Derrière chaque interview il y a une histoire. Cette interview de Charlotte Adigéry date du mois de mars : tandis qu’elle prenait le train pour la France, on lui avait transmis nos questions pour y répondre. Perdue puis retrouvée, on vous la dévoile aujourd’hui alors qu’elle s’apprête à être une des têtes d’affiche de la réouverture du Grand Mix avant de retourner le Badaboum le 23 octobre. Rencontre avec une des artistes les plus excitantes du moment.
La Face B : Comment ça va Charlotte ?
Charlotte Adigéry : Ca va très bien, merci. Je me sens un peu sur mon petit nuage en ce moment, par rapport à tout ce qui m’arrive et les propositions qui me sont offertes. Je suis de plus en plus inspirée et déterminée à faire de la musique… Donc je suis un être-humain vraiment heureux.
LFB : Zandoli semble être ton projet le plus personnel à ce jour. Comment s’est passée la création de ces chansons ?
C.A : Je ne pense pas que Zandoli soit mon projet le plus personnel. À mon sens, WWWater l’est tout autant. Je raconte juste des histoires différentes. Avec le projet WWWater, j’écris plutôt des chansons à propos de mes émotions et de mes traumatismes. En tant que Charlotte Adigéry, je passe plus du temps à observer et à décrire ce que je vois. Par exemple, dans le morceau High Lights, je parle et pense à la communauté de femmes noires qui s’affirment grâce à leurs cheveux. C’est un peu un high five à toutes ces femmes qui ont le droit de faire ce qu’elle veulent. Il y a un point de vue plus narratif dans ce projet, où je décris ce qui m’intéresse.
LFB : Ce qui ressort en premier lieu de ta musique, c’est son côté physique et presque instinctif. Est-ce que tu envisages ta musique comme un exutoire pour ton public ?
C.A : C’est selon moi une musique très intuitive et instinctive. La musique doit être interactive. Les meilleurs retours que je puisse recevoir, c’est savoir que les gens se reconnaissent à travers ma musique. J’aime également voir leur animalité, quand ils dansent et sont envahis par l’énergie que dégage ce que je fais. Par exemple, la musique traditionnelle créole comme le Gwoka est une musique qui invite à cette transe, et à méditer également. J’espère que ma musique a le même effet sur les gens, sans les forcer cependant.
LFB : Sans vouloir intellectualiser trop la chose, on sent quand même sur cet EP une teneur politique et sociétale assez importante. Est-ce que l’idée t’es venue dès le départ ?
C.A : C’est un sujet délicat. Je ne suis pas vraiment militante dans ma musique, mais je parle des choses que j’ai vues ou expérimentées et qui devraient être dites. Je ne dirai pas cependant que c’est politique. Mais dans High Lights, on peut considérer que le choix esthétique des cheveux des femmes est une sorte de déclaration politique. Ça a notamment été le cas dans les années 1970, quand les personnes noires de peau ont commencé à ne plus lisser leurs cheveux et à garder leur afro. Cela a été la preuve d’une véritable affirmation, afin de s’opposer à l’oppression des personnes blanches. On retrouve toujours ce genre de mouvement aujourd’hui : les femmes noires apprécient porter des perruques afin d’affirmer qui elles sont. BBC est un autre morceau qui parle du « tourisme du sexe » en Gambie. C’est quelque chose que j’ai vu dans des films, et j’ai voulu en parler. Il n’y a pas de jugement ni de condamnation dans cette chanson, juste une volonté d’expliquer les deux points de vue : celui des hommes et celui des travailleuses du sexe. Il n’y alors pas vraiment de but politique, c’est juste des histoires que j’ai envie de raconter.
LFB : Tes origines semblent être un point central sur les titres que tu présentes aujourd’hui. Est-ce qu’on peut dire que Zandoli représente ton ADN musical, un EP comme une carte de visite pour appréhender ce que tu vas faire par la suite ?
C.A : En faisant de la musique avec Boris Pupul, on a beaucoup échangé à propos de notre héritage et je pense que c’est quelque chose qu’on a voulu voir plus présent dans notre musique. Parce que nous avons l’identité belge mais aussi l’identité chinoise de son côté et l’identité caribéenne de mon côté, et c’est quelque chose qu’on voulait explorer et utiliser dans notre musique. Ton histoire est toujours très intéressante et tu peux t’en servir pour écrire ta musique et ça en est d’autant plus intéressant. C’est un métissage de deux mondes que nous avons commencé à faire, je ne sais pas ce qu’on fera à l’avenir mais je pense que ça nous a vraiment aidés à mieux définir qui nous sommes.
LFB : Comment envisages-tu la place de la femme dans l’industrie musicale, pas uniquement en tant que musicienne mais en tout ce qui la compose ?
C.A : Je ne me suis jamais sentie comme une victime dans l’industrie de la musique. J’ai déjà entendu de mauvaises blagues ou des remarques horrible comme quelqu’un qui disait qu’il s’était masturbé sur mes photos sur Facebook. C’était un manager et je pense qu’il voulait obtenir quelque chose en faisant ça, je ne sais pas si ça a déjà marché mais pas avec moi. Mais je n’ai jamais eu le sentiment d’avoir moins opportunités qu’un homme. Je ne pense pas que les femmes soient directement discriminées en actes. Je pense qu’il y a moins de femmes dans l’industrie de la musique, parce que moins de femmes ont l’inspiration pour le faire ou qu’elles n’ont pas les mêmes références. Je ne sais pas, c’est une question difficile pour moi mais je n’en ai pas l’impression, en Belgique et dans tous les endroits où je suis allée jusqu’à présent je n’ai pas ressenti de sexisme. Ah si, une chose qui m’énerve vraiment c’est quand sur scène, ou quand tu arrives quelque part, et que les gens veulent parler aux hommes. Comme si je n’y connaissais rien, comme si j’en saurais moins à propos de tout ce qui est technique, mais je connais ces choses-là et c’est juste une réflexion étrange d’aller directement vers les hommes.
LFB : Tu as grandi en Belgique, pays carrefour de l’Europe et cosmopolite. En quoi grandir en Belgique a imprégné ta façon de voir la musique ?
C.A : Je ne pense pas réellement avoir une façon belge de faire de la musique, parce que parfois je suis énervée par la peur qu’ont beaucoup d’artistes dans la musique, de ne pas avoir confiance dans leur histoire, de se dire que ce n’est pas assez et de créer un personnage qui n’est pas authentique. Je ressens ça, un manque de sincérité dans la musique belge, même s’il y a aussi beaucoup de très bons musiciens en Belgique bien sûr. Peut-être que je suis trop impliquée pour vous dire ce qui fait un musicien Belge, ils s’adaptent facilement, on n’est pas aussi chauvin que nos voisins (rires). Il y a une ouverture et un éclectisme, il y a beaucoup à voir et à faire et beaucoup de genres qui sont nés en Belgique comme le New Beat et d’autres genres électroniques. Je ne sais pas ce qui fait ça, il y a un aspect brut parfois mais j’ai le sentiment qu’on l’a un peu perdu, j’espère que ça reviendra.
LFB : Quelle est la différence entre ton projet WWWater et Charlotte Adigéry ?
C.A : Ça sonne complètement différemment. Je pense que si vous venez voir les deux en concerts vous verrez la différence. WWWater est beaucoup plus punk, brut, vraiment non raffiné et avec Charlotte Adigéry on essaie non pas de raffiner ça commercialement parlant mais c’est plus pailleté, conceptuel et c’est également plus basé sur la musique électronique, avec beaucoup de synthétiseurs et également l’expertise de Boris, Stephen et David Dewaele qui nous aident également. Pas dans le processus complet mais ils nous guident parfois quand on est bloqué ou bien ils nous disent “on peut faire un morceau à 110 de tempo” et on le fait. Ils nous aident, ils sont là pour vraiment explorer et creuser aussi loin que possible. J’ai commencé à écrire l’EP seule, et j’ai rencontré Steve Slingeneyer, c’est le batteur de WWWater et on a commencé à jouer ensemble. Il est aussi très brut et très punk dans sa musique. Dans sa composition, son approche, et Boris également, il est dans les deux projets mais c’est complémentaire. Je peux raconter une autre histoire avec WWWater que celle de Charlotte Adigéry.
LFB : Comment on travaille avec les frères Dewaele ? Quelles influences ont-ils sur ta musique ?
C.A : Ils te poussent à aller plus en profondeur et tu leur fais confiance parce qu’ils adorent ce qu’ils font. Ce sont de bons mentors mais sans être interventionnistes, ils nous laissent faire et quand le morceau est terminé à 80 ou 90% ils viennent, ou parfois plus tôt mais dans ce cas-là ils nous laissent faire ce qu’on fait. Ils savent quand nous laisser faire et quand intervenir. J’ai découvert beaucoup de musiques avec eux parce qu’ils ont la plus grosse discothèque du monde.
LFB : Est-ce que tu envisages tes compositions pour le live ou est-ce que tu les transformes par la suite ?
C.A : Quand tu écris tu penses toujours au public. J’essaie d’imaginer le ressenti. On fait de la musique et ensuite on l’essaie quelques fois en live et si quelque chose ne fonctionne pas, on l’adapte. C’est la meilleure façon de faire mûrir une chanson. La travailler en studio et juste l’essayer, sans s’attendre à ce qu’elle soit parfaite du premier coup. Il faut se lancer.