La vie n’est pas forcément un long fleuve tranquille. Parfois, il est facile de se laisser noyer dans les difficultés qui nous assaillent. Comment réagir ? Comment trouver les réponses à des questions qu’on ne se pose pas forcément ? Trois ans après Giants, Awir Leon revient Man Zoo, un album comme un journal intime de ses sentiments où il revoit totalement sa façon d’envisager sa musique.
« It’s all gonna be fine. It’s all gonna be fine. It’s all gonna be fine. » Parfois, quand on décide de parler d’un album, c’est une phrase, une accroche qui apparaît à l’imprévu et qui semble résumer tout ce que l’on vient d’écouter qui sert de départ à ce qu’on a envie d’en dire. Pour Awir Leon, cette phrase apparaît dans Tomorrow, troisième titre de Man Zoo, et elle semble résumer non seulement ce que ces 12 titres veulent dire mais pourrait finir par être utilisée comme un mantra dans la vie de tous les jours. Tout ira bien, tout finira par aller et si la nuit est trop noire, le moment viendra où l’on trouvera une allumette, qui nous montrera le chemin et qui malgré les embûches nous ramènera vers la lumière. Un combat contre soi-même et contre les coups que nous met la vie, une lutte interne et externe pour la compréhension, pour mettre des mots sur les maux, sans forcément le chercher au départ mais trouver dans la spontanéité et dans une partie de soi-même qu’on ne dirige pas vraiment les réponses au chaos ambiant. Man Zoo se décline en douze titres comme des fluctuations d’émotions, entre le solaire et le nocturne, entre les pensées qui rongent et les solutions qui nous frappent. Un torrent d’émotions en 40 minutes comme une thérapie pour celui qui le crée autant que pour celui qui l’écoute.
Tout démarre avec What’s Good : un métronome, une rythmique donnée et les deux éléments essentiels qui nous guideront tout le long de notre exploration de l’album : un piano et une voix. Cette voix, qui allie la fragilité de ses confrères (on ne mentira pas en disant qu’on a beaucoup pensé à Bon Iver, James Blake ou Thom Yorke) à une puissance soul qui n’est jamais loin. C’est un titre qui fait lever les poils sans effort, quand les voix se mélangent, quand les percussions répondent aux guitares et au piano qui disparaît discrètement derrière le bruit du monde. Une entrée en matière saisissante dans un univers qui nous happe de la première à la dernière minute.
S’il fallait définir ce voyage, on pourrait parler de musique dansante. Bien sûr, la danse est un élément qui a toujours fait partie du quotidien d’Awir Leon, mais le terme ici prend une tournure différente. C’est une musique qui bouge et vit par elle même, échappant régulièrement à son auteur pour nous surprendre et nous emmener dans des contrées inconnues. Une musique qui bascule comme sur Choir ou The Other Way, les titres n’évoluant jamais sur une ligne claire mais semblant s’amuser à mélanger les éléments, aérien et aqueux, aussi facilement qu’ils mêlent des émotions contradictoires qui se mélangent comme un brin d’ADN disparate qui amène à lui tout ce qui accepte de s’y accrocher. L’écoute est aussi belle qu’elle est intense, elle nécessite presque une concentration de chaque instant tant chaque élément qui nous est proposé a une place importante et semble prendre le pas sur l’autre selon le moment et l’état dans lequel on l’écoute. Le mouvement est ainsi partout, tourbillonnant, virevoltant, aussi doux qu’il peut être violent.
Linger et Rain agissent comme une transition, comme un moment de grâce suspendu, où l’on déplace les nuages de la tempête pour laisser venir à soi la lumière d’un soleil qu’on pensait disparu. Rain (intro) agit comme une course qui se fracasse sur la voix d’Awir pour l’un des morceaux les plus puissants de l’album. Rain est une décharge émotionnelle dans toute sa douceur et sa simplicité, chemin que poursuit Shark dans une posture bien plus aérienne et brute (l’enregistrement a été fait live et en une seule prise). La lumière se fait de plus en plus proche, elle nous brûlerait presque les yeux et le rythme s’accélère, il vibre en nous avec Lies Living où une nouvelle fois les éléments et les instruments s’unissent dans un corps commun, renforçant le côté organique et humain d’une musique qui fait plus que jamais vibrer les cordes des sentiments. Feathers ralentit le rythme, offrant une pose atmosphérique et aérienne qui amène vers la fin d’un voyage, où la chrysalide se transforme fatalement en papillon. « I hear a change in your feathers » nous intime Awir Leon, étrangement, on le sent nous aussi tant la mue entre le début et la fin de l’album semble grandissante. A15 et ses claquements de main, ses synthés atmosphériques et cette voix presque irréelle confrontent le synthétique à l’humain pour nous amener vers The Endless, avec lequel l’infini n’aura jamais aussi bien porté son nom tant ce titre brille d’une beauté assez hallucinante pour une fin d’aventure qui nous laisserait presque lessivés.
Un piano, une voix et le bruit du monde autour. Ainsi va la vie au sein du Man Zoo d’Awir Leon. Un voyage poétique et cathartique, une plongée sans filtre dans les pensées d’un artiste qui a énormément de choses à dire et qui nous prouve qu’on peut toujours dompter le chaos pour y trouver la lumière qui nous fera avancer. Si on avait un goût pour l’emphase, on pourrait parler de sublime. Et puis après tout pourquoi pas : ce disque est sublime, alors plongez-vous dans la mer de sentiments d’Awir Leon, c’est le genre de baignade que vous ne regretterez pas.