La musique Diabolique de l’Épée

C’est drôle les rêves. On ne s’en souvient pas toujours, mais au réveil, ils laissent parfois une trace diffuse, des images, des sensations qui se collent à nous et qu’on ne parvient pas à décrypter. La légende dit que c’est dans un rêve qu’Anton Newcombe a vu apparaître à lui cette idée : le projet qu’il était en train de bâtir avec The Limiñanas et Emmanuelle Seigner devrait s’appeler L’Epée et leur premier album Diabolique. Chose faite donc avec un premier album qui agit comme le rêve brumeux d’une époque.

Il existe une différence fondamentale entre la nostalgie et le fantasme. La première nous pousse à regarder derrière nous avec une forme de tristesse, nous interrogeant autant sur le passé que sur l’avenir, un sentiment doux-amer pas forcément négatif mais qui parfois nous empêche d’avancer réellement. Le fantasme, lui, nous conduit à imaginer le passé, à le redéfinir sous notre prisme pour le ramener vers aujourd’hui. Réinventer hier pour le moderniser, voilà la moelle épinière du fantasme musical et le centre névralgique du Diabolique de l’Épée. Dix chansons qui rêvent une époque qu’aucun d’eux n’a vécue mais qu’ils portent pourtant tous dans leur ADN.

On le sait, ces quatre là sont dans leur domaine des puits sans fin de connaissance, ils connaissent leur sujet sur le bout des doigts. Mais loin de faire un album d’érudits, c’est un album d’amoureux de la musique qu’ils nous livrent, accessible à tous, où le rock revient à l’essence de ce qu’il doit être : une musique universelle qui doit s’offrir à tous.

Cet album est aussi porté par le sens du collectif : Mathilde chante, Lionel et Marie composent et Anton mixe et produit. Loin de chercher à se tailler la part du loup, cette aventure fait plus l’effet d’une meute de loups, où chacun va nourrir l’autre pour le pousser à aller plus loin, à donner le meilleur de lui-même. En résulte un album directement addictif et envoûtant, qui navigue tranquillement entre le français et l’anglais, entre yéyé et psychédélisme, se cherchant entre ombre et lumière.

On explore ainsi une collection de titres à la colonne vertébrale claire mais qui varie dans ses couleurs, ou dans ses intentions. Impossible ne pas se retrouver ensorcelé par La Brigade Des Maléfices, Grande ou Lou, titres intenses et psychédéliques qui poussent à la transe et finissent par obséder complètement. Difficile de ne pas être impressionné face aux murs sonores que peuvent être Ghost Rider, Last Picture Show ou Une Lune Étrange, de ne pas vouloir tracer la route vers le soleil dans une décapotable en écoutant Springfield 61, Dreams, titre à l’humour ravageur et au girl power qui fait du bien, ou de ralentir doucement le rythme avec Grande et Un rituel inhabituel.

Enfin, comment ne pas citer la présence de Bertrand Belin, à l’écriture sur Lou, Grande et On dansait avec elle, probablement la plus belle chanson de l’album, qu’il partage avec Mathilde Seigner et qu’il imprègne de toute sa classe, offrant un titre crépusculaire et à l’émotion tranchante comme la lame d’une épée.

Vous l’aurez compris, L’Épée est un travail collectif, un voyage fantasmagorique dans une époque qui a vu naître tous les courants musicaux encore vivants aujourd’hui. Loin de céder à la facilité, loin de jouer sur le cérébrale, Diabolique est un album populaire comme tous les albums de rock devraient l’être. Une petite merveille qu’on a pas fini d’écouter.