Paris n’est pas une fête. Paris est une défaite. Sous le vernis d’une tour Eiffel qui s’illumine chaque nuit, de Champs Elysées devenus terres de fantasmes internationaux, Parie, pue, sue et pleure. Paris est le théâtre des cabossés, des coeurs brisés, de ceux qui noient leur larmes dans de mauvaises bières trop chères et qui se shootent chaque soir à coup de pilules sous ordonnances. Elle grandit sur le dos de ces âmes silencieuses qui vibrent sous les coups de l’existence. Ceux qui plient mais ne cassent pas et cherchent une réponse dans le noir de l’encre et de la nuit. Ceux là méritaient bien un manifeste, une protection contre le quotidien. Désormais ils pourront se protéger sous les ailes Bleu Acier d’Order89.
Il y a des albums qu’on met du temps à digérer pour diverses raisons. Il nous aura fallu trois mois pour trouver le courage et la force de parler de ce premier effort de Order89. (et on tenait à s’excuser platement auprès de leur attachée de presse pour ce délai). Un burnout, une dépression, un bon paquet de cachets et quelques fonds de bières sont passés par là et un album qui aurait pu passer inaperçu est devenu la bande originale d’une période assez sombre de notre existence. Il est devenu un vecteur à souvenir, le miroir d’une époque, une musique qui nous transporte ailleurs, comme ces moments ou l’on caresse ses cicatrices pour se rappeler de comment elles sont apparues dans nos vies. Mais au delà de ces divagations assez personnelles, il faut retenir une chose assez claire et limpide : Bleu Acier est un sacré bon album de rock et Order89 un groupe qui aura donc trouver notre adhésion dès la première écoute. Alors que la décennie se terminait, faire du rock en français était devenue une gageuse, un défi, tant la langue de Molière peut d’un coup d’un seul transformer la poésie noire en rage adolescente inepte. Il faut donc marcher sur un fil, trouver l’équilibre, les mots qui seront à la fois chantant et percutant.
Chez Order89, les mots sont autant une lame de rasoir qu’une caresse, ils tranchent autant qu’ils rassurent. On pourrait diviser Bleu Acier sous le vecteur de trois vecteurs distincts : le prêcheur, le conteur et le biographe. Ainsi, comme dans une schizophrénie maitrisée, le mot se fait mouvant, le personnage principal change de visage d’une chanson à l’autre. Il se fait prêcheur, harranguant les foules sur Couronne de Prince, Barbara ou Bleu Acier, raconte les déviances d’une âme perdue Edward ou sur Grandir Seul, grand morceau à l’émotion mordante sur les êtres seuls,et finit par nous transformer en confident sur Mémoire Pirate, L’espace et le temps ou 2002. L’écriture est limpide, éclatante et brutale, les mots sont quotidiens ce qui renforcent à la fois leur force et leur intensité. Ici chaque respiration est réfléchie pour nourrir les intentions qui sont offertes par les mots tant est si bien que le français est mis en avant comme il ne l’a pas été depuis longtemps dans une scène cold wave et post punk française qui préfère désormais se tourner vers l’anglais.
Et si le mot est grand et fier, la musique qui l’enrobe n’a pas à rougir. Si la poésie noire du groupe est clairement à saluer et à mettre en avant, il n’en reste pas moins que Bleu Acier est un album à la cohérence sonore profonde et assez impressionnante pour un premier effort. On sent bien les références du trio, mais à aucun moment elles ne prennent les devant sur le son du groupe. Ici c’est le feu qui brûle sous la glace, si ils cherchent avant tout à créer une ambiance clinique c’est pour mieux la faire exploser sous la rage des guitares et des synthétiseurs notamment sur des titres comme L’espace et le temps, Edward ou Bleu Acier. Tout devient ainsi une explosion de rage, un moyen de trouver un exutoire, une échappée qui transforme cette oeuvre nocture en véritable lever de soleil. Ici le monde n’est jamais vraiment désespéré, si la mort hante la musique d’Order89, c’est finalement la vie qui gagne à chaque fois le combat comme nous le prouve 2002, ballade finale qui nous achève par son épure et sa beauté simple.
Vous l’aurez compris, on a enfilé notre blouson noir comme la nuit et on a rejoint l’ordre. Bleu Acier est une merveille d’ambiance et d’écriture, un album dont on est pas sorti indemne qui nous accompagne et nous accompagnera encore dans ces nuits parisiennes qu’on est bien décidé à dompter. Rejoignez nous, le voyage et l’écoute en valent vraiment la peine.