2019-2019 : Le Club Monde de Bagarre

2019 a vu s’enchainer un nombres d’événements assez incalculable. Depuis le début de l’année, le fil continu de l’information n’a cessé de nous nourrir encore et encore autant d’amour et de joie que de peur et d’anxiété. Et si le monde avance inexorablement, nous aussi. Ce mélange d’universel et de personnel finit donc par créer un mélange explosif chez chacun. Cette idée, cette mixité des événements est au cœur de 2019-2019, le nouvel album de Bagarre.

Naissance et mort en 365 jours. Une année a forcément une date de péremption, elle existe comme un chiffre qui disparaît et dont on se rappellera. Elle deviendra à l’aube de l’existence de celle qui suit un marqueur temporel, un chiffre qu’on utilisera pour se rappeler des événements, des moments, des chocs. En un sens, on peut donc se demander si une année mérite un épitaphe ? Doit-on graver dans l’instant ce qui l’a défini comme on le ferait pour une personne ? Bagarre a répondu à cette question en nous proposant 2019-2019, marqueur temporel aussi personnel que global sur une année qui a vu s’alterner autant le pire que le meilleur, pour eux comme pour nous. Bienvenue dans le club monde de Bagarre.

Se regarder métaphoriquement dans un miroir. Observer les traces, les failles, les cicatrices qu’a apposé la vie sur soi. Regarder dans un miroir pour se regarder soi, mais surtout pour regarder l’arrière-plan, regarder le monde qui grouille autour et qui, avec ou sans notre consentement, laisse aussi ses marques sur notre existence. On ne voit pas meilleure façon de décrire les sept titres qui font le corps et l’âme de 2019-2019. Car c’est bien de ça qu’il s’agit ici, poser un regard instantané sur soi et sur une époque, dévoiler la brutalité comme les espoirs d’une époque fixée.
Pour ceux qui, comme nous, suivent Bagarre depuis leurs débuts, cet album n’aura finalement pas grand chose de surprenant. Chaque sortie du quintette est une proposition, une expérience. Loin de se caler sur les standards et les attentes, le groupe a toujours proposé ses envies plus que ce qu’on attendait d’eux. 2019-2019 pousse cette idée à l’extrême, offrant un album jamais tiède et qui sera autant adoré que détesté.

Ces sept titres portent en eux la radicalité de ceux qui les ont créés, offrant ainsi un album qui tient à la fois le rôle de journal intime, de boîte temporelle dans laquelle on jette des souvenirs et qu’on pourra observer dans vingt ans pour voir si le monde a évolué comme on l’aurait voulu ou si le pire aura pris le dessus. Surtout, cet album marque une nouvelle fois l’évolution d’un groupe qui n’a comme unique volonté et envie d’être libre et de surprendre. Surprendre ceux qui les écoutent autant que se surprendre soi-même.

Comme toujours chez Bagarre, chaque titre porte l’identité de son chanteur principal, l’exemple le plus frappant restant bien sûr Kabylifornie, probablement l’un des titres les plus forts et personnels du groupe tant sa thématique personnelle fait un véritable écho au monde et se transforme ainsi en plaidoyer pour le vivre-ensemble et contre les merdes qui tentent de diviser un peuple qui n’a clairement pas besoin de ça. Cependant, et c’est une vraie évolution pour le groupe, l’interprétation des titres se fait plus floue, chacun participe, les voix se mélangent et parfois se répondent au cœur des morceaux. L’exemple le plus frappant de cette évolution est Au revoir à vous, véritable titre collectif, cri de rage aussi désespéré qu’il reste rempli d’espoir, qui voit La Bête, Majnoun, Mus, Emmaï Dee et Maître Clap ne faire plus qu’un.

Pour le reste, on pourrait dire que cet album a l’urgence et la brutalité de l’époque qu’il définit. Ici, aucune chanson ne dépasse les trois minutes trente et la violence est partout, même dans la douceur, notamment sur Cœur = Motel, qui, si elle ralentit le rythme, si elle vogue vers des territoires épiques sur son refrain, cache dans son texte des trésors de noirceur et de désespoir. À l’opposé, Ultraviolance a tout du défouloir ultime, le genre de titre qui risque de prendre toute son ampleur en live et qui agit comme un cri du cœur, un moment de relâchement total qui analyse notre rapport à la violence ayant fini par devenir une norme dans notre quotidien ; que ce soit dans les rapports hiérarchiques, politiques ou humains, la violence s’est insinuée dans notre vie et ne semble plus vouloir nous quitter, comme un symbiote maléfique qui ferait toujours ressortir le pire en nous. Heureusement, le groupe ne perd pas totalement espoir en l’humanité et en ce monde et propose des contrepoids bienvenus avec Au revoir à toi et surtout BB Chéri qui porte l’amour dans son corps et dans son âme pour devenir un titre lumineux, comme une respiration nécessaire dans un monde qui a clairement besoin de sentiments positifs. À la manière de Vertige sur Club 12345, Adieu Victime clôture l’album en mélancolie, sur une instrumentalisation planante, bercée par les bruits de l’eau.

Au revoir à toi 2019 ! Avec 2019-2019, Bagarre n’aura sans doute pas fait l’album que tout le monde attendait mais aura réalisé l’album que ses membres avaient envie de proposer. Radicaux, dansants, frondeurs et profondément humains, ces sept titres se vivent dans l’urgence d’un monde qui va trop vite et qui nous met parfois à terre mais dont on finit toujours par se relever. On ne sait pas si cet album évoluera dans le temps, mais il réussit en tout cas à vivre dans l’instant, à provoquer des émotions, positives ou négatives. Finalement, n’est-ce pas tout ce qu’on demande à un artiste ? Nous bousculer et nous faire réfléchir. On n’est pas prêt de dire au revoir à Bagarre, alors on leur dit à bientôt et rendez-vous le 29 novembre à l’Olympia.

Crédit photo : P.E.Testard