Au printemps, on a profité du passage de Choses Sauvages à Paris pour discuter de leur troisième album paru cette année. Comme une conversation qui continue, on a parlé d’évolution musicale, des paroles, de la cohésion du groupe et de la volonté de trouver du plaisir et de l’excitation dans la création musicale.

La Face B : Salut les gars, comment ça va ?
Marc-Antoine : Ça va bien et toi ?
Félix : Très bien et toi ?
LFB : Ça va bien, ouais. Il fait plus beau qu’hier.
Marc-Antoine : Ouais, ça fait du bien. On a profité de la journée, on s’est promenés.
LFB : C’est marrant parce que la dernière entrevue qu’on a fait, c’est en 2022. J’ai l’impression que je ne vous ai pas quitté depuis 2022, puisque vous êtes venu en 2023, en 2024. Vous revenez là.
Félix : Ouais.
Marc-Antoine : On se voit à chaque fois.
Félix : Ouais. Alors on est rendus des bons potes là ?
LFB : Comment vous vivez justement cette vie assez particulière et surtout où est-ce que vous avez trouvé le temps de créer cet album ? (Arrivée d’un autre membre) Tu veux faire l’entrevue ? On était à la première question. Je me demandais comment vous aviez trouvé le temps de faire un album alors que vous êtes en tournée depuis…
Marc-Antoine : En fait, c’est pour ça que ça a pris autant de temps. L’année dernière, ça a été pas mal moins occupé, donc on a pu s’asseoir vraiment et recommencer. Mais avant ça, on était tout le temps prêt à faire les nouvelles chansons.
Félix : Moi, je suis parti en tournée pendant longtemps aussi. Avec mon autre groupe, La Sécurité. On a trouvé, on s’est donné genre… Un certain moment dans l’année, en 2024, pour composer. Puis après, on a publié le studio direct.
Marc-Antoine : Ça a été assez rapide aussi, la composition n’a pas… On a pris moins de temps que le deuxième. Ça a été assez expéditif. First start, best start. Ça, ça fonctionne. Je pense que ça a aussi aidé à créer… C’est sûr qu’il y a plusieurs styles comme d’habitude, parce que c’est un peu notre plaisir d’aller dans plein de zones, mais il y a quand même une cohérence, je pense, du fait que ça a été fait dans une courte période de temps.
Tommy : Mais c’était vraiment ça l’idée d’un peu, comme Marc-Antoine dit, first start, best start. C’est comme, si on avait quelque chose qui marchait, on ne se cassait pas le bicycle, comme on dit chez nous. On ne se cassait pas le bicycle.
LFB : Ouais, donc c’est un truc… C’était très direct.
Choses Sauvages : Ouais, exact.
Félix : On ne s’est pas trop posés de questions. Comme moi par moment, des fois les synthés, sur le deuxième album, c’était toujours d’en mettre plus, t’sais. Là, s’il y avait des moments que juste, avec les guitares puis la basse, ça fonctionnait, j’étais comme, ben, pas besoin de rajouter quelque chose à tout prix, t’sais. C’est comme, laissez-moi, des fois, puis… On l’a approché comme ça, un petit peu C’est sûr qu’après ça, en studio, on s’amuse puis on rajoute des petits trucs, mais… Sur le corps des chansons, c’était plus ça quand même. Ouais, c’était à peu près ça.
LFB : Vous avez continué à ne pas donner de nom à vos albums.
Choses Sauvages
Félix : Ouais. J’pense qu’on va continuer comme ça aussi.
Marc-Antoine : Ouais, là-dessus, on est constant.
LFB : Est-ce que vous avez l’impression qu’en fait, au fur et à mesure, chaque album représente un peu une ère et une époque particulière de Choses Sauvages ?
Félix : Oui, pis surtout en réaction du disque d’avant, en fait, j’ai l’impression qu’on essaie tout le temps de se réinventer au niveau des sonorités. Ce qui nous branche aussi dans le moment, c’est que nos goûts changent, on vieillit.
Marc-Antoine : On essaie de rester dans le même carcan tout le temps.
Félix : Oui, c’est ça. Et de rendre le truc un peu plus surprenant. On ne change jamais vraiment du tout au tout. Il y a quand même l’essence Choses Sauvages. On aime bien l’esthétique québec qui changeait un peu de genre musical à chaque album, ce qui n’est pas du tout ce qu’on fait.
Tommy : C’est très… On n’a juste pas envie de se répéter. C’est comme ça qu’on l’approche.
Marc-Antoine : C’est beaucoup dans la méthode de composition, c’est qu’il change à chaque fois. On fait d’une manière, le deuxième on l’a fait beaucoup avec l’ordinateur, avec des boucles, des loops. Celui-là on voulait le faire vraiment en live. Ça reste que l’essence est là, mais comme on compose différemment, il y a quelque chose de différent qui sort aussi. C’est un peu comme ça qu’on se renouvelle, en essayant de trouver une nouvelle méthode de travail et de voir ce que ça donne.


LFB : Ce que j’allais dire, c’est que moi, les premières fois que j’ai écouté l’album, j’ai vraiment eu l’impression de cette idée d’un album beaucoup plus physique et d’un truc qui se transmet beaucoup plus facilement de l’auditeur à ceux qui l’ont créé et d’un truc d’un groupe qui joue live ensemble plus que celui d’avant qui était beaucoup plus… peut-être pas nébuleux, mais… Plus studio. Ouais, voilà.
Félix : Plus studio, puis c’est quelque chose qu’on avait envie de réduire la distance qu’il y avait entre les disques puis les concerts parce que c’était un truc qui est… On avait envie d’être plus proche du concert avec le disque, finalement.
Tommy : C’est sûr qu’on avait le goût de faire avec le deuxième, parce que notre premier était quand même… C’est plus molo par moment, il y a beaucoup de chansons smooth. Quand les gens venaient nous voir en concert, je ne m’attendais tellement pas à cette énergie-là. Avec le deuxième, on a essayé de faire ça, mais vu qu’on l’a plus composé comme la musique électronique à l’ordinateur, ça a été difficile d’avoir ce rendu-là. Le fait est que là, avec le troisième, on a poussé le truc plus loin.
Félix : On avait plus les moyens de nos ambitions aussi, étant donné qu’on a plus d’expérience de studio.
Marc-Antoine : Plus d’expérience de show aussi.
Félix : Plus d’expérience de show, puis on sait plus comment faire en sorte, comment fignoler les disques pour qu’ils sonnent un peu plus abrasifs comme notre concert.
LFB : Je trouve que l’exemple parfait, en fait, c’est Big Bang le dernier morceau qui ressemble à une jam. Un truc qui a été capté d’un trait et à la fin on se dit que c’est cool.
Félix : C’était pas beaucoup de takes. On avait vraiment la structure en tête et on savait où on voulait aller Puis il y a Lysandre qui a fait le solo de piano à la fin, qui est une bonne amie, qui a un très bon projet à Montréal d’ailleurs, Lysandre Ménard. Et puis ouais, elle pigeait tout de suite ce qu’on voulait à la fin. Sinon le reste, c’est vraiment, je pense que c’est les shit tracks du démo de vocals qui sont vraiment… C’est genre des plug-ins built-in d’Ableton qui ont fini par faire la cote.
Marc-Antoine : C’est un peu le pont aussi avec l’autre album d’avant. Le deuxième album aussi, ça finissait avec une longue chanson instrumentale. Il y a un petit retour à ça, en créant un genre de constance par les albums. On aime beaucoup la musique instrumentale aussi, on en consomme énormément, donc ça fait partie de notre identité.
Tommy : C’était comme la couleur Cosmic Music aussi quand même, qui n’était pas représentée plus qu’il faut, quand même un peu, mais le côté krautrock, on est vraiment dans cette chanson-là. On est plus axé sur la musique électronique.
LFB : C’est marrant parce que même si là c’est un album où il y a beaucoup de texte et il y a peu de chansons instrumentales, il y a énormément de plages en instrumentales dans la chanson. Il y a énormément de moments où la voix saute pour laisser la musique parler.
Félix : Ça fait partie de notre ADN depuis le début. Je pense qu’on aime beaucoup cette dynamique-là entre la voix et l’instrumental. L’instrumental nous permet d’aller chercher des textures que je ne peux pas finir de chanter nécessairement. Et aussi le groupe, ce n’est pas un groupe de chansons à texte, c’est plus ce qu’il faut. Donc, on trouve que ça va tout le temps faire partie un peu de l’équation.
Félix : Un bon bridge instrumental.
Félix : Ben, tu sais, il peut être très long.
LFB : On va quand même parler des textes après. Mais du coup, ce qui est intéressant, c’est que cette énergie, j’ai l’impression qu’elle est captée de telle manière que l’album est beaucoup plus resserré que le précédent. Le précédent, il faisait quasiment une heure. Là, on est à un peu plus d’une demi-heure sur neuf chansons. J’ai vraiment l’impression que chaque chanson ne devait pas déborder et capter une énergie, un son qui lui était propre.
Marc-Antoine : Je pense que c’est un album de contrastes beaucoup. C’est peut-être quelque chose qui… Dans le deuxième, puisque c’était plus long, on se basait un petit peu plus sur des influences house, musique électronique, puisqu’on allait dans la longueur pour rappeler un peu des hits-hits de vieux discos qui ont été retravaillés, ce genre de style-là. Mais avec ça, on va vraiment dans des trucs très smooth et des fois très abrasifs. Puis on dirait que cette structure-là se préparait un peu mieux comme des chansons courtes. pour pouvoir rendre quelque chose de très franc, très clair, une idée vraiment concise qui rentre d’un coup, qui est sans s’éterniser.
Félix : Tu as cette esthétique-là dans le punk et dans le post-punk aussi. En tout cas, je navigue ces eaux-là beaucoup, ce temps-ci, avec l’autre projet, et j’ai l’impression que… C’est quelque chose qui a été amené sur la table et que tout le monde d’emblée a comme accepté.
Tommy : C’est un des premiers trucs qu’on s’est dit quand on s’est remis à la compo, on a fait, là, les tounes de 6 minutes, pas obligé. Ouais, on va en refaire, là, t’sais.
LFB : Puis c’est surtout que c’est un enfer à faire en live après.
Félix : Comme Tommy disait, c’est très difficile d’arriver à donner le son d’une chanson de 6 minutes dans ses textures et dans ses subtilités en concert.
Tommy: Il y a quand même quelques chansons du deuxième album qui n’ont jamais vraiment été capables de refaire en live et que ça donne ce qu’on voulait. Par exemple, je pense à la chanson Face D par exemple, ou Château de fantômes qui est toute dans les petites textures de filtres qui s’ouvrent et tout ça. C’est ça, des chansons qu’on finissait par mettre de côté parce que c’était trop difficile à rendre. Avec l’idée de revenir plus sur le live band.
Félix : Comme chaque chanson sur ce disque-là, on peut la faire en concert.
LFB : Il y a moins de frustration sur le live.
Félix : C’est juste que ça fait en sorte que nos concerts changent plus. Parce que quand finalement tu as trois chansons sur ton album d’une heure que tu peux faire en show. C’est un peu un coup d’épée dans l’eau pour le concert. Après, quand tu te rends compte que finalement, c’est moins ça, c’est moins comme la chanson. Elle est moins excitante que sur le disque. En tout cas, pas mal toutes les chansons sur cet album-là sont jouables, sont faisables en show.
LFB : Justement, tu parlais de punk et post-punk. Moi, il y a un truc que j’ai remarqué, je ne sais pas si vous l’êtes d’accord avec moi, c’est que j’ai l’impression que tout l’album est quand même structuré sur une ligne très claire de basse et de batterie, qui sont très droites et qui permettent justement de dévier après.
Félix : Je pense que ça a tout le temps fait partie de l’esthétique de Choses Sauvages, que ça soit drum and bass, que ça soit le moteur des titres, mais effectivement, celle-là, je pense que À un moment donné, on a mixé l’album d’une façon un petit peu plus abrasive pour représenter le live. On le sent plus. J’ai l’impression sur le disque aussi quand même, les basslines…
Marc-Antoine : Il y a plus d’espace aussi. Oui, c’est ça. Comme tu disais, des fois, il n’y a pas de synthé pendant un couplet. Après, dans les guitares, les riffs sont moins… Avant, c’était un peu plus construit des polyrythmies entre la basse et le drum. Les guitares étaient constantes, des petits loops. Là, c’est un peu plus… Il y a plus d’échanges, plus de silence, puis ça crée un peu plus…
Félix : Plus de dynamique. Oui, c’est ça.


LFB : Il y a beaucoup plus de liberté. Des morceaux comme Level up à l’intérieur ou comme Deuxassassins, je trouve que cette structure rythmique, elle permet aux morceaux d’exploser complètement, de s’envoler sur des trucs qui permettent aux morceaux de surprendre et de partir sur quelque chose de complètement différent à certains moments.
Félix: La musique , il faut tout le temps que ça soit excitant, tout le temps.
LFB : C’est un album de TDAH, je crois.
Félix : Ça m’est paru, parce que moi, pour l’être un peu, pas mal. Je pense que c’est quand même, c’est quelque chose que j’avais en tête pour cet album-là, puis c’est quelque chose que tu sens quand même dans le post-punk à Montréal, dans le revival, où les structures de chansons ne sont pas nécessairement comme, ça flirte des fois que le punk, le prog, pas nous, mais il y a comme une volonté de faire et de surprendre constamment, et de ne pas être capable de prédire où la chanson va s’en aller. Moi j’aime bien ça, parce que je trouve que ça fait en sorte que ça reste excitant tout du début, de la première note jusqu’à la dernière.
LFB : Tu vois, j’étais hier avec Ariane Roy, qui est plus dans la pop. Et ses morceaux, c’est exactement ça aussi, tu vois. Des cassures de rythme…
Marc-Antoine : Je pense que c’est ça qui fait l’intérêt de la musique pop en général, parce que nos chansons sont aussi pop jusqu’à certains points. C’est comme de trouver comment casser la symétrie, l’attendu. Au bout du compte, quand tu la regardes avec un peu de distance, la chanson est quand même claire et lisible. Mais quand tu te portes un peu attention, il y a tout le temps plein de petites surprises. Il y a des trucs qui arrivent. Des fois, il y a une mesure de moins à certains moments. Il faut trouver des petites surprises pour pouvoir casser cette prévisibilité.
LFB : C’est marrant parce qu’il y a des morceaux, malgré tout, qui sont très pop aussi sur l’album, qui sont un morceau comme Pour toujours qui sont très pop dans leur structure, dans le rythme.
Félix : Qui finit avec un jam instrumental de 2 minutes. Donc c’est ça la surprise de cette chanson-là, c’est comme tu t’attends à ce que ça s’en aille à quelque part, puis finalement ben c’est juste, ça coast.
Tommy : Parce que tu sais, vu qu’on compose toujours en jam, on part d’absolument rien, tu sais, des fois on tombe sur des riffs comme ça qu’on tourne aussi, on l’a sorti pis on a dit « Oh my god, c’est donc bien pop ! » C’est comme… C’est sûr qu’il faut la mettre, mais…
Félix : C’était moi qui faisais une pub, je pense, celle-là…
Tommy : Oui, à la base…
Félix : Ouais, ça fait qu’il y avait des riffs qui étaient faits… Le squelette, l’embryon de cette chanson-là, c’était une publicité que j’avais faite, qui n’a pas été retenue. C’était pour une publicité d’une compagnie X. Puis finalement, j’avais montré au gars, puis il y avait des idées là-dedans qu’on a reprises. Je pense que c’est ça qui donne vraiment le ton super « popish ».
Tommy : Oui, c’est ça, exactement. Mais après ça, la question c’est « OK, comment on casse ça puis qu’on ramène ça un peu plus… »
Félix :À la chose.
LFB : Oui, c’est du puzzle un peu. Tu regardes les pièces qui s’assemblent.
Tommy : C’est là que tu te dis que ça ferait du bien une toune un peu plus smooth. C’est là qu’une chanson comme Chaos initial nait. Si on veut aussi se surprendre et se promener.
Felix : Le smooth de cet album-là n’est pas R&B pour une fois. C’est plus un jam à la Tortoise, comme disait Thierry. Lysandre, c’est la copine à Thierry. C’est vraiment une belle façon et une belle sensibilité d’aller jouer dans ces eaux-là. Ça a été un charme d’écrire les paroles avec elle. Je me suis rendu compte en chantant que c’était vraiment mieux si j’enlevais ma voix. C’est juste que ça prenne une voix féminine. On le fait souvent d’avoir un feat féminin.
LFB : Est-ce que vous avez l’impression d’avoir évolué au niveau de l’écriture des morceaux ? Parce que tu disais tout à l’heure que c’était pas forcément le plus important, mais je trouve que cet album dit énormément de choses en fait.
Félix : Ouais, ben oui. Ce n’est pas que c’est pas important, c’est juste qu’on va pas mettre dans le mix, j’ai l’impression, les voix aussi fortes qu’on ferait en pop, j’ai l’impression que ça fait un peu plus partie des textures, comme le reste du groupe, comme les guitares et tout.
C’est plus texte en fait. C’est plus, ouais, pis ça se lit, pis ça se comprend quand même.
Pis pour le disque, les paroles que j’ai écrites sont un petit peu plus en phase avec ce qui se passait dans l’actualité, puis ce qui était dans la réflexion de comment on grandit, comment on évolue spirituellement, psychologiquement, physiquement même, à travers les conflits puis les trucs de notre société, les problèmes de société qu’on a. Puis il y a des morceaux qui appellent quand même au calme malgré tout parce que j’ai l’impression qu’on vit dans une espèce de tempête, dans un bocal souvent.
Tommy : Je pense que ça a toujours fait partie de ta façon d’écrire, de transmettre tes anxiétés beaucoup à travers tes textes. Dans cet album-là, ça donne qu’on vit en ce moment à une époque. C’est très anxiogène à plein d’égard. C’est quelque chose que t’as déjà fait aussi par exemple sur Chambre d’écho, sur le dernier album.
Félix : C’était comme les balbutiements de ça…
LFB : C’était peut-être moins cryptique aussi.
Félix : Ben oui, c’est parce que dans le premier, il y avait tout le temps des trucs plus de relations. Une amante, une amoureuse, ça peut être… Je me suis tenu un petit peu plus loin de ça, j’ai l’impression, sur ce disque-là. Moins parler à quelqu’un d’autre personnellement. Parler de comment je me sentais en général vis-à-vis d’une situation, puis parler au nous aussi, parce que j’ai l’impression que je suis pas le seul à me sentir comme ça nécessairement…
Tommy : Puis à travers ça aussi, encore quelques trucs un peu New Age, là, tu sais, avec…
Félix : Dans le cosmos, là, genre… Ouais, il y a quand même le champ lexical de ça qui est toujours présent, ouais.
LFB : Il y a une espèce de critique dans l’album ou d’échapper de la réalité avec Fixe, Cours toujours et Faux départ, où j’ai vraiment l’impression…
Félix : Ouais, ben oui.
LFB : En plus, musicalement, ça colle aussi, tu vois, cette idée de tracer la route…
Félix : Ouais, ben dans En joue, c’est… Dans En joue, il y a ça aussi, comme de… l’image de courir, d’essayer de… d’échapper à quelque chose, ou simplement de courir pour arriver à quelque part, pas nécessairement le plus vite que tu peux, mais genre, je sais pas. Il y a des chansons qui invitent à s’enfuir, puis il y a des chansons qui invitent à accepter le rythme auquel tu cours en métamorphose, bien évidemment, mais des choses qui te suivent. Donc, ouais, c’est ça.
LFB : Il y a un morceau qui est, en termes d’écriture, qui est hyper intéressant pour moi. C’est Deux assassins, parce que c’est très, très court. C’est hyper répétitif, mais du coup, le fait que ça soit répétitif, ça en devient obsédant, en fait. Ça colle tout à le morceau. C’est comme un mantra. Et qui va dans ce que tu disais, c’est qu’au bout d’un moment, à force de répéter et avec le morceau… Le morceau qui grandit, t’as l’impression que le texte, il est presque inaudible dans la chanson.
Félix : Ouais, ça devient plus des mots, ça devient des bruits quasiment, tu sais. Ouais, ben c’est très en mode paranoïa dans un contexte social, considérant qu’il y a des… On a beaucoup pointé du doigt les gens, j’ai l’impression, considérant des années de manque de respect vis-à-vis certaines minorités ou certaines strates de la société. Puis j’ai l’impression qu’il y a des fois où on est allé un peu trop loin, où il n’y a pas de rédemption possible, disons, en parlant de la cancel culture. Je pense que ça faisait un peu un clin d’œil à l’hypocrisie des fois de certains mouvements qui sont très importants et qui ont vraiment lieu d’être. Mais des fois c’est normal que ça ne soit pas très fluide quand ces choses-là explosent, j’ai l’impression.
Tommy : Je pense qu’il y a un autre élément aussi, justement, de tumulte qui fait partie de la société en ce moment, qui crée aussi d’autres anxiétés. Ça brasse, tu sais.
Félix : Oui, c’est ça, tout le temps regarder un peu sur ton épaule.
LFB : Il y a deux morceaux que vous partagez avec d’autres personnes au chant. Et c’est marrant parce que j’ai l’impression que dans l’écriture, c’est peut-être les morceaux les plus intimes de l’album.
Félix : Ben oui. Pour les paroles de Level up à l’intérieur, c’est Rémi Gauvin (Comment Debord NDLR) qui les a écrites. On ne voulait vraiment pas toucher à son écriture à lui parce qu’il a vraiment une belle façon d’écrire notre langue en fait, le type québécois ou le joual en général. Puis de faire des tournures de phrases. Donc quand on avait composé ces morceaux-là, on trouvait que ça collait bien à son esthétique, à son champ lexical à lui. Puis on lui a fait 100% confiance.
Pour Chaos initial, je l’ai écrit avec Lysandre, puis on ne s’était même pas parlé de quoi on voulait parler. Puis elle avait amené un livre d’Hubert Reeves qui parlait de cosmos, on est un peu allé s’inspirer de ça. Puis c’est bien parce que c’est un univers qui nous rejoint les deux à elle, dans son projet à elle. Ça touche un peu à cet univers-là, puis je pense qu’elle a vraiment compris comment on pouvait écrire ensemble. On s’est installés, c’était super facile. On a fait ça en deux après-midi, puis on avait toute la mélodie et toutes les paroles d’écrit avec des harmonies, c’était aussi simple que ça. Elle est forte.
LFB : Justement, c’est quelque chose qui vous plaît, de partager votre musique avec tout le monde.
Félix : Oui, ben t’sais, je pense que c’est un peu se payer… On est fan de ces gens-là, pis on se paye un peu un trip de collaborer avec eux. Pis je pense que c’est réciproque. Sinon, ils ne diraient pas oui, j’imagine, mais…
Tommy : Pis t’sais, c’est comme Lysandre pis Rémy, c’est deux amis vraiment proches. De nos jours, tout le monde fait des collabs avec tout le monde. C’est tout le temps un peu calculé. Des fois, je le sens très calculé comme faire un move business.
Marc-Antoine : Plus pour la promotion que pour la création. Que pour les bonnes raisons.
Tommy : Exact. Je pense que nous, ce serait vraiment difficile de juste approcher quelqu’un avec qui on n’a pas déjà une belle connexion avec. Surtout qu’on est un groupe aussi. C’est difficile d’inviter quelqu’un dans cet univers-là.
Félix : Ça peut être intimidant aussi pour quelqu’un.
LFB : Oui, de se retrouver face à six personnes.
Choses Sauvages
Félix : Oui, c’est pour ça qu’on le fait pas de cette façon-là. En tout cas, de ce que je me rappelle, c’était comme je prenais le lead de gérer la collab un peu, surtout au niveau des textes. Colosse, j’avais envoyé le texte à Laurence-Anne, puis j’étais comme « qu’est-ce que tu veux avec, j’ai déjà une mélodie ». Lysandre, on l’a fait juste les deux. Rémi, on lui avait envoyé le morceau, puis on lui a dit « tu me fais ce que tu veux ». On essaie de ne pas trop teinter la création de la personne avec qui on va collaborer.
Marc-Antoine : Il y a une idée de base c’est d’inviter quelqu’un, c’est de voir aussi comment ça peut changer, ça peut donner une autre couleur au groupe. Si on dit juste aux gens exactement quoi faire, je pense que l’exercice est un peu raté.
Tommy : Vu qu’on compose tout en band aussi, c’est sûr qu’ils font en sorte que souvent on arrive avec un morceau qui est composé, plutôt que des fois des artistes solo, producer, ils vont s’envoyer des tracks, rajouter des trucs par-dessus l’autre. Nous c’est sûr qu’on arrive avec le morceau, il est presque prêt, puis c’est comme… Qu’est-ce que ça t’inspire ?


LFB : On en parlait tout à l’heure, mais l’album finit sur un morceau en instrumental, qui est le plus lumineux de l’album.
Félix : Presque en instrumental. Il y a le refrain où il y a des paroles aussi, mais on l’entend, c’est tellement en chœur dans le reverb qu’on comprend pas du tout ce qui se dit, en fait.
LFB : C’est un album qui est très sombre malgré tout. Est-ce que c’était important de terminer sur un morceau un peu lumineux ?
Félix : Je pense que c’était vraiment pour rappeler ça. Je pense que dès qu’on a entendu les notes de piano, on avait quand même dirigé un peu Lysandre pour qu’elle fasse le piano. C’est elle aussi qui a fait le piano. Elle a fait beaucoup de back vocals sur l’album. Dès qu’on a entendu ces trucs-là, on était comme « Ah ben ça va aller à la fin ». Il n’y avait pas une chanson qui finissait le disque d’une façon aussi…
Marc-Antoine : On voit qu’elle a déjà l’impression de comme « Au revoir ! » « Au revoir! ».
Tommy : C’est un peu comme je disais tantôt, t’sais, des fois on fait juste, on jam quelque chose, pis là on est comme « Ah, t’sais, ok, ça faut le garder. » Mais celle-là, ça en était une, sauf que c’était juste, c’est sûr que ça va à la fin, ça, pis que c’est comme, justement, le gros… « Bye-bye! » « Bye-bye! » En fade-out, là, infini, pis…
Marc-Antoine : C’est vrai qu’elle fait vraiment du bien, elle est presque comme… C’est apaisant. C’est apaisant, pis je pense que ça fait du bien après l’album d’avoir un bonbon, une petite pilule un peu plus joyeuse.
LFB : Même si elle s’appelle Big Bang, elle signifie quand même…
Félix : La création du monde, un peu.
Marc-Antoine : C’est ça, c’est comme un peu de beauté à travers le chaos.
Félix : C’est la création du monde du Seigneur des anneaux.
Tommy : Avec des flûtes.
Félix : Avec des chars d’innovateurs. C’est un petit clin d’oeil à Tolkien.
LFB : Vous qui tournez tout le temps, qui ne vous arrêtez jamais de faire de la musique, est-ce que vous n’avez pas l’impression que c’est une immense addiction ?
Choses Sauvages
Félix : Les concerts en soi, c’est quand même une bonne dose d’adrénaline et d’endorphine.
Marc-Antoine : On l’a vécu dans la pandémie quand on ne pouvait plus faire de spectacle. On a presque eu un sevrage. Au début, ça allait. Il y a quelque chose qui manque. Puis on est chanceux de pouvoir faire ça sur une base régulière. Partout. Puis aussi au niveau du studio, ça nous manquait beaucoup après l’album.
Tommy : Après, à chaque étape du truc, c’est comme… Quand on recommence à faire des choses, il y a un feeling de « wow, ça fait du bien de repartir là-dedans ». Quand on retombe en compo, ça fait du bien. Même chose pour le studio, c’est vraiment trois terrains de jeu qu’on aime bien.
Félix : Il y a une aisance de le faire étant donné que ça fait plus de dix ans que le projet existe. On le sait que ça ne sera jamais plate étant donné qu’on se connait depuis longtemps. On voit déjà ça comme un voyage de potes à la base. Fait que déjà, il y a ça qui rend ça excitant, puis après ça, bien, de marier ça avec le plaisir d’échanger avec un public partout dans l’Europe, tu sais, c’est le rêve. Bien évidemment qu’on ne se tanne pas de ça. Je pense qu’on n’est pas les premiers à tourner. Tu regardes des vieux groupes comme les Stones qui sont clairement, genre, hooked à ça, tu sais.
Tommy : Ils arrêteront jamais, là.
Félix : Le drummer est mort, puis ça continue pareil.
Tommy : Il y a peut-être aussi une part de faire du gros cash. (rires)
Félix : Peut-être qu’ils sont accros à l’argent.
Marc-Antoine : Nous, on n’est pas assez populaires pour être accros à l’argent.
Félix : J’étais accro à l’argent mais ça ne marche pas.
LFB : Justement, pour rester sur ce sujet-là, vous avez plus ou moins tous des projets parallèles à côté de vous. En quoi c’est important pour l’énergie du groupe et en quoi ça nourrit aussi Choses Sauvages ?
Félix : Je pense que Choses Sauvages, c’est le produit de cinq cerveaux qui mettent de l’eau dans leur vin, ce qui est très bien. Ça sort des sonorités qu’on ne serait pas capable de faire seuls parce qu’on s’inspire de l’autre. Je pense que, comme Marc-Antoine, dans le cas de Totalement Sublime, où tu fais de la musique de film, où tu fais même de la musique instrumentale solo, moi j’ai La Sécurité et je pense que ça donne un autre horizon pour mettre d’autres couleurs dans la palette de couleurs de Choses Sauvages.
Marc-Antoine : Je pense qu’à part de collaborer aussi ailleurs, ça permet que… Je pense qu’au début, c’était notre seul projet, puis il y avait un peu plus une… Tu sais, tout le monde veut mettre son… Un peu de soi-là-dedans. Puis là, d’un moment à l’autre, on touche à d’autres trucs, puis ça fait qu’on est un peu plus au service du projet collectif. Il y a moins d’égo. Il y a moins d’égo, c’est un peu plus comme on le fait pour… OK, ça, ça fonctionne avec Choses Sauvages.
Tommy : On dirait qu’il y a surtout le premier et le deuxième album, on était très dans un genre de disco-rock, on amenait des petites guitares funky et on dirait que c’était collé à Choses Sauvages, c’était ça un peu. Moi, personnellement, mon idée de chose à l’heure, c’est qu’il fallait que ce soit dansant.
Puis, on dirait que c’est un peu à ce moment-là aussi que Marc s’est mis à faire des trucs avec Totalement sublime, qui vont complètement ailleurs. Puis Félix, avec La Sécurité, s’est mis à faire des trucs vraiment… C’est aussi groovy et tout, mais vraiment plus dans le post-punk.
Moi, de mon bord… Complètement autre chose. C’est tellement un side-project. Ça fait du bien. Je me souviens les premières fois qu’on jamait. C’est tout un style de musique, des trucs qui bûchent un peu plus, qu’on aime beaucoup. Quand il est venu le temps de s’installer pour le troisième Choses, on a vraiment fait comme « OK, là, le disco… »
Félix : Je me rappelle avoir rentré, quand on était dans le bed, en disant « Je suis plus capable. » « Je suis plus capable de ça.» Ça ne change pas tellement.
Tommy : C’est juste des petites guitares un peu disco.
Félix : C’est l’idée d’envoyer un peu du chic.
Tommy : Juste parce que ça faisait trop longtemps qu’on le faisait. Quand t’es trop bien dans… Ça s’est beaucoup fait aussi.
Félix : Je pense que c’était rendu un peu… Je trouvais qu’on tombait un peu dans le pastiche à un certain point.
Tommy : Ça fait 10 ans qu’on roule ensemble. Quand on a commencé, ça nous faisait vraiment tripper, mais de moins en moins.
Félix : J’pense que cette esthétique-là est arrivée avec pression. J’pense qu’on l’a brisée avec… Avec la chanson « Pression »? Avec la single « Pression », ouais. J’pense que là on est vraiment allés dans une autre zone, pis ça mettait un peu la table pour le reste de ce qu’on avait sorti.
LFB : C’est la maturité. (rires)
Félix : Ben oui, c’est ça, mais comme Marc-Antoine dit vraiment là, tu l’as vraiment bien dit, c’est-à-dire que maintenant j’pense qu’on tire moins la couverte de notre côté en mode genre, c’est ce que j’entends pour cette chanson-là, puisqu’on est au service du groupe, pis ça fonctionne dans l’entité Choses Sauvages. Plus que j’ai envie de faire ça, pis là on l’impose sur les autres. Pis les autres suivent ou ne suivent pas, pis là ben c’est là que ça crée des fois des chansons qui sont pas vraiment représentatives de personne. Ou qui sont représentatives de tout le monde, mais pas à 100%.
LFB : Ouais, c’est du Choses Sauvages. J’ai une dernière question qui est souvent la plus dure pour les gens, mais c’est ma nouvelle torture cette année.
Félix: Vas-y, vas-y. J’adore la torture.
LFB : Si vous deviez ranger cet album dans une bibliothèque à côté d’un film, d’un livre et d’un autre album, vous choisiriez quoi ?
Félix : Le film, tu vas y aller, j’imagine. Le livre aussi. Mais d’un autre album, moi, je peux le faire.
Marc-Antoine : Attends, il faut que je pense.
Félix : Un film, québ, là. Tu mettrais-tu ça à côté de Paul ?
Marc-Antoine : Non.
Félix : Non ?
Marc-Antoine : Ben je ne sais pas, je ne l’ai pas vu. Je sais que tu le connais.
Félix : Pour un disque, moi… Tu peux participer. Je t’ai dit que comme toi tu faisais rien… (sourire)
Tommy : Ça m’arrange de rien faire là-dessus. (rires)
Félix : Un livre… Moi on dirait que je mettrais un livre un peu… Un livre… Je peux pas en avoir lu beaucoup, mais genre, je vois les trucs… Quand il s’appelait ce type de gars qui écrivait… Fight Club ? Chuck Palahniuk? Ouais, un truc de Chuck Palahniuk, un peu anxiogène, un peu…
Marc-Antoine : Ouais, ça pourrait.
Félix : Ben, il y en a un qui s’appelle Survivant, pis c’est un truc de sectaire, pis je trouve qu’il y a souvent des trucs un peu genre sectaire, anxiogène, dans ce truc-là. Moi, c’est celui-là, en tout cas. Survivant, Chuck Palahniuk. Mettons, le film.
Tommy : Le film, on dirait que… Je sais pas, ça pourrait peut-être être un genre de Trainspotting. Trashy, mais quand même, comme… C’est drôle, un peu wacky.
Marc-Antoine : C’est vrai que même le texte à la fin, il y a quelque chose de critique de la société, mais positif en même temps, parce qu’il se sort de ça.
Tommy : On dirait qu’il y a quand même certains moments sur notre album si ce n’est pas humoristique du tout, mais par exemple, la fin de Big Bang avec une espèce de piano ultra cheesy. Ça, on était en studio, ça nous faisait rire. Ça casse un peu le… On s’amuse à travers tout ça.
Félix : Puis pour un disque, probablement que je le mettrais entre le 2 et le 4. (rires) Moi, ça serait mon… Comme ça, c’est en ordre. Ça serait ça. C’est une bonne idée, hein?
Crédit Photos : Félix Hureau-Parreira