Chez La Face B, la musique se vit sans genre ni frontière. Malheureusement, le monde est différent de nous. On a donc décidé de casser tout ça pour mettre en avant des artistes québécois qu’on adore. Entre jeunes pousses et artistes confirmés, Bons baisers du Québec, c’est le rendez-vous voyage chez nos cousins du Canada. Aujourd’hui, on se plonge dans la première oeuvre de Alex Nicol, All For Nada, déclaration d’amour musicale à sa partenaire de longue date, et révélation toute en douceur d’un artiste à la classe incandescente.
On ne peut pas imaginer qu’il n’y a pas pensé. En voyant son visage souriant sur la pochette de son premier effort solitaire, on se dit bien que Alex Nicol a du rire un peu en trouvant le nom de son album : All For Nada. Car à première vue, ce titre veut dire l’exact opposé de ce qu’il est vraiment. Si on se penche de manière brute sur celui-ci, on y voit un mélange d’anglais et d’espagnol, quelque chose qui aurait pu abriter l’œuvre de Sum 41 ou de Linkin Park au début des années 2000. La réalité est en fait toute autre et au final bien plus belle et plus révélatrice des huit pièces qui composent ce mini-album. Car Nada est en vérité Nada Temerinski, compagne de longue date du montréalais et personne au cœur de cet album intime et chaleureux, au centre de la réflexion artistique qui en découle. Elle est à la fois un guide, une partenaire, une collaboratrice et ici tout est pour Nada, une œuvre pensée en commun, qui parle de tout ce qui construit l’existence : évoluer, douter, aimer, grandir, s’évader puis revenir, regretter puis repartir.
Il y a une sensation d’unité à l’écoute d’All For Nada, une sensation de voyage, d’épopée cotonneuse qui nous emmène d’un point A à un point B, qui nous entraine dans les pérégrinations d’Alex Nicol, comme si de manière presque impudique on allait fouiller dans ses carnets de notes et ses pensées. Et puis à l’écoute, on réalise une chose aussi simple que magnifique : All For Nada est un album tout entier dédié aux petites choses de la vie, et Alex Nicol, plus qu’une mise à nu, transforme ses pensées en matière poétique et son expérience en catalyseur émotionnel et universel. Le voyage se fait aussi dans nos oreilles de petit européen : dès que la Stratocaster se met à vibrer sur Two Times A Charm, dès que la basse se met à arrondir les notes, il y a un goût d’americana qui descend dans nos oreilles. Toute une culture du voyage et d’envolée cotonneuse, un sens du story-telling précis pour une musique qui trouve ses racines autant dans la country que dans une certaine idée de la folk ambitieuse faite de cordes qui foutent les poils, et d’une batterie aussi discrète que nécessaire, le tout associé à une voix haut perchée assez surprenante pour ce garçon au look de crooner.
Nous fermons les yeux et nous autant vers ces terres fantasmées qu’en nous même, portée par la douceur ouatée de ces huit titres. On commence donc avec Two Times A Charm, qui comme dit précédemment, évolue sur des terrains folk et dans laquelle Alex Nicol nous raconte le doute. Ces moments où l’indécision nous paralyse, où l’on se retrouve bloqué au moment de trancher, de faire un choix qui se trouvera définitif et sur lequel on ne pourra revenir. C’est étrangement pour nous dans Family Lines que ce premier titre trouve un écho particulièrement vibrant. Dans ce titre très similaire au niveau du style, Nicol nous conte les liens familiaux, ceux qui sont parfois destructeur et dont on a du mal à se détacher, même si cela est fondamentalement nécessaire pour ensuite s’ériger soi-même une famille. Construction et déconstruction sont au cœur d’And I Wonder, ballade mélancolique dont on vous avait déjà parlé longuement ici et dans laquelle l’artiste montréalais raconte, et se raconte, la transformation d’un enfant en adulte et tout ce que cela implique de la fin d’une certaine violence et de l’acceptation de certaines injustices. Là aussi, le titre trouve un contrepoids dans le titre qui continue l’album, Bridge Back To Me, qui nous parle de ce besoin de se connecter à l’autre, d’assumer ses faiblesses et de les laisser nous guider.
Au milieu de l’album, Levitate apparait comme le morceau à la fois le plus ambitieux et le plus éloigné des autres. Longue plage atmosphérique, en tension, qui rappellerait par moment certains titres de Radiohead. Le morceau délaisse la guitare pour nous offrir un bloc musical compact, dans lequel la poésie et l’onirisme prennent presque le pas sur la réalité. Cette poésie, ce basculement, on la retrouve dans Trust et Mirage qui mettent tous deux en avant cette basse qu’on aime tant. La première y ajoute des cordes classieuses pour un morceau qui parle du besoin de faire confiance aux autres, de se laisser aller à se perdre en chacun, quitte à finir déçu. Tandis que sur la seconde, on retrouve cette guitare alors que la musique se fait plus langoureuse pour un morceau qui semble nous guider vers l’amour et la sensation que, par moment, celui-ci semble totalement irréel. When You’re Blue termine notre odyssée avec un piano droit pour le morceau où l’émotion est la plus à fleur de peau, et où l’on retrouve, pour une unique fois sur cet album, une autre voix que celle d’Alex Nicol.
Une fin en petite apothéose pour un album cohérent, qui nous aura fait pleurer autant que réfléchir, porté par ce sens musical ambitieux, intense et chatoyant. Vous l’aurez compris, All For Nada est un album qui se découvre, qui se déguste et qui s’aime. On ne peut que vous inciter à l’écouter et à vous noyer dans la beauté folle d’un album comme on en fait peu.