Dans le cadre du festival Détours de Chant et de sa 19ème édition, nous avons eu l’occasion de rencontrer Batlik. Une découverte alors toute fraîche pour nous, alors que l’artiste comptabilise une carrière d’une quinzaine d’années et douze albums, dont le dernier L’art de la défaite est sorti en fin d’année 2019. C’est donc en compagnie d’une Face B pas très à jour que l’artiste s’est prêté au jeu de nos questions avant de jouer son concert à Toulouse et de poursuivre sa tournée.
La Face B : Alors pour commencer, il faut que je m’excuse car malgré tes douze albums, je ne te découvre que maintenant… Une petite présentation de Batlik pour les retardataires et tête en l’air comme moi ?
Batlik : Tu n’es pas la seule, c’est un plaisir chaque jour de savoir que les gens me découvrent. Je me présenterai donc comme un illustre inconnu et j’espère le rester encore très longtemps car ça permet d’avoir cette éternelle découverte. J’ai toujours l’impression de recommencer ma carrière et de ne pas me ringardiser. Je rencontre des gens comme toi à chaque concert qui ne me connaissaient même pas la veille du coup j’ai l’impression d’avoir débuté la musique le jour d’avant.
LFB : Tu es un peu à contre-courant, en général on essaye plutôt de percer non ?
Batlik : Ah non mais j’essaye. Mais bon quand tu vois que ça ne fonctionne pas, il faut s’accrocher à d’autres arguments. Et c’est celui-là que j’ai trouvé, l’argument de sans cesse se renouveler.
LFB : Qu’est-ce qui t’a fait commencer la musique ?
Batlik : C’est une phrase de mon grand-père : « La musique est le refuge des âmes ulcérées par le bonheur » et comme j’avais un rapport un peu distancié avec le bonheur, j’ai cru en cette phrase là. Et en fait il y a 3 ans, j’ai découvert que cette phrase n’avait rien à voir avec mon grand-père mais qu’elle était en fait d’Emile Cioran. Voilà pourquoi L’art de la défaite, mon dernier album, est basé sur son œuvre. Je me suis mis à la lire et tout m’intéressait, que ce soit son œuvre ou lui-même et les interviews qu’il a donné. Il parlait très bien, chaque morceau est inspiré soit de ses aphorismes, soit de ce qu’il était lui.
LFB : Si tout ça a commencé initialement grâce à ton grand-père, est-ce qu’il représente toujours une source d’inspiration ?
Batlik : En fait, il n’a jamais été réellement une source d’inspiration. C’était quelqu’un d’assez lointain finalement. Mais cette phrase là, j’ai trouvé qu’il l’avait faite exister. Et j’ai mieux compris quand j’ai appris qu’elle n’était pas de lui en fait. Sinon, mon inspiration c’est la weed. Au début j’avais une pseudo envie politique et militante mais très vite ça m’a embêté donc j’ai repris l’option drogue douce. Et il y a aussi mon épouse qui a complètement changé ma façon d’écrire. C’est une grande lectrice et quand je l’ai rencontrée, elle m’a dit que ce que j’avais fait jusque là c’était assez nul. Du coup, elle m’a fait découvrir la littérature et m’a fait respecter le rapport à l’écriture. Elle m’a fait avoir d’avantage de respect pour mon métier. C’est ce qui fait que depuis deux à trois albums, je fais ce métier un peu différemment. Du coup, j’ai détruit tous les exemplaires des anciens albums pour ne garder que les trois, quatre derniers.
LFB : Ah ouais, tu ne fais pas les choses à moitié…
Batlik : Non parce que c’est vrai que c’était mauvais quand même ! C’est bien que tu ne me découvres que maintenant.
LFB : J’ai quand même écouté des morceaux de tes précédents albums, je te trouve un peu dur envers toi-même !
Batlik : Ne t’y attarde pas trop.
LFB : Tu as mis 3 ans à sortir L’art de la défaite, habituellement tu en sortais un chaque année. Celui-ci a nécessité plus de temps pour se poser et travailler ?
Batlik : C’est en fait une histoire basique d’argent. Je faisais ce métier de manière indépendante donc j’avais besoin, pour alimenter la machine, de sortir des disques tout le temps et j’en vendais peu donc il fallait en sortir souvent. Là, j’ai bénéficié d’une subvention de la part de l’organisme Adami qui a pris en charge la production de l’album jusqu’à la tournée. Ça m’a permis de me poser, de travailler, de prendre du temps pour écrire et de choisir les équipes avec qui je voulais bosser. J’ai pu faire le festival d’Avignon pendant un mois pour travailler les morceaux avant de rentrer en studio. Tout ça s’est inscrit dans une espèce de temporalité à laquelle je n’avais finalement jamais été confronté. Ça m’a permis de faire un album qui est meilleur que les autres.
LFB : J’ai cru comprendre que tu avais complètement changé d’équipe aussi, un peu comme si tu repartais à zéro, comment tu as appréhendé tout ça?
Batlik : Du coup oui, je me suis dit que c’était le moment de tout changer. J’ai travaillé avec des gens avec lesquels j’avais jamais travaillé jusqu’à présent. Ça fait un renouveau et c’est ce qui a participé à l’ambiance différente des précédents albums. Il y a vraiment eu un avant et un après cet album.
LFB : En 15 ans de carrière, comment as-tu évolué sur le plan musical ?
Batlik : Pour l’écriture, il y a vraiment eu cette bascule quand j’ai rencontré mon épouse. Mais en fait, je me rends compte qu’avec l’écriture qui a changé, le rapport avec la musique a changé aussi. Le fait de travailler avec une nouvelle équipe me confronte aussi à de nouvelles façons de travailler. Ça ouvre des perspectives bien plus larges que lorsque j’avais l’habitude de travailler avec les mêmes personnes. Tu rentres dans une espèce de routine. Là, le fait de tout changer, il se produit quelque chose.
LFB : Tu penses renouveler l’expérience pour les prochains albums ?
Batlik : Je ne sais pas encore. Je me pose pas la question puisque la tournée vient de commencer depuis quelques mois donc je ne suis pas encore dans l’écriture du prochain. Ce temps là, je veux aussi le comptabiliser pour tourner. Avant, comme j’étais pressé pour tout, au moment où je commençais la tournée, je commençais aussi à écrire et produire l’album suivant. Tout s’enchaînait. Là, je vais prendre le temps de travailler le set et la scène. Du coup, ça change aussi sur scène. L’écriture a aussi à voir avec la façon dont on joue sur scène.
LFB : La scène, c’est un endroit où tu te sens à l’aise ?
Batlik : Je me sens à l’aise nulle part globalement. Mais une fois sur scène, il faut faire le travail donc ça prend le dessus sur tout le reste. En ce sens là, c’est pour ça que j’aime bien la scène car c’est un effort qui prend le dessus sur le reste.
LFB : En écoutant cet album, je l’ai trouvé beaucoup plus lumineux et enjoué que tes précédents. Comment tu expliques cette approche différente ?
Batlik : Je pense que ça vient surtout des instrumentistes qui ont participé sur ce disque là. Je me suis détaché de ce disque là, je leur ai laissé vraiment des temps de création alors qu’avant j’avais plutôt tendance à m’approprier la musicalité des textes. Là, j’ai laissé aller du coup il y a eu des phases rythmiques auxquelles je n’étais pas du tout habitué. Il y a aussi les chœurs de Fanny Charmont que je n’avais jamais connus jusque là. Tout ça, ça m’a échappé et c’était plutôt agréable.
LFB : Il parait que c’est l’album de toutes les catastrophes, tu peux nous en dire un peu plus ?
Batlik : Ouais, j’ai eu pleins d’emmerdes. On a fait Avignon, quelques mois avant de commencer, la productrice qui devait m’accompagner sur la tournée n’était plus là donc je me suis retrouvé tout seul à produire Avignon donc c’était assez lourd. Ensuite, normalement j’enregistre tous mes disques à Aubervilliers, là où je vis. J’ai eu des nouveaux voisins qui ont débuté des travaux monumentaux à côté de chez moi donc j’ai enregistré l’album principalement de nuit en essayant d’échapper aux bruits de marteau-piqueur. Après j’ai eu toutes les galères qui existent quand on fait ce métier de manière indépendante. On est confronté à des choses comme la distribution des albums, faire des clips… On a proposé un clip et celui qui nous a été rendu était à l’unanimité terrible. A chaque fois, rien ne s’est passé comme prévu. Mais en fait, à chaque fois qu’il y a eu une emmerde, on est retombé sur nos pattes. Ça a donné quelque chose de plutôt satisfaisant au final.
LFB : Finalement, c’est l’album de toutes les catastrophes mais c’est aussi celui qui semble être le plus abouti à t’entendre en parler…
Batlik : Ouais, c’est vrai. Et puis c’est aussi que finalement cette histoire d’indépendance, c’était pas forcément l’option idéale pour faire ce travail là. Je pense que pour le prochain je me tournerai plutôt vers une production avec une autre vision de la musique. Histoire de ne pas rester enfermé dans un carcan personnel et nombriliste.
LFB : J’ai trouvé l’album hyper poétique et ça m’a renvoyée à plein de souvenirs d’enfance. Notamment la chanson Madeleine, ça m’a replongé dans des journées avec mes grand parents. La nostalgie c’est quelque chose que tu cherchais à faire ressentir avec cet album ?
Batlik : J’ai eu une petite-fille juste au début de cet album là. Je pense que le rapport à la nostalgie quand on a des enfants, ça se confronte à ça et à notre propre enfance. Du coup, je pense qu’il vient de là cet album. L’écriture et le cheminement de cet album ont été ponctués avec l’arrivée de cette petite-fille. Le côté nostalgique a à voir avec ça. Même si globalement la nostalgie est un sentiment que j’apprécie pas mal, dans lequel je peux assez me morfondre. Comme tous les sentiments négatifs en fait. C’est plus dodu, on s’y sent mieux.
LFB : Au bout de 12 albums, c’est quoi le secret pour toujours se renouveler ? Est-ce qu’on ne finit pas par être un peu blasé ?
Batlik : Justement, je n’ai pas l’impression de me renouveler énormément. J’ai l’impression de faire tout le temps la même chose. A part peut être depuis deux ou trois disques où mes perspectives de la musique s’ouvrent. La musique, c’est comme une quête sans fin. C’est tellement un non sens qu’il n’y a pas vraiment de direction. On ne fait pas de la musique pour faire une chose. On fait de la musique sans trop savoir pourquoi.
LFB : En t’écoutant, tes textes et ton grain de voix m’ont fait penser à Ben Mazué. Est-ce qu’il y a des artistes auquel tu t’identifies ?
Batlik : Oui, je le connais ! Au début, j’ai été beaucoup influencé par le jeu de guitare d’une artiste américaine qui s’appelle Ani DiFranco. Sinon, j’écoute beaucoup de reggae en ce moment. Je ne sais pas ce que je prends du reggae, peut être le côté riffé. Il s’agit de poser une mélodie sur un riff pauvre. J’imagine que ça a à voir avec ça : de partir d’une construction basique et d’essayer de l’enrichir le plus possible.
LFB : C’est quoi la suite pour toi ?
Batlik : Je suis très content de ne rien prévoir. A l’inverse de d’habitude où je déroulais tout comme un fil. Là, je n’ai pas hâte d’arriver au bout mais j’ai quand même hâte de savoir ce que je vais faire après. Le vertige d’une vie nouvelle est plutôt agréable. Je sais que ça va se terminer mais ce qui vient après, je ne le connais pas. Je trouve ça assez plaisant. Le but, c’est de me laisser porter.