Beirut : « Ce que je recherche à ressentir, c’est ce moment goosebumps »

Il y a des artistes qui font que nos agendas se libèrent comme par magie de toute contrainte de temps, de lieu ou de rendez-vous déjà accepté. Ainsi, quand on nous a proposé de rencontrer Zach Condon, l’homme qui se cache derrière Beirut, notre emploi du temps est rapidement devenu une grande page blanche. Et si sa musique nous touche en plein coeur, on s’est retrouvé face à un homme rempli d’humanité, qui a tenté de répondre à nos questions en français. On a pu parler de son nouvel album Gallipoli, de ses voyages, de son retour aux sources de sa musique ainsi que de sa crainte des concerts.

La Vague Parallèle : Pour commencer, comment ça va ? Content d’être en Europe ?
Zach : Ça va bien. Oui j’y habite, je vis à Berlin depuis 2 ans.

LVP : C’est un endroit qui te plaît ?
Zach : Ouais beaucoup, depuis très jeune. Ma mère était très intéressée par l’architecture, elle était architecte et elle me transmettait beaucoup à ce propos, elle m’a donné des livres, des magazines. Elle travaillait à Santa-Fe, son idée pour la ville, qui est une ville très ancienne et historique, c’était de garder l’esprit de l’authenticité européenne. Elle ne voulait pas la voir comme des terrains vagues américains.

LVP : Justement, tu utilises beaucoup de noms de villes pour tes chansons, est-ce que tes voyages continuent d’influencer ton écriture ?
Zach : Ouais, c’est vrai. En fait ça me manquait sur le dernier album. Je me manquais. Quand j’étais jeune, je voulais voyager partout, je me disais « faut que tu ailles là, là et là » et cette fois-ci, cet état d’esprit me manquait parce que j’habite ici, j’ai fait l’album à moitié à New York, à moitié en Italie et un peu à Berlin aussi mais l’album pour moi était très fort par rapport aux autres albums. Du coup j’y ai mis des titres que je donnerais à mes chansons si j’avais encore 19 ans.

LVP : Justement je trouve que Galipolli est ton album le plus varié au niveau des styles mais en même temps, ça ressemble à un retour aux sources, comme tu le disais. Je me demandais comment tu avais conçu l’album, quel a été ton point de départ ?
Zach : J’avais pas de plan de départ. C’était vraiment étrange alors quand j’ai commencé, je me disais seulement que je voulais faire presque tout moi-même. Les instruments, la production, les arrangements avec les cuivres, comme pour les deux premiers albums. J’étais presque tout seul quand je les ai faits. Donc ça, c’était une limite. L’autre limite, étant que Beirut a un vrai son unique et je me disais que c’est important de rester dans cette signature.

LVP : C’est vrai qu’avec No No No, tu t’en étais un peu éloigné.
Zach : Ouais bien sûr mais c’était nécessaire pour moi parce que j’étais dans une mauvaise année à ce moment-là. Pour cet album-ci, j’ai appris quelques astuces de No No No, notamment des mouvements très importants et qui m’ont beaucoup appris. Mais quand cet album et la tournée se sont terminés, j’avais vraiment hâte de retourner au studio et de faire ce retour aux sources.

LVP : No No No t’a permis de fermer un chapitre un peu difficile de ta vie et de pouvoir repartir sur quelque chose de plus sain ?
Zach : Exactement.

LVP : Finalement, en allant sur les réseaux sociaux, je me suis rendu compte que Beirut était devenu un groupe un peu énorme. Est-ce que tu as une pression particulière quand tu recommences un album et est-ce que tu arrives à te couper des attentes qu’ont les gens ?
Zach : Pour The Riptide et No No No, ça a été un grand problème, beaucoup d’angoisse. C’est bizarre d’être un musicien professionnel et savoir que tout ce que tu fais sera critiqué, écouté et jugé par un grand public. Pour ces deux albums, j’avais très peur. Mais cette fois-ci, je me suis promis de travailler en silence, sans ce cercle vicieux de pensées. Je me disais que ce serait un cadeau pour les fans si j’arrivais à taire l’idée que l’album serait un jour entendu par quelqu’un d’autre que moi. Quand j’ai commencé à écrire comme ça, cet album a coulé de source rapidement et facilement.

LVP : Tu as fais l’album pour toi finalement, avant de le penser pour les autres ?
Zach : C’est pas égoïste, c’est mieux pour les fans car l’album sera mieux si tu arrêtes de penser comme ça.

LVP : Quand j’écoute ta musique, j’ai une sensation étrange. Je suis à la fois très mélancolique mais aussi très heureux. Je me demandais si pour toi, c’est une étiquette qui colle à ta musique ?
Zach : Pour moi, c’est positif. Quand j’écris de la musique comme ça, c’est exactement ça que je veux sentir parce que dans les films c’est le moment goosebumps, chair de poule. Je ne sais pas pourquoi mais quand j’écris, je ressens exactement la même chose alors si tu l’entends aussi, c’est parfait. C’est une belle émotion, attentionnée. Ce n’est pas une émotion morte ou dépressive, c’est plus profond que ça.

LVP : Comme tu le disais tout à l’heure, tu composes tout seul ta musique et tu joues de chaque instrument mais tu penses que Beirut pourrait exister sans les musiciens qui sont en tournée ?
Zach : Non, pas vraiment. Ils sont nécessaires. Paul et Nick, le bassiste et le batteur, sont les personnes les plus importantes au monde quand je fais un album. Parce que oui, je l’écris tout seul, je fais les arrangements, je joue tous les instruments, mais il y a toujours un moment où j’arrête et je n’en peux plus. Je ne sais plus comment avancer. Ils arrivent dans le studio et ce sentiment disparaît. Je ne sais pas ce que c’est mais c’est absolument nécessaire. Je joue avec eux depuis mes 18 ans. Ils me comprennent bien.

LVP : Est-ce que tu apprécies toujours autant de partir en tournée ou parfois ça peut aussi être une souffrance ?
Zach : (rires) Faire les concerts, c’est très dur pour moi. La performance n’est pas naturelle pour moi, pas du tout. Je n’étais pas comme ça étant jeune. Quand j’ai commencé à écrire des chansons, je me sentais complètement flippé à l’idée de monter sur scène devant un public malgré toute l’excitation que m’apportait l’écriture. Ce n’est pas vraiment la phobie de la scène, c’est plus que je me sens mal à l’aise en étant sur scène car j’ai l’impression de ne pas y avoir ma place. Je me sens à la fois comme un imposteur et je ne sais pas ce que les gens veulent voir. Mes fans sont géniaux et je n’ai pas besoin de faire le show si je ne le sens pas, je peux juste me concentrer sur la musique et les gens ont l’air heureux.

LVP : Quel rapport tu entretiens avec tes fans, ça ne t’effraie pas de voir autant de dévotion parfois ?
Zach : Oui c’est un peu ça. Je sais pas exactement pourquoi je suis comme ça.

LVP : Tes émotions touchent les gens.
Zach : Ouais, j’ai pu voir ça. Quand quelqu’un m’arrête dans la rue pour me dire « j’écoute ta musique, j’ai vu ton concert, c’était très émouvant », chaque fois c’est incroyable d’entendre ça et que ça fonctionne.

LVP : Je trouve qu’il y a un côté très cinématographique dans ta musique, ça t’influence ? Est-ce que tu aimerais écrire pour le cinéma ?
Zach : C’est marrant, parce que j’ai essayé d’écrire pour les films et ça ne fonctionnait pas. C’est parce que, quand je commence à écrire, c’est pas genre « j’ai une émotion, j’en fais une chanson » c’est plutôt comme si je suivais l’inspiration, je me laisse porter une fois les mains sur le piano. Donc quand on me donne une scène de film et que je suis assis à essayer d’écrire pour la scène, ça ne donne rien. Rien ne se passe, c’est la page blanche complète. Mais évidemment, je suis inspiré par des musiques de films. Les films ont été une grande part de mon éducation musicale. Si un réalisateur veut travailler avec moi, je lui dirais « laisse moi juste écrire une centaine de démos et je te les donne, choisis en une et dis-moi laquelle je dois perfectionner ensuite » parce qu’autrement ça ne fonctionne pas.

LVP : Il faudrait qu’il fasse le film à partir de ta musique.
Zach : Ouais, exactement.

LVP : Si je ne me trompe pas, tu as vécu en France. Tu as fais des reprises de groupes français. Est-ce que tu continues à écouter de la musique française ?
Zach : Ah mais bien sûr ! J’aime bien. Depuis que j’ai 15 ans, j’essaie de parler et perfectionner mon français. Maintenant j’habite Berlin et l’allemand c’est un peu dur… (rires). Alors, je viens ici à Paris chaque mois mais maintenant je préfère vivre à Berlin. Peut être que je reviendrai ici, je ne sais pas encore.

LVP : Est-ce qu’il y a des groupes français récents que tu as découvert ?
Zach : Oui. J’aime bien Christine and the Queens. Sa chanson Hit est l’une des meilleures chansons pop que j’ai entendues. Mais sinon, je n’ai pas écouté beaucoup d’artistes actuels. Et depuis longtemps en fait. Je suis plutôt Aznavour, Jacques Dutronc, Françoise Hardy.

LVP : Justement, j’ai écouté Message Personnel en arrivant pour l’interview, je la trouve incroyable.
Zach : Ouais, c’est vrai.

LVP : Sur ta page Facebook, j’ai vu que tu soutenais le programme HANGARMUSIK et je me demandais comment tu mettais ta notoriété grandissante au service de causes ?
Zach : Même si la musique est trop importante pour moi pour la mélanger à la politique, de nos jours j’essaie quand même de donner un coup de main. Avec notre tournée américaine par exemple, 50 cents ou 1 dollar étaient reversés à une association pour les réfugiés pour chacun de nos billets vendus. Je fais la même chose en Allemagne. On se produit aussi pour des concerts caritatifs aux Etats-Unis, ce genre de choses. Ce qui se passe de nos jours est triste mais c’est important de vivre avec ces choses-là. Et la musique c’est sacré pour ça.

LVP : Ça t’influence ces choses là ?
Zach : Oui, quand tu voyages beaucoup, c’est vraiment dégueulasse de voir tout ça. Partout où je vais dans le monde, les gens sont les mêmes êtres humains merveilleux ou parfois terribles et ça me rend fou de voir à quel point les gens ont peur en ce moment à propos de choses qui n’existent pas. Leurs peurs sont basées sur des choses qui n’existent pas et ça engendre de la souffrance dans le reste du monde.

LVP : Que peut-on te souhaiter pour 2019 ?
Zach :  Que je survive à la tournée ? (rires). Ce sera tout cet été et l’hiver, j’écris.

Retranscription : Léa Goudenhooft