Entrevue Musique et Enfance #4 : Vaudou Game

Dans notre esprit, l’enfance et la musique sont fortement liées, l’un nourrissant l’autre et inversement. Cet été, entre la France et le Québec, on est allé à la rencontre d’artistes qu’on affectionne pour discuter avec eux de leur rapport à la musique dans leur enfance et de l’enfance dans leur musique. Des conversations souvent intimes et qui débordent parfois. Pour ce quatrième rendez-vous, on est allé retrouver Peter Solo, l’homme qui se cache derrière Vaudou Game.

Crédit : Arnold Anani

LFB : Est-ce que tu te rappelles de tes premiers souvenirs musicaux ?

Vaudou Game : Oui.

LFB : Est-ce que tu peux m’en parler ?

Vaudou Game : Oui. J’étais en cours primaire. Pour chaque fin d’année, on faisait une semaine culturelle. On se réunissait et on présentait quelque chose de musical. Pendant l’année, tous les élèves répétaient des chorégraphies et des chansons pour ce spectacle. Tout le monde venait, les élèves, les profs…

Dans le quartier, souvent, mon frère, qui me ressemble beaucoup, jouait de la guitare. Il en jouait le soir. Lui, il avait laissé les études. Il voulait devenir musicien. Donc, il avait acheté une guitare. Un après-midi, le directeur rentre dans notre classe et il demande mon nom. Je me lève. Puis, il dit… Demain tu amènes ta guitare. Parce qu’il pensait que le soir, au lieu de travailler mes cours, je traînais dans le quartier avec une guitare au dos.

Je lui dis : « non, ce n’est pas moi. C’est mon frère qui joue la guitare ». Et le directeur dit : si tu parles encore, si tu réponds encore..! Donc je ne peux plus me défiler. Je rentre le soir, je dis à mon frère on m’a confondu avec toi, et j’ai voulu me défendre, mais le directeur n’a rien voulu entendre, on m’a demandé de ramener la guitare, soit je ramène la guitare, soit je ne viens pas… Et donc, la nuit, je ne ferme pas l’œil. Mon frère m’a appris quelques notes. J’ai fait quelques trucs… Un accord que j’ai essayé d’apprendre toute la nuit. Et le lendemain, j’arrive à l’enceinte de l’école avec ma guitare dans le dos. Et déjà quand je rentre dans l’enceinte de l’école, il y a du monde. Déjà en voyant ma guitare dans le dos comme ça, il y a plein d’élèves qui accourent vers moi, qui me suivent.
Ils n’ont jamais vu une guitare. Et le directeur me dit, « ok, montre nous ce que tu faisais, tu traînais dans le quartier là, tu embêtais tout le monde, tu ne voulais pas apprendre tes leçons, montre ce que tu jouais, tout le monde disait que c’était toi »…
Je sors la guitare, et je la brosse comme ça, tout le monde aurait pu en faire autant… Brrrring, comme ça la guitare, et le son comme ça, brrrring, la guitare sortie, les cris, les gens, les élèves, tout le monde criait, oh, pendant des minutes. Donc, à partir de là, le directeur dit qu’aux semaines culturelles, je vais jouer de la guitare.

Pour la première année, la semaine culturelle, elle n’est plus consacrée aux danses folkloriques mais à la musique. C’est assez moderne. Chaque établissement présente quelque chose, pas seulement mon école, mais toutes les écoles… Et moi je joue de la guitare. Tout le monde est derrière moi. J’ai la pression. À partir de ce moment là, je suis devenu musicien.

LFB : C’est à partir de là, c’est vraiment ce moment-là ?

Vaudou Game : C’est ce moment-là que je me dis, là, tout le monde me connaît à la guitare, donc je ne peux plus laisser la guitare. Je ne peux plus rendre la guitare à mon frère et dire, c’est fini. Non, là, c’est fini.

LFB : Tu lui dis : c’est ma guitare maintenant.

Vaudou Game : Là, c’est parti. Je suis devenu guitariste.

LFB : Cet apprentissage de la guitare, tu l’as fait toi-même ou tu as pris des cours ?

Vaudou Game : Je l’ai commencé en autodidacte d’abord. Et après, je me suis dit, non, je vais apprendre. Il y avait quelqu’un qui jouait de la guitare près du Palais et je faisais des cours chez lui chaque mercredi. Je payais des cours pour apprendre mieux.

LFB : Cette façon d’apprendre en même temps en autodidacte, en même temps avec des cours, qu’est-ce que ça a influencé ta vision de la musique ?

Vaudou Game : Ça m’a aidé à… À avoir une sorte de doigté qui n’est pas standard. Ma façon de jouer n’est pas la manière classique qu’on apprend au conservatoire. Ma méthode, c’est ma méthode. Même la guitare sur laquelle j’ai appris… Les cordes sont très élevées comme ça, à cause du soleil. Donc, c’est une guitare très très dure à jouer. Nous avons des doigts très très durs pour jouer. Donc ça m’a apporté mon identité en tant que guitariste. Quand je joue, les gens reconnaissent directement que ça c’est Vaudou Game.

LFB : Tu as l’impression que ça continue à influencer ta manière de composer ?

Vaudou Game : Bien sûr, ma manière d’écrire, ma manière de créer. Je n’ai pas fait l’école de musique. Je ne peux pas lire la musique. Les cinq albums de Vaudou Game, je les compose à l’intérieur de moi. La musique, c’est le corps.

LFB : C’est toi qui l’exprimes.

Vaudou Game : C’est moi qui l’exprime, c’est le corps, quoi. Ça n’est pas la tête, le mental, pas quelque chose qu’on connaît, c’est le corps qu’on habite…

LFB : Et du coup, tu as un style musical qui est très affirmé. Je me demandais comment tes goûts musicaux avaient évolué entre l’enfance et l’adolescence. Et est-ce que tu avais l’impression qu’ils s’étaient un peu cristallisés sur quelque chose ? Ou est-ce que tes goûts musicaux continuent d’évoluer avec le temps ?

Vaudou Game : Moi, je suis musicien. Avant d’être chanteur, je suis musicien. J’ai accompagné des chanteurs avant, en tant que sideman. Donc je joue pas mal de styles déjà. C’est vrai qu’au début, quand je suis arrivé ici, il y avait un style qu’on appelait musique du monde. Donc on était tous mélangés dans une sorte de folklore, musique du monde, et qui est connoté d’une manière, pour moi, pas très positive.

Je me suis dit, pourquoi je devrais être mis dans musique du monde ? Je ne dois pas jouer dans des festivals comme ça. Je ne pourrais pas jouer dans des festivals de jazz, des festivals de rock… Non, je suis en France depuis des années, j’ai ma famille ici, je suis français. Et mes musiciens, depuis des années, sont toujours des français blancs. Je contribue à l’économie d’ici, parce que c’est aussi grâce à ma musique qu’ils sont payés. Je suis marié à une française. Pourquoi moi je devrais rester à côté ? Non, il faut que je joue dans des festivals de musiques actuelles.

Donc ça a changé ma direction musicale. Je voulais quelque chose d’authentique, mais de moderne et qui dure dans le temps. Pas quelque chose qu’on écoute une année après et puis que l’on oublie. Non. On enregistre vraiment analogiquement. On enregistre live au studio, avec la sueur, avec les vieilles machines analogiques. Je me suis dit : je pars dans ce sens-là. Quitter la musique du monde, trouver quelque chose à l’ancienne, avec le son ancien. Pas le son d’aujourd’hui, avec plein d’éléments de production, d’ordinateur. Non, je veux un son à l’ancienne, mais moderne. Quelque chose d’ancien, mais moderne.

LFB : Mais qui va avec l’actualité.

Vaudou Game : Qui va avec l’actualité.

LFB : Ça va aussi avec les paroles et ce que tu racontes.

Vaudou Game : Bien sûr.

Crédit : Olivier Hoffschir

LFB : Dans cette musique-là, quelle part d’enfance est-ce-que tu continues à faire exister ? Est-ce que c’est important de garder une naïveté dans ta façon de créer de la musique?

Vaudou Game : Bien sûr. Quand vous écoutez mes paroles, ce sont des paroles enfantines. Moi, mes enfants aiment mes chansons, adorent mes chansons. C’est déjà ça. Ça commence par là, parce que mes paroles sont des… Je ne suis pas Ferré, je ne suis pas Georges Brassens, je ne suis pas Gainsbourg. Donc, moi, mon écriture en français, c’est dans un français simple, parlé tous les jours, enfantin parce qu’il faut commencer déjà par le bas, les enfants, après les parents et après les papis et les mamies. Voilà il faut que toute la famille s’y retrouve.

LFB : Il faut quand même connaître un peu, avoir le goût de cette musique, pour comprendre Vaudou Game.

Vaudou Game : Parce que ce n’est pas boum, boum, boum. C’est une musique réfléchie. On travaille beaucoup, pour sortir quelque chose comme ça. On répète beaucoup. En nous voyant jouer, ça semble facile mais on travaille énormément pour pouvoir apporter ça.

On essaye d’apporter un son, de proposer quelque chose de différent, qui viendra de l’Afrique. L’Afrique propose quelque chose qui est actuel, qui est moderne, qui est dans le temps, et qui est chanté. On fait l’effort de chanter en français aussi. Parce qu’on peut chanter dans nos langues, mais on mélange pour que les gens puissent comprendre ce qu’on chante et ce qu’on exprime.

LFB : Et si tu devais choisir un morceau de Vaudou Game pour présenter ta musique à un enfant ?

Vaudou Game : Pas contente.

LFB : Pourquoi ?

Vaudou Game: Parce que ça veut tout dire. Parce que partir de la musique du monde, étiquetée comme ça, je joue dans certains festivals… Et puis le regard que les gens portent sur le vaudou surtout. Le regard que les gens portent sur le vaudou, comme quelque chose de maléfique. Quand je suis arrivé ici, et que les gens découvraient que je suis togolais, ils disaient « Ah, tu es togolais ? Ah, ce n’est pas chez vous, là, le sorcellerie, le vaudou, les poupées, là ? C’est vous, là ? ».

Non, le vaudou ne fait pas peur. Les gens le parlent comme quelque chose qui fait peur. Quelque chose qui est négatif. Mais on ne peut pas parler de mon identité, de ma culture, de ma manière de vivre, de mon art négativement comme ça. Sans même le comprendre, juste en regardant la télé, en regardant internet. Donc je dois expliquer. Donc, on est parti sur une croisade. Cette croisade qui a fait qu’on n’est pas content.

LFB : C’est la plus grande porte ouverte à Vaudou Game, ce morceau.

Vaudou Game : Voilà. On n’est pas content. La nature n’est pas contente qu’on la traite comme ça.

LFB : Donc, il faut en parler. Et du coup, si par exemple tu te promènes dans le festival et un enfant vient te voir et te dit qu’il veut être artiste ou musicien, qu’est-ce que tu lui dirais, qu’est-ce que tu lui conseillerais ?

Vaudou Game : Je lui dirais que c’est un bon métier, très beau, un métier noble. S’il aime le travail. Il faut le prendre au sérieux. C’est un métier. Aujourd’hui, ça devient un métier très dur. Il faut aimer travailler. Nous, ça fait 10 ans qu’on tourne. On a charbonné, charbonné, charbonné. On est sur la route pour chaque album. Cinq albums. On met deux ans à faire l’album. On tourne. Et en même temps, il faut composer. Ça s’enchaîne. On a enchaîné pendant 10 ans. Et on a fait des albums de qualité. On ne s’est pas contenté de peu. Non, il y a toujours de très bons morceaux dans chaque album. Le souhait, c’est de continuer comme ça et… D’apporter quelque chose. Le but c’est d’apporter quelque chose de l’Afrique. Parce que j’ai vu que la musique africaine ici, en Occident, il fallait l’amener.

LFB : J’ai une dernière question. Est-ce que tu as gardé quelque chose de ton enfance, que ce soit un objet ou une émotion qui ne te quittera jamais ? Que tu gardes comme un trésor avec toi ?

Vaudou Game: Pas quelque chose de matériel en tout cas. Je n’ai rien gardé de matériel. Parce que mon enfance, c’était un combat. Quand j’ai perdu mes parents, j’avais 9 ans. Mes deux parents. J’avais des soeurs, il fallait aller cueillir le charbon, il fallait y aller. Mes préoccupations étaient différentes. Il n’y avait pas le temps…

LFB : Tu es vite devenu adulte.

Vaudou Game: Voilà, je suis devenu adulte rapidement… Mais je me plonge dans ma jeunesse, quand je compose, je repars dans mon enfance. C’est du bonheur. Mon enfance, voilà, c’est positif. J’ai passé mon enfance à Lomé, au Togo. J’ai commencé la musique très tôt. Très, très tôt, comme je vous l’ai dit. Donc, professionnel directement. Ma vie, c’est la musique et le public. Quand je rencontre le public comme ça, je suis heureux. Les gens qui découvrent Vaudou Game, des jeunes qui sont là pour autre chose, mais qui découvrent Vaudou Game, ça me rend très content. Le message est passé. Si quelqu’un prend notre message et dit « Ah, ça, c’est un bon message », pour nous, le combat est gagné. La musique, c’est juste une arme pour véhiculer quelque chose. S’il n’y a rien à dire, je me retiens. Puisque nous on a quelque chose à dire, on fait cette musique-là.

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