Parmi les projets qui auront marqué notre année 2019 de leur emprunte, CORPS y tient une place toute particulière. Une proposition forte qui met le mot en avant, des lives furieux et intenses ont fait du mystérieux groupe un de nos favoris. On a profité de leur passage au MaMA en octobre dernier pour les interroger sur leur musique, l’importance du live et des visuels.
photo : Céline Non.
La Face B : La première question que je pose toujours car c’est important c’est : comment ça va ?
CORPS : Bah écoute ça a l’air de plutôt bien aller. On vient de terminer les balances, il fait beau. On joue en dernier.
LFB : Ça représente quoi pour vous de jouer au MaMA ?
C : Le MaMA, c’est dans le XVIIIème arrondissement, et c’est un quartier qu’on aime beaucoup, parce qu’il est vivant et qu’il y a énormément de salles de concert aussi. Ça bouge bien et c’est aussi un festival où il y a beaucoup de professionnels qui viennent, donc c’est toujours intéressant. Après nous on va jouer comme si on jouait n’importe quelle autre date, c’est-à-dire se donner à fond le plus possible. Ça ne va rien changer en soi pour nous mais je trouve que c’est un festival où l’ambiance est cool, dans les rues, dans les bars.
LFB : J’aime beaucoup votre musique, je pense que vous êtes un peu au courant. Si je te dis que pour moi c’est un projet qui est avant tout plus littéraire que musical, est-ce que c’est quelque chose qui vous convient ou pas du tout ?
C : Le mot littéraire est un peu poussiéreux mais c’est pas bête ce que tu dis dans le sens où tous les textes sont écrits avant la musique, c’est un peu ça le concept du projet. On a pas de prétention littéraire mais j’aime bien écrire et la dimension poétique est très forte. Après je n’ai pas de véritables goûts littéraires, je ne suis pas un féru de livres, je ne lis quasiment pas. Mais effectivement vu que le texte est écrit en premier, on peut considérer ça comme ça.
LFB : Comment est-ce qu’on retranscrit des poèmes pour en faire des chansons ?
C : Ce n’est pas si compliqué que ça en fait car quand j’écris les textes, je pense déjà à des rythmiques, des mots qui s’accordent les uns avec les autres, et le nombre de syllabes etc… Les rimes, ça constitue une rythmique verbale en fait et donc après j’ai juste à placer de la musique dessus. Et comme les mots sont rythmés, je n’ai aucun problème ensuite, à placer des musiques dessus. Comme la voix est monocorde, souvent sans mélodie, ce n’est pas trop un problème.
LFB : Vous avez sorti un 1er EP puis un titre. J’ai l’impression qu’avec Sur l’autoroute, vous avez marqué une étape, dans le sens où je trouve que l’instru est plus travaillée que sur les premiers titres. Comment vous avez fait évoluer ça ? J’ai l’impression que le texte est très important sur le premier EP, limite minimaliste, et là je trouve qu’il y a plus de recherches.
C : Le morceau commence de manière très simple aussi la ligne de basse très basique et se complexifie au fur et à mesure. Après la volonté de ce morceau c’était de faire quelque chose de plus dansant aussi, et globalement c’est souvent le titre qui est le mieux reçu en live parce qu’il est relativement simple je trouve. Même dans le texte c’est très simple en fait, mais du coup il a sûrement plus d’impact que les autres en live.
LFB : Vous y pensez au live maintenant ?
C : Au moment de la composition non, mais pas longtemps après oui, il faut penser au live quoi. Et du coup c’est pour ça que je suis avec ce cher Gabriel, on va essayer de retravailler tous les morceaux au prochain live, les emmener dans quelque chose d’un peu différent, car la dimension live est quand même très importante dans le projet.
LFB : Pour un projet qui se veut volontairement mystérieux dans son esthétique : se mettre en avant sur le live c’est pas un peu contradictoire ? Est-ce que t’y as pensé ?
C : Moi ce que je voulais, c’est pour ça qu’on est ensemble avec Gabriel, c’est pouvoir lancer aussi des machines à un moment donné.
Je suis super content d’avoir trouvé Gabriel pour pouvoir m’accompagner là dessus parce que j’avais envie de me détacher de quelque chose, et après l’énergie est venue naturellement. Je me suis pas dit « ok si je faisais le fou sur scène, qu’est-ce que ça donnerait ? ».
C’est venu naturellement et au début j’avais beaucoup de mal à canaliser cette énergie justement, et il a fallu concert après concert un peu recentrer ce truc-là. En général on demande à ce qu’il n’y ai pas trop de lumière sur scène, et l’idée c’est pas de me mettre en avant mais mettre en avant les mots aussi, et forcément la musique est un peu agressive, elle tape un peu à des moments. Ces deux énergies, celle de la scène d’un point de vue corporel, et celle de la musique, pour moi c’était évident qu’elles allaient se rejoindre à un moment donné.
LFB : Le nom du groupe prend tout son sens sur scène, car on est quand même sur quelque chose qui est très physique, frontal. Je vous ai vu deux ou trois fois et l’énergie, tu te la prends dans la gueule en fait, que tu le veuilles ou non, que tu viennes en sachant ce que tu vas voir ou non, l’énergie tu te la prends directement dans la tronche.
C : ce qui est intéressant aussi c’est qu’on a deux personnalités différentes. Moi j’ai la voix plutôt grave, Gabriel a la voix plus aigüe. Moi je bouge un peu dans tous les sens, Gabriel est un peu plus calme. Et je trouve ça intéressant d’avoir ces deux composantes.
On joue un peu avec ces deux énergies je pense. C’est une posture et c’est pas un highlight particulier sur le frontman en tant que chanteur. C’est plus pour mettre en avant des mots et avoir une posture un peu barrée car il y a un côté assez brut et énergique.
LFB : L’énergie, elle, contrebalance un peu avec la noirceur des textes aussi je trouve. Votre musique on peut la prendre de plusieurs façons différentes : on peut la prendre pour l’énergie pure, pour le texte, pour la globalité… Il y a pleins de façons différentes d’envisager ce que vous faites.
C : Il y a souvent des connotations, des sens cachés sous les textes. Moi je ne sais pas si tout le monde est au courant mais moi je les ai conçus un peu comme ça ces textes. Souvent il y a des doubles lectures.
LFB : Ça vous intéresse que les gens s’approprient votre truc et qu’ils te le réinterprètent d’une manière que vous n’auriez pas forcément envisagée ?
C : Oui alors ça j’ai aucun problème avec ça, chacun son interprétation. Il n’y a pas de science infuse, pas de vérité générale. Ça reste de la poésie un peu abstraite aussi donc il n’y a pas de problèmes.
LFB : L’univers est très sombre et désespéré par moment, quand vous avez écris cela, c’était une manière pour vous d’évacuer la chose ? Ou ça n’a rien à voir avec votre état mental ?
C : Si forcément, c’est une manière d’extérioriser, c’est une manière d’enlever tout ce qui a de négatif chez moi, le balancer et l’écrire sur papier. Après ce n’est pas forcément les états dans lesquels je suis actuellement, mais des états dans lesquels je suis passé forcément.
LFB : C’est une manière de tenir la noirceur à l’écart ?
C : Ouais c’est une manière de rester vivant, d’assumer son vécu et de faire des faiblesses une force. Enfin des passages à vides, des choses comme ça, et s’en servir pour être au dessus.
LFB : Est-ce que vous avez eu des retours de personnes que vous aidez à travers votre musique ?
C : On reçoit pas mal de messages sur Instagram de gens qui sont à fond derrière et qui se reconnaissent dans les textes. Après il n’y a pas d’ambitions médicales au projet : je ne suis pas dans l’ambition d’être psychologue. Mais s’il y a des gens qui se reconnaissent dans les textes, c’est quelque chose qui me touche.
LFB : Ce qui est intéressant aussi c’est que je pense que c’est un projet qui ne laisse personne indifférent. Je me souviens d’un report que tu avais balancé d’une fille qui vous avait complètement défoncé, et finalement c’est ça qui est intéressant aussi dans le projet, c’est que ça vit et ça ne laisse personne indifférent.
C : Je pense que parfois ça ne laisse pas de marbre les gens, parfois il y a des attaques un peu frontales et gratuites ou ça devient quelque chose de personnel. Là en l’occurrence c’était un peu ça mais après je pense qu’on est contents de faire réagir les gens, que ça soit globalement POUR diffuser quelque chose qui ait une énergie positive, ou même agacer certaines personnes. Parfois ça nous fait marrer aussi, ça ne laisse pas de marbre les gens donc on ne se fait pas chier. T’aimes ou t’aimes pas.
À partir du moment où il y a quelqu’un qui se fait chier à écrire une chronique, c’est déjà une forme de victoire même si elle est négative, c’est pour ça qu’on les repartage à chaque fois. Parce que je trouve ça marrant.
D’avoir pris le temps d’écrire tout ça, c’est vraiment que t’as été énervé par le projet mais du coup ça t’a vraiment touché personnellement d’une certaine manière. C’est plutôt une victoire.
Mais c’est forcément un projet qui divise parce que ça mélange pleins de styles différents : il y a un morceau rap, rock, techno… Les gens qui se retrouvent dans tous ces styles-là en même temps il n’y en a pas non plus des millions. Il y a un côté un peu théâtral aussi qui peut irriter, mais ça fait partie du jeu. Onne va pas se mettre à faire les choses pour plaire aux gens.
LFB : Au niveau de l’esthétique visuelle, je sais pas si c’est toi qui fait les collages promotionnels, les corps sans tête, tout ça..
C : C’est moi qui fait tous les premiers visuels, la photo avec le corps sans tête c’est un pote qui nous a pris mais c’est moi qui l’ai retouchée, mais après ce n’est pas moi qui ai fait les deux derniers.
LFB : Est-ce que vous pouvez nous parler de votre réalisation avec Temple Caché, qui a réalisé les clips ?
C : Tout à fait ! En gros moi je voulais faire un clip avec des gens tout nus qui s’emboîtent dans tous les sens, et j’avais vu le travail de Temple Caché : je les ai contacté et ils ont été vraiment emballé par le morceau.
Il y a un mois de travail d’une seule personne pour le premier clip : il a détouré des images de visuel de magazines porno des années 70. Il a une recherche d’images énorme derrière, et en suite tout animer c’est vraiment un gros boulot.
Et pour le deuxième clip, je voulais continuer de bosser avec eux, donc j’ai bossé avec le même réal’ qui s’appelle Yoann Stehr et qui est vraiment un spécialiste de tout ce qui est collage, découpage etc. On ne va pas s’arrêter là car les deux prochains clips seront faits par Temple Caché un peu dans un autre style.
Mais voilà c’est un super studio d’animations spécialisé dans l’animation 2D, le collage animé, un peu de 3D, prise de vue réelle aussi… C’est assez complet. Je bosse avec plusieurs réals qui ont chacun leur univers vraiment particulier. Et nous on s’est très bien entendus avec ce réal-là en particulier, car on a pas mal de points communs.
LFB : Le but c’est d’évoluer tout le temps avec eux ?
C : Pour les deux prochains oui, mais dans un style différent. On va changer un peu de style.
LFB : Cette idée de rester cacher derrière la musique et le mot, tu n’as pas peur que si le projet grossit on te demande à un moment de t’exposer ?
C : Non ce n’est pas vraiment un problème. On n’est pas Daft Punk, il n’y a pas d’enjeu derrière. Qu’on soit caché ou pas caché c’est pas là le problème, c’est juste qu’on s’appelle CORPS, bon la tête peut faire partie du corps, mais en général on pense au corps, à la partie sous la tête. C’était aussi un peu cette idée-là. Par exemple, sur les premiers visuels que j’avais fait, je masquais la tête et on voyait les corps tout nus et cette idée-là me plait bien. On n’a pas besoin de voir tant nos visages sur scène et ce qui est intéressant c’est de voir les mouvements.
LFB : Si le corps n’a ni queue ni tête, le plus important c’est qu’il ait un cœur ?
C : C’est beau ! La musique ça se fait avec le cœur sinon c’est loupé, ou alors c’est chiant. Ouais effectivement faut faire ça avec le cœur, et puis toutes les émotions sont liées avec le cœur, la tête, pleins de choses. Donc ouais, belle phrase.
LFB : C’est quoi le futur pour CORPS ?
C : Nouvel EP et après un album. Ça sortira dans la deuxième moitié de 2020. Cinq titres, et après l’album je n’ai pas encore de date exacte mais c’est en préparation.