Il existe des albums qui, sans forcément le vouloir, prennent une importance énorme à des instants de notre vie. Bleu Acier, le premier effort de Order89, faisait parti de cette catégorie là. On avait donc un paquet de questions à poser au désormais quatuor. On les a rencontré lors de leur passage au Pop-Up Du Label pour en savoir plus sur l’histoire du groupe, la place primordial du live dans leur conception de la musique et aussi sur la manière idéal de rejoindre l’Ordre.
La Face B : La première question que je pose tout le temps aux gens c’est comment ça va ?
Order89 : Très bien merci, et toi même ?
LFB : Ça va.
O : La patate.
LFB : Est-ce que vous pouvez me parler un peu de l’historique du groupe ? Parce que vous êtes assez jeunes, vous venez de sortir votre premier album.
Jordi : On est complètement jeunes ! L’historique du groupe, pour résumer rapidement, on a commencé il y a deux ans, Flavien et moi, ce grand homme aux cheveux blonds, qui est derrière les machines dans le groupe. On était un projet techno live à la base, on jouait qu’avec des synthés de la grosse musique de bourrin en club. Après quelques mois à faire ça, Eliott, ici présent, nous a rejoint à la guitare. Et c’est à ce moment-là où on a pris un visage résolument rock. J’ai pris la basse, commencé à chanter. On a modifié nos compos. On a tourné comme ça pendant un an, et arrivé le moment où on a enregistré notre album avec Guillaume Leglise, qui est le guitariste de Voxlow et qui a un projet qui s’appelle Fictions. C’est lui qui a enregistré en mars notre premier album, qui s’appelle Bleu Acier et qui est sorti en octobre chez Icy Cold Records.
LFB : Il y a beaucoup de groupes qui commencent par des EPs : vous c’était prévu dès le départ de sortir directement un album ?
Flavien : En fait, on en a trop fait trop vite. Et au bout d’un moment, on s’est rendus compte qu’un EP c’était 4 morceaux et qu’on en avait déjà une quinzaine.
LFB : Il y a une vraie structure je trouve dans cet album. J’ai l’impression que c’est un peu un album de balades de nuit. C’est quelque chose qui est à la fois très urbain et très influencé par la nuit. C’est quelque chose que vous avez réfléchi ?
F: On voit pas souvent le jour, en fait. (rires)
LFB : Pour moi votre album parle essentiellement de la ville et de la façon dont elle impacte les relations humaines et les rapports entre les gens. Est-ce que c’est quelque chose qui est réel, et quel impact vous entretenez avec une grande ville comme Paris ?
J : Ben en fait, le rapport à Paris, une psychopathe m’a fait remarqué sur les réseaux que je parlais beaucoup de Paris. Elle a compté le nombre de fois où j’avais dit Paris dans l’album, donc si elle lit cette interview, tu me fais flipper. Et du coup, on parle beaucoup de Paris car à la base, Flavien et moi on vient de Bordeaux. On est arrivés ici il y a 4 ans, justement dans ce but de créer un album, de créer un groupe, et d’essayer de nous émanciper de nos vies qu’on pouvaient avoir à Bordeaux. Donc voilà pourquoi on parle beaucoup de Paris, c’est que cette ville là nous a permis une seconde naissance, de découvrir de nouvelles choses. Et ces choses là on a essayé de les synthétiser dans notre premier grand EP.
LFB : Ce qui est marrant c’est que moi pareil, je viens du Nord de la France et j’ai débarqué ici pour bosser. J’ai retrouvé cette même relation entre l’amour et la haine pour cette ville, qui peut t’apporter pleins de choses et qui peut te broyer complètement aussi.
J : Complètement, c’est ouf, parce que tout se passe vite ici, beaucoup plus vite qu’ailleurs. Tu fais une belle rencontre, ça va se passer plus rapidement que si c’était en province. Nous, grâce au fait qu’on soit venus habiter à Paris, on a pu rencontrer Eliott et Antonin, et je pense qu’on se serait jamais rencontré si on était resté à Bordeaux. Eliott c’est le seul parisien du groupe, Anto vient du sud.
LFB : J’ai l’impression que vous faites une musique qui est très liée à l’anglais, même par les groupes français. Pourquoi es-tu parti sur du français ? Parce que moi je trouve ça hyper intéressant.
F : (tousse) Il sait pas parler anglais.
J : On est français, on a une culture qui est très anglosaxonne, dans les groupes qu’on aime et les influences qu’on cite. Notre nom de groupe on l’a trouvé car à la base on était un projet techno et personne chantait, donc on s’en foutait un peu. Avec un peu de recul, on devrait s’appeler «L’ordre 89» maintenant. Mais c’est trop tard, on peut plus changer sur Facebook donc on est niqués et on a sorti un album sous ce nom là. (rires)
Mais à la base, le français a été choisi parce que c’était plus naturel. En plus, j’avais jamais chanté avant, j’avais jamais écrit, donc la chose la plus instinctive pour moi, pour me permettre d’exprimer mes sentiments, c’était en français. Il aurait fallu que j’apprenne et à écrire en anglais, à écrire tout court, à chanter et à chanter en anglais… non, c’était trop de taff pour moi, je pouvais pas.
LFB : Moi j’écoute énormément de groupes dans votre veine musicale, et tous chantent en anglais, moi je trouve ça vachement bien d’avoir un groupe comme ça qui chante en français car ça te permet d’être vraiment proche des textes, et te rattacher aux chansons et pouvoir te les approprier tu vois.
J : En fait c’est à double tranchant, parce que ouais va y avoir des gens qui vont pouvoir s’identifier aux textes, pouvoir comprendre le sens qu’on a voulu donner à ces chansons. En même temps, ça nous ferme pas mal de portes car du coup on a jamais joué à l’extérieur de France. Si on a joué à Barcelone, mais du coup le fait qu’on chante en français, c’est que la barrière est immense, et peut-être que si un jour, par chance, on a des millions de followers et 3 albums, on pourra peut être joué à l’extérieur, mais c’est limite quoi.
LFB : Je pense qu’en Angleterre ça passerait bien parce qu’ils s’en foutent un peu des mots, c’est la musicalité, et comme vous sonnez vachement bien. J’ai cru comprendre que les espagnols c’était pas le meilleur public pour le post punk.
J: c’est ça, mais les mexicains, oui. On l’a dans un coin de la tête ça. Après Flavien parle extrêmement bien espagnol, donc il arrive à se les mettre dans la poche avant le concert et du coup les gens sont un peu plus chauds. En Espagne, ils écoutent encore du flamenco.
LFB : Pour moi dans l’album il y a 3 types de chansons : celles qui sont un peu autobiographiques où tu te confies ; celles où tu parles d’un personnage et celles où t’es limite dans la prêche, où tu donnes des ordres. As tu songé à ces 3 axes différents dans ton écriture ?
J: Franchement, je pense que je te mentirai si je te disais que c’était un processus complètement voulu. Notre façon de procéder depuis le début a toujours été comme ça, et elle le sera toujours j’espère : on appuie sur play, on joue, et on voit ce qu’il en sort, et si jamais la chose est positive on trace pour finir le morceau, peu importe le temps que ça nous prendra, et pour les textes c’est pareil. Il suffit que j’ai une phrase dans la tête, un mot qui résonne, et qui me rapproche d’une image, et je vais construire après autour de ce mot, et c’est qu’à la fin de la chanson que je vais arriver à être conscient de ce que j’ai voulu extérioriser et raconter.
LFB : Ce qu’il y a d’intéressant aussi c’est que la composition musicale est vachement en symbiose avec les paroles. Comment vous travaillez ça ? C’est le son qui vient avant ?
F : Ça dépend, vraiment. Soit il a une mélodie de voix…
LFB : Il y a une sorte de faux minimalisme : on a l’impression que les structures des chansons sont hyper simples alors que si tu tends vraiment l’oreille, y a quand même un putain de travail derrière.
F : Alors ça c’est vive la techno.
LFB : C’est l’intérêt du live aussi.
J : On est complètement un groupe de live.
F : Si on était pas comme ça, on viendrait, on mettrait le CD, appuierait sur play et voilà.
J : Il y a pas mal d’artiste maintenant qui viennent sur scène avec un iPad, t’appuies sur play, ils ont juste un micro, mais nous ça nous intéresse pas. Nous ce qu’on aime c’est la puissance, la violence du live.
LFB : Ton chant est hyper grandiloquent par moment : comment tu maintiens la limite entre le bon et le mauvais goût ?
J : C’est pas à moi de la maintenir, c’est comme notre façon de composer et tout ce qui s’est passé depuis le début du groupe. On fonce, on réfléchit pas. Donc quand je chante, je réfléchis pas du tout à ce qui va sortir. Délimiter le bon et le mauvais goût, c’est aux gens qui vont venir nous écouter en live, qui vont nous envoyer leur retour sur l’album. Moi je me pose pas cette question franchement, si je sens que je dois le chanter comme ça, je le fais. Si je sens que je dois pas le faire, ben je le fais pas. Mais je peux pas me fixer moi même de limite car sinon je ferais rien.
LFB : Votre groupe s’appelle Order89, dans une chanson vous dites «rentre dans l’ordre» : quand tu penses à cette expression, tu penses à un retour à la normale, et vous vous amusez avec cette expression là car finalement votre musique est carrément l’opposé de ça. C’est un peu un appel à la sédition.
J: Notre concept d’ordre c’est pas être aligné les uns derrières les autres et lever la main quand on nous le demande. C’est plus l’idée que quand t’as quelque chose à dire, quelque chose qui t’as déçu, quand t’as été blessé, incompris, on aime l’idée qu’on puisse tous se réunir sous une seule et même bannière, et c’est ça qu’on appelle l’ordre, un ordre de pirates, de scélérat. C’est pas un ordre conventionnel, mais un ordre qui tend vers le désordre.
LFB : On rentre comment dans l’ordre ?
J : open bar.(rires)
LFB : est-ce que vous avez des coups de coeurs récents à partager ?
F : Mes nouvelles chaussures, elles sont super trop belles.
J : L’album posthume de Mac Miller, que j’ai saigné et qui m’a filé le bad avec toutes les vidéos qui l’accompagne, c’est abusé. Je suis grave fan de lui depuis le début, et l’idée que les mecs puissent sortir des albums posthumes ça me glace le sang, et en même temps je suis tellement content de pouvoir entendre sa voix une dernière fois, qu’il enregistrera plus rien.
E : moi en ce moment, la dernière claque que je me suis prise c’était au ciné, un film chinois qui s’appelle Le Lac Aux Oies Sauvages, et c’était un film très sombre, sur la nuit. C’est vraiment très très bien.