Le quatuor anglais achève son ère Music for Cars par l’apparition de son quatrième LP Notes On A Conditionnal Form après l’excellent et très acclamé A Brief Inquiry Into Online Relationships. Encore une fois, le groupe délivre ici un long album aux différents genres à la fois ambitieux et captivant.
On a souvent tendance à les détester ou à les aimer, preuve qu’ils ne laissent pas indifférents car on ne sait pas sur quel pied danser avec eux : émo ? Synth-pop ? Pop rock ? Funk ? La liste pourrait être longue mais force est de constater, The 1975 a gagné en consistance dans la production de ses titres. Si leur premier album éponyme était guère brillant, excepté les tubes Chocolate et Sex, le deuxième au nom pompeux It like it when you sleep, for you are so beautiful yet so unaware of it qui contient l’inoubliable Somebody Else avait le mérité de se vouloir moins mielleux et lisse avec des instants ambiants et funky.
Mais il s’agit surtout du précédent album plus homogène et moins niais A Brief Inquiry Into Online Relationships qui confirme les talents de composition de George Daniel et d’écriture du chanteur superstar Matthew Healy. Aux influences fortement marquées par OK Computer de Radiohead, un titre plus nerveux et puissant se détache : Love If We Made It. Cet hymne politico-social tente de souffler un vent de rébellion et d’optimiste dans des temps sombres. Il détonne avec leurs précédentes pistes ultra-pop : les Mancuniens ont réussi à évoluer en visant un rock moderne, engagé et percutant.
Dans Notes On A Conditionnal Form, cette rage sera bien présente mais brève. Elle est introduite par le très classique titre The 1975 qui lance chacun de leur album. A l’image du somptueux The Man Who Married A Robot / Love Theme présent dans ABIIOR, l’atmosphère brumeuse est portée symphoniquement par quelques touches de piano et l’engagé discours écologique de Greta Thunberg qu’a pu rencontrer Matthew Healy. Cette longue tribune audacieuse et juste qui ne laisse pas indifférent se termine par « It’s time to rebel » pour lancer le furieux anarcho-punk : People. Jamais le quatuor s’est montré aussi révolté et violent dans sa musique : à l’extravagance de Marylin Manson aux sonorités industrielles de Nine Inch Nails, ce titre absorbe toutes les craintes et les dangers de la société actuelle pour les crier avec déchirement « They want alive people / The young surprise people / stop fucking with the kids ». Les fans des premières heures risquent d’être désarçonnés face à cette férocité, cependant, il ne faut pas oublier les concerts punks dans les pubs qu’enchainait la bande au tout début de leur formation.
Après ce moment tapageur, la tension descend radicalement pour laisser placer à ce que The 1975 cherche continuellement à atteindre : la chanson électro-pop la plus complexe, planante et moderne possible. Le reste de l’album semble ainsi grandement influencé par le future garage de Burial. Ce style musical irrégulier et incertain colle aux états anxieux face à l’environnement social que rencontre Haley et sa bande, cela peut être les relations amicales qui perdent de sens dans ce monde ultra-connecté sur The Birthday Song ou encore les craintes de rejoindre l’environnement l’extérieur dans Fraith State of Mind, qui nous amène à s’isoler pour se réconforter.
Les Mancuniens ont été gourmands avec NOACF qui a la particularité d’avoir été enregistré dans seize studios différents : vingt-deux titres en une heure-vingt. Malheureusement, cela induit des interludes musicaux, certes sympathiques, mais aussi son lot de pistes dispensables et ennuyantes comme Roadkill et son « tucked-up erection », tout comme Playing on My Mind. Il s’agit peut-être des deux titres les plus drôles mais ils pêchent par leur monotonie. C’est un peu le piège de tout long album. En plus, le groupe aborde différents styles musicaux qui font perdre en cohérence l’homogénéité musicale, ce qui peut dérouter son auditeur. Néanmoins, leurs prises de risque sont réussies quand l’album vrille dans l’electronica de Thom Yorke sur Yeah I Know et la house Bonobo-esque de Having No Head car ils complètent et enrichissent l’esprit de NOACF.
Il s’agit avant tout d’un recueil confidentiel sur la santé mentale et les relations sociales. Chaque titre narre des réelles histoires ou non qui ont été écrites durant leurs tournées en 2018 et 2019. Si l’album part dans tous les sens, il le doit avant à l’attitude investie et survoltée de leur leader Healy qui semble tout le temps en proie à sa propre crise existentielle. Finalement, nous passons par toutes ses phases qui peuvent paraître extravagantes sur la forme, jubilatoire dans le fond.
The 1975 n’aura jamais été aussi bon et efficace quand il retourne à la folie rock et aux guitares frénétiques comme sur People. Il en est de même quand le groupe s’adonne aux ballades britpop avec Me & You Together Song et le final Guys. Ces deux titres sont ceux que les membres de Oasis n’ont pas réussi à faire dans les années 2000 dans leur registre. A la fois rêveur, tordu et brumeux, the 1975 parvient à nous faire planer sur des vibes positifs. Contrairement aux frères Gallagher, la bande est unie depuis près de 20 ans et Guys est une perle rare sur l’ode à l’amitié qui clôture excellemment la partition de cet album.
NOACF est le condensé de tout ce qu’a pu réaliser the 1975 auparavant mais en plus construit et structuré. Devenu un groupe majeur sur la scène britannique, il faut espérer que les Mancuniens continuent d’évoluer en se basant sur leurs atouts rocks sans trop se disperser car ces quatre-là sont remplis de bonnes idées et d’audace. En attendant, il se murmure que le groupe se prépare à relancer activement leur projet précédent à The 1975 : Drive Like I Do...