses costumes aux épaules larges. Nous avons parlé de l’ennui, de la nuit, et pour filer l’allitération, de lui évidemment.

crédit photos : Cédric Oberlin

La Face B : La première question que je pose toujours aux gens, c’est : comment ça va ? Tu as passé une bonne journée de signature ?

Sam Sauvage : Ça va bien, ouais. Franchement, c’est un plaisir, parce que… Moi, je n’avais jamais eu de vinyle à moi entre les mains, donc le fait de signer mes propres vinyles, c’est vraiment une bonne journée. Et le fait qu’il y ait des gens qui attendent autant un EP, un disque ou juste quelque chose, c’est fou. C’est une bonne journée, pleine de surprises.

LFB : Je vais commencer par une question qui peut te décontenancer un peu. Quelle est l’importance du regard chez Sam Sauvage ?

Sam Sauvage : L’importance du regard ? Je pense que c’est tout ce qui caractérise ce que je veux faire. C’est quelqu’un qui me disait que le but d’un artiste, c’est d’avoir un regard sur son époque, sur son environnement, sur les gens, etc. Moi, c’est comme ça que je le vois jusqu’à maintenant. Je n’ai pas encore l’expérience pour vraiment l’assumer, mais en tout cas, ce que je vois, c’est ça. C’est d’essayer, notamment dans les textes d’avoir un regard spécifique sur les choses. C’est pour ça que j’ai appelé l’EP Sam Sauvage, parce que là, c’est mon regard à cet instant précis.

LFB : Je te demandais ça parce que pour moi tu crées une musique d’observation, mais je trouve qu’il y a un truc dans tes visuels, sur cet EP-là et sur celui d’avant (Prémices, ndlr), où le regard est aussi hyper important. Je pense qu’il dit beaucoup de choses sur la musique, de manière visuelle. Je trouve que l’expression du regard est capturée de manière à raconter des choses aussi avant la musique.

Sam Sauvage : On avait parlé du regard sur Prémices avec la pochette, sur laquelle je mets ma main sur mon œil. Et c’est marrant parce que c’était un peu inconscient, je ne m’en étais pas rendu compte. Prémices, pour moi, c’était un peu l’EP 0. Dans tous les sens du terme. J’ai plus peur de le dire maintenant, parce que c’est pour moi la conception des choses, et chacun prend son temps. C’est comme si, pour moi, c’était un test. C’était des chansons que j’avais faites chez moi vite fait, puis je ne savais pas où ça allait. Je les ai sorties comme ça, j’ai fait un disque pour essayer de toucher les gens, les labels, les pros. Et c’est vrai qu’en y repensant, c’est un peu comme si je me cachais de ce truc-là, et je regardais que d’un seul œil les choses. Et là, j’ai mis les deux yeux, quoi.

LFB : Par rapport à Prémices, il y a un truc DIY très naïf que tu gardes dans certaines idées, mais en développant quand même beaucoup plus musicalement.

Sam Sauvage : C’est juste qu’il y a certaines chansons, genre La Ville, qui pourraient aussi bien être des chansons d’autres personnes. En fait, je suis allé chercher plein d’influences, j’ai fait une chanson dans chaque univers. C’était un moyen, j’avais besoin de sortir quelque chose pour ensuite avancer, me dire : bon, ok, maintenant on va voir la suite, parce que sinon je n’arrivais pas à travailler sur un projet plus construit. Et là, avec l’EP Sam Sauvage, j’ai vraiment l’impression, encore une fois, avec le peu d’expérience que j’ai, que j’ai une première ébauche de mon style à moi, de ma patte.

LFB : Je vais reparler d’écriture et justement de regard, et je me demandais sur cet EP là en particulier, si tu t’étais senti un peu comme un réalisateur de documentaire, pour rester sur l’idée du regard.

Sam Sauvage : C’est possible, ouais. Je n’y ai pas pensé, pour être honnête. Moi, je fais chaque chanson très indépendamment des autres. Je sais qu’il y a des artistes qui construisent des EP ou des albums avec une vraie continuité, une histoire. J’essaye de le faire, mais je n’ai jamais été très bon pour ça. Si j’avais voulu réaliser un documentaire, j’aurais fait une suite logique. Là, tu vois, je parle dAli (roule de nuit, ndlr), de Photomaton, et à côté des gens qui dansent… J’ai besoin de ce truc qui part un peu dans tous les sens, qui raconte plusieurs choses. Par contre, musicalement, pour une fois, j’ai essayé de faire un truc plus cohérent.

LFB : Si je te parle de ça et de documentaire, c’est parce que tout passe par ta vision à toi, mais dans la plupart des morceaux, tu n’es pas le premier rôle. C’est ton observation qui ramène l’histoire.

Sam Sauvage : Oui, c’est ça. J’ai du mal à me mettre au centre. Beaucoup de gens parlent d’eux, et c’est normal, ça va avec l’époque. Et ce n’est pas forcément un défaut, parce que ça a aidé plein de gens à débloquer des choses. On dit toujours que l’époque est narcissique, tout le monde dit je, je, je, mais certains en ont besoin et ça leur fait du bien. Moi, je ne ressens pas ce besoin direct. Mais je me mets quand même dedans, parce que je développe mon regard. C’est ce qu’on appelle l’infra-regard, ce regard propre. Et ça, j’y tiens.

LFB : Parce que même sur Pas Bourré, Photomaton, qui sont les morceaux où tu es le plus acteur, il y a dans l’écriture cet inversement où la situation passe malgré tout par la vision de l’autre ou par ce que fait la personne qui est avec toi.

Sam Sauvage : Oui, exactement. Ce n’est pas du tout pour faire une musique altruiste, c’est juste que je vis comme ça. Et ce n’est pas quelque chose de triste, au contraire. C’est intéressant.

LFB : C’est intéressant. Dans une époque où, comme tu viens des réseaux sociaux, tu le sais aussi, on est forcé à se mettre beaucoup en scène, à exister physiquement pour présenter et vendre ce qu’on fait… en fait, on ne retrouve pas du tout ça dans ta façon d’écrire. Il y a vraiment ce truc, je ne sais pas, d’une personne qui va se poser dans un café avec un carnet et qui note.

Sam Sauvage : C’est un peu le plus gros cliché de tous les auteurs, de dire « moi j’écoute les conversations des autres », mais c’est vrai que j’ai l’oreille curieuse tout le temps. Pourtant, c’est drôle, parce que je ne suis pas du tout observateur pour tout le reste : les détails de déco, de machins, tout le monde remarque ça avant moi. Par contre, ce que j’aime bien, c’est écouter les autres, ça fait con de dire ça, mais c’est ça. C’est des trucs comme ça où parfois j’ai un déclic, ou quand un mec me parle de sa vie de taxi… Là, je m’y intéresse. Et quand ça m’intéresse, au bout d’un moment, j’ai ce truc qui me rappelle que je suis auteur, compositeur, interprète. Et je me dis : « Ah, ça, je peux l’utiliser pour une chanson, ça va être génial. Je vais pouvoir raconter son histoire à travers ça. » Et forcément, j’utilise mon regard, parce que c’est moi qui ai été l’oreille, c’est moi qui ai été les yeux à ce moment-là. Et ça, je ne peux pas vraiment m’en détacher.

LFB : Et justement, comment tu travailles ça ? Tu as un bloc-notes dans ton téléphone où tu notes tout ce que tu captes ?

Sam Sauvage : J’ai un gros truc dans mon téléphone, c’est un bordel pas possible. Avant, j’avais un carnet, c’était encore pire. Je me suis dit : « Arrête de faire le boomer, tu as un bloc-notes dans ton téléphone. ». Donc maintenant, je fais ça. J’ai des bouts de phrases, parfois juste un mot. Je me rappelle avoir noté « lundi » une fois. Ça n’a aucun sens, ça n’apporte rien, mais j’ai pensé à lundi en particulier. Là, par exemple, je voulais faire une chanson sur Boulogne, ma ville, et parler aussi du sujet des migrants, des choses comme ça. Du coup, j’ai juste écrit « Boulogne ». Et je suis revenu six mois après : « Ah oui, c’est vrai. » Parfois, j’ai des textes entiers qui me viennent dans le métro. C’est chaotique et aléatoire, et ça me va très bien comme ça.

LFB : Mais justement, quand l’inspiration te vient comme ça, est-ce que tout s’arrête à côté ? Tu rates ton arrêt de métro ?

Sam Sauvage : Les textes, ils me viennent comme ça. Et le pire, c’est quand je suis chez moi, dans mon studio, quand je fais mes chansons : je peux passer des heures à m’attarder sur un son de basse. J’appuie pendant des heures sur un son de basse, puis je bloque en me disant : « Je suis trop nul, je n’arrive plus à faire de chansons. » Et après, pendant une heure, je fais une pause, je vais à la fenêtre, je ne fais rien. C’est tout l’intérêt d’errer, en fait. Ça, c’est le plus important, il ne faut surtout pas que je perde ça. C’est toujours le danger avec la promo et tout : on est toujours occupé. L’ennui, pour moi, il n’y a rien de plus précieux pour écrire des chansons.

LFB : De laisser les choses venir.

Sam Sauvage : C’est ça, oui. Et puis, comme tu dis, à travers les autres, il y a un travail de mémoire intéressant aussi, de rappeler ce que ça t’a inspiré et de le retravailler sur le temps long.

LFB : Parce que tu notes beaucoup les ambiances aussi, pour t’en rappeler ?

Sam Sauvage : Exactement. Par exemple, la conversation qu’on a maintenant, dans ce café, la musique qui passe, l’atmosphère, la relation qu’on a l’un avec l’autre… Réussir à retranscrire ça six mois après, il faut vraiment que je trouve les bons mots. C’est pour ça que je note beaucoup les ambiances, pour m’en souvenir.

LFB : Un élément qui est hyper important dans cet EP et dans ton écriture, c’est la nuit. J’ai l’impression que c’est vraiment le premier rôle. Toutes les chansons se passent de nuit, et c’est un mot qui revient régulièrement dans ta musique, sur ces morceaux-là.

Sam Sauvage : Je pense que ça vient naturellement du fait que j’ai beaucoup vécu la nuit. Comme tous les artistes maudits qui ont les cheveux en pétard, j’aime la nuit. Je vais me foutre des baffes en relisant ça (rires). Mais c’est vrai : il y a plein de gens qui parlent de la nuit, ce n’est pas pour rien. Ce n’est pas que la journée n’est pas inspirante, c’est juste qu’il y a des trucs qui se passent la nuit et qui ne se passent pas le jour. Et puis, il y a cette idée que la plupart des gens vivent le jour et dorment la nuit. Donc ceux qu’on croise la nuit, on se dit : « Ah, ce sont des marginaux, des gens qui ne font pas comme tout le monde. » C’est le cas d’Ali, par exemple, qui bosse de nuit. Donc qu’est-ce qu’il fait le jour ? Il y a plein de questions comme ça. Et puis moi, jusqu’à récemment, je sortais beaucoup : en boîte, dans les bars le soir, etc. La journée, je ne faisais pas grand-chose : j’allais au boulot, et pour moi, c’était presque une pause dans ma journée. C’était le soir que je vivais vraiment : mes aventures, mes amours, mes amitiés, tout ça. Donc ça vient de là, je pense.

LFB : Et puis, il y a des trucs… C’est quand même un peu moins glauque d’être bourré la nuit qu’en pleine journée, par exemple.

Sam Sauvage : Exactement, ça change tout. Un mec qui dit « Je ne suis pas bourré » le soir, on en rigole. Un mec qui crie « Je ne suis pas bourré » l’après-midi, en face du boulot, on se dit : « Lui, il est perdu. » Tout est relatif avec ce rapport jour-nuit, c’est très drôle.

LFB : Même un morceau comme Photomaton, je n’ai pas l’impression qu’il soit écrit au présent. On dirait vraiment un souvenir marquant qu’on a besoin de raconter.

Sam Sauvage : Oui. Dans Photomaton, comme Ali roule de nuit, ce sont des histoires vraies. J’en parlais pas jusqu’à maintenant, mais je me suis dit que c’était bien de raconter. Je me suis retrouvé avec une amie dans un photomaton, on a passé une soirée géniale. Je me sentais comme un gamin. J’ai du mal à retrouver ce truc d’enfance, ce truc d’être bien… simplement. Sans avoir besoin de faire… Parce que oui, quand je fais des concerts devant 5 000 personnes, je me sens comme un gosse, c’est un rêve de gamin. Mais il y a aussi les plaisirs simples d’être un gamin, et ça, je l’ai ressenti ce soir-là. Pourtant, ce n’était pas un moment fort pour nous deux, c’était juste drôle dans une relation. Mais pour moi, ça a été un souvenir que je me suis dit : « Celui-là, je vais le garder toute ma vie. » Et pour vraiment l’honorer, j’en ai fait une chanson.

LFB : Pour vraiment le garder toute la vie.

Sam Sauvage : Ouais, c’est ça. Pour qu’il reste là, même quand j’aurai Alzheimer (rires).

LFB : Mais du coup, il y a cette esthétique commune et je trouve qu’il y a aussi quelque chose de global : chaque morceau souligne aussi les intentions du texte. Il y a un côté très naïf sur Photomaton, un côté road-trip sur Ali roule de nuit, même Pas Bourré tangue un peu… Il y a vraiment cette idée d’équilibre où le texte nourrit la musique et la musique nourrit le texte.

Sam Sauvage : C’est ce que j’essaye de faire en permanence. Moi, je fais partie de ceux qui écrivent beaucoup et qui après trient et gardent le reste. J’écris énormément, et quand ça fonctionne, je garde. Même quand une chanson est moins bien écrite mais qu’elle colle parfaitement à la musique, ça fait un tout. Je suis content quand le texte est aussi bon que la musique. Je ne suis pas le seul juge, les gens sont là pour juger aussi, et c’est normal. Mais c’est un truc que j’essaye toujours de faire.

crédit photos : Cédric Oberlin

LFB : Et avec cette évolution musicale, ce cadre un peu plus précis, est-ce que tu as l’impression de mieux maîtriser, de mieux jouer avec les intentions de ta voix, qui est quand même assez particulière, très grave, et qui te permet certaines choses mais en limite d’autres aussi ?

Sam Sauvage : Ce qui est marrant, c’est que je ne chantais pas du tout pareil il y a trois ans. Pourtant, je n’ai pas tant changé que ça.

LFB : T’as fait ta mue ? (rires)

Sam Sauvage : Oui, voilà, j’ai fait deux mues. J’en ai fait une à quinze ans, la mue naturelle, et une autre presque comme ça plus tard. J’ai découvert des trucs dans ma voix qui la rendaient singulière. C’est ce qu’on me disait : « Trouve ta singularité. » Moi, je ne comprenais pas trop. Et en fait, c’est à partir de Pas Bourré qu’il s’est passé un truc. Je me souviens, en avril dernier, j’avais chanté cette chanson, je l’avais envoyée, et tout le monde m’a dit : « Ah, là, il y a un truc. » Pourtant, moi je ne la trouvais pas géniale. Je ne comprenais pas pourquoi ça marchait. Après, j’ai refait d’autres morceaux en chantant pareil, et j’ai compris que c’était la manière la plus naturelle pour moi. Avant ça, je transformais toujours ma voix : je faisais du Bashung, après du Clara Luciani, j’imitais tout le temps. C’est dangereux, parce qu’on se retrouve vite à copier. Là, j’ai enfin trouvé un truc qui me ressemble vraiment.

LFB : C’est ce que faisait Bob Dylan au début. S’inspirer de tout, tout le temps, avant de trouver sa façon de le faire. Mais c’est intéressant parce qu’on sent que ta voix particulière peut être rapprochée d’artistes proches de toi comme Johnny Jane, Terrier ou même Belin, qui placent l’interprétation au cœur de leur univers.

Sam Sauvage : Oui, si ça peut porter tout ce qu’il y a derrière, tant mieux. Pour moi, ce n’est pas qu’une voix, c’est un accès aux gens. Il faut qu’elle plaise, qu’elle soit musicale. J’écoute Bob Dylan, et on dit toujours que sa voix est nasillarde, mais pour moi la voix a un univers en elle-même. C’est comme un vieux disque vinyle un peu grave, un chanteur avec une voix particulière, ça devient un univers à part entière. Renaud, c’est pareil. Je le ressens comme ça. Il y a des grands chanteurs, des grandes chanteuses, avec des voix incroyables, et c’est très bien, mais ça me touche moins. Je prends Céline Dion, par exemple : une voix puissante, une immense chanteuse, mais ce n’est pas forcément ce que j’écoute. Moi, ce n’est pas tant la performance vocale qui me touche.

LFB : Disons que tu places la performance ailleurs. L’émotion, ton curseur à toi, il est ailleurs. J’ai l’impression que tu écris des chansons dont on peut tomber amoureux. C’est un compliment que je te fais.

Sam Sauvage : C’est le plus beau truc qu’on m’ait dit ! Si tu m’en parles comme ça, c’est que j’ai au moins réussi ça.

LFB : Et justement, les choix sonores de cet EP, est-ce qu’ils étaient aussi pensés pour pouvoir transporter la musique sur scène ?

Sam Sauvage : Pas vraiment, ça a même été une des difficultés. Moi, quand j’écris, je n’écris jamais pour la scène. Quand j’écris, je suis dans l’instant de la chanson. Je ne me dis pas : « Il faut un morceau qui bouge pour la scène, ou un truc triste qui va tout plomber. » J’y pense pas du tout. Et après, quand on passe en live, c’est un casse-tête : j’ai mis quatre basses, trois arrangements, en studio ça sonne bien… et après tout le monde se demande : « Qu’est-ce qu’on garde ? Qu’est-ce qu’on enlève ? » C’est toujours une galère de tout mettre sur scène. Mais ça m’éclate à chaque fois, même si ça prend plus de temps. Peut-être que d’autres pensent à la scène dès le début, c’est plus intelligent, mais moi je ne l’ai pas encore.

LFB : Je reste sur la scène : est-ce qu’il y avait un défi, et est-ce qu’il y a quelque chose de rassurant dans le fait d’avoir fait six Pop-up du Label complets, et de voir que ce public immatériel des réseaux devient un public en concert ? Est-ce que c’est un défi que tu portes encore ? On ne sait jamais si les gens des réseaux viendront te voir sur scène.

Sam Sauvage : C’est ça, la plus grosse question qu’on se pose. Moi, déjà, quand j’ai lancé le premier Pop-up, je me rappelle qu’on avait rencontré le tourneur qui nous avait dit : « On va faire un Pop-up », et moi je ne savais même pas ce que c’était. Vraiment l’amateur complet. On a lancé ça parce que j’avais des abonnés sur Insta et TikTok. Donc il y avait une probabilité que ça vienne en concert. On m’a dit ça, j’ai fait : « OK ». On a lancé, et j’ai appris qu’on avait vendu 16 places en deux heures. Je me suis effondré, je me disais : « Putain, personne ne vient. » Moi, je n’avais aucun référentiel. Je me disais : « 16 places, c’est la cata, il en faut 180, c’est foutu, ils vont me prendre pour un coup d’un soir d’Insta. » Et en fait, une semaine plus tard, j’ai compris que c’était normal. Moi, je ne pige rien à ça. Quand je lance les dates, parfois ça prend, parfois pas. J’ai arrêté de me prendre la tête parce que ça me rend fou, comme les stats. Je me suis rendu compte que ce n’est pas pour ça que je fais ça. Mais c’est un vrai défi de montrer sur Instagram que le concert vaut le coup. C’est pour ça que je fais un peu l’acteur sur mes vidéos : je veux montrer qu’en concert, c’est ça que je vais faire, je vais vivre la chanson. Donc j’essaye de la vivre un peu déjà en vidéo, sans trop la mettre en scène, parce que ce n’est pas mon truc, mais avec le personnage qui interprète.

LFB : Ce qui est cool, c’est qu’avec la sortie de l’EP, la promo qui sort des réseaux va t’ouvrir à un autre public. Des gens viendront pour ta musique, pas seulement pour tes réseaux.

Sam Sauvage : Oui, sûrement. C’est ce que je vais découvrir. On m’a dit que c’était deux mondes différents, et le monde des réseaux reste important, parce que c’est quand même des gens qui viennent me voir et qui connaissent déjà les chansons. La première fois que les gens ont chanté sur La fin du monde, j’étais fou : j’avais fait ça dans ma cuisine, et maintenant les gens le chantent. Avec la promo, la télé, la radio, les interviews, je découvre ce monde-là, je réponds comme je peux, et je vais voir ce que ça donne. Est-ce que les gens s’intéressent ? Peut-être que j’ai un public que réseaux, ou pas. Je ne sais pas. J’ai l’impression d’être dans un tourbillon de trucs, et moi je m’accroche.

LFB : Oui, mais on sent qu’il y a une vraie attente. Faire Taratata, ça prouve que ce côté-là est aussi curieux et intéressé par ce que tu proposes musicalement.

Sam Sauvage : J’espère. Déjà, être invité là-bas, c’est une émission qui fait du live, de la vraie musique, pas n’importe quoi. Pour nous, c’était important, on était trop contents. On s’est dit : « Ok, on est considérés comme musiciens. » Et après, le public a suivi : après Taratata, des gens ont pris des places de concert, ont précommandé des vinyles. Ça montre qu’il y a un public à aller chercher ailleurs que sur les réseaux. On croit que c’est le centre du monde, les réseaux, mais pas du tout. Pourtant, je reste faible : si je mets une vidéo et qu’elle ne fait pas 1 000 likes, je me dis que c’est fini.

LFB : Et c’est un vrai défi de rester sincère, de ne pas devenir un personnage des réseaux qui ne te ressemble pas.

Sam Sauvage : Ça, c’est toujours la frontière. Les gens me demandent : « T’es toujours en costard ? » La vérité, c’est que presque oui. Ça paraît être un personnage, mais c’est juste une version de moi : j’ai rajouté une cravate. En vrai, je suis toujours en chemise. J’aime ça, je suis bien dans mes fringues. J’essaye d’avoir le personnage sur scène, quand j’interprète, mais en dehors, je reste moi. Sinon, ça ne va pas.

LFB : Justement, en parlant d’être toi-même : ta musique m’intéresse parce qu’elle a un côté très humain, très Pas-de-Calais. Dans ta façon de voir les gens, de ne pas juger, de ne pas être dans le noir ou blanc. Qu’est-ce que tu gardes du Pas-de-Calais, de Boulogne, dans ta vie de tous les jours ?

Sam Sauvage : Je garde tout, déjà. Je ne viens pas d’une famille pauvre ni riche. Classe moyenne, ma mère institutrice. Boulogne m’a tout donné, musicalement aussi. C’est là que j’ai grandi, que j’ai croisé des gens qui n’ont pas du tout les mêmes mentalités qu’à Lille, Paris ou Toulouse. C’est pour ça que j’essaie de ne pas juger. Déjà, je ne me sens pas légitime pour le faire, et puis tout le monde se juge avec des angles différents. Les Lillois jugent les Boulonnais, les Parisiens jugent les Lillois… C’est un triangle impossible, plein de clichés, plein de trucs faux. J’ai aimé connaître Boulogne, Lille, Paris, tourner un peu partout, voir comment c’est ailleurs. J’aimerais passer plus de temps dans chaque coin, parce que les mentalités changent vite. Et Boulogne, je le garde dans ma façon d’être, de parler. J’ai toujours parlé comme ça, même là-bas. Certains me prenaient pour un bobo parisien parce que j’alignais des phrases un peu soutenues, mais ça ne veut rien dire. À Boulogne, on ne parle pas qu’en ch’ti ! Et ceux qui parlent ch’ti, c’est tout aussi intéressant. Je ne renie rien.

LFB : Et il y a ce truc dont on parlait au début : dans ces régions, on accepte l’ennui.

Sam Sauvage : Oui. Ça me manque peut-être. À Paris, tout est frénétique. À Boulogne, le soir, il faut prendre la voiture, faire vingt minutes pour aller chercher un truc…

LFB : Même aller à un concert, ça devient un geste. À Paris, tout est facile.

Sam Sauvage : Exactement. Un concert à Paris, tu y vas, tu rentres chez toi facile. À Boulogne, il faut te déplacer, y rester. Si tu n’aimes pas, tant pis, tu restes quand même. Et parfois, t’aimes pas le début, mais t’aimes la fin. C’est ça qui est bien. Là-bas, le cliché est vrai : on prend plus le temps.

LFB : Merci Sam Sauvage pour ton temps !

Sam Sauvage : Merci à vous !

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1 réflexion au sujet de « Sam Sauvage : « Il n’y a rien de plus précieux que l’ennui pour écrire des chansons. » »

  1. Sam sauvage est vraiment super!!! Je l’ai découvert il y a 2 mois et je l’écoute h24!!! Je ne fais pas que l’écouter mais je l’admire vraiment 🫶, j’adore tous chez Sam sauvage!!!! Ses costumes, ses cravates, ses chaussette, ses cheveux sa façon d’être!! Ça peut paraitre fou mais j’ai l’impression d’avoir trouver moi mais en garçon et en mieux!!!!
    (J’ai 14 ans)

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