The Books Of Traps And Lessons, l’épure poétique de Kate Tempest

Auteure, poétresse, romancière, femme de théâtre, Kate Tempest est une artiste comme il en existe peu. Cette amoureuse des mots revient aujourd’hui avec The Book Of Traps And Lessons, trois ans après un incendiaire Let Them Eat Chaos, la jeune femme n’a rien perdu de sa verve et de son talent mais transforme son jeu pour enfoncer définitivement le clou et en profiter pour éclater la planche.

Si les mots sont une arme, Kate Tempest est une guerrière. Cette idée résonne en nous depuis que notre chemin musical a rencontré la Londonienne. À l’époque, elle posé sa voix pour un groupe, les excellents Sound Of Rum dont l’unique album, Balance, reste à ce jour un classique et un album qui nous fout toujours le cul par terre à chaque écoute. Les choses n’ont pas vraiment changé avec ses deux albums solos, Everybody Down et Let Them Eat Chaos, son poème antique Les Nouveaux Anciens et son monumental roman Écoute La Ville Tomber. Les mots, toujours les mots pour disséquer une époque, pour exprimer les peurs, les fantasmes, les envies d’une génération. Car jusqu’alors, si Kate Tempest exprimait ses opinions, c’était souvent sous couvert d’histoires, de personnages derrière lesquels elle se cachait plus ou moins. The Books Of Traps And Lessons vient changer cette donne et nous offre un album qui joue à la fois sur une simplicité stupéfiante autant que sur une densité presque étouffante. Alors on a ouvert le livre, on est tombé dans les pièges et on a retenu les leçons.

Mais est-on vraiment face à un album ? C’est la question qui nous habite à la première écoute, et lors des suivantes aussi. D’une certaine manière, The Books Of Traps And Lessons pourrait se rapprocher du travail de Kate Tempest sur Les Nouveaux Anciens. Un long texte, un spoken-word infini qu’elle nous récite et divise en chansons. Fruit de son travail avec la légende Rick Rubin, les 11 titres sont épurés à l’extrême, des intonations électroniques à gauche, une trace de violon à droite, une nappe de piano et un rythme de batterie ici, qui habille au minimum les morceaux pour une bonne et simple raison : mettre le texte en avant. Ici chaque phrase est une sentence, chaque mot claque, résonne et on s’imprègne de son odeur, de son utilité, des images qu’il nous amène. Les silences, les respirations, tout a son utilité et nous emporte en apnée à travers les mots de Kate Tempest.

Cette longue histoire, dresse une nouvelle fois le constat d’un monde qui part à la dérive, la Londonienne pointe une loupe sur les vices d’une époque, sur ses failles mais aussi sur ce qui peut la sauver. Car si les médias, la solitude, les réseaux sociaux, le racisme et l’enfermement de l’Angleterre sont une nouvelle fois pointés du doigt, que ce soit sur la puissante Brown Eyed Man, la rageuse Keep Moving Don’t Move ou l’impressionnante All Humans Too Late c’est l’amour qui nous sauvera tous, qu’il soit incandescent et désespéré sur Thirsty, léger et teinté de soul sur I Trap You ou doux sur Firesmoke c’est lui qui finit par jouer les premiers rôles de l’histoire, comme un élixir à toutes les saloperies qui peuvent joncher la vie, l’amour nous aidera à éviter les pièges et à retenir les leçons et c’est en douceur et presque apaisé que The Books Of Traps And Lessons se termine avec People’s Faces, conclusion magnifique et mélancolique qui résume tout ce qui Kate Tempest nous raconte depuis les premiers mots de Thirsty : si le monde se disloque, il restera toujours quelque chose à voir, toujours quelque chose à sauver. Une conclusion douce-amère mais qui préfère regarder droit dans la lumière plutôt que de chercher à observer son ombre.

Alors oui, on a bien conscience que The Book Of Traps and Lessons n’atteindra pas tout le monde, que son austérité de façade, que son minimalisme musical pourra en laisser certains sur le carreau. Mais les amoureux de Kate Tempest y trouveront son œuvre la plus folle, la plus ouverte et la plus intime. Un monument, une pièce hip hop immense qui marque durablement celui qui l’écoute vraiment à une époque ou tout n’est que vanité, égo-trip et légèreté, l’auteure tape fort et tape bien. Qu’on se le dise, Kate Tempest est notre reine.