Entrevue Musique & Enfance #13 : Jeanne Côté

Dans notre esprit, l’enfance et la musique sont fortement liées, l’un nourrissant l’autre et inversement. Cet été, entre la France et le Québec, on est allé à la rencontre d’artistes qu’on affectionne pour discuter avec eux de leur rapport à la musique dans leur enfance et de l’enfance dans leur musique. Des conversations souvent intimes et qui débordent parfois. Pour ce treizième rendez-vous, on repart à Petite-Vallée à la rencontre de Jeanne Côté.

La Face B : Est-ce que tu te rappelles de tes premiers souvenirs musicaux?

Jeanne Côté : Je jouais du piano quand j’étais petite. Je me souviens d’avoir essayé de faire des histoires avec le piano quand j’étais toute petite. J’ai un souvenir marquant : on écoutait la radio à tous les matins, pis à Radio-Canada ils passaient souvent la chanson « Les papillons » de (ndlr: Thomas) Fersen quand elle est sortie. J’avais 4 ans, et j’étais complètement folle quand ça jouait, cette chanson-là. On sortait les maracas, on dansait dans la cuisine. C’est un de mes souvenirs les plus marquants d’enfance.

La Face B : Cette question est un peu évidente pour toi, mais est-ce que la musique a toujours fait partie de ton existence d’une manière ou d’une autre?

Jeanne Côté : Oui, effectivement, un peu évident pour moi. Mais en même temps ça aurait pu ne pas m’intéresser, mais bon, j’avais pas ben ben le choix. J’ai grandi entourée du festival, pis entourée de musique. Mon père est un passionné, un curieux de musique, pis de musique un peu marginale aussi. Il arrivait toujours à la maison avec des piles de boîtes de CD quand on était petites, pis c’était un peu… C’était comme Noël à chaque fois, tu ouvres la boîte à cadeaux, puis on écoute des trucs. Ça faisait partie vraiment de notre culture familiale d’écouter de la musique ensemble.

La Face B : Tu as pratiqué un instrument dans ton enfance, est-ce que l’idée est venue de toi, ou est-ce que c’est tes parents qui t’ont poussée?

Jeanne Côté : Ma soeur est plus vieille que moi pis elle, elle a commencé à jouer du piano quand elle avait 3 ans. Moi, j’ai comme suivi ses traces. Ça allait de soi, mais ça ne venait pas de moi. Mais en même temps, je n’étais pas super assidue non plus, je n’aimais pas vraiment pratiquer quand j’étais enfant. Mais mes parents, à chaque fois qu’ils me menaçaient d’arrêter les cours, j’étais comme « non, non, non, je veux vraiment continuer« . J’ai continué, puis à l’adolescence, quand ma soeur est partie de la maison pour étudier, je me suis retrouvée avec tout d’un coup plusieurs heures toute seule à la maison avec l’instrument. Pis là, j’ai pogné la piqûre.

La Face B : Est-ce que tu as l’impression que la musique, c’était quelque chose qui devait venir de manière organique plutôt que scolaire, justement?

Jeanne Côté : Ouais, peut-être. Justement, je me souviens que c’était pendant que je pratiquais mes pièces classiques : à un moment donné, je me suis mise à vraiment aimer ça quand même, le piano classique. Je pratiquais 2-3 heures par jour en rentrant de l’école. Mais quand je faisais des erreurs pis que je trouvais que les erreurs sonnaient bien, là je me mettais à m’amuser avec ça, pis je partais dans mon petit monde. C’était une façon de m’exprimer moi-même. J’étais quand même timide aussi quand j’étais petite. Ça m’a permis d’explorer une autre façon de m’exprimer.

La Face B : En tout cas, c’est un médium qui t’a aidée justement à traverser l’enfance et l’adolescence.

Jeanne Côté : Absolument, parce que ce n’était pas évident, l’adolescence. Ici, on est un tout petit milieu, un petit village. On est 150 habitant.es. L’école secondaire regroupe 3-4 villages. J’étais un peu toute seule dans ma nerditude à l’école. Je n’avais pas beaucoup d’amis. Le fait de faire de la musique pis d’avoir envie de la présenter sur scène, ça m’a permis de me démarquer un petit peu, puis d’avoir de l’attention.

La Face B : Tu es rapidement montée sur scène, justement.

Jeanne Côté : Ouais. Il y a une chose qui s’appelle Secondaire en Spectacle ici, qui permet aux jeunes d’avoir des premières expériences de scène. Moi, je suis passée par toutes ces affaires-là.

La Face B : Et du coup, plus à travers le chant ou à travers justement le piano?

Jeanne Côté : Les deux. Je m’accompagnais en chantant. 

La Face B : Comment est-ce que tu as vu tes goûts musicaux évoluer de l’enfance à l’adolescence? Est-ce que t’as l’impression que tes goûts musicaux se sont figés, cristallisés sur quelque chose à un moment ou est-ce que ça continue d’évoluer?

Jeanne Côté : J’ai l’impression que ça a été beaucoup les mêmes choses pendant l’enfance, l’adolescence, même le début de l’âge adulte. J’écoutais beaucoup les mêmes affaires que mes parents écoutaient, en fait. Mon père étant très curieux comme je disais, il nous amenait beaucoup de nouveau stock. C’est plus à peu près vers 25 ans que je me suis mise à développer, explorer d’autres choses. Ça m’a fait du bien de sortir un peu de mes influences premières. Mais mes goûts musicaux ont toujours été quand même éclectiques, en passant de Joni Mitchell aux Beatles, à Pierre Flynn, à Urbain Desbois que personne ne connaît aujourd’hui, à Bertrand Belin, Mathieu Boogaerts, des chanteurs français… Alexis HK, les premiers albums, je les connais par cœur. Je pense que je suis la seule enfant de Petite-Vallée qui connaît les tounes d’Alexis HK par cœur. Marie-Jo Thério, des femmes aussi inspirantes, Klô Pelgag, Catherine Major

La Face B : Est-ce que tu as l’impression que tes goûts musicaux ont influencé ta musique, ou est-ce que tu as rapidement voulu te séparer de tes influences pour créer quelque chose à toi?

Jeanne Côté : Ils l’ont beaucoup influencée, je pense, au début. Pis là, justement, mes goûts évoluent, je deviens curieuse de choses qui viennent d’ailleurs aussi, dans d’autres langues. J’ai l’impression que maintenant, ça, c’est en train de changer ma façon de créer.

La Face B : Parce que j’ai l’impression qu’ici, c’est vrai que c’est très centré sur le chant francophone. Du coup, aller chercher d’autres choses, c’est quelque chose qui t’ouvre aussi à d’autres cultures.

Jeanne Côté : Oui exact, et à d’autres façons de faire des mélodies, de faire des arrangements aussi. Je trouve ça intéressant d’aller voir ailleurs, les racines sont importantes, mais hop, on va aller faire fleurir ça dans d’autres sens.

La Face B : Est-ce que tu te souviens du moment où tu as réalisé ou que tu as décidé que ce que tu voulais faire pour toute ta vie, c’était de la musique?

Jeanne Côté : Non, parce que je ne prends pas ça pour acquis non plus. Ça a été très dur de partir ma carrière. Ça fait comme dix ans que je bûche à essayer de lancer des choses. Là, depuis trois ans, il y a quelque chose qui prend. J’ai l’impression que ça commence à vouloir marcher, et il y a tout le temps des trucs qui alimentent la roue. Mais sept ans avant, je me posais tout le temps la question « Est-ce que ça va vraiment marcher? Est-ce que je vais bûcher comme ça sans aucun retour toute la vie?« . Finalement, des trucs ont débloqué. Mais je pense qu’à partir du moment où je me suis mise à avoir du plaisir sur scène, là, je me suis dit que ça allait être possible. Pis ça, c’est arrivé en 2021, genre.

La Face B : Est-ce que tu as l’impression que le « poids familial » a été un peu une espèce de boulet qui a été difficile pour te faire avancer? Un truc qui te ralentit un peu, ou d’avoir des gens qui ont des attentes démesurées ou des gens qui vont te juger…

Jeanne Côté : Non, ça n’a pas été tant un boulet que ça. Je me suis toujours sentie très encouragée par ma famille. Je ne pense pas qu’il aimerait ça que je dise ça, mais mon père aussi, il a fait des concours de chansons quand il était plus jeune, puis il essayait de percer avec ses propres chansons. Je pense qu’il se projetait un peu et il voyait que moi, je bûchais aussi et que ça ne marchait pas comme je voulais. Je pense qu’il se disait « Je lui ai donné ma malédiction » (rires). À un moment donné, j’ai cru à ça moi aussi jusqu’au moment où ça s’est mis à fonctionner. Je ne me suis jamais sentie vraiment jugée. J’ai toujours eu la chance d’avoir des gens qui connaissent ça et qui peuvent me donner leur avis sincère mais toujours en forme d’encouragement.

La Face B : Pour étendre la création musicale, quelle part d’enfance tu fais exister dans ta musique?

Jeanne Côté : Je pense que j’ai toujours été de nature sentimentale et nostalgique. C’est souvent un élément déclencheur les souvenirs d’enfance, les feelings que je ressentais quand j’étais enfant… surtout pour mon premier album. Pour le deuxième, ça commence à aller un peu ailleurs. Je pense que c’est plus des questionnements que je me pose aujourd’hui en tant qu’adulte. Mais en même temps, j’ai une chanson qui s’appelle Vent d’sud sur mon dernier album qui est associé pour moi à un feeling que je ressentais quand j’étais enfant, quand il y avait des grands vents de sud qui passaient sur la Pointe. C’est mon premier contact avec les émotions d’enfance. Je pense que ça influence ma façon de ressentir les choses aussi en tant qu’adulte. Clairement, ça vient se combiner dans les chansons.

La Face B : Est-ce que tu penses que c’est important de garder une forme de pureté et presque de naïveté quand tu crées de la musique?

Jeanne Côté : Oui, absolument. On dirait que la théorie disparaît quand je me mets à écrire des chansons. J’y vais vraiment avec l’intuition. Ça m’amuse. Je m’amuse avec ça, c’est un jeu pour vrai. Il y a une part d’enfance dans ce jeu-là, dans cette liberté qu’on a de créer. C’est vraiment comme si je voyais le terrain de jeu avec des balançoires. Tu mets les choses ensemble.

La Face B : Est-ce que tu penses que c’est compliqué dans un monde musical qui est presque plus adulte de garder une part de tendresse enfantine?

Jeanne Côté : Oui, parce qu’on est dans une industrie qui veut des choses efficaces, qui veut qu’on fasse de l’argent, qui veut qu’on fasse des streams… Mais en même temps, en ce moment, j’ai l’impression que l’industrie s’écroule d’une certaine façon parce que les modèles anciens ne fonctionnent plus. Les nouveaux modèles sont en train de nous manger la laine sur le dos. Mais ça fait en sorte que pour sortir du lot, tout ce qu’on a à faire, c’est de suivre notre propre voie et de faire les choses comme on le souhaite. J’ai l’impression que depuis que je fais ce que je veux comme je le veux, ça marche mieux qu’avant. Donc je me dis que c’est peut-être une tendance générale à suivre, de garder la liberté et la joie dans la musique parce que si on pense tout le temps à l’industrie à côté, on n’avance pas, on n’aura pas de plaisir. C’est à ça que ça sert aussi. On est là pour faire vivre des choses aux gens pis à nous aussi.

La Face B : Si tu devais choisir trois morceaux qui t’ont accompagné dans ton enfance, dans ton adolescence et qui continuent de t’accompagner aujourd’hui ?

Jeanne Côté : Il y aurait « Le vent se lève » de Pierre Fillon. Il y aurait « Far away » de Martha Wainwright. Puis il y aurait « Nehemie d’akkade » sur l’album 2000 de Mathieu Boogaerts que j’ai beaucoup écouté quand j’étais petite.

La Face B : Et si tu devais choisir un de tes morceaux pour faire découvrir ta musique à un enfant, et pourquoi?

Jeanne Côté : « Ouragans« . Elle est très joyeuse, très dansante. Il y a un petit riff de piano qui est très entraînant, j’ai l’impression. Et un refrain qui se chante bien.

La Face B : Si un enfant venait te voir pendant le festival et te disait qu’il voulait être musicien, qu’est-ce que tu lui dirais et qu’est-ce que tu lui conseillerais ?

Jeanne Côté : Je lui conseillerais de garder le plaisir au centre de ses objectifs. Que ce soit toujours le fun et de profiter de chaque instant. Quand tu es sur une scène, tout passe tellement vite. Moi, j’aurais aimé ça en avoir conscience avant. Sur scène, tout passe tellement vite que si tu as une chanson à chanter, que tu es dans ta tête et que tu es stressé.e du regard des gens, tu vas sortir de là et tu n’en auras pas profité du tout en fait. Alors que si tu es là, présent.e pour chacune des secondes qui passent, tu vas en sortir grandi.e avec un souvenir qui reste. Probablement que ça va avoir fait plus de bien aux autres aussi et à soi-même.

La Face B : J’ai une dernière question. Est-ce que tu as gardé quelque chose de ton enfance dont tu ne te sépareras jamais?

Jeanne Côté : Quand j’étais petite, j’écrivais beaucoup. Avant de me mettre à faire plus de musique, je voulais devenir écrivaine. Je lisais énormément, je lisais des romans pour ados. Mon but dans la vie était de devenir écrivaine. À chaque fois que j’avais une idée d’histoire, j’avais une espèce de boule d’excitation au ventre. J’essaie de l’invoquer quand j’écris encore aujourd’hui. C’est ça, l’impulsion première qui fait que j’ai le goût de créer.

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