Musique Hors-scène #8 : Boris Vedel, directeur du Printemps de Bourges

À La Face B, on avait envie de rendre visible celles et ceux qui accompagnent la musique au quotidien sans jamais être sur scène. Parce que ce sont, avant tout, des passionné.e.s de musique ; et parce que sans eux, vos artistes favoris seraient peut-être encore des inconnus. Huitième épisode de notre rubrique avec Boris Vedel, directeur du Printemps de Bourges.

Boris Vedel au Printemps de Bourges en avril 2025 © Romane Leo Marsault

Boris : Je suis désolé pour mon retard, ce n’est pas très poli…

La Face B : Mais non, j’imagine que ça doit être impossible de faire 10 mètres sans devoir serrer la main de quelqu’un dans ce festival…

Boris : En effet…

LFB : J’aimerais bien qu’on commence par le commencement, à savoir ta rencontre avec la musique. Est-ce qu’il y en avait chez toi quand tu étais plus jeune ? Qu’est-ce que tes parents écoutaient ?

Boris : Non, il n’y avait pas trop de musique chez moi. Ou alors des choses très populaires, les quelques vinyles, c’étaient Jacques Brel, Ferré, mais… Je ne me rappelle même pas avoir vu la platine tourner. C’est plutôt mon frère qui avait un pick-up dans la chambre et qui me faisait écouter des 45 tours.

LFB : Il écoutait quoi ?

Boris : Le top 50. Donc, Jeanne Mas, Status Quo. Vanessa Paradis. Mon premier coup de cœur, c’était Les lacs du Connemara.

LFB : Mais non ?!

Boris : Je me rappelle l’avoir passé en boucle…

LFB : Et quand est-ce que tu as commencé à être autonome dans tes écoutes, à choisir les disques que tu écoutais ?

Boris : Le mot est bien, autonome. Assez tard, donc. Je pense que c’est quand je suis devenu étudiant. Parce qu’avant il y avait trop l’influence de ce qu’écoutaient les copains. Le premier groupe dont je suis vraiment fan, ce sera The Pogues. Après les Pogues, ça va être Nirvana. Puis toute la noise américaine, Sonic Youth… Finalement, mon éducation musicale commence assez tard. Le fait d’écouter des choses sans que personne ne me les ai conseillées, qui soient déconnectées d’une mode ou d’un mouvement esthétique…

Je pense que c’est aussi lorsque j’ai travaillé en maison de disques, à écouter des projets que je connaissais pas, que mon oreille s’est formée.

LFB : Avant de parler de ton travail hors-scène, il me semble avoir entendu dire que tu faisais aussi de la musique, non ?

Boris : En tant qu’amateur. Je fais de la guitare, et j’ai eu un groupe, mais comme plein de gens. Je ne me décrirais pas comme musicien.

LFB : Allez, on s’attaque à ta carrière. Ton premier passage de l’autre côté du monde de la musique, c’est à Rennes, où tu programmes pour l’Ubu, c’est bien ça ?

Boris : Oui, pour l’Ubu. À l’époque je fais partie d’une association étudiante dans mon école de commerce. Je me présente pour la présidence de l’association, et je perds l’élection. Finalement, ça n’est pas plus mal. Parce que je crée ma propre association et avec, je produis des concerts. Elle s’appelait ECKPOK, une version en cyrillique du premier nom de l’association : Escroc. Il y aura aussi, un peu plus tard, une autre association qui s’appellera Ultraviolet. Et avec on organisera un festival. On y programmera Blond Redhead, Pan American, Sloy…Et d’ailleurs, la première fois que je m’engueulerai dans mon métier, ça sera sur cette programmation, parce qu’ils devaient jouer à Nantes une semaine avant. Le programmateur de Nantes était furieux contre moi, et ce programmateur, c’est aujourd’hui mon directeur artistique à Bourges… (Jean-Michel Dupas, NDLR, dont vous pouvez retrouver l’interview dans le #7 de Musique Hors-scène).

LFB : Il y a aussi eu des passages en maison de disques, tu as été chez Naïve, c’est ça ?

Boris : Oui, lorsque je finis mes études, je monte à Paris, et je fais un stage chez Naïve.

LFB : À quel poste ?

Boris : Je suis à l’export. À l’issue de ce stage, je suis recruté au bureau export de la musique française avec qui je collaborais déjà. Mais je ne me plais pas du tout là-bas. Je ne reste même pas six mois.

LFB : Pour quelle raison ?

Boris : Parce que je ne m’entends pas du tout avec mon patron. Je le trouve nul. Et un jour où il me demande de noter un truc dans son agenda, je me dis : je ne suis pas payé pour tenir l’agenda d’un mec nul. À la limite, tenir un agenda d’un mec inspirant, pourquoi pas, mais là… Donc, je pars.

Je fais une candidature spontanée chez Virgin. Pendant trois ans, j’y fais du marketing professionnel. Je suis chef de projet et donc je m’occupe des artistes internationaux en France et là, j’ai de la chance parce que j’ai un répertoire génial. J’ai les Spice Girls, les Rolling Stones, Black Rebel Motorcycle Club, Lenny Kravitz, Janet Jackson, Ben Harper… J’ai tous ces artistes et j’ai 23 ans. C’est super.

Alors ça se passe bien, mais je me lasse très vite parce que ce sont des artistes internationaux, que c’est répétitif, que c’est du marketing, et que je n’ai finalement pas de contact avec les artistes. Donc je quitte ce répertoire super pour retourner chez Naïve. Je me fais embaucher comme chef de projet. Je m’y retrouve avec des artistes français moins connus, ce qui me perturbe un peu. Même s’il y a aussi des gros noms dans le catalogue : Muse, Marianne Faithfull… Et puis je deviens directeur du label.

Dans ce label, il y a du rock, de la pop, des musiques du monde, du classique, du jazz… Et c’est là que j’apprends vraiment à aimer d’autres choses. Écouter, ça s’apprend. C’est une éducation.

LFB : Et donc en 2015, tu poses tes valises à Bourges pour la première fois.

Boris : Jusqu’en 2012, pendant 9 ans, je suis chez Naïve. Puis je me fais virer, parce qu’on s’arrête quand même souvent en maison de disques. L’histoire s’étiole, voilà… Je devais aller chez Pias. Et puis finalement, le patron de Morgane me rencontre et me propose de faire de la télévision. Je trouve ça assez étonnant mais le pari me plaît, alors je dis oui.

Au bout du compte, je ne fais pas du tout de télé, je fais plutôt de la production de concerts dans les cinémas. Mais aussi, très vite, de l’évènementiel. J’organise le festival Fnac Live à Paris, à partir de 2013, après que nous ayons gagné un appel d’offres. Fnac Live marche bien puis je reçois un coup de fil qui me propose de reprendre le Printemps.

LFB : Tu arrives alors à la direction générale du Printemps… Qu’est-ce que tu te dis ? Où est-ce que tu as envie d’aller ? Quelles sont tes envies ? Comment tu vois le printemps ?

Boris : Au début, tu es intimidé parce que c’est un peu la cathédrale des festivals. Et puis les gens ne te connaissent pas, ils se disent : c’est un connard qui vient de maison de disques…

Il y avait deux systèmes complexes qui ne se parlaient pas trop entre maisons de disques et festivals. Surtout comme ça, dans des choses consacrées à l’émergence avec tout le réseau territorial… On me regardait un peu de loin. Mais bon, le projet est solide. Je pense que pendant 2-3 ans, je crois faire changer les choses, avant de réaliser que peut-être pas tant que ça.

LFB : Changer vers quoi ?

Boris : Je voulais moderniser le festival, je le trouvais un peu marqué par le temps. C’était avant tout une question de communication, de marketing… Mais l’emballage dit parfois beaucoup de ce qui se trouve à l’intérieur. Et je trouvais l’emballage un peu désuet.

Alors il y a eu des choses un peu œdipiennes au début. Notamment, le lieu de l’after, c’était le Magic Mirror, et c’était presque mythique. Sauf que moi, j’ai arrêté de l’utiliser pour mettre l’after dans un autre lieu. Ça n’a pas marché du tout.

Un soir à 2h du matin, Jean-Louis Brossard, le patron des Trans-musicales de Rennes, me croise et me dit « Boris, t’as tué le printemps ». À 2h du matin, c’est un peu dur.

Donc on change le Magic Mirror, et après on change aussi le Kokopelli qui était le logo emblématique, ce petit bonhomme qui fait de la guitare électrique… Il se trouve que c’était une appropriation culturelle d’une tribu amérindienne, je la trouvais particulièrement gênante.

LFB : Pour le remplacer par l’éclair ?

Boris : Qui est l’étincelle, créatrice… C’est bête, mais si tu changes le logo, tu changes le packaging. Donc j’ai commencé par ça.
Et puis on a voulu faire encore plus d’émergence, beaucoup plus de création, toujours plus ambitieuse. Quitte à rentrer dans une zone où l’on a moins de compétences… Cette année par exemple on a fait le spectacle autour de Oum Kalthoum, qui a joué hier. Le résultat n’est pas encore là, et il nous reste du travail pour être satisfait. C’est le jeu.

LFB : Comment ça, dans le sens où vous n’avez pas eu assez de monde ?

Boris : Non, parce qu’on a eu du monde, et même des bonnes critiques, mais parce qu’il manque une narration, on ne comprend pas encore. La musique est super, mais la narration entre les morceaux, il y a un truc qui ne va pas (depuis, la création a été reprise avec succès au festival d’Avignon NDLR)… Il y a cinq ans, on s’est dit : il faut qu’on aille à Avignon. Parce que si on veut émerger parmi les autres festivals, il nous faut une identité.

Puisque nous, à Bourges, on ne pourra jamais avoir les énormes têtes d’affiche comme celles des gros festivals, -on n’aura pas les Foo Fighters, on aura pas Muse– si on compte là dessus pour faire notre festival, on passera forcément en seconde division.

LFB : Mais vous, vous avez une identité ailleurs, ancrée dans l’émergence.

Boris : Oui, mais il a fallu la construire cette identité. Il y a quelques années, on nous demandait « C’est quoi la tête d’affiche ? » « Ah, ta tête d’affiche, c’est Jean-Louis Aubert. ». Ça n’était pas une tête d’affiche suffisante pour tenir un festival à elle toute seule. Donc on a commencé à dire nos têtes d’affiche ce sont l’émergence, nos têtes d’affiche ce sont les créations et nos têtes d’affiche ce sont les messages que l’on porte.

Création, découverte, émergence. Avec les équipes on a passé 5 ans à le répéter dans chaque phrase : création, découverte, émergence. C’est de l’endoctrinement avec les médias. Et puis, au bout de 3 ans, les mots que tu martèles commencent à sortir tous seuls dans la presse… Ça a marché.

Pendant 5 ans, on a travaillé à dire qu’il fallait qu’on arrive à Avignon, qu’il fallait qu’on arrive à Angoulême, qu’il fallait qu’on arrive à Arles. On voulait pouvoir dire : la photo c’est Arles, la BD c’est Angoulême, et la musique : c’est Bourges.

Les ambitions, c’est bien, mais il faut des prétentions. Il faut y croire. En fait, si tu veux exister, il faut avoir les prétentions de tes ambitions. Donc, dire « Je veux la Cour d’honneur du Palais des Papes en pleine semaine, et pas le dernier jour de clôture du festival, je la veux le 14 juillet ».

L’année prochaine ça va être les 50 ans du Printemps. Et donc on va faire une grande exposition sur 50 années de festivals. Le Printemps a la réputation d’être le premier festival de musiques actuelles de France -même si ce n’est pas tout à fait vrai, c’est un mythe que l’on entretient. Alors on va associer tous les festivals à nous pour raconter leur histoire. Et en parlant d’eux ils vont parler de nous.

L’idée c’est de créer un musée, avec un artiste qui viendra faire la musique de ce musée. Et même, on voudrait faire un musée dans un marché : les gens vont acheter leurs poireaux et ils rentrent dans un musée en même temps. Ça doit être un tiers lieu culturel.

LFB : Il y a aussi la question du financement quand même. Est-ce-que tu as l’impression que les ambitions du Printemps sont une cause entendue par…

Boris : Non, les gens s’en foutent.

LFB : Les gens s’en foutent ?

Boris : Les gens s’en foutent. Les gens ne pensent qu’à eux. Donc ça ne sert à rien de parler de toi. Ça fait 10 ans que je suis là. Je parlais avec un président de grande collectivité, et je lui ai dit, ça fait 10 ans que je viens te voir, que je te dis que c’est compliqué, alors que je tiens mes promesses et les objectifs que l’on s’est fixé… Mais là, j’en ai marre. Je lui fais des propositions, mais je vois dans son regard qu’il ne m’écoute pas et que son œil fait un geste vers la gauche. Et je sais à partir de ce moment-là qu’il a déjà oublié ce que je lui ai dit. Je sais qu’il reprend la discussion avec moi en tenant compte des bases qui sont les siennes et que sa position ne changera pas, que son agenda politique a repris le dessus. Ça fait dix ans que je pratique ces échanges institutionnels et politiques, ils sont de plus en plus durs et il faut se garder d’être trop naïf… Je me suis souvent fait avoir et ça peut fatiguer. Mais il faut reprendre son bâton de pèlerin et repartir prêcher pour son projet !

LFB : Il y a une grande injustice par ailleurs, parce que Bourges, capitale européenne en 2028, on peut avoir des raisons de penser que c’est en bonne partie grâce au Printemps qui fait rayonner la ville.

Boris : Oui, carrément. Et toutes les équipes n’y croyaient pas trop. On se disait qu’on allait jamais gagner.

Mais il y a un mec bien quand même. La couronne va sur la tête de Pascal Keiser, le commissaire général, qui a eu un très bon projet. Nous, on a joué le jeu. On a écrit les trucs, et d’ailleurs, tout ce que l’on a écrit pour le projet 2028, on le met d’ores et déjà en oeuvre. Le bal barré sur les musiques traditionnelles, la création d’Édouard Ferlet qui est dans la collection Transeuropa sur les savoir-faire numériques européens… Et ce tiers-lieu culturel qui va en faire partie.

Mais donc pour revenir à ce qu’on disait, j’ai d’abord changé le packaging puis le contenu est venu après. J’ai commencé par mieux comprendre ce qu’on faisait depuis 40 ans et ensuite, j’ai commencé à savoir ce que je voulais faire moi. Donc pour m’occuper l’esprit, j’ai changé le logo. Changé le lieu des after-shows, renforcé le packaging… On a beaucoup développé la partie partenariale, le sponsoring… Et puis quand ça a été maîtrisé, lorsque qu’on a tenu à peu près les rênes du financement, que le logo était le nôtre et que le nom un peu aussi, alors on a pu plus facilement… Rentrer dans un contenu et être légitime.

LFB : Tu peux nous raconter les 3 derniers albums qui t’ont marqué ?

J’ai beaucoup aimé Dalí, Bad Bunny… Et après, même si c’est un peu un plaisir coupable, Théa. Je la mets à fond dans le casque et je me dis qu’il faut tout péter dans la rue. Parce que je pense qu’effectivement, il faut des punks. Le monde est créé par des punks. Donc de voir que des jeunes arrivent, gueulent et hurlent et disent qu’ils vont tout lacérer à coups de couteau, je trouve que c’est finalement assez rassurant.

Laisser un commentaire