Entrevue musique et enfance #6 : comment debord

Dans notre esprit, l’enfance et la musique sont fortement liées, l’un nourrissant l’autre et inversement. Cet été, entre la France et le Québec, on est allé à la rencontre d’artistes qu’on affectionne pour discuter avec eux de leur rapport à la musique dans leur enfance et de l’enfance dans leur musique. Des conversations souvent intimes et qui débordent parfois. Pour ce sixième rendez-vous, on repart à Petite-Vallée à la rencontre de Rémi Gauvin de comment debord.

LFB : Est-ce que tu te souviens de tes premiers souvenirs musicaux?

Rémi Gauvin – comment debord : Oui, oui, oui.

Il y a eu de la musique quand même très, très tôt dans ma vie. Mes parents écoutaient beaucoup de musique. Tu sais, je me souviens des disques de Leonard Cohen, Tracy Chapman qui jouaient chez nous beaucoup.

Ça, c’est peut-être les premiers souvenirs que j’ai. Ici, je me souviens d’une cassette, les grands classiques. On dansait dans le salon avec mon frère & ma soeur.

J’avais des cousins et cousines qui faisaient de la musique classique un peu chez nous. Il y avait des violoncelles qui se promenaient d’une famille à l’autre. J’ai joué un peu de violoncelle plus jeune.

Ça a commencé par ça, moi. C’était l’initiation de la musique.

LFB : Est-ce que tu as l’impression que la musique, finalement, c’est quelque chose qui a toujours fait partie de ton existence?

Rémi : Je pense que oui, oui, oui, tout à fait.

De par l’écoute, le fait d’en jouer un petit peu, faire des cours. À l’adolescence aussi, je me suis acheté une guitare à un moment donné, en secondaire 4-5, vers les 15-16 ans. J’ai toujours eu beaucoup de musique autour de moi, du monde qui écoutait de la musique, qui parlait de musique.

LFB : Tu parlais de faire du violoncelle. Faire un instrument de musique dans ta jeunesse, c’était une idée à toi ou est-ce que c’était tes parents qui t’ont poussé à en faire?

Rémi : C’était une idée de mes parents. Je pense qu’ils voulaient comme initier la culture en général.

Comme quelque chose de stimulant aussi, pour un enfant, d’apprendre un instrument, de développer l’écoute. Ouais, donc c’était une idée de mes parents. Dans la famille, comme je disais, il y avait des cousins qui avaient des violoncelles.

En grandissant, tu changeais de taille de violoncelle. Il y avait 8 enfants dans cette famille, donc il y avait plein de tailles de violoncelles à prêter. On les empruntait.

LFB : Est-ce que c’est quelque chose que tu as bien vécu? Est-ce que tu as parlé avec des gens? Le modèle scolaire de la musique?

Rémi : Ouais, j’ai trouvé ça difficile. J’ai trouvé ça vraiment difficile. Ça demande une rigueur aussi d’apprendre un instrument.

C’est un instrument classique aussi. Il y a beaucoup de théories. Non, je pense que je n’étais pas très bon.

Je me suis tanné assez rapidement.

LFB : Est-ce que tu as l’impression que c’est quelque chose qui aurait pu te bloquer dans ton rapport à la musique ou pas du tout?

Rémi : Je pense que oui. C’est pour ça aussi que quand je suis retourné vers la musique plus à l’adolescence, j’avais envie de commencer un autre instrument plus accessible. Je me suis trouvé la guitare qui est tellement facile à apprendre. C’est facile de jouer un minimum la guitare assez bien pour avoir du fun.

LFB : Au niveau de ton apprentissage autodidacte, tu n’as pas pris de cours?

Rémi : Non, c’est ça. Je n’ai pas pris de cours depuis… Non, c’est vrai. Je pense que j’aurais dû prendre des cours des fois.

Mais rapidement, ce qui m’intéressait, c’était d’écrire des tunes. Même avec peu d’outils et peu de connaissances, j’avais envie de… Dès que j’ai su jouer deux ou trois accords, j’avais envie de faire une chanson avec ça. Après, cette envie d’écrire des chansons.

LFB : C’est parce que tu avais envie de monter sur scène ou c’est parce que tu avais des choses à exprimer à l’intérieur de toi?

Rémi : Je ne sais pas. Honnêtement, je ne sais pas. Ça me faisait du bien. Je pense que c’est juste ça.

J’écoutais beaucoup de musique. J’avais envie d’écouter un peu les artistes qui me touchaient et qui m’intéressaient. Je pense que j’étais trop jeune pour savoir ou avoir un objectif.

C’était quelque chose d’un fantasme, d’un rêve de faire ça. Un instrument qui vibre, qui fait des sons, c’est fort quand même comme sensation.

LFB : Justement, tu parles d’écouter beaucoup de musique. Comment as-tu vu tes goûts musicaux évoluer entre l’enfance et l’adolescence? Est-ce que tu as l’impression que tes goûts musicaux se sont un peu cristallisés sur quelque chose ou est-ce qu’ils continuent d’évoluer même encore aujourd’hui?

Rémi : À l’enfance, je pense que j’écoutais un peu ce que mes parents me montraient. À l’adolescence, j’ai développé un rapport plus intime, j’ai appris à mettre une chanson sur le repeat. Je suis devenu complètement obsessionnel.

Ça, je pense que ça s’est cristallisé dans le sens où j’ai encore ce rapport-là à la musique. Quand je tripe une toune, je vais l’écouter sur le repeat. Je fais encore ça, complètement obsessionnel, compulsif.

Ensuite, au niveau des styles, je me souviens que les premiers CDs que j’ai achetés à l’adolescence, c’était genre… Le premier CD qu’on m’a donné, c’était les Beatles. C’était une compilation des Beatles vers la fin primaire, vers les 10-12 ans. Le premier CD que je me suis acheté, j’avais acheté des CDs de Green Day à mon voisin d’enfance qui était un genre de skater un peu punk.

J’ai eu un rapport plus… J’ai réalisé que je pouvais avoir un choix sur une identité que j’avais envie de développer. Tout ça, c’était de l’empouvoirement, comme on dit. Il y a quelque chose de très empowering là-dedans.

Ça, ça m’a fait du bien. En vieillissant, j’ai commencé à faire toutes sortes d’affaires. Je pense que dans le jeune âge adulte, j’écoutais beaucoup la scène indie, indie rock.

Il y avait une grosse scène à Montréal. Que ce soit Plants and Animals, que ce soit Arcade Fire, Patrick Watson, Malajube, Karkwa. Ce sont des groupes que j’écoutais beaucoup.

En vieillissant, j’ai commencé à m’intéresser plus au jazz. Après, j’ai mis un petit pied dans le soul, R&B, funk, disco. Et là, je n’en suis jamais ressorti de ça.

J’ai écouté beaucoup aussi à l’adolescence, en parallèle de tout ce qui était musique pop. Je tripais sur Coldplay à l’époque. J’écoutais du Oasis avec ma sœur.

J’écoutais aussi de la chanson française des années 60-70. C’était très bicéphale. Puis là, en vieillissant, plus le jazz, plus la musique descendance afro-américaine, du blues aussi, du rock des années 70.

Tout ça, c’est plus dans la vingtaine que j’ai développé mon intérêt. Et du coup, c’est beaucoup l’influence anglo-saxonne. Oui, énormément.

crédit : Alexya Crôteau-Grégoire

LFB : Comment tu as trouvé cet équilibre-là dans la création avec du son français?

Rémi : Pour moi, je pense que je me suis intéressé plus au son de la musique anglo-saxonne américaine. C’est plus ça qui m’a intéressé d’un point de vue musical. Ça a été ça un gros éveil, mettons.

Puis après, moi j’écrivais des tunes en français. Puis justement, j’étais bien influencé par ce que j’avais écouté beaucoup en français. C’était de la chanson française, des Léo Ferré, Brel, Gainsbourg.

J’ai tripé Gainsbourg bien raide. Gainsbourg, ça a été une affaire. Je pense que ça a été peut-être le premier artiste francophone que j’ai essayé d’imiter. Puis j’ai fait un échange étudiant à Paris dans la vingtaine.

En habitant six mois à Paris, j’ai réalisé que je n’étais absolument pas français. Et par contraste, en fait, je ne me suis jamais senti aussi québécois. Puis en revenant, j’ai réalisé à quel point c’était intime pour moi le parler québécois et la langue québécoise.

Puis j’ai découvert un artiste qui s’appelle Mon Doux Saigneur. C’est un Montréalais aimé que je connais bien, que je côtoie maintenant. Puis ça a été une espèce de révélation pour moi.

Lui et évidemment Stéphane Lafleur aussi d’Avec Pas d’Casque, qui sont des paroliers et des chanteurs résolument québécois dans l’identité. Puis je me suis dit, si eux peuvent le faire, j’ai l’impression que ça me touche bien plus. Il y a quelque chose de vraiment sincère et de vulnérable là-dedans.

Donc j’ai essayé de le faire à ma manière. Puis j’ai comme trouvé plus facilement un peu ma manière de le faire en assumant ma culture québécoise.

LFB : Et du coup, à partir de quel moment t’as réalisé et t’as su fermement que tu voulais faire de la musique pour ta vie?

Rémi : Bien, je pense que c’est en partant… Moi, j’ai un peu un parcours bizarre.

Je suis avocat de formation. Donc les études que j’avais faites à Paris, c’était juste un échange dans le cadre de mes études de droit. Puis je me suis… J’étais malheureux là-dedans.

J’ai fini par faire mon barreau, j’ai eu mon titre d’avocat. Puis après ça, je n’étais pas bien. Puis la seule autre chose que j’avais envie de faire, c’est de la musique.

Quand on a démarré comment debord, on s’est mis ensemble avec Olivier, le batteur, puis Étienne, le bassiste. Quand on a commencé à faire des tunes ensemble, j’ai compris que j’avais envie de plonger là-dedans.

LFB : C’est pas un truc d’enfance-quoi?

Rémi : Non. Non, non, c’est ça. Ça a été sur le tard.

Si je regarde, mettons, sur la scène québécoise un peu, les bands autour de moi, j’arrivais sous le tard un peu.

Ici, mettons, à Petite-Vallée, il y avait bien du monde qui venait à Petite-Vallée, qui faisait des concours. À 18, 19 ans, ils étaient déjà là-dedans.

Moi, je suis arrivé plus deuxième, moitié, fin vingtième.

LFB : Oui, c’est un peu ce que Etienne Dufresne me disait aussi hier.

Rémi : Oui, bien tu vois, Etienne Dufresne aussi.

C’était un bon ami à moi d’ailleurs. Oui, il a un peu le même genre de truc aussi. Mais aussi, il a changé sur le tard.

Ce qui fait aussi que je suis arrivé peut-être là-dedans avec pas nécessairement les mêmes attentes. Peut-être pas la même naïveté aussi.

LFB : C’est bien que tu parles de naïveté, parce que c’est une question que j’allais vous poser ensuite. Est-ce que pour toi, c’est important, justement, quand tu composes, quand tu crées de la musique, de garder une part de naïveté et de pureté un peu enfantine dans ta création musicale?

Rémi : Oui, oui, bien tout à fait, je pense. Oui, oui, vraiment. Vraiment, j’essaie de me mettre dans une espèce de… une espèce de condition d’ouverture et de non-jugement le plus possible.

Ce qui fait que des moments de ma vie, j’ai l’impression que je suis plus apte à écrire des chansons et d’autres non. Il y a tellement de trucs à faire. Tourner, tout.

Moi, je fais la gestion du groupe aussi. On est auto-gérés, donc j’ai des tâches de gestion vraiment dans le groupe. Faire de la scène, faire du studio.

Les moments d’écriture, quand je sens un peu que les étoiles sont alignées pour ça, et que je suis dans des bonnes conditions, bien, clairement, c’est des moments où, justement, je me sens plus proche de cette espèce de naïveté-là. Je suis plus dans l’observation que dans le jugement, peut-être. Donc oui, 100 %.

LFB : Et du coup, tu en parles un peu, est-ce que c’est pas trop dur de garder cette tendresse peut-être enfantine qui est nécessaire parfois à la création, dans un milieu où il y a quand même beaucoup de business?

Rémi :Je pense que c’est une tension qui habite n’importe quel musicien, on va dire, de la scène pop ou de la chanson au sens large.

Je pense qu’après, je l’ai facile parce que j’aime la pop intelligente, c’est ça que j’essaie de faire. J’aime ça trouver des refrains, accrocheurs, ça me fait triper, je trouve qu’il y a quelque chose de super rassembleur là-dedans. Donc pour moi, ce n’est pas une trahison d’essayer de rejoindre beaucoup de monde.

Moi, ce dilemme-là, il ne me hante pas. Je n’ai pas l’impression de me trahir. Je pense que je suis capable d’allier un peu les intérêts business du projet avec ce que j’ai envie fondamentalement de faire.

C’est moins difficile pour moi que pour certains autres artistes, je pense.

LFB : Est-ce que t’as l’impression d’être l’adulte du groupe?

Rémi : Non, vraiment pas. On est plusieurs à avoir des tâches de gestion.

L’adulte du groupe, clairement, c’est Étienne, à la charge mentale de comment debord. On le salue d’ailleurs, on le remercie. On est éternellement reconnaissants.

LFB : Si tu devais choisir trois morceaux de ton enfance ou de ton adolescence qui continuent à t’accompagner aujourd’hui?

Rémi : C’est sûr que je mettrais tout de suite Leonard Cohen, l’album Ten New Songs avec In My Secret Life. C’est un album que j’écoute régulièrement, que je trouve vraiment poétique et sensuel. Je mettrais peut-être Fast Card de Tracy Chapman, comme je l’ai dit tout à l’heure.

Je pense que l’album des Beatles que j’ai reçu avec Yesterday ou Eleanor Rigby. C’est des chansons qui m’ont donné des frissons à un jeune âge.

Ça serait peut-être ça, si on plonge vraiment dans l’enfance.

crédit : Alexya Crôteau-Grégoire

LFB : Et si tu devais choisir un de tes morceaux pour présenter ta musique à des enfants, tu choisirais quoi?

Rémi : On a eu la chance de le faire, en fait. D’abord, avec le Festi de Saint-Paul.

Ils organisent une tournée des écoles et on le fait souvent. On l’a fait au moins trois fois. On va dans les écoles et on fait des ateliers d’écriture de chansons, des petits spectacles, des conférences.

Ça dépend des âges. On l’a fait avec des enfants de 4-5 ans et avec des ados de 15-17 ans. Je pense que notre chanson Chalet qui est un peu notre « hit ». C’est une chanson qui a une construction simple, un refrain accrocheur et simple.

C’est facile de décortiquer cette chanson-là. Je pense que les jeunes peuvent avoir une interprétation de cette chanson-là qui est facile à comprendre, qui est accrocheuse. Les plus vieux, je peux parler un peu du double sens, des images, des processus plus poétiques.

LFB : Si un enfant venait te voir après un concert ou avant un concert et qu’il te disait qu’il voulait être musicien, tu lui dirais quoi? Tu lui conseillerais quoi?

Rémi : Je lui conseillerais d’aller voir des spectacles, je pense. Je pense que j’aurais tendance déjà à lui demander un peu ce qui l’intéresse dans la musique parce qu’il y a tellement de manières de vivre la musique.

Tu peux te concentrer sur un instrument, jouer avec plein de projets. Je pense que je lui demanderais déjà ça. Est-ce que tu as envie d’écrire des chansons? As-tu envie de chanter? As-tu envie d’apprendre un instrument? Ça serait d’explorer.

Je pense qu’il ne faut pas… d’explorer cette affaire-là. Si ce n’est pas ça, d’essayer autre chose. Je ne pense pas que dans la vie, il faut se spécialiser jeune.

Il faut essayer des trucs, toucher à plein d’affaires. Et c’est vrai dans plein de domaines. Mais jeune, j’aurais tendance à dire ça.

J’aurais tendance à dire que je ne suis pas développé. C’est d’en parler à ses parents, d’essayer de voir ce moyen d’explorer telle ou telle chose.

LFB : J’ai une dernière question. Est-ce que tu as gardé quelque chose de ton enfance? Un objet ou une émotion ou quelque chose qui continue de t’accompagner aujourd’hui et qui ne te quittera jamais?

Rémi : Oui, oui, vraiment. Parce que j’ai eu la chance d’avoir une enfance heureuse, d’être aimé, d’être entouré par ma famille. Clairement, j’ai des flashs de l’enfance.

Dans une toune, j’en parle de faire de l’autoroute en pyjama avec mon frère et ma sœur la nuit en revenant de chez mes grands-parents. Cette espèce de joie-là et de confiance en la vie, clairement, elle m’accompagne. Elle fait que je suis capable de faire ce métier-là qui n’est pas simple, qui n’a pas besoin de remise en question.

J’ai une base affective solide. Je pense que ça m’accompagne. Ça fait aussi que je n’ai pas peur de partir, de rêver et d’essayer des trucs.

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