Entretien Musique & Enfance #11 : François and The Atlas Mountains

Dans notre esprit, l’enfance et la musique sont fortement liées, l’une nourrissant l’autre et inversement. Cet été , entre la France et le Québec, on est allé à la rencontre d’artistes qu’on affectionne pour discuter avec eux de leur rapport à la musique dans leur enfance et de l’enfance dans leur musique. Des conversations souvent intimes et qui débordent parfois. Pour ce nouveau rendez vous, on a discuté avec François and The Atlas Mountains lors de son passage au Bivouac Festival.

La Face B : Est-ce que tu te rappelles de tes premiers souvenirs musicaux ?

François and the Atlas Mountains: Oui. Mon premier souvenir musical d’enfance, c’était mes parents qui avaient mis une cassette de Vinicius de Moraes, un chanteur brésilien. Et ils avaient une Talbot. Et j’ai ce souvenir d’une espèce de Talbot un peu caramel, crème. Le plafond de la Talbot était avec plein de petits points. Du coup quand tu fixais le plafond, tu avais un effet 3D, comme des fois t’avais un pattern très régulier sur les plafonds.

LFB : Est-ce que tu as l’impression que la musique, d’une manière ou d’une autre, a toujours fait partie de ton existence ?

François and the Atlas Mountains : Complètement. Ouais, je pense que ça a toujours été un rebond, une espèce de point d’appui pour repartir.

LFB : Est-ce que t’as pratiqué un instrument durant ton enfance ? Et est-ce que c’était une volonté de ta part ou celle de tes parents ?

François and the Atlas Mountains : Non. Ma mère m’avait mis dans un truc de découverte musicale. Et elle espérait que je fasse de la musique, donc elle m’a amené au conservatoire pour m’inscrire. Et au moment de l’inscription, je ne connaissais rien du tout à la musique. J’ai loupé l’examen d’inscription. J’ai été recalé parce que je ne connaissais que jusqu’à mi. Je connaissais do ré mi et je ne connaissais pas la suite. Donc après, j’ai bricolé. Il y avait une espèce de piano désaccordé qui traînait à la maison, dont mon beau-père avait hérité. J’ai commencé à m’amuser là-dessus et c’est parti de ça. A l’adolescence, j’ai fait deux années de piano. Et puis après, je suis tombé dans la guitare et les tablatures dans les magazines, et les potes de mon frère qui m’ont montré des accords.

LFB : Est-ce que tu as l’impression qu’apprendre la musique de cette manière, c’est quelque chose qui a justement influencé ta façon de faire de la musique ?

François and the Atlas Mountains : Entièrement, ouais. Je pense que le fait que ce ne soit pas académique, ça m’a laissé beaucoup de fantasmes. Ça a laissé de la place à beaucoup de fantasmes. Quand tu ne sais pas faire une activité, tu te fantasmes de savoir la faire et ça te met dans une direction particulière.

LFB : Est-ce que tu as l’impression aussi que ça a justement une influence sur ta couleur musicale, sur ton côté un peu organique et vaporeux de ce que tu peux faire ?

François and the Atlas Mountains : Ouais, peut-être bien. En fait, essayer de retoucher à la musique un peu comme si c’était, comme tu le disais, quelque chose d’assez organique. Et puis, c’est un peu un rêve. Essayer de retoucher une sensation que tu as, plutôt que de t’appliquer à reproduire quelque chose qu’on t’aurait appris.

LFB : Et en matière de goûts musicaux et de ce que tu aimes dans la musique, comment est-ce que tu as vu justement évoluer tes goûts musicaux de l’enfance à l’adolescence, jusqu’à maintenant ?

François and the Atlas Mountains : Waouh ! Ça a été hyper varié parce que quand tu es enfant, tu manges un peu tout ce qui traîne, on va dire. Et puis après, à l’adolescence, ça devient plutôt un vecteur d’identité. Ayant grandi dans une petite ville de province dans les années 90, il y avait un peu le clan des ska-reggae et le clan des rock-metal. Moi, j’ai une adolescence plutôt heavy. Avec une grosse guitare, Deftones et compagnie, Nirvana. Et puis après, est venu le moment où je me suis rendu compte que je n’étais pas raccord moralement, éthiquement avec certains des artistes que j’écoutais.

Je me souviens d’une interview de Korn où le mec disait qu’il était prêt à sortir un flingue pour défendre sa famille et tout. J’étais là, ok, hyper américain. Et j’ai senti que ça puait un peu. Du coup, ça m’a fait un peu un mouvement de recul vis-à-vis de cette musique-là. Après, j’étais curieux d’autres nouvelles sonorités qui arrivaient dans les années 90, le trip-hop, etc. Ça arrivait très lentement jusqu’à mes oreilles parce qu’il n’y avait pas Internet. Donc ça a été des cassettes copiées sûrement d’autres cassettes. Il y a eu pas mal de couches de copiages de cassettes avant que ça ne me parvienne.

LFB : Et justement, est-ce que t’as l’impression que tes goûts se sont cristallisés sur quelque chose à un moment ou est-ce que ça continue justement d’évoluer et que tu continues à être curieux de la musique ?

François and the Atlas Mountains : Ouais, je suis tout le temps en recherche d’aventures sonores, soniques. Parfois, c’est plus par curiosité plus que pour l’émotion que ça me procure. Je vais avoir un truc un peu de recherche, vraiment de comprendre un peu comment l’époque dans laquelle on vit influence le son qu’on nous reçoit. Donc là, récemment, j’ai écouté un peu de Baile Funk et de Digicore japonais parce que je trouve ça hyper intéressant comment ils travaillent la saturation.

Et comment on revient à une espèce de son très lo-fi alors que techniquement, on a les moyens de faire des sons très hi-fi. Mais il y a un truc d’écrasement du son qui correspond un peu à cette espèce de saturation médiatique dans laquelle on vit.

LFB : Est-ce que tu te souviens de l’instant où tu t’es dit que c’était la musique que tu voulais faire dans la vie et rien d’autre et du moment où tu t’es focalisé sur le fait d’être un artiste ?

François and the Atlas Mountains : En fait, à l’adolescence, quand j’ai glissé en dehors du rock-metal et que le trip-hop est arrivé, j’écoutais pas mal de jazz aussi, donc il y a pas mal de trucs hybrides. J’aimais beaucoup la musique hybride. Après, je me suis intéressé beaucoup à la musique africaine. Je pense que j’ai eu plein d’envie, mais il y a un point de repère, c’est quand je suis arrivé à Bristol. Je me souviens avoir marqué mes influences pour une annonce. Pour dire que j’arrivais à Bristol, je cherchais des musiciens avec lesquels jouer, donc j’avais un peu listé mes influences dans une annonce.

Et dans un carnet, je me souviens avoir écrit aussi à l’époque que je cherchais à faire une musique entre Dominique A et Aphex Twin, avec des guitares saturées. Donc c’était un peu une manière de trouver une place entre l’adolescence très grunge que j’avais eue, l’appétance très électronique, hybride que j’avais eue après, plus tard, et puis le fait de connecter avec un musicien comme Dominique A, qui arrivait à faire rentrer le français littéraire dans la musique. Donc j’ai essayé de trouver ce point névralgique entre ces trois pôles qui sont assez antinomiques.

LFB : Tu penses que c’est quelque chose qui t’a démarqué au départ aussi, qui t’a permis par exemple de signer chez Domino, de mélanger justement à l’époque alors ce nétait pas forcément le cas ?

François and the Atlas Mountains : Ouais, peut-être. Je ne sais pas trop ce qui fait que j’ai réussi à trouver un son particulier qui a engendré ces signatures-là. En tout cas, je pense que c’est toujours bien de tenter des hybridations.

LFB : Et justement, quand tu as commencé à créer, quand tu crées maintenant, quelle part d’enfance tu fais exister dans ta musique et dans ton écriture ?

François and the Atlas Mountains : Je pense ce rapport naïf, d’incompréhension par rapport à ce que tu fais. Une espèce de prise de recul qui vient d’une sensation. Soit tu es happé par une force de la musique qui reprend le dessus de tes émotions, c’est comme quand tu es enfant et soudain tu es happé par un son que tu ne connais pas. Mais bon, on éprouve ça à tous les âges, mais je pense qu’on l’éprouve plus dans l’enfance et dans l’adolescence, parce que c’est plus nouveau. Et il y a peut-être une forme d’amusement aussi quelque part, une forme de jeu.

LFB : Est-ce que c’est compliqué de garder cette naïveté enfantine et cette « pureté » dans un monde musical de plus en plus orienté sur le business ?

François and the Atlas Mountains : C’est vrai que la partie économique du truc, ça ramène une autre composante. Mais je crois que c’est quand même le cœur du propos. C’est plus l’émotion et d’avoir l’impression que la musique nous aide à avancer dans la vie. Pourquoi pas aussi dans notre relation aux autres, et pourquoi pas par extension socialement. Donc je pense qu’il y a cette espèce de sensation bienfaiteur qu’a la musique quand on est enfant, qui fait qu’on y revient. Quand il y a des enfants qui mettent un morceau, puis ils le mettent en repeat, puis ils le remettent, ils le remettent, tu sens que ça leur fait du bien, que ça les stimule. Je crois que ça accompagne toute la vie.

LFB : Tu parlais de mettre un morceau en repeat, si tu devais choisir trois morceaux qui viennent de ton enfance, de ton adolescence et qui continuent à t’accompagner aujourd’hui ?

François and the Atlas Mountains : Il y a Duel au soleil de Étienne Daho, de la musique brésilienne, et puis peut-être un morceau de Simon & Garfunkel. J’aime beaucoup ce morceau Bridge over troubled water.

LFB : Et si tu devais choisir un morceau à toi, pour présenter ta musique à des enfants, ou un morceau qui marche avec les enfants ?

François and the Atlas Mountains : Étonnamment, ce ne sont pas forcément les morceaux que je pense. Par exemple, j’imaginais qu’un morceau comme Les plus beaux ou Adorer, ça pourrait aller. Mais mon neveu, il adore Âpres après, qui est un morceau très hybride, très bizarre. Et je sais qu’un autre ami m’a dit que The way to the forest marchait bien aussi sur les enfants, côté un peu énergique, percussif.

LFB : Et si, par exemple, ce soir, avant ton concert ou après ton concert, un enfant te disait qu’il avait envie d’être artiste et musicien, tu lui dirais quoi ?

François and the Atlas Mountains : D’y aller, forcément. Il faut toujours encourager les enfants, je pense. Ouais, il faut y aller. J’ai des retours parfois des enfants assez drôles. Il y a un enfant qui me disait qu’il avait adoré quand je faisais la grenouille. Ça m’a accompagné au point qu’il y a un instrument sur scène maintenant qu’on appelle « La grenouille ». La vérité sort de la bouche des enfants, n’est-ce pas ?

LFB : Qu’est-ce que tu as gardé de ton enfance, qui vit encore avec toi aujourd’hui ? Soit un objet ou une émotion que tu gardes précieusement.

François and the Atlas Mountains : D’avoir tant parlé de la musique, ça me ramène forcément au son des cassettes. C’est quelque chose qui m’accompagne encore aujourd’hui. Et puis sinon, j’aime beaucoup la sensation de m’endormir avec du bruit autour. C’est agréable. Avec des voix qui parlent, cette espèce de léger brouhaha derrière distant. Et la sensation où tu te décroches un peu de ce qui est en train d’être dit.

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Crédit Photos : David Tabary

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